Article publié dans La Presse et La Tribune de Genève le 3 août 2010.
Moscou - Les autorités russes affirment maîtriser les incendies de forêt qui font rage depuis plus d'une semaine dans 14 régions du pays. Les informations contradictoires qu'elles laissent filtrer montrent plutôt qu'elles sont dépassées par l'ampleur de la catastrophe. Visé par les critiques, le premier ministre Vladimir Poutine rejette le blâme sur ses subordonnés, explique notre collaborateur.
Plus de 500 000 hectares et 77 villages partis en fumée, 7000 foyers d'incendie toujours en activité, 40 morts et des centaines de personnes à la rue: la Russie brûle, les secours sont désorganisés, mais Vladimir Poutine est aux commandes.
Hier après-midi, alors que le président Dmitri Medvedev décrétait l'état d'urgence dans sept régions du pays, le premier ministre et homme fort du régime russe convoquait les responsables des régions sinistrées. "Je veux entendre aujourd'hui comment s'organise la reconstruction des habitations. Je veux des plans de reconstruction pour chaque région, chaque localité, chaque maison."
Le ton est ferme, mais l'exigence pratiquement impossible à remplir. "Il me faut une liste de tous les blessés signée de vous, les gouverneurs", a-t-il ajouté.
Visiblement, Vladimir Poutine n'a pas digéré les reproches que lui ont servis vendredi dernier les habitants de Verkhniaïa Vereia, village rasé de la région de Nijni-Novgorod. "Vous n'avez rien fait pour empêcher que ça brûle!" avait lancé une femme hystérique à un premier ministre stoïque venu constater l'ampleur des dégâts.
La séquence "omise" par la télévision d'État russe a trouvé le chemin de YouTube quelques jours plus tard. Les médias russes indépendants ont eux aussi critiqué vertement le manque de préparation des autorités dans la lutte contre les incendies.
Dès lors, l'ancien président a entrepris de rejeter le blâme sur les responsables régionaux, pourtant nommés par lui-même et par son fidèle successeur, Dmitri Medvedev, depuis l'abolition des élections des gouverneurs en 2004. Lors de sa visite à Verkhniaïa Vereïa, il a conseillé aux politiciens locaux qui sentaient avoir perdu la confiance de leurs concitoyens de rendre leur démission.
"Pour réduire le risque d'une répétition de tels événements, il faut à l'avenir élaborer des programmes fédéraux et régionaux afin d'assurer la sécurité contre les incendies", a fait savoir le premier ministre aux dirigeants locaux.
Mais pour cette fois, il est trop tard. Les habitants de plusieurs villages ont été laissés à leur sort. Dans la région de Voronej, par exemple, des dizaines de jeunes ont formé des brigades de volontaires pour s'attaquer aux flammes qui s'approchaient de leur maison, rapportait hier l'AFP.
Informations contradictoires
La distribution de l'aide aux sinistrés s'annonce laborieuse. Conscient que le pays est rongé par la corruption, Vladimir Poutine a indiqué que les fonds débloqués seraient "sous le contrôle des représentants du Kremlin dans les régions, afin qu'ils ne soient pas détournés".
Il s'attend aussi à ce que des citoyens et des fonctionnaires malhonnêtes profitent de la situation pour obtenir de l'argent auquel ils n'ont pas droit. "Les maisons seront reconstruites selon les prix réels du marché (...) et la liste des victimes sera vérifiée minutieusement. Les escrocs et les voyous ne doivent pas avoir la moindre chance de profiter de la situation", a déclaré le premier ministre hier.
De son côté, le ministère des Situations d'urgence, responsable de la lutte contre les incendies, s'est montré officiellement optimiste dans ses efforts pour freiner les incendies. Quelque 265 villages auraient été épargnés des flammes en une seule journée grâce au travail des sapeurs.
"Trois cents nouveaux foyers d'incendie apparaissent en moyenne chaque jour et 95% d'entre eux sont éteints la journée où ils sont localisés", a déclaré un porte-parole du Ministère hier. Pourtant, les données officielles fournies par le même ministère parle d'un décuplement du nombre de foyers entre dimanche et lundi, passant de quelque 700 à 7000...
Dans la série des informations floues et contradictoires, des officiels ont déclaré le week-end dernier que deux sites nucléaires étaient menacés par les incendies. D'autres responsables se sont empressés de démentir la nouvelle.
Hier, le ministre Sergueï Choïgou a pourtant "multiplié par dix" les moyens pour combattre les flammes près du Centre fédéral de recherche nucléaire de Sarov, en plein coeur de l'une des zones les plus affectées par les incendies de forêt. En raison de la fumée trop épaisse, les avions-citernes n'ont pu survoler les environs de Sarov hier. L'extinction de l'incendie a été remise à cet après-midi.
mardi 3 août 2010
Asséchée, la Russie brûle
Reportage publié dans La Croix, La Presse, La Tribune de Genève et Le Soir le 2 août 2010.
Mokhovoe, région de Moscou - Asséchés par plus d'un mois de canicule presque sans précipitations, des dizaines de milliers d'hectares de forêt et de tourbière sont la proie d'incendies depuis une semaine en Russie. Des villages entiers ont été rasés. Notre collaborateur s'est rendu à Mokhovoe, à 150 km au sud-est de Moscou, où les villageois ont dû se défendre par eux-mêmes du feu, faute d'aide des autorités.
