vendredi 5 mars 2010

Sport et politique, même combat en Russie

Article publié dans le journal La Presse, le 3 mars 2010.

(Moscou) Avec seulement trois titres olympiques et 15 médailles au total à Vancouver, la Russie a connu les pires Jeux de son histoire. À quatre ans des Jeux de Sotchi, le pouvoir panique. Le président Dmitri Medvedev a promis de faire rouler les têtes des responsables de la débandade olympique. Les observateurs russes, eux, montrent plutôt du doigt le système politique autoritaire en entier, qui préfère le népotisme à la performance.

«Le sport, ce n'est pas seulement du sport, c'est aussi de la politique.» Dmitri Medvedev n'aurait jamais cru si bien dire lorsqu'il a exigé des athlètes russes qu'ils fassent honneur à la Russie, peu avant leur départ pour Vancouver.

Dans un éditorial intitulé «Plus lent, plus bas, plus faible», antithèse de la devise olympique, le journal en ligne Gazeta.ru a écrit lundi que la contre-performance russe à Vancouver n'est que «le reflet objectif des résultats de la politique qui a cours dans le pays».

Le journal libéral fait l'analogie entre les échecs sportif et économique de la Russie au cours de la dernière décennie. Dans les deux cas, les malheurs sont liés à «une absence totale de cadres professionnels, à une irresponsabilité généralisée dans la verticale du pouvoir» et au fait que les fonctionnaires et politiciens dépensent plus d'énergie dans les luttes intestines pour le pouvoir que dans le règlement des problèmes criants, dénonce le journal.

«Dans le système politique actuel, il n'y a pas de concurrence. Pareillement, les dirigeants (des fédérations sportives) sont choisis pour leur proximité avec le pouvoir plutôt que pour leur compétence», note Anton Orekh, chroniqueur sportif à la radio Écho de Moscou. Il fait notamment référence au président du Comité national olympique, Leonid Tiagatchev, aussi politicien et... entraîneur de ski personnel du premier ministre Vladimir Poutine.

Renvoyer, et après?

En poste depuis 2001, M. Tiagatchev est la principale cible des critiques, ces jours-ci, avec le ministre des Sports, Vitali Moutko. Sans les nommer, le président Medvedev a indiqué lundi que les responsables des déboires sportifs «devront prendre une décision courageuse et présenter leur démission. S'ils n'y arrivent pas, nous les aiderons».

Mais le problème n'est pas aussi simple à régler, croit Anton Orekh. «Renvoyer les plus hauts dirigeants du sport, c'est la décision la plus naturelle et la plus facile. Mais après?»

L'argent était pourtant au rendez-vous pour la préparation des athlètes. Le gouvernement russe a dépensé environ 50 millions de dollars au cours des deux dernières années, une somme comparable au programme canadien À nous le podium (110 millions depuis 2005).

Les conditions d'entraînement, par contre, étaient incomparables. En attendant les installations de Sotchi, en construction (voir encadré), les athlètes russes s'exercent dans des infrastructures souvent obsolètes, qui datent de l'époque soviétique.

Anton Orekh estime qu'il est déjà trop tard pour que la Russie espère obtenir de bonnes performances lorsqu'elle accueillera les Jeux d'hiver, en 2014. «Plusieurs des athlètes qui concourront à Sotchi étaient aussi à Vancouver. En quatre ans, il est impossible de donner naissance à un athlète, de l'entraîner et de lui apprendre à gagner.»

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Sotchi 2014: un défi olympien

Attribuer les Jeux olympiques d'hiver à la ville russe de Sotchi était certainement le défi le plus risqué jamais pris par le Comité international olympique. La station balnéaire ne dispose d'aucune des infrastructures nécessaires pour la tenue de JO. Actuellement, près de 20 000 ouvriers travaillent jour et nuit aux futures installations olympiques. Au total, 207 installations (centres de ski, arénas, routes, hôtels, etc.) devront être construites. «Je n'ai aucun doute qu'ils y arriveront», dit Igor Tchernov, correspondant à Sotchi du journal moscovite Vremia Novosteï. «Mais la question est plutôt de savoir à quel prix ils y arriveront.»

