(Paru dans le cahier Voyage de La Presse le 21 avril 2012)
BOMBAY - Il est 5h du matin quand nous débarquons à la gare Churchgate, dans le centre historique de la ville - devenu son extrême sud à force d'étalement urbain.
Devant ce grand dénuement observable à chaque coin de rue à toute heure du jour ou de la nuit, la symbiose entre les plus riches et les plus démunis de cette ville a de quoi frapper. Sur la route Mahatma Gandhi - qui relie les quartiers relativement touristiques de Fort et Colaba - quelques nouvelles boutiques de luxe côtoient les vieux commerces familiaux et les marchands à la sauvette, qui écoulent des bricoles, installés sur un drap au sol. Les deux mondes se croisent sans entrer en conflit. Chacun connaît sa place.
Et le touriste, dans tout cela? Hormis les quelques vendeurs ambulants un peu insistants de Colaba, on le laisse plutôt tranquille. Devant l'immense Porte de l'Inde, par où les derniers soldats britanniques ont quitté la colonie devenue indépendante en 1947, les visiteurs étrangers sont noyés dans une marée de touristes indiens venus découvrir leur pays. Si bien que les photographes proposant leurs services pour immortaliser les passants devant cette arche en basalte de 26 m - ou le majestueux Taj Mahal Hotel situé à quelques mètres de là - préféreront harceler leurs compatriotes plutôt que les cars d'Européens ou les voyageurs qui tiennent leur bible (Lonely Planet) dans une main.
Bidonville superstar
Pour devenir le centre d'intérêt d'un quartier entier, il suffit toutefois de faire une demi-heure de train de banlieue vers le nord (toujours bondé pendant les heures de pointe, même en première classe, le voyage fait partie de l'expérience locale).
À la station Mahim, le bidonville de Dharavi accueille les visiteurs qui osent s'aventurer dans ses dédales avec un "Welcome" coloré, peint sur une affiche artisanale défraîchie.
Nous y atterrissons un vendredi en début d'après-midi. C'est l'heure de la prière dans la partie musulmane du bidonville. Des milliers de fidèles déroulent leur tapis à même la rue, laissant un mince espace aux non-musulmans de l'endroit pour continuer de vaquer à leurs occupations.
Plus loin, on entre en territoire hindou. Là aussi, l'heure est à la célébration. Comme ailleurs dans l'État du Maharashtra - dont Bombay est la capitale - en cette journée, on fête le Gudi Padwa, le Nouvel An marathi. Fanfares, personnages historiques et manieurs de sabre défilent sur les rangoli, motifs géométriques colorés traditionnels, fraîchement dessinés au sol par les femmes et les enfants du quartier.
Ici, l'étranger ne passe pas inaperçu. Des hordes d'enfants souriants - et plusieurs adultes aussi - vous supplient de les photographier, n'attendant en retour qu'un bref aperçu du résultat final. Les rares qui cherchent à quémander une poignée de roupies auprès des visiteurs sont vite rabroués par les autres Dharaviens.
Après quelques heures dans Dharavi, l'exercice peut toutefois devenir épuisant. La sincérité et l'hospitalité des habitants réchauffent certes le coeur, mais l'attention reçue est si grande qu'on finit par mieux comprendre le sentiment quotidien des stars de Bollywood et du cricket, le sport national...
Dans ce capharnaüm de stimuli olfactifs, visuels, sonores, gustatifs, dermiques et thermiques qui nous assaillent à chaque instant, on finit parfois curieusement par atteindre une certaine forme d'harmonie. Un peu comme cette grande démocratie indienne qui a pu trouver son équilibre au travers de toutes ces forces antagonistes qui la font tanguer depuis sa naissance.
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