samedi 30 août 2008

La Russie isolée

Publié dans le journal La Presse, le 30 août 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

On reconnaît ses vrais amis en temps de crise, dit-on. Si c'est le cas, la Russie n'en compte que très peu, voire aucun. Même les alliés de l'ex-URSS se font muets.

Il aura fallu une crise de l'ambassadeur russe à Minsk pour que le président biélorusse réagisse à la guerre qui embrasait le Caucase. «Nous ne comprenons pas bien pourquoi les autorités de Biélorussie se taisent», a déclaré, irrité, l'ambassadeur Alexandre Sourikov, cinq jours après le début des hostilités.

Une semaine plus tard, le président Alexandre Loukachenko est finalement allé rencontrer son homologue russe, Dmitri Medvedev. «C'était calme, sage et beau», a alors commenté le Biélorusse, en référence à la réaction de son grand frère slave face à l'invasion géorgienne de la république séparatiste d'Ossétie-du-Sud.

Il faut dire que Loukachenko, considéré comme le «dernier dictateur d'Europe» par Washington, tente depuis quelques mois d'améliorer son image et ses relations avec l'Occident. Alors que Géorgiens et Russes se bombardaient, il en a profité pour libérer en douce le dernier prisonnier politique de son pays.

Mardi dernier, lorsque Moscou a reconnu l'indépendance de l'Ossétie-du-Sud et de l'Abkhazie, c'était de nouveau le silence radio à Minsk. Loukachenko a finalement déclaré deux jours plus tard que Moscou n'avait pas le choix de reconnaître l'indépendance des deux territoires. Mais pas un mot sur sa propre position sur le sujet.

Les autres capitales de la Communauté des États indépendants ont été encore plus prudentes.

Dans le bloc, seule l'Ukraine a adopté une position ferme dans la crise, mais une position farouchement antirusse. Au plus fort des combats, son président, Viktor Iouchtchenko, s'est rendu à Tbilissi pour apporter son soutien indéfectible à son ami géorgien, Mikheïl Saakachvili, tout aussi pro-occidental que lui.

Les leaders des républiques d'Asie centrale ont quant à eux tout fait pour ménager la chèvre et le chou. Le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, l'un des principaux alliés de Moscou, s'est contenté de déplorer une décision «irréfléchie» de Mikheïl Saakachvili et de justifier l'action de la Russie, qui visait selon lui à «mettre fin à l'effusion de sang». Mais pas question d'aller plus loin: le Kazakhstan possède d'importants intérêts dans l'industrie touristique en Géorgie et dans les installations pétrolières du port de Batoumi, sur la mer Noire.

Prudence obligée aussi à Bichkek. À quelques kilomètres de la capitale du Kirghizistan se trouvent à la fois une base militaire russe et une autre... américaine.

Pas d'alliés obligés

Étonnamment ou non, la Russie n'a pas trop tenu rigueur de leur silence à ses alliés traditionnels. Le ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov a dit comprendre la volonté de ses partenaires «d'entretenir des relations normales avec le reste du monde, et en particulier avec les États-Unis et l'Union européenne». Il a assuré que la Russie ne leur demanderait pas officiellement de reconnaître les deux républiques séparatistes géorgiennes.

«Aucun des pays (de la CEI) n'a eu le sentiment d'être un allié obligé de la Russie» dans ce conflit, souligne la politologue Maria Lipman, du Centre Carnegie de Moscou.

Selon elle, en répondant par la force plutôt que par la diplomatie à l'attaque géorgienne contre l'Ossétie-du-Sud, la Russie «a choisi de brûler les ponts avec l'Occident. Elle a choisi le chemin de l'isolement, de l'affrontement féroce avec l'Ouest et de la fermeture de son économie». Appuyer inconditionnellement la Russie n'avait ainsi rien de très attrayant pour de jeunes pays qui souhaitent diversifier leurs partenariats économiques, explique-t-elle.

Analyste militaire du journal Komsomolskaïa Pravda et colonel à la retraite, Viktor Baranets croit que les pays de la CEI ont essayé d'obtenir le maximum d'avantages d'un côté comme de l'autre dans cette crise. L'opération peut toutefois être risquée, selon lui. «Ils doivent s'asseoir sur deux chaises en même temps. Mais si les deux chaises s'éloignent, ils tomberont», illustre-t-il.

Par contre, M. Baranets croit que les voisins de la Russie n'ont pas à craindre qu'elle ne cherche à s'accaparer militairement d'autres parties de l'ex-empire. À son avis, si les Ukrainiens laissent planer le doute sur les intentions de la Russie en Crimée, territoire anciennement russe et offert à l'Ukraine par Moscou en 1954, c'est tout simplement pour s'attirer la sympathie de l'Occident. «C'est une provocation pour accélérer son adhésion à l'OTAN», soutient-il.

