(Paru dans La Presse le 17 mai 2012)
(Calcutta, Inde) - Elle n'a peut-être jamais quitté le nid parental, mais Mamata Banerjee fait la pluie et le beau temps sur la scène politique indienne. Elle fait d'ailleurs partie des 100 personnalités les plus influentes de la planète du magazine Time. Notamment parce qu'elle pourrait un jour diriger la plus grande démocratie du monde.
Calcutta, Inde - Durant 34 ans, Mamata Banerjee n'a eu qu'un objectif dans la vie: chasser les communistes du pouvoir au Bengale-Occidental. En mai 2011, ce fut chose faite. En remportant haut la main le scrutin dans l'État qui est au quatrième rang des plus populeux du pays (91 millions d'habitants), elle a mis fin au plus long règne d'un parti communiste jamais élu sur la planète. Presque à elle seule.
Car le Congrès Trinamool (de la base), parti qu'elle a fondé en 1998 en claquant la porte du Congrès historique du Mahatma Gandhi, c'est elle. «Ses députés ont été élus parce qu'il y avait sa photo sur leurs affiches», explique Debashis Bhattacharya, journaliste et conseiller médiatique occasionnel de Mamata.
Selon lui, depuis l'assassinat d'Indira Gandhi en 1984, l'Inde n'avait pas connu de meneur de foule aussi habile, tous sexes confondus. C'est sa lutte pour défendre des paysans expropriés sans juste compensation en 2006 qui lui a permis de monter au zénith de la scène politique bengalie, après de longues années de succès mitigés.
Engagée en politique depuis son passage à l'université, Mamata en a fait une vocation. Tellement que sa vie privée est inexistante. À 57 ans, elle habite toujours dans la maison familiale avec ses frères et leurs femmes dans un quartier modeste de Calcutta. De son propre aveu, elle n'a jamais eu de vie sentimentale. Celle que ses partisans surnomment Didi, «grande soeur» en bengali, ne porte que de modestes saris en coton blanc et porte peu de bijoux.
Chantage
Sa dévotion totale à la politique et son ascétisme lui ont forgé une réputation sans tache. Dans un pays où le tiers des députés ont un casier criminel et où la plupart des leaders sont mêlés à des scandales de corruption, Mamata se retrouve au-dessus de la mêlée.
Ce qui ne veut pas dire que tout le monde l'adore. Encore plus que ses ennemis, ses alliés dans la coalition au pouvoir à New Delhi ont de bonnes raisons de la détester. Comme son parti est le deuxième en importance dans l'alliance après le Congrès, elle ne se gêne pas pour faire chanter le premier ministre Manmohan Singh.
Ces jours-ci par exemple, elle exige du gouvernement central un moratoire de trois ans sur le paiement des intérêts exorbitants de la dette du Bengale-Occidentale. Si le premier ministre n'accède pas à cette énorme faveur, elle bloquera l'élection par le Parlement du nouveau président du pays. «Elle ne dispose que de 4% des voix, mais ce sont des voix cruciales», résume Debashis Bhattacharya.
Pour le politologue Sabyasachi Basu Ray Chaudhury, ce genre de comportement mine le système fédéral. «Alors que les partis nationaux poursuivent leur déclin, les formations régionales (comme le Trinamool) vont de plus en plus dicter l'ordre du jour», souligne-t-il. Selon lui, cela pourrait pousser Mamata Banerjee à envisager la création d'une alliance arc-en-ciel avec d'autres partis régionaux afin de prendre un jour le pouvoir à New Delhi. Probablement pas à temps pour les prochaines élections générales prévues en 2014, mais peut-être bien pour les suivantes. «En 2019, elle n'aura que 64 ans et sera prête à déployer ses ailes», prédit son conseiller Bhattacharya.
Conspiration
D'ici là, Didi devra réussir à conserver le pouvoir dans son État. Après un an aux commandes et malgré son estimation que «99%» des promesses faites ont été remplies, la déception est grande, révèle le professeur Chaudhury. Notamment chez l'élite intellectuelle, qui n'apprécie pas ses accès de paranoïa et d'autoritarisme.
Mamata dénonce régulièrement des complots des communistes, des médias et même des réseaux sociaux, qui à son avis conspirent pour lui nuire, voire l'éliminer. Alors qu'elle avait promis le retour à la démocratie et la fin de la violence politique, tout indique que le régime qu'elle est en train d'instaurer n'aura rien à envier à celui de ses prédécesseurs communistes.
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