Article publié dans La Croix, La Presse et La Tribune de Genève le 15 juin 2010.
Pour la quatrième journée, les violences interethniques se sont poursuivies hier dans le sud du Kirghizstan. Le bilan provisoire de 138 morts et de 1761 blessés serait largement sous-estimé. La Russie et ses alliés ex-soviétiques ayant exclu une fois de plus hier l'envoi rapide d'une force de maintien de la paix, rien ne semble pouvoir arrêter les violences à court terme.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke continuent de tenter de s'enfuir du Kirghizstan vers l'Ouzbékistan voisin. En quatre jours, ils seraient plus de 100 000 à avoir traversé la frontière pour se réfugier dans des camps. Au seul poste-frontière du district de Souzak, ils étaient hier au moins 50 000 autres à vouloir se rendre en Ouzbékistan. Le Comité international de la Croix-Rouge parle d'une situation humanitaire « critique ».
D'autant que l'Ouzbékistan a fermé hier soir sa frontière et a lancé un appel à l'aide internationale pour les 45 000 réfugiés (seuls les hommes adultes sont comptés) et leurs femmes et enfants, qui ont déjà été accueillis. « Nous allons cesser d'accepter des réfugiés du Kirghizstan car nous ne pouvons pas les loger et n'avons pas les capacités pour les accueillir », a déclaré le vice-premier ministre ouzbek, Abdoullah Aripov, au camp de réfugiés de Iorkichlok, à la frontière.
À Och et Djalalabad, les deuxième et troisième villes du pays, la situation restait très tendue. L'agence kirghize AKIpress rapportait qu'à Djalalabad, un « groupe de jeunes gens armés portant des brassards avec le slogan "S'il y a des Ouzbeks, on va leur tirer dessus" » sillonnait la ville. Un reporter du New York Times visitant un quartier ouzbek d'Och dimanche a constaté que pratiquement tous les édifices étaient en feu sauf un, marqué à la peinture rouge de l'inscription « kirghiz ». Plusieurs Kirghizes auraient aussi indiqué leur appartenance ethnique sur leur voiture afin d'éviter d'être la cible de tirs.
Des réfugiés d'ethnie ouzbèke accusent l'armée kirghize régulière, théoriquement sous le contrôle du gouvernement provisoire, d'ouvrir la voie aux bandes armées kirghizes pour qu'elles commettent un « génocide planifié » contre la minorité ouzbèke du pays. La diaspora ouzbèke, qui constitue près de la moitié de la population dans certaines villes du sud du Kirghizstan, avait pourtant appuyé le gouvernement provisoire lors des violentes émeutes qui ont renversé le président Kourmanbek Bakiev, le 7 avril dernier. Mais le contrôle du gouvernement sur la situation et même sur sa propre armée est limité. La présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva, dont le pouvoir commence à être contesté à Bichkek, a reconnu son impuissance devant le risque de guerre civile.
Selon Rosa Otounbaïeva, son prédécesseur déchu Kourmanbek Bakiev aurait mis le feu aux tensions ethniques latentes dans le sud, où il dispose toujours d'appuis importants et armés, dans l'espoir de regagner le contrôle d'une partie du pays et de faire annuler le référendum constitutionnel prévu pour le 27 juin.
Sans hésitation, Rosa Otounbaïeva a demandé dès le début de la crise l'ingérence de Moscou, arbitre naturel des conflits dans la plupart des ex-républiques soviétiques. Mais le président russe Dmitri Medvedev n'a pas eu le même empressement à intervenir dans ce conflit, « interne » selon lui, que lors de la guerre dans la république séparatiste géorgienne d'Ossétie du Sud, en août 2008. C'est qu'au Kirghizstan, les intérêts russes ne sont pas contestés. Le président russe a certes promis une aide humanitaire d'urgence, mais les seuls soldats russes qui ont atterri pour l'instant sen renfort sur le sol kirghiz venaient... pour protéger les familles des militaires de la base russe de Kant.
Pour la plupart des observateurs, la seule option pour faire cesser rapidement les violences interethniques serait l'envoi d'une force de maintien de la paix russe ou de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe sept ex-républiques soviétiques. Or, en réunion d'urgence hier à Moscou, les secrétaires des pays membres ont rejeté l'idée d'un déploiement rapide de leurs soldats au Kirghizstan. L'organisation a indiqué à l'issue de sa réunion que « ces mesures doivent être réfléchies », selon son secrétaire général Nikolaï Bordiouja.
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