Lorsque les flammes ont commencé à avancer sur Mokhovoe, village situé à 150 km au sud-est de Moscou, jeudi midi, Lioubov Beliakova et ses voisines sont sorties en priant dans les rues poussiéreuses, icônes orthodoxes à la main. « En cinq minutes l'air est devenu noir comme la nuit. La terre brûlait sous nos pieds. Nous avons compris que ça n'augurait rien de bon », raconte la comptable retraitée.
La croix avec l'inscription « Que le Seigneur te protège » plantée à l'entrée du village n'a pas pu le sauver. Et encore moins les autorités russes. Les quelque 150 habitants de Mokhovoe n'ont jamais été prévenus de l'approche de l'incendie et aucune mesure n'a été prise pour les évacuer.
Laissés à eux-mêmes, entourés d'une haute forêt et de tourbières asséchées à l'époque soviétique pour servir de combustible, les villageois ont dû se débrouiller. « Les hommes se sont précipités à l'orée de la forêt pour couper des arbres afin d'empêcher le feu d'avancer », explique Mme Beliakova. Rien à faire. En quelques minutes, le village n'existait plus. Un seul immeuble d'habitation n'a pas été touché par les flammes. Douze maisons et trois édifices ont été détruits. Ceux qui possédaient une voiture ont pu s'enfuir. Mais dans ce village pauvre, peuplé principalement de retraités, certains n'avaient pas ce luxe.
« Ils sont morts asphyxiés dans cette cave. » Maria Mourougova montre le petit abri à légumes bétonné dans le jardin calciné de ses voisins. Ils étaient six à s'y cacher et sont restés piégés lorsque les flammes ont rasé la quasi-totalité des jardins qui nourrissaient le village.
Née à Mokhovoe, Maria Mourougova, ingénieure de 34 ans, habite désormais dans la ville de Kolomna, à 50 km et une traversée de bac du village. « J'ai réussi à venir à temps pour sauver ma mère. Mais pourquoi les gens qui doivent s'occuper de notre sécurité n'ont-ils rien fait ? », enrage-t-elle. « Sous le pouvoir soviétique, c'était mieux organisé. » Elle montre un édifice où habitaient deux vieilles dames. « Elles ont voulu s'enfuir dans la forêt et sont mortes brûlées », avance-t-elle, même si, officiellement, les deux femmes font partie des sept villageois toujours portés disparus. Plus loin, ce sont deux personnes handicapées qui seraient mortes dans leur sous-sol, incapables de se lever. « Les sapeurs ne se sont occupés que de la forêt et ont laissé brûler le village », dénonce Mme Mourougova, appuyée par d'autres habitants. Un pompier mal équipé est pourtant mort en voulant protéger la bourgade.
Poutine visite
Lors d'une visite vendredi dans un autre village ravagé près de Nijni Novgorod, le premier ministre Vladimir Poutine a été accueilli par une foule hystérique accusant le pouvoir d'inaction. L'homme fort du pays a rejeté le blâme sur les administrations locales, exigeant la démission des politiciens « envers lesquels la confiance des citoyens est remise en doute ». Vladimir Poutine a aussi promis de quadrupler l'aide prévue pour les victimes des feux de forêts, à 200 000 roubles (5 000 €) par famille. « Avec cette somme, nous pourrons à peine reconstruire la clôture de notre jardin », estime Lioubov Beliakova, qui ne possédait pas d'assurance, comme le reste des villageois.
À côté d'elle, dans la braise encore fumante de Mokhovoe, des hommes s'affairent à déterrer des pieux de métal calcinés. « Bientôt, les voleurs de ferrailles vont passer », explique l'un d'eux. « Et mieux vaut déjà avoir le matériel quand nous reconstruirons au lieu de le racheter. » Mais reconstruira-t-on Mokhovoe ? Malgré les promesses de Vladimir Poutine de rebâtir les villages affectés « d'ici à cet hiver », les habitants doutent que les autorités voudront investir dans leur bourgade, déjà vieillissante et morose avant l'incendie. Agricole, Mokhovoe ne s'est jamais vraiment remis de la chute du communisme et de la fermeture de l'usine du coin, comme des milliers d'autres villages dans le pays.
Et pour reconstruire, encore faudra-t-il que l'aide se rende jusqu'aux victimes. Samedi, le patriarche orthodoxe Kirill a appelé les fonctionnaires à ne pas détourner les fonds destinés aux victimes, pratique courante dans le pays, rongé par la corruption. « L'argent qui va être versé aux gens est de l'argent sacré. Que personne ne lève la main sur cet argent, car s'enrichir sur le malheur des autres est un grand péché devant Dieu », a-t-il déclaré dans un discours télévisé.
