dimanche 31 janvier 2010

Medvedev veut faire de la place aux jeunes

Article publié dans le journal La Presse le 30 janvier 2010.

(Moscou) Le président russe Dmitri Medvedev veut rajeunir les têtes dirigeantes des régions de son pays. S'il a légalement le loisir de renvoyer n'importe quel gouverneur d'un seul coup de crayon, la tâche risque d'être plus compliquée, voire dangereuse dans certaines régions explosives du pays, nous explique notre collaborateur.


Dmitri Medvedev avait jusqu'au 21 janvier pour nommer un nouveau président pour le Daguestan, république caucasienne en proie à une rébellion islamiste. Face au casse-tête, il a jusqu'à maintenant préféré le silence.

C'est que peu importe qui remplacera Moukhou Aliev, 70 ans, l'équilibre du pouvoir entre les différents groupes ethniques de cette entité de 2,5 millions d'habitants devra être repensé. Et devant une guérilla qui mène plusieurs attaques par semaine contre les forces de l'ordre, la république n'a pas les moyens de tomber encore plus profondément dans l'instabilité.

Il y a encore six ans, Medvedev n'aurait pas eu à se creuser la tête. Les dirigeants des 83 sujets de la fédération russe étaient élus par la population, au suffrage universel. Mais en 2004, dans une volonté de centraliser les pouvoirs au Kremlin, le président d'alors, Vladimir Poutine, a aboli les élections des gouverneurs et présidents régionaux.

Aujourd'hui, les candidatures sont proposées par les parlements régionaux, tous sans exception contrôlés par Russie Unie, le parti dirigé par le désormais premier ministre et toujours homme fort du pays Vladimir Poutine. Le président doit ensuite choisir parmi trois noms, dont celui habituellement du dirigeant sortant.

À la retraite

Depuis son accession à la présidence en mai 2008, Medvedev n'a renouvelé le candidat en poste que dans huit des vingt-cinq cas qui lui ont été présentés.

En janvier 2009, à la surprise générale, il a même installé à la tête de la région sinistrée de Kirov le dynamique Nikita Belykh, 33 ans. Jusqu'à sa nomination, Belykh était un farouche critique du régime en place et était souvent arrêté par les autorités durant les manifestations d'opposition.

Il y a quelques semaines, Dmitri Medvedev a annoncé qu'il ne tolérerait plus ceux qui veulent coller au pouvoir. «Quatre mandats, c'est déjà une exception rare. Désormais, nous allons faire en sorte qu'ils libèrent leur place à temps pour le travail des jeunes», a-t-il déclaré. Cette année, 13 vieux dirigeants pourraient devoir quitter leur poste.

Le président du Tatarstan, Mintimer Chaïmiev, 73 ans, a compris le message. S'il avait survécu à la chute de l'URSS en changeant simplement son titre de premier secrétaire du Parti communiste en celui de président tatar, il a préféré demander personnellement à Medvedev de ne pas renouveler son mandat en mars.

Mairie de Moscou convoitée

Le départ ne se serait pas fait sans négociation, croit toutefois Nikolaï Petrov, analyste des politiques régionales au Centre Carnegie de Moscou. «Dans certaines régions comme le Tatarstan et Moscou, le dirigeant a mis en place une véritable machine politique qui lui donne le contrôle des ressources locales. Il ne faut donc pas regarder qui part, mais dans quelles conditions et qui prendra sa place.»

À Moscou, les rumeurs se font persistantes sur le renvoi du flamboyant maire de 73 ans Iouri Loujkov, en poste depuis 1992. Mais celui dont la femme est devenue milliardaire et reine de l'immobilier de la capitale durant son règne n'entend pas laisser sa place aussi facilement.

«Il y a de grands intérêts en jeu et donc une lutte entre différents clans au Kremlin. Chacun veut placer son homme à la tête de cette ville. Loujkov tire pour l'instant avantage de ces conflits pour se faufiler», note Nikolaï Petrov. Selon lui, le maire n'attend qu'un compromis qui lui sera profitable pour quitter.

samedi 30 janvier 2010

Les nationalistes russes optent pour le terrorisme

Article publié dans La Presse, le 29 janvier 2010.

Moscou - Les attaques à caractère raciste ont fortement diminué en Russie au cours de la dernière année. Les mouvements d'extrême droite ne sont toutefois pas moins dangereux pour autant. Ils ont simplement changé de stratégie. Leur ennemi No 1 est devenu l'État russe. Et pour le combattre, ils ont choisi le terrorisme.


Sur son épaule gauche, Vlad, début vingtaine, montre son tatouage, un aigle nazi. S'il partage "plusieurs points" de l'idéologie hitlérienne, le jeune militant de Vladivostok (Extrême-Orient russe) ne le crie pas sur tous les toits. Depuis quelques mois, les autorités russes ont intensifié la chasse aux néonazis.

Lorsqu'on lui demande s'il a déjà battu des travailleurs étrangers dans la rue, Vlad élude la question. "Les travailleurs migrants en soi, ils ne sont rien. Que l'un d'entre eux soit tué ou battu, ça ne fera pas en sorte qu'ils viendront en moins grand nombre en Russie. Ils sont la conséquence. La cause du problème, c'est notre État", a-t-il expliqué à La Presse, au début du mois de décembre.

