Reportage publié dans La Presse le 26 juin 2010
Bichkek, Kirghizistan - Déchiré par un conflit ethnique qui a déjà fait des centaines de morts, le Kirghizistan votera demain pour une nouvelle Constitution. Un exercice à haut risque qui pourrait faire passer ou casser le gouvernement provisoire en quête de légitimité. Et soulever une nouvelle vague de violences, nous explique notre collaborateur.
En cinq ans, Bazyl Abdyjalanov a vu deux révolutions lui passer sous les yeux. Demain, ce concierge de l'entrée de la Maison-Blanche de Bichkek, siège du gouvernement kirghiz, votera «pour la paix».
«Je voterai pour la nouvelle Constitution, bien sûr. Nous aurons la paix et alors le gouvernement provisoire pourra fonctionner», dit le sexagénaire.
En mars 2005, il était malgré lui aux premières loges de la «révolution des tulipes», qui a renversé le président Askar Akaïev, accusé d'autoritarisme. Puis, en avril dernier, il a vu de la même façon le successeur d'Akaïev, Kourmanbek Bakiev, être chassé du pouvoir par une foule en colère pour les mêmes raisons. Les deux fois, Bazyl Abdyjalanov a pris ses jambes à son cou. Comme les présidents.
Bazyl estime que les Kirghiz «doivent absolument participer au référendum». Non pas qu'il soit un grand partisan de la nouvelle Constitution proposée - il ne l'a pas lue de toute façon -, mais parce que le simple fait de tenir un vote démocratique après un coup d'État représente un espoir de stabilisation pour sa petite ex-république soviétique d'Asie centrale.
Pour le gouvernement provisoire, ce référendum est crucial. La présidente par intérim, Rosa Otounbaïeva, ne cache pas que l'exercice est sa seule chance de gagner une légitimité avant l'élection législative prévue pour septembre.
Grands bouleversements
Les deux présidents qu'a connus le pays depuis son indépendance en 1991 ont profité de leur position pour s'enrichir, usurper le pouvoir et mater toute opposition. Passer d'une république présidentielle à une parlementaire empêcherait la concentration du pouvoir dans les mains d'un seul homme, assure le gouvernement provisoire.
«L'important, ce n'est pas quelle sorte de république nous avons, mais qui sont les gens au pouvoir», nuance toutefois le politologue kirghiz Nour Omarov. Et pour l'instant, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont d'anciens caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place. Ce qui ne laisse pas présager des jours meilleurs.
D'ailleurs, depuis l'arrivée du gouvernement provisoire, formé de membres des différentes factions de l'opposition, plusieurs entreprises ont été nationalisées dans le pays. «Ils utilisent les mêmes vieux mécanismes de privatisation cachée (pour s'enrichir)», souligne Nour Omarov, qui a pourtant appuyé le renversement du régime Bakiev.
Le politologue doute ainsi que le gouvernement provisoire acceptera le verdict des urnes. «Je crois qu'ils falsifieront le résultat s'il n'est pas en leur faveur.»
Les deux précédents coups d'État ont prouvé qu'il était plutôt facile de renverser les dirigeants avec l'appui de quelques milliers de partisans, même sans armes à feu. Dans la capitale Bichkek, personne n'exclut qu'un autre groupe politique tente de prendre le pouvoir par la force. Si le gouvernement provisoire perd son référendum demain, et ainsi sa crédibilité, les chances de putsch ne feront qu'augmenter.
Violences ethniques
La principale crainte pour le bon déroulement du référendum se trouve toutefois dans le sud du pays. Il y a deux semaines, des violences entre les Kirghiz et la minorité ouzbek ont fait des centaines, voire des milliers de morts. Environ 400 000 personnes, principalement d'ethnie ouzbek, ont fui leur domicile. La plupart sont rentrés, mais plusieurs ont retrouvé leur maison incendiée.
Jeudi, les services de sécurité kirghiz ont fait savoir qu'ils avaient déterminé l'identité des coupables des violences ethniques: des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaïda et aux talibans afghans, financés par la famille de l'ex-président Bakiev. Selon les autorités, leur but était de faire dérayer le processus référendaire afin que l'ex-président puisse reprendre le pouvoir.
Si l'hypothèse de l'implication du clan Bakiev est probable, celle du rôle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages que La Presse a recueillis la semaine dernière à Och, épicentre des violences.
Quelle que soit l'identité des instigateurs des troubles, une chose est certaine: rien ne les empêche de frapper de nouveau et de pousser encore un peu plus le faible État kirghiz vers la défaillance.
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