Contrairement à Maria Lipman, qui croit que la Russie est devenue «une menace pour ses voisins», Viktor Baranets assure qu'«il n'y a pas un seul officier dans l'armée russe qui songe à une quelconque conquête (territoriale) militaire».

Tout de même, l'ex-colonel admet que l'intervention russe en Géorgie a redonné à son pays confiance en ses capacités militaires. «Notre commandement a ravalé longtemps l'humiliation d'être en pantoufles devant Washington. Tout le monde se souvient des années Eltsine. Maintenant, on nous laisse déployer nos ailes.»

jeudi 21 août 2008

Gori: Au-delà de la propagande

Publié dans La Presse le 21 août 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
Collaboration spéciale, La Presse
Gori, Géorgie

On en parlait comme d'une ville abandonnée, où les quelques Géorgiens restants mouraient pratiquement de faim. Les forces russes et sud-ossètes, disait-on, bloquaient l'aide humanitaire et commettaient des atrocités indescriptibles contre la population. Si la vie est loin d'être rose à Gori, sous occupation russe depuis plus d'une semaine, la propagande a réussi à en faire une ville martyre bien utile à la cause géorgienne dans le conflit qui l'oppose à la Russie. La Presse a pu le constater sur place.

«Nous n'avons manqué de rien.» Daredjan Tvarelidze n'a pas quitté Gori depuis les premiers bombardements russes sur la ville le 8 août dernier. C'était quelques heures à peine après que les forces géorgiennes eurent lancé une attaque sur Tskhinvali, la capitale de la région séparatiste de l'Ossétie-du-Sud, située à quelque 30 km au nord-est de Gori.

Dans le petit dépanneur où nous faisons la connaissance de Daredjan, les étalages sont plutôt bien garnis pour un temps de guerre. «Ce sont des restes», explique le tenancier, qui n'a pas reçu de livraison depuis le début des hostilités. Des bombardements jusqu'à l'occupation russe, l'établissement de la rue Samepo, au centre-ville de Gori, a tout de même été ouvert tous les jours.

Si le dépanneur peut encore répondre à la demande, c'est aussi qu'elle n'est pas trop forte. L'écrasante majorité des quelque 50 000 âmes que compte la ville natale de Joseph Staline en temps de paix a fui la ville pour la campagne ou pour la capitale Tbilissi. Daredjan et ses voisines estiment qu'à peine une quinzaine de personnes sur le millier de résidants de la rue Samepo sont restées durant les hostilités.

Daredjan est loin d'apprécier la présence des soldats russes dans sa ville. «Ils contrôlent toutes les rues. Ça agit sur la psyché des gens. Ils ont peur de ce que (les soldats) peuvent faire durant les heures de couvre-feu», raconte-t-elle, citant comme exemple les échanges de coups de feu entendus la nuit précédente, sans qu'on puisse dire d'où ils provenaient.

Avant les soldats, Daredjan et la plupart des habitants rencontrés craignaient toutefois surtout les pillards, d'origines diverses, qui rôderaient toujours dans la ville, parfois même le jour. Par contre, elle indique n'avoir été témoin d'aucune atrocité commise par les forces russes.

«Ils ne sont pas vulgaires avec nous», poursuit Bagrad Khikhalachvili, qui habite à deux pas de l'une des bases militaires géorgiennes bombardées, où les Russes ont établi leur quartier général.

«Ils ont même voulu nous donner de l'argent, mais personne ne l'a pris. Nous sommes un peuple comme ça», explique le médecin de 59 ans, qui a lui-même souvent offert des cigarettes aux soldats russes.

Depuis le début des hostilités, Bagrad ne boit «que du café et ne mange que de temps en temps. C'est pour en laisser aux plus démunis», explique-t-il.

Aide humanitaire mal organisée

Même si la base de l'alimentation se résume à du pain pour la plupart, personne ne meurt de faim à Gori, nous ont expliqué plusieurs habitants hier. Par contre, les critiques envers l'organisation de l'aide humanitaire fusent de toutes parts.

«Ils nous ont menti. Je suis ici depuis 6h ce matin. Ils disaient toujours: 'Dans une heure, dans deux heures ', mais ils ne nous ont finalement rien donné», maugrée Svetlana Markichvili, alors qu'elle quitte les mains vides les marches du centre sportif de Gori, 11 heures après son arrivée.