Selon Vlad, la lutte pour assurer la "pureté du sang" russe passe désormais par les "actions terroristes". Il ne précise toutefois pas s'il est prêt à y participer lui-même directement.

En 2009, le centre Sova, une ONG qui étudie les mouvements racistes en Russie, a remarqué ce changement de cap chez les néonazis.

"Leur but est désormais de déstabiliser le pays. Ils veulent provoquer une révolution et, dans la foulée, prendre le pouvoir. On peut donc considérer que, maintenant, plus personne n'est en sécurité en Russie", a expliqué mercredi la vice-directrice de Sova, Galina Kojevnikova, lors de la présentation aux médias du rapport annuel de l'organisation.
Attentat revendiqué

En 2009, les mouvements d'extrême droite ont mis le feu à au moins cinq immeubles appartenant à différents corps policiers, selon Sova. Ils ont aussi revendiqué la responsabilité d'une cinquantaine d'autres incendies de même que l'attentat contre le train Nevski Ekspress, entre Moscou et Saint-Pétersbourg, qui a fait 26 morts à la fin du mois de novembre. Il n'a pas été prouvé que cette attaque d'envergure était l'oeuvre de Combat 18-Inguermanlandia, mais la déclaration du groupe néonazi démontre sa volonté d'être considéré comme terroriste.

En 2008, Sova avait recensé 110 meurtres à caractère raciste en Russie, principalement de ressortissants des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale et du Caucase venus chercher du travail en Russie. L'an dernier, ce nombre est tombé à 71.

La baisse du nombre d'attaques racistes est aussi en partie due aux efforts des autorités, qui s'inquiètent plus des actions antigouvernementales de l'extrême droite que de son idéologie raciste.

Vlad et ses pairs ont d'ailleurs été touchés directement par l'intensification de la lutte contre leur idéologie. Le 6 décembre, le leader de leur groupe, l'Union des Slaves de l'Extrême-Orient, a été reconnu coupable d'incitation à la haine raciale et condamné à deux ans de prison avec sursis.

Ukraine: Le pouvoir orange éconduit au premier tour

Article paru dans La Presse et La Tribune de Genève le 18 janvier 2010.

Kiev, Ukraine - Le favori pour la présidentielle ukrainienne, Viktor Ianoukovitch, s'est facilement qualifié pour le deuxième tour du scrutin hier. Le chef de l'opposition affrontera dans trois semaines la première ministre Ioulia Timochenko. Le résultat du round final s'annonce aussi serré que contesté.

Selon des résultats partiels, Viktor Ianoukovitch, soutenu par Moscou en 2004 et humilié durant la révolution Orange pro-occidentale qui a suivi, a obtenu 37,32 % des suffrages. Ioulia Timochenko recueille 24,40 % des voix, après le dépouillement de 30,03 % des bulletins.

Avec 12 % d'avance sur l'ex-banquier Sergueï Tigipko, son passage au deuxième tour ne fait aucun doute. Cette élection sonne le glas du président actuel Viktor Iouchtchenko, héros déchu de la révolution orange de 2004, qui a récolté moins de 5 % des voix, en cinquième place.

Si les sondages des dernières semaines donne Viktor Ianoukovitch gagnant au deuxième tour, Ioulia Timochenko n'entend pas baisser les bras. Hier soir, la dame de fer de la politique ukrainienne a appelé les " forces démocratiques " à se ranger derrière elle, estimant qu'elles représentent 60 % de l'électorat, pour " emmener l'Ukraine sur la voie de l'Europe civilisée ".

La première ministre de 49 ans faisait ainsi référence à ses anciens alliés de la révolution Orange, qui ont passé les cinq dernières années à s'entredéchirer pour le partage du pouvoir. Elle a promis de " tenir des discussions " avec certains d'entre eux, appelant aussi les électeurs du président Iouchtchenko, avec qui elle est à couteaux tirés, à l'appuyer.

Viktor Ianoukovitch compte lui aussi faire les yeux doux aux perdants et à leurs électeurs. Le russophone de 59 ans, peu charismatique, s'est présenté en rassembleur qui " prendra en considération le point de vue " de ceux qui n'ont pas voté pour lui.

Sergueï Tigipko et Arseni Iatseniouk, respectivement troisième et quatrième ont toutefois appelé pour l'instant leurs électeurs à ne voter pour aucun des deux finalistes.

Sans programme distinctif

Contrairement au duel de 2004 entre le prorusse Ianoukovitch et le pro-occidental Iouchtchenko, les deux candidats du deuxième tour de cette année se différencient plus par leur approche et leur personnalité que par leur programme.

Ianoukovitch se dit aujourd'hui favorable à terme à une intégration de son pays à l'Union européenne, alors que l'ex-orange Timochenko s'est continuellement rapprochée de Moscou au cours des derniers mois, sans délaisser ses liens avec l'Europe.

Si le résultat est serré, le perdant devrait profiter de la fragilité des institutions démocratiques et du système judiciaire du pays pour contester la validité du scrutin, en dénonçant de probables irrégularités. Viktor Ianoukovitch, a indiqué hier qu'il n'avait " pas confiance en le pouvoir actuel ", qu'il soupçonne d'avoir " l'intention de falsifier les résultats de l'élection ".

Ioulia Timochenko croit de son côté que le Parti des régions de son rival, qui détient le pouvoir régional dans l'est et le sud du pays, a tout le loisir d'y bourrer les urnes.

La commission électorale a de son côté écarté la possibilité de fraudes massives qui auraient pu influencer les résultats du scrutin d'hier.

Désabusée par cinq ans de bataille entre les différents clans au pouvoir, une bonne partie de la population ukrainienne a boudé les urnes hier. Le taux de participation n'a pas dépassé 67 %. Au premier tour de la présidentielle de 2004, il avait été de 75 %.

L'Ukraine a les bleus

Article paru le 15 janvier dans La Presse et le lendemain dans La Tribune de Genève.

Kharkov, Ukraine - Exsangue en raison de la crise économique, rongée par les guerres entre clans politiques, c'est une Ukraine désabusée qui votera dimanche pour élire son président. Ironie du sort, cinq ans après la révolution Orange pro-démocratique, le héros d'alors, Viktor Iouchtchenko, frôle le zéro dans les intentions de vote. Son grand rival défait, l'autre Viktor, Ianoukovitch, devrait quant à lui ravir la présidence, nous raconte notre collaborateur.


"Je n'en peux plus des politiciens!" Assis dans la cuisine de son appartement de Kharkov, dans l'est de l'Ukraine, Elena Naoumova zappe l'énième publicité électorale télévisée pour se réfugier vers une série américaine.

Cela fait cinq ans qu'elle "endure", comme les 46 millions d'Ukrainiens, les scandales et revirements politiques à répétition. La démocratie ukrainienne se forme à la dure. L'autoritarisme stable postsoviétique a cédé la place à une lutte constante pour le pouvoir entre différents clans aux accents mafieux.

La presse libre, l'un des seuls acquis de la révolution Orange qui fait assez largement consensus, en fait ses choux gras, sans ménager aucun candidat, alimentant du même coup le cynisme des électeurs.

Les lendemains de la révolution Orange

En décembre 2004, lorsque le candidat Viktor Iouchtchenko et ses partisans sont sortis dans la rue pour réclamer une reprise du deuxième tour de l'élection présidentielle, entachée par des irrégularités, Elena Naoumova a bien voulu y croire. Après un vote blanc au premier tour, elle s'était finalement ralliée à la révolution orange de l'ancien premier ministre pro-occidental, qui promettait des réformes en profondeur d'un système corrompu. "Nous avions tout de même un espoir qu'il puisse changer les choses", dit la marchande de livres dans la quarantaine. En vain.

Cette année, elle votera probablement pour l'autre Viktor, Ianoukovitch, le candidat le plus enclin, croit-elle, à aider les petits entrepreneurs comme son mari et elle. C'est lui qui avait remporté la dernière présidentielle, avant de perdre la reprise du scrutin, obtenue grâce à des manifestations monstres sur la place centrale de la capitale Kiev, orchestrées par le clan "orange" de son rival Iouchtchenko. Aujourd'hui, les sondages accordent à Ianoukovitch de 34 à 42% de la faveur populaire, loin devant les 17 autres candidats en lice.

Selon toute vraisemblance, il devrait remporter le premier tour dimanche, puis le second, le 7 février. Il s'agirait d'une douce revanche pour cet Ukrainien russophone de 59 ans peu charismatique. Il bénéficie notamment de l'appui des hommes les plus riches du pays.

Crédité de 4% des intentions de vote, le président Iouchtchenko n'est plus que l'ombre de lui-même. La déception envers l'homme porteur de tous les espoirs en 2004 ne s'est toutefois pas transformée en haine à son endroit, note Ioulia Jouravliova, journaliste à Nouvelle Vague, une radio locale de Kharkov. "Il est respecté. Sauf que ses efforts en tant que président ont surtout été mis dans des choses abstraites comme la construction de l'identité nationale ukrainienne. Mais ce qui intéresse les gens, c'est de savoir ce qu'ils vont manger demain. Il avait peut-être de bonnes intentions, mais ses projets venaient trop tôt", estime Mme Jouravliova.
La dame de fer en guerre ouverte

"Aujourd'hui, c'est comme si Iouchtchenko n'existait plus", ajoute Daria, 23 ans, la fille d'Elena. "On a l'impression que le pays est dirigé par Ioulia", dit-elle, en référence à la première ministre Ioulia Timochenko, l'une des principales figures de la révolution Orange, aujourd'hui en guerre ouverte contre son ancien allié Iouchtchenko.

Pas question par contre pour Daria d'appuyer la dame de fer de la politique ukrainienne, en deuxième ou troisième place dans les intentions de vote pour dimanche selon les sondages. "C'est une vraie leader, mais c'est une dictatrice!" lance celle qui compte voter "contre tous", comme plusieurs Ukrainiens désabusés.

