Reportage publié dans La Croix le 28 juin 2010.
(Bichkek, Kirghizstan) Les électeurs se sont prononcés hier par référendum pour l'instauration d'une démocratie parlementaire, afin de rétablir la stabilité du pays.
Au bureau de vote de l'école n° 24, dans le centre de la capitale, Bichkek, des haut-parleurs crachent une version instrumentale de L'Été indien de Joe Dassin pour inciter les électeurs à venir déposer leur bulletin dans l'urne. Sur toutes les lèvres, quatre mots : stabilité, calme, ordre et légitimité. Le message de la présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva est vraisemblablement passé : le référendum sur la nouvelle Constitution donnera à son gouvernement, issu du coup d'État du 7 avril dernier, la légitimité dont il a besoin jusqu'aux élections législatives de septembre. Il pourra s'employer à restaurer l'ordre, le calme et ramener la stabilité au Kirghizstan.
Tous les électeurs rencontrés hier matin ont affirmé avoir voté pour la nouvelle Constitution, qui propose de faire passer la petite république ex-soviétique d'Asie centrale d'un système présidentiel à un système parlementaire. Aucun toutefois n'apportait un soutien inconditionnel au gouvernement provisoire. « Il est tout de même mieux que le régime de Bakiev ! lance Aïnagoul Doboulbekova, contrôleuse dans un poste électrique, en référence au président renversé il y a deux mois et demi. Eux, au moins, ils ont un peu de conscience et sont fiers de leur peuple. »
« S'ils n'avaient pas fait leur coup d'État, il n'y aurait jamais eu toutes ces victimes en avril (NDLR : 87 morts), constate Lioubov Derkatch, venue voter avec son bébé de 4 mois. Mais en même temps, ils n'auraient jamais réussi à prendre le pouvoir d'une autre façon. Bakiev était installé à vie. » La présidente Otounbaïeva répète depuis des semaines que la nouvelle Constitution est la seule chance de ramener la stabilité. Un système parlementaire empêchera la concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne. C'est pourquoi Rosa Otounbaïeva a insisté pour que l'exercice ait lieu à la date prévue, en dépit des violences qui ont frappé le sud du pays et fait plus de 400 000 réfugiés et déplacés.
Aussi, tout a été fait pour assurer une participation maximale des électeurs. Compte tenu du nombre de déplacés et de gens qui ont perdu leurs papiers, tout citoyen a pu voter dans n'importe quel bureau de vote du pays, même sans papier d'identité, à condition d'être reconnu par deux membres de la commission électorale. Dans le Sud, des brigades d'urnes mobiles ont été organisées pour faire voter ceux qui craignaient de sortir de leur domicile.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke entassés dans des camps en Ouzbékistan ont été rapatriés cette semaine, parfois contre leur gré selon Amnesty International, afin qu'ils puissent participer au référendum. Le politologue kirghiz Nour Omarov doute toutefois que la nouvelle Constitution soit suffisante pour assurer un avenir radieux au Kirghizstan : « L'important, ce n'est pas la sorte de république que nous avons, mais les gens qui sont au pouvoir. » Et pour l'instant, dit-il, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont des caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place.
Dans le sud du pays, le vote s'est déroulé sous haute surveillance. Si les violences ont cessé entre la majorité kirghize et la minorité ouzbèke, la situation reste tendue. L'élément déclencheur des troubles qui ont fait au moins 264 morts reste toujours une énigme. Les services de sécurité kirghiz ont bien annoncé, jeudi, les conclusions de leur enquête : la famille Bakiev a financé des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaida et aux talibans afghans pour qu'ils mettent à sac le Sud, afin de faire dérailler le processus référendaire et de ramener au pouvoir l'ex-président.
Si l'idée d'une implication du clan Bakiev ne peut être exclue, celle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages recueillis par La Croix la semaine dernière à Och, épicentre des violences. Des photos et vidéos prises dans cette ville par des touristes étrangers durant les heurts montrent clairement des groupes d'ethnie kirghize en train de piller la ville, ainsi que des policiers et militaires passifs, sinon complices.
La complicité possible des forces de l'ordre laisse croire que des membres du gouvernement provisoire ayant un contrôle sur la police et l'armée pourraient avoir une responsabilité dans les violences. La mésentente au sein du gouvernement, formé de différentes tendances politiques d'opposition, n'est un secret pour personne à Bichkek. Si une force extérieure ne vient pas usurper le faible pouvoir de Rosa Otounbaïeva, l'éclatement pourrait encore venir de l'intérieur.
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