À Mokhovoe, les habitants préfèrent compter sur leurs propres forces au lieu d'attendre une aide hypothétique du gouvernement, qui pourrait être difficile à réclamer en raison de la lourdeur administrative. « De toute façon, c'est impossible qu'ils nous donnent une nouvelle maison (ailleurs). Il y a déjà une pénurie de logements dans le pays, donc ils nous placeront probablement dans des résidences communautaires », dit Mme Beliakova, résignée. Son appartement a été évité par les flammes, mais sans gaz, sans eau, sans électricité et sans jardin, impossible d'y retourner.
Les habitants de Mokhovoe ne sont pas les seuls à s'être retrouvés sans toit au cours des derniers jours en Russie. Quelque 1 875 maisons ont été détruites par les flammes dans quatorze régions du pays, principalement aux abords de la Volga. Le ministère des régions a estimé que 117 millions d'euros seraient nécessaires pour la reconstruction.
Selon un bilan provisoire, 30 personnes sont mortes dans les incendies qui ravagent des centaines de milliers d'hectares de forêts partout dans le pays. Hier, les autorités de l'Extrême-Orient ont annoncé que les flammes gagnaient aussi leur région. En dépit des 240 000 personnes mobilisées pour lutter contre les feux, la situation n'est pas en voie de s'améliorer. Hier matin, 770 foyers d'incendie étaient actifs dans le pays. La veille, il y en avait deux fois moins.
Les prévisions météorologiques ne laissent pas place à l'espoir. La canicule jamais vue qui frappe la Russie depuis plus d'un mois, avec des températures diurnes descendant rarement sous les 30 degrés sur une bonne partie du territoire, devrait se poursuivre au moins une semaine. Aucune forte précipitation n'est prévue pour venir calmer les flammes. Asséchée, la Russie brûle.
UNE CANICULE SANS PRÉCÉDENT
En 160 ans d'observation météorologique, la Russie n'avait jamais connu pareille canicule. Jeudi dernier, le thermomètre a atteint 38,2 degrés à Moscou, battant le précédent record de 37,2, établi... trois jours plus tôt. La semaine dernière, la fumée provenant des feux de tourbières en périphérie de la capitale est venue envelopper la mégalopole de 15 millions d'habitants, rendant l'air difficilement respirable. Selon l'observatoire de la qualité de l'air de Moscou, la pollution atmosphérique dépassait dix fois la norme mercredi. Le brouillard s'est finalement dissipé vendredi, mais des centaines de villes et villages dans la région de Moscou vivent toujours sous un dangereux nuage de fumée. Étrangement, les autorités russes n'ont pas fait état de morts résultant de la chaleur et de la fumée. En 2003, une canicule similaire en Europe avait pourtant causé environ 15 000 décès en France, principalement des personnes âgées vulnérables. Pour combattre la chaleur, chacun a son remède de grand-mère. Même le premier ministre Vladimir Poutine, qui a conseillé aux Russes de boire du thé chaud. « Cela favorise la sudation et aide à supporter le coup de chaleur », a-t-il déclaré. Mais un autre « remède » est plus populaire chez les Russes : l'alcool, pourtant connu pour ses propriétés déshydratantes. En deux mois, près de 2 500 personnes se sont noyées en Russie, à cause des chaleurs excessives qui poussent les Russes à se baigner dans les plans d'eau environnants, souvent en dépit des interdictions et du danger. L'an dernier, près des trois quarts des noyades enregistrées dans le pays avait été causées par l'alcool. Autres victimes de la canicule : les agriculteurs. Près du tiers des terres cultivées en Russie ont été affectées par la sécheresse. Vingt-trois régions du pays ont décrété l'état d'urgence. Troisième exportateur de blé au monde, la Russie devrait en produire 20 % de moins cette année, alors que les prix pourraient augmenter de plus du tiers.
Mokhovoe, région de Moscou - Asséchés par plus d'un mois de canicule presque sans précipitations, des dizaines de milliers d'hectares de forêt et de tourbière sont la proie d'incendies depuis une semaine en Russie. Des villages entiers ont été rasés. Notre collaborateur s'est rendu à Mokhovoe, à 150 km au sud-est de Moscou, où les villageois ont dû se défendre par eux-mêmes du feu, faute d'aide des autorités.
Lorsque les flammes ont commencé à avancer sur Mokhovoe, village situé à 150 km au sud-est de Moscou, jeudi midi, Lioubov Beliakova et ses voisines sont sorties en priant dans les rues poussiéreuses, icônes orthodoxes à la main. « En cinq minutes l'air est devenu noir comme la nuit. La terre brûlait sous nos pieds. Nous avons compris que ça n'augurait rien de bon », raconte la comptable retraitée.
La croix avec l'inscription « Que le Seigneur te protège » plantée à l'entrée du village n'a pas pu le sauver. Et encore moins les autorités russes. Les quelque 150 habitants de Mokhovoe n'ont jamais été prévenus de l'approche de l'incendie et aucune mesure n'a été prise pour les évacuer.
Laissés à eux-mêmes, entourés d'une haute forêt et de tourbières asséchées à l'époque soviétique pour servir de combustible, les villageois ont dû se débrouiller. « Les hommes se sont précipités à l'orée de la forêt pour couper des arbres afin d'empêcher le feu d'avancer », explique Mme Beliakova. Rien à faire. En quelques minutes, le village n'existait plus. Un seul immeuble d'habitation n'a pas été touché par les flammes. Douze maisons et trois édifices ont été détruits. Ceux qui possédaient une voiture ont pu s'enfuir. Mais dans ce village pauvre, peuplé principalement de retraités, certains n'avaient pas ce luxe.