Medvedev veut mettre la police au pas

Article publié dans le journal La Presse le 2 mars 2010.

(Moscou) Plus une journée ne passe sans que la police russe soit éclaboussée par un nouveau scandale: corruption, extorsion, meurtres, viols, vols. Le président Dmitri Medvedev a décidé d'agir pour redorer le blason des forces de l'ordre, que les deux tiers des Russes disent craindre. Mais sa réforme risque d'être un coup d'épée dans l'eau sale d'un système corrompu jusqu'à l'os.


Denis Evsioukov était un chef de police moscovite ordinaire jusqu'au 27 avril 2009. Ce jour-là, après une dispute arrosée avec sa conjointe, il est entré dans un supermarché tranquille et s'est mis à tirer au hasard, tuant deux personnes et en blessant sept autres. Avec son arme de service.

Ailleurs, un tel épisode aurait pu être placé dans la rubrique des malheureux faits divers. Mais en Russie, il a été la goutte qui a fait déborder le vase de toutes les récriminations envers une police qui fait peur à 67% de la population, selon un récent sondage.

Depuis la fusillade, les médias russes portent une attention particulière aux malversations des forces de l'ordre, qui sont le plus souvent impunies. Certains policiers sont même sortis sur la place publique par l'entremise du cyberespace pour exprimer leur ras-le-bol face à des supérieurs qui leur demandent de fabriquer des preuves pour résoudre des crimes et améliorer les statistiques de leur service.

Plus rien n'étonne personne. Ni le policier de province qui paie des chômeurs pour avouer des crimes qu'ils n'ont pas commis, ni les trois agents moscovites arrêtés la semaine dernière pour avoir interpellé sans raison un homme d'affaires et son fils, exigeant de leur famille une rançon de 215 000$ pour les libérer.

Il y a deux semaines, Denis Evsioukov a écopé d'une peine de prison à vie et a été officiellement démis de ses fonctions. Le même jour, le président Dmitri Medvedev a annoncé les premières mesures de sa réforme du ministère de l'Intérieur, une structure qui emploie 1,2 million de personnes.

Dorénavant, on considérera comme «circonstance aggravante» le fait qu'une personne accusée d'actes criminels soit membre de la police. Le président a aussi mis à la porte 18 hauts responsables de la police, dont deux vice-ministres.

Pour réduire la corruption et l'abus de pouvoir, il a également annoncé que l'inspection des voitures, le renvoi des immigrés illégaux et la gestion des centres de dégrisement ne relèveraient plus de la police. Au mois de janvier, un journaliste avait été battu à mort à Tomsk par un agent dans l'un de ces établissements où sont détenues pour la nuit les personnes arrêtées en état d'ébriété.

D'ici deux ans, les effectifs du Ministère seront réduits du cinquième, et les salaires augmenteront. Actuellement, un policier russe reçoit de 300 à 660$ par mois, selon sa région d'affectation.

Peu de chances de succès

Rouslan Miltchenko, directeur du centre Analyse et Sécurité, croit que le président Medvedev est bien intentionné. Il est toutefois peu optimiste sur les chances de réussite de ses réformes, qui ne s'attaquent pas au coeur du problème, selon lui.

«La réforme est mise en place par ceux-là mêmes contre qui elle est destinée. Ils vont duper le président puisque c'est eux qui sont chargés de lui exposer la situation», explique M. Miltchenko, en référence aux haut placés du ministère de l'Intérieur.

À son avis, pour espérer une amélioration, il faudrait «un nettoyage complet des cadres de la police qui sont responsables de tous ces scandales». En plus des réformes, bien sûr.

Un peu comme l'a fait le président de la Géorgie, Mikhaïl Saakachvili. En 2005, il a renvoyé les 30 000 agents de la circulation de son pays, mesure draconienne qui a permis d'en finir avec le système de corruption postsoviétique, selon des observateurs étrangers.