En entrevue au magazine Fokus, fin décembre, Ioulia Timochenko ne cachait pas qu'elle souhaite diriger "d'une main ferme" le pays et imposer une "dictature de la loi". Elle reprenait ainsi une expression largement utilisée par Vladimir Poutine, le très populaire homme fort de la Russie voisine, critiqué pour son autoritarisme à l'étranger et louangé chez lui pour la stabilité politique qu'il a ramenée après les années de chaos politique sous son prédécesseur Boris Eltsine.

Si cette année les esprits sont moins échauffés qu'en 2004, et la population, moins intéressée par le scrutin, l'exercice demeure tout de même périlleux. Déjà, Timochenko, Ianoukovitch et d'autres candidats accusent leurs rivaux de vouloir falsifier les résultats du vote. Ils promettent tous de contester le résultat, tout d'abord devant la justice. Mais s'ils n'obtiennent pas gain de cause, ils n'excluent pas de prendre la rue encore une fois.

**** Comment vivre avec Moscou Les relations avec la Russie et l'Occident sont aussi au coeur de l'élection ukrainienne. Après un fort clivage entre pro-Russes et pro-Occidentaux lors de la dernière présidentielle, la plupart des candidats en sont venus à la conclusion qu'ils doivent maintenir de bonnes relations à la fois avec leur allié historique et l'Europe.

Les pirates informatiques russes: en toute impunité

Article paru dans La Presse et Le Soir en janvier 2010.

Moscou - Les pirates informatiques russes sont réputés parmi les meilleurs du monde. Et ils peuvent agir pratiquement en toute impunité partout sur la planète virtuelle, nous raconte notre collaborateur.

À quelques jours du sommet de Copenhague, la diffusion d'échanges de courriels entre climatologues britanniques, qui émettaient des doutes sur leurs propres études sur le réchauffement climatique, avait mis dans l'embarras la communauté scientifique. Rapidement, les pirates informatiques russes avaient été accusés d'être à l'origine du «Climategate».

Idem dans le cas d'un présumé détournement de dizaines de millions de dollars de la Citibank, révélé fin décembre par les autorités américaines.

S'il n'a toujours pas été prouvé clairement que les pirates russes étaient à l'origine de ces deux coups fumants, les pays occidentaux sont prompts à les accuser pour tout cybercrime. C'est que leur passif est déjà lourd et qu'ils sont nombreux et qualifiés, explique Nikita Kislitsine, rédacteur en chef de la revue Hacker.

Dans le cas de certains cybercrimes politiques, ils sont même accusés d'agir avec l'assentiment du Kremlin. Comme en 2007, en pleine crise avec l'Estonie à propos du déplacement d'un monument de soldat soviétique dans la capitale Tallinn.

Plusieurs ordinateurs de ce gouvernement «ennemi» avaient alors été mis hors service. Le groupe jeunesse pro-Kremlin Nachi s'était finalement vanté publiquement d'être à l'origine du coup, sans être embêté par les autorités.

Autorités incompétentes

Les informaticiens russes ont toutefois bien d'autres raisons que la politique pour se tourner vers le piratage, estime Nikita Kislitsine. Plusieurs succombent à la tentation par manque de défis professionnels et en raison des salaires plus bas qu'en Occident.

S'ils commettent généralement leurs cybercrimes en Europe de l'Ouest et aux États-Unis, ce n'est pas un hasard. «Il y a une entente tacite (entre les pirates russes) selon laquelle il ne faut pas voler en Russie. Parce qu'il n'y a pratiquement rien à y voler, parce que c'est mal de voler les siens, mais aussi parce qu'ils pourraient avoir des problèmes», explique M.Kislitsine.

«Les pirates savent qu'en Russie, ça ne risque pas de se régler devant une cour comme aux États-Unis, mais plutôt dans une voiture noire avec des hommes de main de la banque qui vous emmènent «discuter» sous un pont de Moscou», dit-il, se faisant l'écho des rumeurs qui courent dans le cyberespace.

Par contre, les risques d'être attrapé par les autorités russes pour un cybercrime économique sont minces, en raison de leur incompétence, estime Nikolaï Fedotov, analyste principal chez InfoWatch, une entreprise russe spécialisée dans la protection de données. Seuls de très rares cas se sont rendus jusque dans une salle de cour.

Si le crime est commis à l'étranger, comme la très forte majorité le sont, les risques diminuent d'autant plus. «Il n'y a de la coopération entre les États que dans des cas de crimes très graves», ajoute M. Kislitsine.

Comme la menace nucléaire

Le gouvernement russe promet pourtant de s'attaquer au problème. Pour cet analyste, la lutte contre la cybercriminalité économique n'est cependant que l'une des trois menaces qui devraient convaincre les États d'unir leurs forces sur l'internet.

Le cyberterrorisme et surtout, l'utilisation de l'internet à des fins militaires sont encore plus dangereux, explique Dmitri Grigoriev, conseiller en relations internationales à l'Institut des problèmes de la sécurité de l'information.

