À Och, les blessures seront longues à cicatriser. Épicentre des violences interethniques qui ravagent le sud du Kirghizstan depuis vendredi dernier, la deuxième ville du pays est défigurée et dépouillée de milliers de ses habitants en fuite. Des Kirghiz, majoritaires, et des Ouzbeks, minoritaires, accusent les responsables politiques d'avoir instrumentalisé leurs tensions pour faire avancer leurs intérêts.
Au pied de l'école primaire à moitié rasée par les flammes, Takhir Ousmanov raconte l'histoire de son fils, « tué par un sniper » alors qu'il tentait dimanche d'éteindre le troisième incendie de l'école en trois jours. Le géologue de 59 ans n'en veut toutefois pas au peuple kirghiz, même s'il pense que certains de ses membres sont à l'origine des troubles. « Il n'y a pas de mauvaise nation, il n'y a que des mauvaises personnes », dit-il, avant d'ajouter avoir reçu les condoléances de plusieurs collègues et amis kirghiz.
Selon les habitants du village, les vrais coupables sont les « politiciens ». Et pas seulement Kourmanbek Bakiev, le président renversé par de violentes manifestations en avril, que le gouvernement intérimaire de Roza Otounbaïeva accuse d'avoir allumé la mèche d'un conflit ethnique latent afin de reprendre les rênes de l'État. « Le gouvernement provisoire avait besoin de ce chaos pour se maintenir », lance un autre villageois. « Bakiev et le gouvernement cherchent à se partager le pouvoir sur le dos du peuple ouzbek », renchérit un troisième.
À quelques kilomètres de Chark, dans le centre-ville d'Och, la vie commençait timidement à reprendre son cours hier. Sur l'une des rues principales, des marchands étalaient oignons, patates, concombres, pain, abricots et autres produits sur des couvertures au sol. Devant eux, des commerces calcinés et d'autres épargnés.
Les nombreux graffitis « Mort aux Ouzbeks » un peu plus loin n'avaient toutefois rien pour rassurer la minorité. Ni les milices kirghizes aux allégeances floues sillonnant la ville, kalachnikov en bandoulière. La mixité habituelle du centre-ville en prenait ainsi un coup. Pas un commerçant ouzbek n'osait y tenir pavillon. Les quelques clients appartenant à l'ethnie minoritaire - plus de 40 % de la population -, passaient rapidement faire leurs courses, avant de repartir aussitôt.
Employée d'une coopérative agricole, la Kirghize Bouroul Bourjebaïeva est convaincue que les deux communautés n'ont rien à gagner de ces troubles. « C'est l'élite qui crée la division, pas le peuple ». Juste à côté, le boulanger Bekbolot blâme plutôt les Ouzbeks, devenus récemment « trop gourmands » à son goût. « Pourquoi veulent-ils une autonomie, la reconnaissance de leur langue et des hauts postes dans l'administration ? Si ça ne leur plaît pas ici, ils peuvent retourner dans leur patrie historique », l'Ouzbékistan. En attendant, la fuite des commerçants ouzbeks a une conséquence pour tous ses habitants. Depuis des générations, ils étaient bouchers. La viande est désormais introuvable à Och.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire