dimanche 26 juillet 2009

Obama à Moscou

Textes publiés dans La Presse respectivement les 7 et 8 juillet, lors de la visite du président américain Barack Obama à Moscou.

MOSCOU CHOISIT LA COOPÉRATION

Moscou - Le pouvoir russe a décidé de laisser sa chance à Obama. Malgré plusieurs points de divergence encore en suspens entre Washington et Moscou, le président Dmitri Medvedev a choisi la coopération, faisant oublier l'atmosphère aux relents de guerre froide des dernières années de l'administration Bush.

Signal fort de cette relation renouée, les présidents russe et américain se sont tout d'abord entendus sur des sujets militaires, hier. La Russie permettra le transit sur son territoire des soldats et du matériel militaire américains à destination de l'Afghanistan.

Les deux pays reprendront aussi leurs exercices militaires conjoints. Ils avaient été interrompus en août dernier, après la guerre éclair entre la Russie et l'ex-république soviétique de Géorgie, désormais alliée de Washington.

Les dirigeants russes ont même fermé les yeux sur la décision de Barack Obama de s'entretenir directement ce soir avec des leaders de la microscopique opposition russe, à laquelle le Kremlin fait la vie dure.

"Le simple fait qu'Obama ait proposé cette rencontre est déjà un pas courageux de sa part", se réjouit l'ancien député de la Douma Vladimir Ryjkov, qui participera à la rencontre. "Ça veut dire qu'il ne considérera pas l'opinion du Kremlin comme celle de tous les Russes." Les prédécesseurs d'Obama n'avaient jamais osé faire un tel affront au Kremlin, note-t-il.

M. Ryjkov ne s'attend toutefois pas à ce que le président américain puisse faire quoi que ce soit pour aider l'opposition russe à prendre de la vigueur et proposer une alternative au tandem autoritaire Poutine-Medvedev.

"La rhétorique du Kremlin est depuis longtemps que tous [nos problèmes] sont causés par les États-Unis", poursuit Leonid Gozman, coprésident de Cause juste, un nouveau parti libéral d'opposition modérée. "Mais je crois que maintenant, les deux parties comprennent que l'un sans l'autre, nous n'arriverons à rien."

Avant de s'attaquer aux enjeux mondiaux, il reste toutefois encore à Obama et à Medvedev certaines pommes de discorde bilatérales à régler. C'est le cas du bouclier antimissile en Europe de l'Est, un projet de l'administration Bush qu'Obama persiste à vouloir concrétiser, en dépit de la forte opposition de Moscou.

Medvedev a cependant perçu une ouverture de la part de son homologue hier, voyant poindre à l'horizon un "compromis possible".

La Russie souhaite aussi une reconnaissance tacite par Washington de sa "sphère d'influence" en ex-URSS. Elle voudrait ainsi que le président américain prenne exemple sur l'Europe et retire son appui à une adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN.

OBAMA FLATTE L'EGO RUSSE

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

Moscou - En visitant Moscou, Barack Obama voulait réconcilier son pays non seulement avec le Kremlin, mais avec la Russie entière.

Dans l'un de ses grands discours auxquels il a habitué la planète depuis son entrée en fonction, le président américain a notamment flatté l'ego russe en reconnaissant l'héritière de l'Union soviétique comme une "grande puissance".

"Que les choses soient claires dès le départ: l'Amérique veut une Russie qui soit forte, pacifique et prospère", a lancé, hier matin, le président américain aux diplômés de la Nouvelle école économique de Moscou, qui forme une partie de l'élite russe.

Le président a bien précisé toutefois que ce n'était pas à lui à définir les intérêts nationaux de la Russie. "Mais je peux vous dire quels sont les intérêts nationaux des États-Unis et je crois que vous verrez que nous en partageons plusieurs."

Maniant habilement la citation, Barack Obama a repris les mots du plus grand poète russe, Alexandre Pouchkine, tout en faisant constamment référence aux difficultés communes qu'ont connues les États-Unis et la Russie pendant toute leur histoire. Comme pour mettre les deux États sur un pied d'égalité.

Il a rappelé "qu'aucun pays dans l'histoire des batailles n'a jamais souffert autant que l'Union soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale." Une remarque qui a un fort effet en Russie, où on reproche souvent aux Alliés d'oublier le rôle de Moscou dans la victoire contre le nazisme.

Poutine au déjeuner

Le président américain a toutefois voulu freiner les ardeurs des dirigeants russes, qui lui demandaient implicitement de reconnaître l'ex-URSS comme faisant partie de leur "sphère d'influence".

"L'époque où les empires pouvaient traiter les États souverains comme des pièces d'un jeu d'échecs est révolue", a tranché Obama.