«Longtemps, les Américains ont cru que, parce qu'ils sont les créateurs de l'internet, ils peuvent en régler les problèmes seuls. La nouvelle administration (Obama) a finalement reconnu qu'elle ne le pouvait pas», explique M. Grigoriev. Depuis six mois, la Russie discute avec les Américains et d'autres pays pour poser les bases d'un traité de «désarmement». Pour M. Grigoriev, la menace cybernétique doit être traitée «de la même façon que la menace nucléaire».

«Il n'y a pas encore de faits avérés d'un pays qui aurait utilisé l'internet comme une arme de guerre. Mais toutes les grandes puissances sont prêtes à le faire. Il y a une menace. Nous ne savons pas exactement en quoi elle consiste, mais nous savons que nous devons faire quelque chose», conclut M.Grigoriev.

Vladivostok: le bout du monde russe

Article publié dans la section Vacances/Voyage du journal La Presse le samedi 9 janvier 2010.

VLADIVOSTOK, Russie - La citation de Lénine, en face de la gare ferroviaire, donne le ton: "Vladivostok, c'est loin, mais c'est tout de même notre ville." On ne peut que donner raison au leader de la révolution bolchevique. À 6400 km à vol d'oiseau de Moscou, mais à quelques dizaines de kilomètres à peine des frontières chinoise et nord-coréenne, Vladivostok est une ville portuaire profondément russe, où les influences asiatiques demeurent superficielles.

Pour les voyageurs du mythique train Transsibérien, Vladivostok, c'est le bout du monde. C'est le terminus, après un périple de près de 10 000 km dans la vaste Russie. Physiquement, on ne peut pas aller plus loin sur la terre ferme.

Du centre-ville de Vladivostok, la mer du Japon se profile au loin. Séoul est à 750 km, Tokyo à 1000 km. Respectivement à un et deux jours de bateau. L'Asie est toutefois déjà archiprésente dans les rues de la ville. Plus matériellement qu'humainement, il faut dire, hormis les quelques commerçants et touristes des pays environnants.

La quasi-totalité des voitures sont des japonaises d'occasion avec le volant à droite, même si à Vladivostok on conduit dans la voie de droite, comme ailleurs en Russie. Toutes les tentatives des fonctionnaires moscovites d'interdire ce type de voiture pour des raisons de sécurité se sont heurtées à de vives protestations de la part des habitants de la région de Primorié, qui se sentent depuis toujours incompris dans la lointaine capitale européenne.

Les bus, eux, sont sud-coréens, tout comme les pian-sé, ces gros raviolis fourrés à la viande et au chou, cuits à la vapeur et vendus dans de petits stands aux quatre coins de la ville, aux côtés des pirojkis russes. Le Milkis, la boisson gazeuse la plus populaire de Vladivostok, à saveur de lait, est tout aussi coréen. Ailleurs dans le pays, elle est totalement inconnue, comme les pian-sé.

La pénétration des produits japonais et coréens n'a toutefois aucune commune mesure avec celle du géant chinois, en expansion exponentielle. À Vladivostok, les rumeurs parlent de la location et même de la vente d'une partie du territoire de la région à la Chine.

En attendant, les Chinois se contentent d'envahir discrètement les marchés avec leurs produits. Les tigres de l'Amour en peluche, représentations de l'animal emblématique de l'Extrême-Orient russe, sont invariablement "Made in China". Les Vladivostokiens qui ne sont pas allés au moins une fois en Chine, pour faire du tourisme ou acheter des produits chinois sans payer les exorbitantes taxes douanières, sont rares.
Longtemps fermée aux étrangers

Mais, malgré cette omniprésence asiatique, Vladivostok, le "maître de l'Orient" dans la langue de Tchekhov, est russe. Il faut dire que durant 70 ans, jusqu'en 1992, la ville a été fermée aux étrangers, et que cela l'a protégée des influences extérieures. Même les non-résidants russes devaient obtenir une permission spéciale pour se rendre dans cette ville portuaire, qui accueille encore aujourd'hui la flotte russe du Pacifique. Les navires de guerre sont amarrés dans la baie de la Corne d'or, nommée ainsi en raison de sa ressemblance avec celle d'Istanbul.

Coeur maritime de la ville, la baie est entourée d'installations portuaires tantôt militaires, tantôt industrielles ou civiles. La Corne d'or n'est toutefois que l'un des nombreux endroits où la mer s'avance dans le continent, donnant à Vladivostok des allures de pieuvre montagneuse aux tentacules difformes.

Pour une meilleure vue d'ensemble sur la géographie complexe de cette ville, il suffit de monter à bord du curieux "funiculaire" - un tramway qui gravit une côte de quelques dizaines de mètres, en réalité - qui mène à un promontoire. Le coucher de soleil qui se reflète sur la baie et ses navires y est sublime.

Au centre-ville, quelques bâtiments datant du début du XXe siècle donnent un cachet presque européen à la ville. Dans les cours, on retrouve encore des traces des habitations des commerçants chinois et coréens d'avant la révolution de 1917. À l'époque, la ville était habitée par une majorité d'Asiatiques, plus tard exterminés ou déportés en Asie centrale par Staline. En périphérie, l'architecture soviétique de toutes les époques domine.

Les nombreux cafés charmants dans la rue Svetlanskaïa, l'une des artères principales, contribuent à réchauffer la ville dans le froid venteux de son rude hiver. En été, plusieurs des quelque 500 000 Vladivostokiens quittent les embouteillages et la pollution citadine pour envahir les nombreuses îles situées à quelques kilomètres du continent. Les temps changent toutefois. D'ici à trois ans, l'île Roussky, la moins éloignée, sera reliée à la cité par un pont pharaonique. Cette parcelle de terre encore en bonne partie à l'état sauvage sera mise en valeur à coup de milliards de dollars, en prévision du sommet de l'APEC de 2012. Et l'empire russe étendra s'encore encore un peu plus loin.

Vladivostok: l'Île Roussky change de visage pour les hôtes étrangers

Différentes versions de cet article sont parues dans les journaux La Presse, Le Soir et La Croix en décembre 2009/janvier 2010.

Vladivostok, Russie - Vingt milliards de dollars d'investissements pour un sommet de trois jours. En 2012, lorsque le premier ministre du Canada et ses 20 homologues de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) se réuniront à Vladivostok, une île quasi déserte située tout près aura changé de visage pour les accueillir. Au prix de grands efforts de milliers d'ouvriers, pour plusieurs illégaux et exploités.

Le traversier bondé de travailleurs migrants et de quelques Russes accoste près du nouveau quai bétonné de l'île Roussky. «Il y a encore six mois, ces berges étaient sauvages», fait remarquer Aleksander Rybin, un journaliste local qui connaît bien l'île de près de 100 km2.

Lorsqu’il y a campé durant un mois à l’été 2008, l’île Roussky était encore cet endroit paisible où l’on pêchait les fruits de mer à mains nus. Aujourd’hui, elle grouille de partout et change de visage quotidiennement.

C’est que la Russie a décidé d’en mettre plein la vue à ses hôtes. Pas même question de risquer qu’ils se mouillent en se rendant sur l’île pour discuter de coopération économique. D’ici le sommet, un pont à haubans de près de deux kilomètres reliera l’île, qui ne compte pas plus de 5 000 habitants, à Vladivostok et ses 500 000 âmes. Les premiers pylônes de ciment ont déjà été coulés d’un côté et de l’autre du détroit de Bosphore oriental.

«Avant, la plupart des quelques voitures de l'île se promenaient sans plaque d'immatriculation, puisqu'il n'y avait pas de policiers!» se rappelle Aleksander Rybin. Aujourd'hui, camions et bétonnières roulent bruyamment par dizaines vers la baie Aïaks, site de la future Université fédérale d'Extrême-Orient, qui réunira deux institutions existantes de Vladivostok.

Ce complexe universitaire comprendra 22 des 54 constructions prévues pour le sommet. Aussi dans les plans: un centre des congrès, des hôtels, une piste d'atterrissage pour hélicoptères, un aquarium et bien d'autres.

Travailleurs exploités

Les quelque 2000 travailleurs de l'île - ils seront près de 4000 en mars - sont toutefois loin de goûter à la sécurité et au confort auxquels auront droit les leaders de l'Asie-Pacifique durant leurs trois jours de discussion.

Plusieurs ouvriers se promènent sans casque sur les chantiers de construction. Les baraques dans lesquelles ils habitent n'ont pas d'eau chaude. Lorsqu’un haut-placé du gouvernement russe vient constater l’avancement des travaux, les travailleurs n’ont pas le droit de mettre le nez dehors.

Mais ce qui enrage avant tout Micha, ce sont les arriérés de salaire. Originaire du Kirghizistan, l'homme dans la trentaine avancée travaille depuis 12 ans sur des chantiers de construction en Russie. Il partage ainsi le sort de centaines de milliers de ressortissants des pauvres républiques ex-soviétiques d'Asie centrale.

Jusqu'ici, il avait eu plus de chance que d'autres. Aucun de ses patrons ne l'avait jamais escroqué. Mais cette fois, il croit être tombé dans le panneau. En trois mois dans l'île Roussky, il n'a reçu qu'un maigre salaire de 1500 roubles (53$). On lui en avait promis 25 000 (880$) par mois. «On nous nourrit de lendemains. Chaque fois que nous demandons quand ils nous payeront, ils répondent: «Demain!»» grogne Micha, rencontré par hasard à la sortie d'un petit dépanneur. Le Kirghize indique qu'ils sont une cinquantaine dans son équipe de travail dans la même situation que lui.

Notre conversation est interrompue par les occupants d’un luxueux véhicule utilitaire sport. Ils nous demandent de quitter le site de construction. Nous restons, le véhicule s’éloigne.

Micha a momentanément peur des représailles. Il s’agissait de ses patrons. «Des Arméniens», précise-t-il. Mais il continue tout de même à raconter son histoire. C’est qu’il n’en peut plus. Depuis quelques semaines, il souffre d’une inflammation des reins. Et pas moyen d’aller se faire soigner en ville, puisque ses patrons ont confisqué son passeport. «Dès que j’obtiens mon salaire, je m’en vais chez moi», se promet Micha.