Pourtant, malgré les permissions parfois contradictoires des autorités russes, l'aide humanitaire arrive bel et bien à Gori depuis quelques jours. Hier matin, alors que les journalistes étaient interdits d'accès à la ville, les camions transportant des provisions offertes par des ONG internationales passaient sans problème les postes de l'armée et des forces de maintien de la paix russes entre Tbilissi et Gori.

Mais une fois sur place, la distribution est laborieuse. Artchil Tchilatchidze, 83 ans, n'a pas réussi à obtenir quoi que ce soit hier. «Certains en prennent pour cinq personnes, alors que d'autres n'ont rien, dénonce l'homme, qui se déplace difficilement. «Ils m'ont dit de revenir demain, mais j'ai répondu qu'un homme malade ne peut pas revenir tous les jours!»

«Erreurs» de cibles

Un humanitaire a reconnu hier après-midi que la situation était moins catastrophique qu'elle avait pu être décrite auparavant. «C'est détruit, mais moins que ce à quoi on s'attendait», a indiqué à La Presse Christoph Tobierwith, représentant adjoint du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, alors qu'il terminait une visite de la ville.

Dans le centre-ville, en suivant les indications d'une citoyenne, nous n'avons pu observer qu'un seul édifice touché par une bombe. Une bonne partie des bâtiments toutefois a eu les vitres soufflées par les déflagrations, dont le musée à la mémoire de Staline. Des trous de balles étaient perceptibles un peu partout sur les murs de la ville.

Un peu plus loin, à quelques mètres d'une réserve de chars de l'armée géorgienne attaquée par l'aviation russe, trois édifices à logements et une maison ont été fortement endommagés. Plus d'une dizaine de civils ont péri lorsque les bombes ont dépassé leur cible initiale.

Les Géorgiens du secteur rencontrés estimaient toutefois que les Russes avaient vraisemblablement toujours voulu viser des cibles militaires et qu'ils avaient parfois commis des «erreurs» en touchant les édifices adjacents.

Géorgie: désarroi sans frontières parmi les réfugiés

Publié dans La Presse le 20 août 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Tbilissi
À l’entrée de l’école numéro 11 de Tbilissi, des vêtements usagés traînent dans un bac décoré du logo de l’ONG Urgence humanitaire France. Pendant que les hommes regardent une entrevue à CNN du président Mikheïl Saakachvili, traduite en géorgien, les femmes se bousculent pour obtenir l’une des couvertures tout juste livrées par une association féminine.

Hier, les quelque 150 réfugiés entassés dans cette école du quartier défavorisé de Nadzaladevi en étaient pour la plupart à leur onzième journée de séjour forcé à Tbilissi. Il en avait fallu neuf pour qu’on leur livre des matelas et qu’hommes, femmes et enfants cessent de dormir à même le sol.

Ici, les réfugiés feignent de ne pas parler russe lorsqu’on les aborde dans cette langue. La plupart sont des Géorgiens habitant l’Ossétie-du-Sud, dont les Russes et les Ossètes ont repris le contrôle la semaine dernière, après une offensive ratée de l’armée géorgienne.

Finalement, deux hommes acceptent de discuter. «Nous vivons près l’un de l’autre, les Géorgiens et les Ossètes. Il y a des villages mixtes aussi», explique Nodar, qui craint les représailles russes et ossètes lorsqu’il retournera dans son village de Disevi, près de Tskhinvali, la capitale sud-ossète.

La discussion est interrompue quelques secondes. Un nouveau sac de vêtements vient d’arriver. Les femmes se précipitent et déchirent le sac en plastique pour mettre la main sur des vêtements à leur taille.

«Tant que les Russes seront là (en Ossétie), nous resterons ici», poursuit Aleksander, dont la maison a «probablement» été incendiée par les forces russes et ossètes, comme le reste de son village.

Malgré le conflit, les deux petits commerçants croient qu’une réconciliation est possible avec les Ossètes. «Au marché de Tskhinvali, nous marchandions ensemble», se rappelle Nodar, dont la femme est ossète. «Nous mangions, nous travaillions ensemble. Et ce sera encore comme ça quand les Russes partiront.»

«Il faut que les Russes retirent leurs armements de là», renchérit Aleksander. Selon les deux hommes, il ne fait aucun doute que la guerre a été déclenchée par les Russes et les Ossètes. L’armée géorgienne n’aurait fait que répondre à des mois de « provocations », estiment-ils. «Nous ne pensions jamais que la guerre commencerait», assure Aleksander.