« Ils sont morts asphyxiés dans cette cave. » Maria Mourougova montre le petit abri à légumes bétonné dans le jardin calciné de ses voisins. Ils étaient six à s'y cacher et sont restés piégés lorsque les flammes ont rasé la quasi-totalité des jardins qui nourrissaient le village.
Née à Mokhovoe, Maria Mourougova, ingénieure de 34 ans, habite désormais dans la ville de Kolomna, à 50 km et une traversée de bac du village. « J'ai réussi à venir à temps pour sauver ma mère. Mais pourquoi les gens qui doivent s'occuper de notre sécurité n'ont-ils rien fait ? », enrage-t-elle. « Sous le pouvoir soviétique, c'était mieux organisé. » Elle montre un édifice où habitaient deux vieilles dames. « Elles ont voulu s'enfuir dans la forêt et sont mortes brûlées », avance-t-elle, même si, officiellement, les deux femmes font partie des sept villageois toujours portés disparus. Plus loin, ce sont deux personnes handicapées qui seraient mortes dans leur sous-sol, incapables de se lever. « Les sapeurs ne se sont occupés que de la forêt et ont laissé brûler le village », dénonce Mme Mourougova, appuyée par d'autres habitants. Un pompier mal équipé est pourtant mort en voulant protéger la bourgade.
Poutine visite
Lors d'une visite vendredi dans un autre village ravagé près de Nijni Novgorod, le premier ministre Vladimir Poutine a été accueilli par une foule hystérique accusant le pouvoir d'inaction. L'homme fort du pays a rejeté le blâme sur les administrations locales, exigeant la démission des politiciens « envers lesquels la confiance des citoyens est remise en doute ». Vladimir Poutine a aussi promis de quadrupler l'aide prévue pour les victimes des feux de forêts, à 200 000 roubles (5 000 €) par famille. « Avec cette somme, nous pourrons à peine reconstruire la clôture de notre jardin », estime Lioubov Beliakova, qui ne possédait pas d'assurance, comme le reste des villageois.
À côté d'elle, dans la braise encore fumante de Mokhovoe, des hommes s'affairent à déterrer des pieux de métal calcinés. « Bientôt, les voleurs de ferrailles vont passer », explique l'un d'eux. « Et mieux vaut déjà avoir le matériel quand nous reconstruirons au lieu de le racheter. » Mais reconstruira-t-on Mokhovoe ? Malgré les promesses de Vladimir Poutine de rebâtir les villages affectés « d'ici à cet hiver », les habitants doutent que les autorités voudront investir dans leur bourgade, déjà vieillissante et morose avant l'incendie. Agricole, Mokhovoe ne s'est jamais vraiment remis de la chute du communisme et de la fermeture de l'usine du coin, comme des milliers d'autres villages dans le pays.
Et pour reconstruire, encore faudra-t-il que l'aide se rende jusqu'aux victimes. Samedi, le patriarche orthodoxe Kirill a appelé les fonctionnaires à ne pas détourner les fonds destinés aux victimes, pratique courante dans le pays, rongé par la corruption. « L'argent qui va être versé aux gens est de l'argent sacré. Que personne ne lève la main sur cet argent, car s'enrichir sur le malheur des autres est un grand péché devant Dieu », a-t-il déclaré dans un discours télévisé.
À Mokhovoe, les habitants préfèrent compter sur leurs propres forces au lieu d'attendre une aide hypothétique du gouvernement, qui pourrait être difficile à réclamer en raison de la lourdeur administrative. « De toute façon, c'est impossible qu'ils nous donnent une nouvelle maison (ailleurs). Il y a déjà une pénurie de logements dans le pays, donc ils nous placeront probablement dans des résidences communautaires », dit Mme Beliakova, résignée. Son appartement a été évité par les flammes, mais sans gaz, sans eau, sans électricité et sans jardin, impossible d'y retourner.
Les habitants de Mokhovoe ne sont pas les seuls à s'être retrouvés sans toit au cours des derniers jours en Russie. Quelque 1 875 maisons ont été détruites par les flammes dans quatorze régions du pays, principalement aux abords de la Volga. Le ministère des régions a estimé que 117 millions d'euros seraient nécessaires pour la reconstruction.
Selon un bilan provisoire, 30 personnes sont mortes dans les incendies qui ravagent des centaines de milliers d'hectares de forêts partout dans le pays. Hier, les autorités de l'Extrême-Orient ont annoncé que les flammes gagnaient aussi leur région. En dépit des 240 000 personnes mobilisées pour lutter contre les feux, la situation n'est pas en voie de s'améliorer. Hier matin, 770 foyers d'incendie étaient actifs dans le pays. La veille, il y en avait deux fois moins.
Les prévisions météorologiques ne laissent pas place à l'espoir. La canicule jamais vue qui frappe la Russie depuis plus d'un mois, avec des températures diurnes descendant rarement sous les 30 degrés sur une bonne partie du territoire, devrait se poursuivre au moins une semaine. Aucune forte précipitation n'est prévue pour venir calmer les flammes. Asséchée, la Russie brûle.