Son habit de travail est marqué de l’insigne de Crocus International, une grande compagnie moscovite, principal entrepreneur sur l’île Roussky. Il est toutefois employé par Evrostroï, l’un des nombreux sous-contractants de Crocus. Selon Micha, c’est justement ce schéma complexe de compagnies impliquées dans les travaux qui permet aux firmes d’arnaquer leurs employés.

Plus loin, sur une route poussiéreuse, Babour, Ouzbek d'à peine 20 ans, raconte une histoire similaire. Un premier salaire complet lui a bien été versé pour sa première quinzaine de travail, mais ensuite, les paiements n'ont été que partiels.

De plus, lorsqu'il se rend à Vladivostok pour envoyer de l'argent à sa famille, il est constamment contrôlé par les policiers. Faute d'être en règle, il doit verser des pots-de-vin. «Parfois c'est 200 roubles, parfois 100, ça dépend. Et si tu n'as pas d'argent, alors tu ne donnes rien. Ils te fouillent et tu peux partir.»

Contactée à plusieurs reprises, Crocus International n’a toujours pas répondu à nos demandes d’éclaircissement à propos de ses activités sur l’île Roussky.

Développement à tout prix

Qu'ils soient pour ou contre le programme fédéral «Développement de Vladivostok en tant que centre international de coopération de l'Asie-Pacifique» qui transforme leur île, les habitants de Roussky ne peuvent y être indifférents.

Quelques jours après notre visite, Nina Ivanovna allait quitter son appartement après y avoir habité 33 ans. Les démarches des insulaires expropriés pour obtenir juste compensation ont été fastidieuses, mais ils ont finalement réussi à s'entendre avec les autorités, explique la retraitée, qui déménagera dans un autre village de l'île. La majorité des expropriés a plutôt choisi l'exil vers la ville.

Malgré tous ces chambardements et le bruit quotidien, Nina voit d'un oeil «positif» les constructions. D'autant plus que ses deux fils ont pu trouver du travail sur les chantiers. «C'est bien sûr un peu dommage qu'ils coupent autant d'arbres. Mais l'Extrême-Orient doit se développer», plaide cette veuve de militaire à propos de sa région, longtemps délaissée par Moscou.

Ce système d'éducation corrompu qui gangrène l'avenir de la Russie

Différentes versions de l'article sont parues dans les journaux La Presse, La Croix, le Soir et La Tribune en octobre/novembre 2009.

De la garderie à la fin de l'université, le système d'éducation russe est corrompu jusqu'à la moelle. Une situation qui met en péril l'avenir de ce pays, où une attestation spécialisée s'achète pour quelques centaines de dollars.

MOSCOU - Dans un passage souterrain entre deux stations de métro, une dame tient une petite affiche en vieux carton où il est inscrit «Diplômes». La scène n'a rien d'étonnant en Russie, où quelque 500 000 faux diplômes seraient vendus chaque année.

Sur internet, les vendeurs ne font montre d'aucune gêne. «Acheter un diplôme est plus avantageux, puisqu'en étudiant quelques années, on n'obtient pas toujours la formation nécessaire pour décrocher un bon emploi. En plus d'économiser du temps, vous dépenserez beaucoup moins d'argent et userez moins vos nerfs en commandant un diplôme», peut-on lire sur le site kyplu-diplom.com («jacheteundiplome.com»), l'un des nombreux sites à offrir un service du genre.

Pour une somme variant entre 350$ et 1000$US, le client devient ainsi comme par magie ingénieur nucléaire, médecin, ou comptable en moins de quelques jours ouvrables.

Parmi ces fausses attestations, quelque 100 000 seraient délivrées annuellement par des employés des institutions d'éducation. Un diplôme avec la signature du recteur, les sceaux officiels et une inscription dans les dossiers de l'université coûte entre 20 000$ et 50 000$.

Aliments avariés

Sergueï Komkov, directeur du département de la lutte contre la corruption du centre «Sécurité complexe de la patrie», rattaché au Parlement, est persuadé que la multiplication des faux diplômes n'est que la pointe visible d'un problème qui gangrène tout le système d'éducation russe. «La corruption, elle commence lorsque l'enfant entre à la garderie et se termine au doctorat», soutient-il.

À Moscou, la liste d'attente pour une place en garderie compte 16 000 noms. Mais en fournissant une «aide» de 30 000 à 100 000 roubles (1100$ à 3700$CAN) à un fonds privé très proche des fonctionnaires municipaux, le problème s'arrange rapidement, explique M. Komkov.

À l'école primaire, «l'alimentation des enfants, c'est le Klondike» pour les firmes privées et les fonctionnaires, poursuit cet ancien directeur d'école sous l'Union soviétique. La municipalité de Moscou, par exemple, octroie une somme colossale pour les repas des enfants, censés être offerts gratuitement à la plupart. «En réalité, très peu ont droit à la gratuité. Et nos enfants sont nourris avec des aliments avariés pris dans les réserves d'État et revendus aux firmes par la Ville de Moscou pour des kopecks!»