Il a toutefois ouvert la porte à un compromis sur le bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, l'un des dossiers bilatéraux les plus sensibles. Il a laissé entendre que si la Russie pouvait l'aider à neutraliser toute menace nucléaire en provenance d'Iran, les États-Unis abandonneraient leur projet controversé.

La journée d'Obama a commencé par un déjeuner "à la russe" avec le premier ministre Vladimir Poutine, l'homme fort du régime. Le président américain l'avait accusé la semaine dernière d'avoir "encore un pied dans le passé".

L'entretien de deux heures entre les deux hommes a été visiblement moins cordial que celui de la veille avec le président Medvedev.

Devant les caméras, les hommes, un peu mal à l'aise, ont échangé les salutations d'usage avant de se lancer à huis clos dans un entretien "très franc" et "très direct", selon un responsable de la Maison-Blanche.

"Rien ne sera facile"

"En ce qui a trait aux sujets sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, comme la Géorgie, je ne m'attends pas à une communion des esprits dans un avenir proche", a reconnu M. Obama à l'issue de la rencontre.

En fin d'après-midi, le président américain s'est entretenu avec des responsables d'ONG, puis avec des leaders de la maigre opposition russe, indiquant d'entrée de jeu qu'il était venu pour les "écouter" plutôt que pour donner des leçons.

Le politologue Sam Greene, du centre Carnegie de Moscou, estime que si Obama a réussi à jeter les bases d'un nouveau dialogue russo-américain, "rien ne sera facile" pour la suite des choses.

"Et ça n'a pas à l'être. Ce qu'il faut, c'est que [les Russes et les Américains] s'assoient à la même table pour discuter des détails ennuyeux et des problèmes, au lieu de se parler indirectement en donnant des interviews à CNN", note-t-il.

Et c'est ce que cette visite de 48 heures à Moscou, une éternité dans l'horaire d'un président, semble avoir permis de faire.

La Russie ferme ses casinos

Publié dans le journal La Presse le 3 juillet 2009.

Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale

Moscou - La rue Nouvel Arbat, au coeur de Moscou, a perdu son éclat. Mardi soir, les lumières de sa demi-douzaine de casinos, frappés par l'interdiction des jeux de hasard dans le pays, se sont éteintes. Désormais, les parieurs devront soit se rendre dans quatre "Las Vegas" russes à des milliers de kilomètres de Moscou, soit miser en ligne.

Irina Ioureva ne croyait pas que Vladimir Poutine était sérieux lorsqu'il a signé en 2006 une loi interdisant les jeux de hasard dès le 1er juillet 2009. L'industrie, qui rapporte un milliard de dollars en recettes fiscales par année, était trop lucrative pour que l'État ose s'y attaquer.

Mais Poutine, alors président, voyait plutôt le jeu comme une forme "d'intoxication de la population" au même titre que l'alcool, et une industrie idéale pour le blanchiment d'argent par le crime organisé.

"Nous avons pris conscience seulement au début de l'année que nous devrions fermer", a confié la directrice du Super Slots avant-hier matin. La veille à 19h, les derniers clients avaient quitté l'établissement. "C'est dommage. Tellement de gens perdent leur emploi", dit Mme Ioureva. Selon le gouvernement, ils sont environ 11 000 croupiers et autres employés à se retrouver à la rue, dont près de la moitié dans la capitale. Les représentants de l'industrie parlent plutôt de 400 000 personnes.

Pour éviter une vague de mécontentement, les autorités se sont empressées de proposer des emplois aux nouveaux chômeurs. Mais bien peu sont prêts à devenir serveur ou gardien de sécurité après avoir perdu un emploi mieux rémunéré. Les salaires les plus bas oscillaient entre 800 et 2000$ par mois dans les casinos, alors qu'ils dépassent rarement 600$ dans la restauration.

En dépit de la grogne chez les ex-croupiers, plus de 70% des Russes se disent favorables à cette interdiction, selon un sondage mené par la firme Profi Online Research.

Près de la moitié des répondants ont pourtant indiqué avoir joué au moins une fois à un jeu de hasard au cours des six derniers mois. Pour assouvir leur soif du jeu, 60% d'entre eux affirment qu'ils pourraient se tourner vers les sites de pari en ligne.

Les plus mordus pourront toujours se rendre dans l'une des quatre zones spéciales où les jeux de hasard seront permis. Mais bien peu de riches Moscovites risquent de préférer les casinos de l'Altaï (Sibérie), de Rostov, de Kaliningrad ou encore de Vladivostok (Extrême-Orient), à ceux des capitales européennes...

D'autant plus que ces zones ne sont pas prêtes à accueillir un afflux de parieurs. Des investissements estimés à 40 milliards de dollars seraient nécessaires pour en faire de vrais "Las Vegas" russes, mais l'industrie n'envisage pas pour l'instant pas de miser sur la rentabilité de ces projets.