UNE CANICULE SANS PRÉCÉDENT
En 160 ans d'observation météorologique, la Russie n'avait jamais connu pareille canicule. Jeudi dernier, le thermomètre a atteint 38,2 degrés à Moscou, battant le précédent record de 37,2, établi... trois jours plus tôt. La semaine dernière, la fumée provenant des feux de tourbières en périphérie de la capitale est venue envelopper la mégalopole de 15 millions d'habitants, rendant l'air difficilement respirable. Selon l'observatoire de la qualité de l'air de Moscou, la pollution atmosphérique dépassait dix fois la norme mercredi. Le brouillard s'est finalement dissipé vendredi, mais des centaines de villes et villages dans la région de Moscou vivent toujours sous un dangereux nuage de fumée. Étrangement, les autorités russes n'ont pas fait état de morts résultant de la chaleur et de la fumée. En 2003, une canicule similaire en Europe avait pourtant causé environ 15 000 décès en France, principalement des personnes âgées vulnérables. Pour combattre la chaleur, chacun a son remède de grand-mère. Même le premier ministre Vladimir Poutine, qui a conseillé aux Russes de boire du thé chaud. « Cela favorise la sudation et aide à supporter le coup de chaleur », a-t-il déclaré. Mais un autre « remède » est plus populaire chez les Russes : l'alcool, pourtant connu pour ses propriétés déshydratantes. En deux mois, près de 2 500 personnes se sont noyées en Russie, à cause des chaleurs excessives qui poussent les Russes à se baigner dans les plans d'eau environnants, souvent en dépit des interdictions et du danger. L'an dernier, près des trois quarts des noyades enregistrées dans le pays avait été causées par l'alcool. Autres victimes de la canicule : les agriculteurs. Près du tiers des terres cultivées en Russie ont été affectées par la sécheresse. Vingt-trois régions du pays ont décrété l'état d'urgence. Troisième exportateur de blé au monde, la Russie devrait en produire 20 % de moins cette année, alors que les prix pourraient augmenter de plus du tiers.
Russie: Mettre les points sur les Ë
Article publié dans les journaux La Croix et La Presse les 29 et 31 juillet.
Перевод на русский на Иносми.ру: Россияне не торопятся ставить точки над "ё"
Moscou, Russie - Mikhaïl Gorbatchev n'a jamais dirigé l'URSS et Alex Kovalev n'a jamais joué pour le Canadien de Montréal. Il s'agissait plutôt de... Gorbatchëv et Kovalëv (prononcés "Gorbatchyov" et "Kovalyov"). Depuis 15 ans, un retraité se bat pour remettre les points sur les "e", jusqu'ici facultatifs dans les textes russes. Une croisade singulière qui pourrait sauver des milliers de personnes d'un cauchemar administratif, raconte notre collaborateur.
Dans l'appartement soviétique de Viktor Tchoumakov, la lettre ë ("yo") est érigée en idole. Sur les murs, sur les draps, dans la bibliothèque. Même les hamsters, Ëchka et Ërik, rendent honneur à la septième lettre de l'alphabet cyrillique.
"C'est une question politique très délicate", lance d'un air grave Viktor Tchoumakov, 77 ans, auteur, historien et "ëficateur en chef" autoproclamé de Russie. "Je suis patriote, et la sauvegarde de la langue doit être l'une des principales priorités étatiques, tout juste après l'intégrité territoriale et la souveraineté."
En 1995, ingénieur électrique fraîchement retraité, M. Tchoumakov rend le manuscrit de son premier livre sur les grands dirigeants russes de l'histoire. Il est alors choqué par la proposition de son éditeur d'éliminer tous les ë de la version finale. C'est que, selon les règles officielles de l'orthographe, le tréma sur le e est facultatif, même si la septième lettre de l'alphabet et sa prononciation sont bien distinctes de la sixième, e, ("yé"), plus répandue.
"J'ai alors compris qu'il fallait que je m'occupe de cela." Pour M. Tchoumakov, il s'agit avant tout d'une question de respect du russe, une langue qui s'écrit comme elle se prononce. Le but est également d'éviter les confusions, même si les locuteurs russes savent reconnaître le ë sans tréma, sauf dans de rares occasions.
Quatre livres sur le ë et des dizaines de lettres aux rédactions et maisons d'édition plus tard, Viktor Tchoumakov accumule les victoires. Plusieurs journaux se sont remis à imprimer la lettre empruntée au français en 1783. La commission parlementaire sur la langue russe, dont il fait partie, a publié un décret il y a trois ans qui rend obligatoire l'utilisation du ë dans les passeports.
Les deux derniers ministres de la Culture le soutiennent, et le président s'est mis à écrire "ë" dans ses discours officiels et sur son site web. À Oulianovsk, ville de naissance de Lénine, un monument en l'honneur du ë a même été érigé en 2005!
Mais certains résistent toujours. C'est le cas du journal officiel Rossiïskaïa Gazeta. "Quand ils publient les lois, ils enlèvent automatiquement les ë à l'aide d'un programme!" enrage M. Tchoumakov. Il a pensé poursuivre la publication en justice, mais les frais que cela aurait entraînés l'ont fait reculer.