Selon ses recherches, environ 30% des sommes allouées pour l'alimentation finissent dans les poches des fonctionnaires.

Tâche colossale

Depuis son entrée en fonction en début d'année, Sergueï Komkov et sa douzaine de subordonnés ont fait les comptes: chaque année, environ 5,5 milliards de dollars américains seraient détournés ou versés en pots-de-vin dans le système d'éducation russe.

Enrayer la corruption est une tâche colossale, reconnaît M. Komkov. Surtout en Russie, où elle n'a fait qu'augmenter depuis le début de la décennie, malgré les promesses du président Vladimir Poutine, puis de son successeur Dmitri Medvedev.

Mais Sergueï Komkov promet de la «détruire de l'intérieur» en s'attaquant à quelques institutions et fonctionnaires corrompus qu'il pourra ensuite brandir en exemple. «Les étudiants sortent du système à moitié compétents, se désole-t-il. Vous imaginez quel malheur ça représente pour le pays!»

Un entremetteur à Moscou

Article publié le 9 décembre dans la section Affaires du journal La Presse

Moscou - L'une des premières activités de Jean Charest au cours de sa visite officielle en Russie, entamée hier, aura été d'engloutir un hamburger au McDonald's de la Place Pouchkine, en plein centre de la capitale russe. Pas autant par goût personnel pour la nourriture de la chaîne de restauration rapide que pour souligner l'apport d'un certain George Cohon aux relations d'affaires russo-canadiennes et à sa propre compréhension de ce pays au marché prometteur.

Avant de fouler le sol russe, le premier ministre québécois a tenu à rencontrer celui qui a réussi l'exploit d'ouvrir le premier restaurant McDonald's en Union soviétique en 1990, après 14 ans d'efforts, et qui a maintenant reçu le mandat de tailler une place au Cirque du Soleil en Russie. M. Charest assistera d'ailleurs ce soir à l'une des dernières représentations du spectacle Varekai, en tournée à Moscou depuis la fin octobre.

Au-delà des succès de M. Cohon, c'est la technique de l'homme d'affaires de 72 ans, fondateur et longtemps président de McDonald's Canada, qui semble intéresser M. Charest. C'est que George Cohon, ami de Brian Mulroney et du tout-puissant maire de Moscou Iouri Loujkov, sait nouer les relations avec les bonnes personnes. «C'est un cas type de développement de relations diplomatiques par le biais des affaires», a expliqué hier le premier ministre.

Dans un pays à la bureaucratie lourde et fortement gangrénée par la corruption, les amitiés nouées entre leaders peuvent être déterminantes. «Ce que j'ai appris aussi de M. Cohon, c'est qu'il faut persister dans les relations (en Russie), avec une volonté d'y aller à long terme et d'être constant dans les relations», a dit M. Charest.

Dans un entretien avec La Presse en août dernier, George Cohon assurait que McDonald's n'avait jamais eu de problèmes avec les autorités russes, contrairement à d'autres multinationales comme la suédoise IKEA. Coca-Cola, qui a percé le marché russe grâce à Craig Cohon, le fils de l'homme d'affaires, n'a jamais été embêtée non plus.

Jean Charest, qui connaît M. Cohon depuis qu'il a été ministre d'État à la Jeunesse sous Brian Mulroney, a compris la leçon: «Moscou, c'est la pierre angulaire de la relation avec la Russie», a-t-il souligné, après la signature d'une déclaration commune avec le maire de la ville hier. Le document assurera un lien politique particulier au Québec en Russie, via sa capitale de 10 millions d'habitants. Et surtout, via son flamboyant maire.

En plus d'un long entretien hier avec Iouri Loujkov, le premier ministre québécois devrait dîner avec lui aujourd'hui dans un luxueux restaurant de la capitale, question de raffermir leurs liens personnels. Il n'a d'ailleurs pas manqué d'inviter le maire à visiter sa province et Montréal, tout juste après que M. Loujkov a souligné, sans gêne diplomatique aucune, que la relation avec la métropole québécoise et le maire Tremblay ne «marche pas très fort» depuis quelque temps.

En plus d'être maire de la capitale depuis 1992, Iouri Loujkov est marié à Elena Batourina, femme la plus riche de Russie et propriétaire d'Inteco, une entreprise de construction et d'immobilier qui détient des centaines d'édifices à Moscou et ailleurs en Russie et dans le monde.

L'homme est régulièrement accusé de corruption par ses détracteurs et concurrents économiques. Il a toutefois remporté tous les procès en diffamation qu'il a intentés contre eux, dans un pays où le système judiciaire est fortement sous l'influence du politique.

Le maire Loujkov a précisé au premier ministre Charest qu'«aucune des sociétés étrangères qui collaborent avec le gouvernement de Moscou n'a jamais perdu d'argent en Russie». Il confirmait ainsi l'expérience de son ami George Cohon, qui a ouvert le premier McDonald's en coentreprise avec les autorités moscovites il y a 20 ans. Le restaurant de la place Pouchkine est aujourd'hui l'un des plus rentables de la chaîne.