Deux fois réfugiée

À l’école 195, dans le quartier Saburtalo, les réfugiés ont droit à un traitement quasi privilégié. Les citadins du coin apportent régulièrement nourriture et vêtements à leurs compatriotes venus pour la plupart de Gori, cette ville géorgienne fortement bombardée par l’aviation russe durant le conflit. Ils leur ouvrent même la porte de leur appartement le temps d’une douche.

«Je suis déjà deux fois réfugiée». Maya Mindiechvili, 38 ans, avait fui Tskhinvali en 1991, lors de la guerre d’indépendance entre l’armée géorgienne et les séparatistes sud-ossètes, pour s’installer à Gori. Le 8 août, elle quittait sous les bombes son refuge devenu maison pour l’école 195 de Tbilissi.

«Je n’ai aucune idée de ce qui est arrivé à mon édifice à logements», s’inquiète-t-elle.

Sa tante Lucia Guiounachvili, elle, sait que sa maison n’est plus qu’un tas de cendres. «On dit qu’il ne reste plus que quatre maisons dans mon village», dit la Géorgienne de 73 ans, qui habite en Ossétie-du-Sud.

Selon elle, les Russes et les Ossètes avaient préparé la guerre depuis longtemps. «Une semaine avant le conflit, ils ont fait sortir tous les femmes et enfants ossètes des villages. Ça m’a surprise et je ne savais pas pourquoi», raconte-t-elle.

La Presse ne peut toutefois confirmer cette information. D’autant plus qu’une semaine auparavant, des réfugiés sud-ossètes rencontrés à Vladikavkaz (Ossétie-du-Nord) nous avaient affirmé exactement le contraire… soit que les Géorgiens avaient évacué leurs villages d’Ossétie-du-Sud, laissant les Ossètes seuls face aux bombes. Tous assuraient également n’avoir jamais été prévenus par quiconque du déclenchement imminent des hostilités.

À Vladikavkaz et Tskhinvali, les Ossètes du Sud étaient tous convaincus que les bombardements en Ossétie-du-Sud étaient attribuables aux Géorgiens. À Tbilissi, les réfugiés géorgiens nous affirmaient l’inverse. Tout cela pratiquement dans les mêmes mots. Seuls les armées changeaient de rôle. Dans les deux cas, les civils restaient les victimes.

mardi 19 août 2008

Couverture du conflit en Ossétie-du-Sud et en Géorgie

Chers lecteurs,
comme plusieurs le savent, je suis actuellement en Géorgie, à couvrir le conflit russo-géorgien. J'étais la semaine dernière de l'autre côté de la frontière, en Ossétie-du-Nord, ainsi qu'en Ossétie-du-Sud. De mauvaises connexions internet et un manque de temps m'ont empêché de mettre sur mon blogue mes articles. Ils sont toutefois presque tous disponibles sur la section internationale du site de Cyberpresse.ca

N'hésitez pas à m'envoyer questions ou commentaires,

Frédérick

P.S.: Voici quelques liens de ce que j'ai fait jusqu'à maintenant:

mercredi 6 août 2008

L'Arménie en quête de démocratie

Article publié dans La Presse le 5 août 2008 (mais le reportage date de mai 2008, puis a été actualisé) et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Erevan

Depuis près de cinq mois, l'Arménie est plongée dans une crise politique sans précédent dans son histoire post-soviétique. La violente répression des manifestations qui ont suivi l'élection présidentielle contestée de février n'a fait qu'aviver l'ardeur des opposants au régime. Mais selon des analystes, c'est justement cette profonde remise en question qui pourrait remettre le petit pays du Caucase, longtemps considéré comme l'exception démocratique parmi les régimes autoritaires d'ex-URSS, sur le chemin de la démocratie.

En cette journée pluvieuse, l'institutrice Sona Ghavalbabunts a pris congé pour manifester contre la détention de son mari Vardan, «prisonnier politique», depuis mars dernier.

Chauffeur pour une église, il était sur la place de la Liberté d'Erevan lorsque la manifestation contre les résultats de l'élection présidentielle a tourné au drame le 1er mars: 10 morts, des centaines de blessés.

«Il avait vu à la télévision qu'on battait des gens et il a voulu aller les soutenir», dit Sona, assurant que son mari n'a pas participé à la riposte de la foule contre la police, qui tirait à balles réelles sur les manifestants.

Vardan risque maintenant de trois à six ans de prison, comme plus d'une cinquantaine d'autres protestataires arrêtés. La plupart étaient des partisans de Levon Ter-Petrossian, candidat défait à la présidentielle du 19 février. D'autres, de simples citoyens qui sentaient que leur voix n'avait pas été entendue.