Prouver son existence
Les anti-ë le sont surtout par souci d'esthétisme et par paresse, explique Marina Korolëva, animatrice de l'émission linguistique Parlons russe à la radio Écho de Moscou. "Sur les claviers russes des machines à écrire et des ordinateurs, le ë a toujours été à la périphérie, en haut à gauche", ce qui favorise son ostracisme.
Même si elle fait partie des 4% de Russes qui ont la lettre dans leur nom de famille, Mme Korolëva avoue préférer les textes littéraires et journalistiques sans tréma.
Pour les documents officiels, toutefois, c'est une autre histoire. Lors des émissions qu'elle a consacrées au ë, des auditeurs lui ont raconté avoir dû se battre avec les autorités pour prouver leur identité et faire reconnaître leurs avoirs. Sur certains documents, leur nom était inscrit avec un ë, sur d'autres, avec un e.
"À l'époque de l'URSS, il y avait moins de problèmes puisque la propriété privée n'existait pas", relève Mme Korolëva. Mais depuis, des fonctionnaires malhonnêtes font chanter des citoyens pour deux petits points. Certains Russes ont même dû demander un changement de nom pour corriger un nom administrativement sans ë.
"Il doit y avoir une loi pour éviter les confusions, que ce soit pour obliger l'utilisation du ë ou la rendre facultative, plaide Mme Korolëva. Lorsqu'on laisse un flou, ça laisse toute la place à la corruption."
PETITE HISTOIRE DU Ë
> Certains auteurs russes, comme Alexandre Soljenitsyne (L'archipel du Goulag), ont toujours insisté pour que leurs textes soient imprimés avec les points sur les ë. > Le ë a connu son âge d'or entre 1942 et 1953, en raison d'un puissant partisan des deux points: le dictateur soviétique Joseph Staline. "Durant la guerre, la Pravda s'est mise à utiliser le ë parce que Staline voulait éviter les erreurs militaires, raconte Viktor Tchoumakov. Par exemple, pour ne pas qu'une ville calme appelée Berezovka soit bombardée à la place de Berëzovka!" > La Constitution russe compte 103 "fautes" d'orthographe. Toutes des omissions des points sur les ë.
Перевод на русский на Иносми.ру: Россияне не торопятся ставить точки над "ё"
Moscou, Russie - Mikhaïl Gorbatchev n'a jamais dirigé l'URSS et Alex Kovalev n'a jamais joué pour le Canadien de Montréal. Il s'agissait plutôt de... Gorbatchëv et Kovalëv (prononcés "Gorbatchyov" et "Kovalyov"). Depuis 15 ans, un retraité se bat pour remettre les points sur les "e", jusqu'ici facultatifs dans les textes russes. Une croisade singulière qui pourrait sauver des milliers de personnes d'un cauchemar administratif, raconte notre collaborateur.
Dans l'appartement soviétique de Viktor Tchoumakov, la lettre ë ("yo") est érigée en idole. Sur les murs, sur les draps, dans la bibliothèque. Même les hamsters, Ëchka et Ërik, rendent honneur à la septième lettre de l'alphabet cyrillique.
"C'est une question politique très délicate", lance d'un air grave Viktor Tchoumakov, 77 ans, auteur, historien et "ëficateur en chef" autoproclamé de Russie. "Je suis patriote, et la sauvegarde de la langue doit être l'une des principales priorités étatiques, tout juste après l'intégrité territoriale et la souveraineté."
En 1995, ingénieur électrique fraîchement retraité, M. Tchoumakov rend le manuscrit de son premier livre sur les grands dirigeants russes de l'histoire. Il est alors choqué par la proposition de son éditeur d'éliminer tous les ë de la version finale. C'est que, selon les règles officielles de l'orthographe, le tréma sur le e est facultatif, même si la septième lettre de l'alphabet et sa prononciation sont bien distinctes de la sixième, e, ("yé"), plus répandue.
"J'ai alors compris qu'il fallait que je m'occupe de cela." Pour M. Tchoumakov, il s'agit avant tout d'une question de respect du russe, une langue qui s'écrit comme elle se prononce. Le but est également d'éviter les confusions, même si les locuteurs russes savent reconnaître le ë sans tréma, sauf dans de rares occasions.
Quatre livres sur le ë et des dizaines de lettres aux rédactions et maisons d'édition plus tard, Viktor Tchoumakov accumule les victoires. Plusieurs journaux se sont remis à imprimer la lettre empruntée au français en 1783. La commission parlementaire sur la langue russe, dont il fait partie, a publié un décret il y a trois ans qui rend obligatoire l'utilisation du ë dans les passeports.
Les deux derniers ministres de la Culture le soutiennent, et le président s'est mis à écrire "ë" dans ses discours officiels et sur son site web. À Oulianovsk, ville de naissance de Lénine, un monument en l'honneur du ë a même été érigé en 2005!
Mais certains résistent toujours. C'est le cas du journal officiel Rossiïskaïa Gazeta. "Quand ils publient les lois, ils enlèvent automatiquement les ë à l'aide d'un programme!" enrage M. Tchoumakov. Il a pensé poursuivre la publication en justice, mais les frais que cela aurait entraînés l'ont fait reculer.
