(Publié le 15 juin 2013 dans La Presse)
(Bombay, Inde) - Plus de la moitié des 18 millions d'habitants de Bombay vivent dans des bidonvilles. Pour améliorer leurs conditions de vie, les autorités ont lancé un programme de relogement censé profiter à la fois aux citadins défavorisés et aux promoteurs immobiliers. La réalité est toutefois moins idyllique que le projet sur papier.
Quand les habitants de Ganesh Krupa ont appris qu'ils auraient gratuitement droit à un logement neuf, ils étaient enchantés. Leur bidonville de passages étroits, d'égouts à ciel ouvert et de baraques faites de ciment et de tôle serait rasé, mais c'était pour faire place au progrès. Et ils seraient les premiers à en bénéficier. Dix ans plus tard, le rêve a un arrière-goût de duperie.
« Nous n'avons jamais signé de contrat avec cette entreprise. » C'est ce que répète Manda Digambar Mane en regardant, impuissante, la pelle mécanique du promoteur Shivalik remuer les ruines de sa demeure.
Quelques heures plus tôt, la dame de 40 ans avait toujours du linge accroché sur la corde, espérant que l'avis d'expulsion placardé sur sa maison ne serait pas mis à exécution.
La voilà désormais à la rue avec son mari et leurs deux enfants, entourés de meubles et d'effets personnels rapidement jetés dans des sacs de jute, comme des dizaines de familles voisines.
Faux miracle
Pour les résidants de Ganesh Krupa, un secteur de Golibar, deuxième plus grand bidonville de Bombay avec 125 000 habitants, tout avait pourtant bien commencé. En 2003, quelque 300 familles voisines avaient décidé de profiter d'un plan gouvernemental de réhabilitation des bidonvilles, présenté comme la solution miracle pour en finir avec les quartiers insalubres des mégapoles des pays en développement.
Selon ce modèle, une communauté défavorisée forme un regroupement administratif et se lie à un promoteur pour qu'il rase ses baraques et les remplace par des tours dans lesquelles chaque famille obtient un appartement gratuitement. En échange, l'entreprise a le droit de bâtir un nombre égal d'appartements destinés à la vente.
Dans un contexte de boom immobilier comme celui de Bombay, l'équation ne devait faire que des gagnants. Or, les habitants de Ganesh Krupa disent aujourd'hui avoir été trompés. Ils jurent n'avoir jamais conclu d'entente avec Shivalik. L'entreprise aurait selon eux falsifié leurs signatures pour obtenir les autorisations de démolition.
Ils ne sont pas seuls. Cinq autres regroupements de citoyens sont devant les tribunaux pour bloquer un projet de réaménagement. Le ministre fédéral du Logement s'est maintes fois inquiété des « irrégularités présumées » qui entachent le plan de réhabilitation.
« Ce programme est avant tout une façon pour les politiciens, les promoteurs et les bureaucrates de mettre la main sur des terrains de grande valeur », constate Medha Patkar, célèbre militante des droits des démunis, qui a mené plusieurs grèves de la faim et manifestations pour freiner les démolitions contestées.
Dans certains cas, les bidonvilles se sont transformés en demeures luxueuses et en centres commerciaux, alors que leurs habitants étaient relogés en périphérie de la ville.
« Nous ne sommes pas contre le développement », assure Shailesh Kamkar, un résidant de Ganesh Krupa qui a déjà rebâti deux fois sa maison après le passage des démolisseurs. « Nous voulons simplement un vrai contrat, qui indique clairement les conditions et surtout, que nous obtiendrons notre logement ici même. » Il craint notamment d'avoir à passer plusieurs années dans un camp transitoire, où les conditions sont pires que dans les bidonvilles. Plusieurs familles participant à des projets similaires ont connu ce sort.
Odeur de collusion
Shivalik réfute toutes ces accusations. « La plus haute cour du pays nous a donné raison », commentait début avril à La Presse son jeune vice-président exécutif, Tejas Ajgaonkar, tout sourire en observant les pelles mécaniques raser une partie de Ganesh Krupa.
M. Ajgaonkar dénonce une tentative de « chantage » de la part d'une « minorité » de citoyens avares. « Dix d'entre eux sont venus à mon bureau récemment pour me demander plus d'argent [en échange de leur consentement à déménager]. »
Il reconnaît tout de même se réserver le droit de reloger les habitants ailleurs que sur leurs terrains actuels. « Il y aura peut-être des déplacements, mais rien d'extrême », promet-il.
Pour la militante Medha Patkar, le simple fait que des ordres d'expulsion puissent être donnés avant même la fin des procédures judiciaires démontre la collusion entre les autorités et les promoteurs. Le seul espoir de justice repose à son avis dans la mobilisation. « Qui expose la corruption ? Pas la cour, pas les agences de régulation. Ce sont des gens ordinaires avec une force extraordinaire. »
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