Brandissant des portraits des prisonniers politiques, la centaine de personnes réunies avec Sona devant la mairie d'Erevan ne mâchent pas leurs mots. Ils détestent le nouveau président Serge Sarkissian, élu avec 52,9% des voix au premier tour, et son mentor, le chef de l'État sortant, Robert Kotcharian.

«Le 1er mars, c'était un deuxième génocide. Mais cette fois, il n'a pas été commis par les Turcs, mais par des Arméniens eux-mêmes», s'enrage Amalya, concierge dans la soixantaine, en référence aux massacres de 1,2 million d'Arméniens en 1915 par l'empire ottoman.

Après les heurts meurtriers, le pouvoir a décrété l'État d'urgence et restreint les libertés de manifester. Pour ménager ses bonnes relations avec l'Europe, le nouveau président a finalement assoupli ces restrictions le mois dernier. Mais les «prisonniers politiques» étant toujours derrière les barreaux, les grands rassemblements de l'opposition ont repris de plus belle. Et l'autoritarisme a quant à lui continué de s'installer tranquillement.

Îlot de démocratie

L'Arménie, qualifiée d'«îlot de démocratie» en ex-URSS en 1992 par les États-Unis, a-t-elle raté sa chance de devenir un exemple pour ses voisins?

«(Après la chute de l'Union soviétique), nous étions une démocratie dans le sens où la voix du peuple était écoutée. Mais après, il faut institutionnaliser la démocratie, et là-dessus, nous avons failli», explique Ashot Khurshudyan, analyste au Centre international pour le développement humain, basé à Erevan.

Toutefois, ce n'est certainement pas par une révolution «colorée» - un changement de régime acquis par la rue - que les choses pourraient changer pour le mieux, croit-il. Il prend pour exemple les résultats décevants de la révolution des roses de 2003 en Géorgie voisine et ceux de la révolution orange ukrainienne de 2004.

«La situation post-révolutionnaire est toujours moins démocratique. C'est une conséquence de la façon d'arriver au pouvoir.»

Si le mouvement populaire avait gagné le pouvoir par la rue, l'Arménie aurait pu se transformer en «pays d'Amérique latine», compare Serguey Minasyan, directeur adjoint de l'Institut sur les médias du Caucase. «On serait reparti pour un cycle de 100 ans de putschs successifs.» «Il faut changer les gouvernements par les urnes», insiste Ashot Khurshudyan.

«Nous avons besoin d'une opposition loyale. Pas envers le gouvernement, mais envers l'État, précise-t-il. L'opposition et le pouvoir doivent s'asseoir pour définir des lignes rouges qui ne doivent pas être dépassées dans le jeu politique.» Mais pour l'instant, les deux partis se boudent.

Selon M. Khurshudyan, la «perte totale de confiance» des citoyens envers le pouvoir après les violences du 1er mars forcera ce dernier à négocier s'il veut garder un semblant de légitimité.

L'Europe aussi met de la pression. Fin juin, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a jugé «insuffisantes» les concessions du président Sarkissian, qui refuse toujours d'amnistier les prisonniers politiques.

«Cette crise est une occasion, croit Ashot Khurshudyan. À la fois le gouvernement et la population réalisent qu'il y a un problème. Donc c'est une chance pour le changement.»

ARMÉNIE

Population : 3 millions d'habitants

Diaspora : Plus de 6 millions d'Arméniens hors Arménie (environ 40 000 au Canada)

Superficie : 29 800 km2 comparable à la Gaspésie)

Religion: Orthodoxe à plus de 90% Église apostolique arménienne)

PIB : 5700$/habitant, croissance de 13,7% (2007)

Entrevue à «Sans détour» #2

Entrevue à l'émission Sans détour à la radio de Radio-Canada, diffusée le 5 août 2008. Nous parlons du tandem «Bon cop, Bad Cop» Poutine-Medvedev, plus de 100 jours après leur entrée en fonction respectivement comme premier ministre et président.

En deuxième partie, nous discutons des régions séparatistes géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, où la situation est devenue explosive au cours des derniers mois. À noter que contrairement à ce qui est écrit dans le petit texte sur le site de l'émission, je n'ai jamais été en Ossétie du Sud.

À écouter ici.

mardi 5 août 2008

Entrevue à «L'heure d'été»

Une entrevue que j'ai donnée le 4 août à l'émission L'heure d'été, diffusée à la radio de Radio-Canada au Saguenay-Lac-Saint-Jean, à propos de mon travail en Russie, de la Russie en général, et des différences entre le journalisme local et international.
À écouter ici.