Prouver son existence
Les anti-ë le sont surtout par souci d'esthétisme et par paresse, explique Marina Korolëva, animatrice de l'émission linguistique Parlons russe à la radio Écho de Moscou. "Sur les claviers russes des machines à écrire et des ordinateurs, le ë a toujours été à la périphérie, en haut à gauche", ce qui favorise son ostracisme.
Même si elle fait partie des 4% de Russes qui ont la lettre dans leur nom de famille, Mme Korolëva avoue préférer les textes littéraires et journalistiques sans tréma.
Pour les documents officiels, toutefois, c'est une autre histoire. Lors des émissions qu'elle a consacrées au ë, des auditeurs lui ont raconté avoir dû se battre avec les autorités pour prouver leur identité et faire reconnaître leurs avoirs. Sur certains documents, leur nom était inscrit avec un ë, sur d'autres, avec un e.
"À l'époque de l'URSS, il y avait moins de problèmes puisque la propriété privée n'existait pas", relève Mme Korolëva. Mais depuis, des fonctionnaires malhonnêtes font chanter des citoyens pour deux petits points. Certains Russes ont même dû demander un changement de nom pour corriger un nom administrativement sans ë.
"Il doit y avoir une loi pour éviter les confusions, que ce soit pour obliger l'utilisation du ë ou la rendre facultative, plaide Mme Korolëva. Lorsqu'on laisse un flou, ça laisse toute la place à la corruption."
PETITE HISTOIRE DU Ë
> Certains auteurs russes, comme Alexandre Soljenitsyne (L'archipel du Goulag), ont toujours insisté pour que leurs textes soient imprimés avec les points sur les ë. > Le ë a connu son âge d'or entre 1942 et 1953, en raison d'un puissant partisan des deux points: le dictateur soviétique Joseph Staline. "Durant la guerre, la Pravda s'est mise à utiliser le ë parce que Staline voulait éviter les erreurs militaires, raconte Viktor Tchoumakov. Par exemple, pour ne pas qu'une ville calme appelée Berezovka soit bombardée à la place de Berëzovka!" > La Constitution russe compte 103 "fautes" d'orthographe. Toutes des omissions des points sur les ë.
Iouri Volkov: martyr des nationalistes russes
Article publié dans les journaux Le Soir et La Presse les 29 et 30 juillet 2010.
Moscou - Le 14 juillet, Iouri Volkov devait célébrer ses 23 ans. Tué dans une bagarre par un jeune Tchétchène, il a plutôt eu droit à des funérailles, devenant malgré lui martyr de la cause nationaliste russe, raconte notre collaborateur.
Au pied de la station de métro Tchistie Proudy, dans le centre de Moscou, les photos de Iouri Volkov sont entourées de centaines de bouquets de fleurs, d'écharpes du Spartak, son équipe de soccer préférée, et de slogans nationalistes comme "Mort aux non-Russes".
À quelques mètres de là, dans la nuit du 9 au 10 juillet, le jeune assistant à la réalisation de la chaîne de télévision d'État Rossiya-2 était en train de dire au revoir à ses amis après un concert quand trois jeunes Tchétchènes ont passé tout près. L'un d'eux a heurté l'épaule d'un ami de Iouri, vraisemblablement par mégarde. "Quoi, il n'y a pas assez de place, ici?" a protesté l'ami, avant de recevoir un coup de poing au visage. La bagarre a éclaté. Quelques secondes plus tard, Iouri Volkov, frappé mortellement d'un coup de couteau au coeur, s'est écroulé.
Ses copains ont réussi à rattraper et à neutraliser les trois assaillants avec l'aide d'agents de la circulation. Magomed Souleïmanov, 24 ans, a reconnu le crime et remis son couteau aux forces de l'ordre. Ses deux compagnons ont été libérés sous conditions.
Volkov, le martyr
Depuis, les membres du fan-club du Spartak, dont faisait partie Volkov, s'activent. Parmi eux, plusieurs nationalistes. Pour eux, l'assassin n'est pas seulement un criminel, mais le représentant d'une diaspora mal aimée et accusée de tous les maux.
En deux semaines, ils ont organisé trois rassemblements à la mémoire de Volkov à la station Tchistie Proudy, réunissant chaque fois plusieurs centaines de personnes. Au cours de l'une de ces manifestations, un marchand "non russe" de DVD installé tout près a été attaqué.
Même si les regroupements n'étaient pas autorisés, les policiers ne les ont pas empêchés. Les slogans haineux envers les "ennemis" du peuple russe tapissent maintenant les murs de la station.
Pourtant, Iouri Volkov n'était pas un extrémiste de droite, rappelle Galina Kojevnikova, vice-directrice du centre Sova, une ONG qui étudie les mouvements racistes en Russie. "C'est encore mieux pour les nationalistes. Ils peuvent plus facilement l'utiliser comme victime innocente pour faire leur propagande."
Les meurtres ou blessures graves à la suite d'une bête altercation ne sont pas chose si rare en Russie, rappelle Mme Kojevnikova. "Il y a plein de gens dangereux à Moscou. Et ce ne sont pas que des Tchétchènes!"
