mardi 27 août 2013

Varanasi: sacré Gange


(Paru le 17 août 2013 dans le cahier Voyage de La Presse)

Varanasi, Inde - Si vous en avez assez des réincarnations, c'est à Varanasi, sur les rives du Gange, qu'il faut venir pousser votre dernier soupir. Ou du moins, vous faire incinérer. Dans cette ville sacrée de l'hindouisme, plongée dans la spiritualité jusqu'au cou, les harceleurs de touristes ne manquent toutefois pas de vous ramener constamment les deux pieds sur terre.



Les journées commencent tôt à Varanasi, cité autrefois baptisée Bénarès, et chérie des hippies pendant les années 60 et 70. Dès le lever du soleil, vers 5h, la ville se met en branle. Du balcon de l'hôtel, on entend immanquablement les bateliers sur les ghats - ces marches en pierre qui mènent au fleuve - inviter les visiteurs à une petite balade matinale sur le Gange. C'est que dans trois heures, il sera trop tard. Le soleil sans pitié rendra l'exercice suicidaire.
Sur le ghat Manikarnika, les cendres des bûchers funéraires de la nuit passée laissent échapper leurs derniers nuages de fumée. Les doms, une caste d'intouchables qui détient le monopole de la tâche ingrate de brûler les morts, s'affairent à déblayer les lieux en prévision de l'arrivée de nouveaux cadavres. D'autres s'occupent de décharger les bateaux remplis de billots, qui seront utilisés pour les bûchers.
Eaux troubles
En se baladant sur les quelques kilomètres de ghats qui longent le Gange, on observe les baigneurs de tous âges en train de se "purifier" dans le très pollué fleuve sacré. Autour d'eux, des troupeaux entiers de vaches - tout aussi sacrées - plongent dans l'eau opaque pour se rafraîchir. Outre les déchets de toutes sortes qui flottent à la surface, l'idée que des cadavres d'enfants, de suicidés, de femmes enceintes, d'hommes saints et autres interdits de crémation y sont régulièrement jetés nous convainc de ne pas y tremper le pied à notre tour.
En dépit du mysticisme environnant, il est pratiquement impossible de trouver une quelconque tranquillité d'esprit en déambulant au bord du Gange. "Boat? Postcard? Massage? Haschisch?" À toute heure, le touriste est sollicité, suivi sur plusieurs mètres, avec une insistance qui n'accepte aucun refus, qu'il soit poli ou agressif.
Paradoxalement, dans cette ville censée célébrer l'harmonie entre les hommes et les dieux, il faut donc savoir mettre son humanité de côté. Seul moyen de rester zen: ignorer systématiquement ceux qui vous abordent d'un air déterminé. Tout signe d'attention à leur égard équivaut à une entrée dans un piège à doigts chinois dont il pourrait ne pas être aisé de sortir sans se délester de quelques roupies.
Retrait dans la vieille ville
Lorsque la chaleur devient trop intense sur les ghats, mieux vaut se retrancher dans les ruelles exigües de la vieille ville. En se perdant dans les dédales de boutiques d'artisanat et de stands d'alimentation, il est toutefois recommandé de garder la tête basse. Pas autant pour fuir les regards des vendeurs désespérés que pour éviter de mettre le pied dans un tas de fumier ou encore de marcher sur un chien errant qui dort insouciamment sur le pavé.
Cérémonies et bûchers funéraires
Vers 17h, lorsque la chaleur de l'après-midi commence à se faire moins oppressante, habitants, fidèles et touristes envahissent de nouveau les ghats. À plusieurs endroits, les jeunes hommes transforment ces immenses escaliers de pierre en étranges terrains de cricket longilignes qui ont peu à voir avec la surface de jeu habituellement ovale et plate du sport national de l'Inde. Les bons frappeurs envoient régulièrement la balle dans le Gange, ce qui oblige les voltigeurs à une petite baignade pour aller la récupérer.
Dans les coins moins fréquentés, on retrouve des amoureux prudes, tranquillement assis côte à côte. Pas question qu'ils s'embrassent en public, si ce n'est que très discrètement. Nous sommes en terre conservatrice. Ils doivent donc se contenter de se tenir par la main et de discuter jusque tard le soir.
Le coucher du soleil marque également le début des cérémonies religieuses sur le ghat principal. Elles sont destinées autant aux touristes étrangers qu'aux pèlerins. La configuration des lieux limitant le nombre de places, une partie des spectateurs regarde les rituels colorés et enflammés à partir d'embarcations sur le fleuve.
La vraie expérience humaine de Varanasi se trouve toutefois du côté des bûchers funéraires de Manikarnika. Certes, là aussi les arnaqueurs pullulent, cherchant à vous soutirer une "amende" pour une photo interdite que vous n'avez jamais prise.
Mais on peut aussi y trouver une réelle sincérité, chez les pèlerins et visiteurs funéraires. Comme chez ce jeune homme de l'État du Bihar voisin qui nous aborde pour s'enquérir de notre origine. Dans un anglais plus que sommaire, il explique qu'il accompagne la dépouille de son oncle octogénaire, mort quelques jours plus tôt. Après avoir été immergé dans le Gange, le corps est recouvert de billots de bois, vendus très chèrement à la famille par les doms. Un brahmane (prêtre hindou) effectue les derniers rituels avant qu'un proche mâle du défunt allume le bûcher. Pas une larme n'est versée durant tout le processus. Après tout, le trépassé a une chance inouïe: lorsque ses cendres seront jetées dans le fleuve sacré, il atteindra la moksha, la libération finale de l'âme du cycle des réincarnations. Fini les souffrances terrestres.

1 commentaire:

Unknown a dit...

Ganga est le berceau de la civilisation