(Paru dans La Presse le 15 décembre 2012)
Bombay - Durant des siècles, les Parsis de Bombay ont laissé les dépouilles de leurs défunts en pâture aux vautours dans des tours en pierre en plein coeur de la capitale économique de l'Inde. Jusqu'à ce que les oiseaux de proie disparaissent mystérieusement du ciel indien, il y a 15 ans. Aujourd'hui, la petite communauté veut recréer une population de rapaces pour perpétuer cette tradition menacée.
Les préceptes enseignés par le prophète Zarathoustra il y a 3500 ans sont clairs: le feu, l'eau, l'air et la terre sont sacrés. Puisque la mort est une "victoire temporaire du Mal", les cadavres sont impurs et ne peuvent être ni brûlés, ni submergés, ni enterrés, afin de ne pas "polluer" les éléments. Seule solution: laisser le soleil et les vautours se charger de les faire disparaître.
Jusqu'à récemment, il était aisé pour les quelque 75 000 Parsis d'Inde - venus de la Perse il y a un millénaire et principalement installés à Bombay - de poursuivre cette tradition de disposition des morts au sommet de tours en pierre. Leur pays d'adoption comptait une importante population d'oiseaux prédateurs.
Tout a changé au tournant des années 90. De 40 millions, le nombre de vautours a chuté à environ 60 000 en à peine une décennie. Le plus rapide déclin d'une population d'oiseaux jamais enregistré sur la planète.
Le coupable de cette hécatombe n'a été découvert qu'en 2004: le diclofénac (commercialisé sous les noms de Voltaren et Pennsaid au Canada), un antidouleur administré aux bovins et aux humains, notamment en fin de vie. Une fois dans l'organisme des vautours, ce médicament cause une insuffisance rénale souvent mortelle. Deux ans après cette découverte, l'Inde, le Pakistan et le Népal ont interdit l'utilisation de ce médicament chez les animaux. Mais il était déjà trop tard.
"Je n'ai pas vu un vautour dans le ciel de Bombay depuis 20 ans!", se désole Dinshaw Rur Mehta, président élu du Panchayat (assemblée) parsi de Bombay.
Afin d'accélérer la décomposition des corps, le Panchayat a installé en 2001 des panneaux solaires pointant vers les "tours du silence", nichées dans une forêt de 54 acres jouxtant l'un des quartiers les plus luxueux de Bombay.
Or, durant les deux mois et demi de mousson, quand le ciel est couvert, les corps peuvent mettre plusieurs semaines à se décomposer. Les odeurs pestilentielles qui en émanent ont entraîné des plaintes de la part des résidants des tours d'habitation des environs.
Intérêts concordants
La solution idéale pour pérenniser la tradition serait donc de faire réapparaître les oiseaux de proie dans le ciel indien. Et justement, le gouvernement indien planche sur la construction d'une dizaine de volières dans le pays afin de régénérer la population de vautours. Non pas pour des raisons religieuses, mais parce que leur disparition a eu de sérieuses conséquences écologiques partout sur le territoire.
C'est que l'Inde compte le plus grand cheptel bovin au monde - plus de 300 millions de têtes. Sans vautours, leurs carcasses se décomposent lentement dans les champs, contaminent les sources d'eau et favorisent l'apparition de charognards terrestres comme les rats, souvent porteurs de maladies.
Les intérêts du pays et des Parsis concordent donc. Un centre de reproduction qui sera créé dans un parc naturel en périphérie de Bombay. L'installation de volières sur deux des quatre tours pourrait commencer en avril prochain et dès janvier 2014, les vautours y reprendraient du service.
Même si on ne recense qu'environ 800 décès par année chez les Parsis, cette communauté très riche, d'où sont issues plusieurs des grandes familles commerciales de l'Inde, est prête à investir 5 millions de dollars sur 15 ans pour financer le projet.
Scepticisme
Avant de commencer les travaux, le Panchayat devra toutefois obtenir l'assentiment officiel des six grands prêtres, gardiens de l'orthodoxie zoroastrienne. "Ensuite, nous devrons consulter des médecins", explique Dinshaw Rur Mehta. Car pour ne pas menacer la survie des oiseaux, il faudra développer un test permettant de s'assurer que les défunts n'ont pas consommé de diclofénac dans les 72 heures précédant leur décès.
Si une majorité de Parsis semble appuyer le projet, certains émettent des réserves quant à ses chances de réussite.
"Comment le Panchayat pourra-t-il contrôler toutes les maladies [aviaires] et les médicaments pris par les défunts?", s'interroge notamment Homi B. Dhalla, président de la Fondation culturelle mondiale zaratushti.
Devant le mauvais fonctionnement des "tours du silence", ou pour des raisons pratiques, certains Parsis ont délaissé la tradition et se sont tournés vers la crémation. L'écrasante majorité continue tout de même de suivre ce rite funéraire, vanté comme étant "le plus écologique qui soit".
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