Mise en liberté
Dimanche, le présumé meurtrier de Iouri Volkov a été mis en liberté, ce qui a ravivé la colère des amis du jeune homme et des nationalistes. Selon eux, des membres influents de la diaspora tchétchène ont fait pression auprès des forces de l'ordre pour étouffer l'affaire. Ils assurent en outre que la famille Volkov reçoit des menaces de la part d'inconnus.
Devant les objets à la mémoire de Iouri Volkov, mercredi après-midi, un supporteur du Spartak montait la garde alors que des passants curieux s'arrêtaient pour lire les inscriptions nationalistes.
"Nous sommes pacifistes", assure Sergueï Pozdniakov, 27 ans, qui connaissait vaguement Iouri. Selon lui, les nationalistes sont en minorité dans le fan-club du Spartak, généralement "apolitique et neutre".
Le discours de Sergueï est tout de même ambigu. "Nous avons un pays multiethnique, nous devons nous assurer qu'il n'y ait pas d'autres crimes racistes", dit Sergueï, avant d'ajouter: "Ce sont les Tchétchènes qui provoquent les incidents. Ils veulent montrer qu'ils sont puissants, ici. Nous nous baladons les mains vides, et eux, ils trimballent des armes blanches."
Sergueï croit que les amis de Iouri doivent poursuivre leurs actions pour obliger la police russe, réputée corrompue et inefficace, à aller jusqu'au bout de l'affaire. "Il faut s'assurer que le crime ne restera pas impuni."
CRIMES RACISTES
Au cours de la première moitié de 2010, 167 personnes ont été victimes de crimes à caractère raciste en Russie. Dix-neuf d'entre elles sont mortes. La plupart étaient des travailleurs migrants en provenance de l'Asie centrale postsoviétique et des militants antifascistes. Les attaques racistes sont tout de même en baisse constante, particulièrement à Moscou. C'est que, depuis deux ans, les forces de l'ordre ont réellement commencé à arrêter les responsables de violence raciale, même si plusieurs crimes demeurent impunis. Les nationalistes ont répliqué en appelant au terrorisme contre le pouvoir, qui ne défend pas assez la "nation russe", à leur avis.
Moscou - Le 14 juillet, Iouri Volkov devait célébrer ses 23 ans. Tué dans une bagarre par un jeune Tchétchène, il a plutôt eu droit à des funérailles, devenant malgré lui martyr de la cause nationaliste russe, raconte notre collaborateur.
Au pied de la station de métro Tchistie Proudy, dans le centre de Moscou, les photos de Iouri Volkov sont entourées de centaines de bouquets de fleurs, d'écharpes du Spartak, son équipe de soccer préférée, et de slogans nationalistes comme "Mort aux non-Russes".
À quelques mètres de là, dans la nuit du 9 au 10 juillet, le jeune assistant à la réalisation de la chaîne de télévision d'État Rossiya-2 était en train de dire au revoir à ses amis après un concert quand trois jeunes Tchétchènes ont passé tout près. L'un d'eux a heurté l'épaule d'un ami de Iouri, vraisemblablement par mégarde. "Quoi, il n'y a pas assez de place, ici?" a protesté l'ami, avant de recevoir un coup de poing au visage. La bagarre a éclaté. Quelques secondes plus tard, Iouri Volkov, frappé mortellement d'un coup de couteau au coeur, s'est écroulé.
Ses copains ont réussi à rattraper et à neutraliser les trois assaillants avec l'aide d'agents de la circulation. Magomed Souleïmanov, 24 ans, a reconnu le crime et remis son couteau aux forces de l'ordre. Ses deux compagnons ont été libérés sous conditions.
Volkov, le martyr
Depuis, les membres du fan-club du Spartak, dont faisait partie Volkov, s'activent. Parmi eux, plusieurs nationalistes. Pour eux, l'assassin n'est pas seulement un criminel, mais le représentant d'une diaspora mal aimée et accusée de tous les maux.
En deux semaines, ils ont organisé trois rassemblements à la mémoire de Volkov à la station Tchistie Proudy, réunissant chaque fois plusieurs centaines de personnes. Au cours de l'une de ces manifestations, un marchand "non russe" de DVD installé tout près a été attaqué.
Même si les regroupements n'étaient pas autorisés, les policiers ne les ont pas empêchés. Les slogans haineux envers les "ennemis" du peuple russe tapissent maintenant les murs de la station.
Pourtant, Iouri Volkov n'était pas un extrémiste de droite, rappelle Galina Kojevnikova, vice-directrice du centre Sova, une ONG qui étudie les mouvements racistes en Russie. "C'est encore mieux pour les nationalistes. Ils peuvent plus facilement l'utiliser comme victime innocente pour faire leur propagande."
Les meurtres ou blessures graves à la suite d'une bête altercation ne sont pas chose si rare en Russie, rappelle Mme Kojevnikova. "Il y a plein de gens dangereux à Moscou. Et ce ne sont pas que des Tchétchènes!"
Mise en liberté
Dimanche, le présumé meurtrier de Iouri Volkov a été mis en liberté, ce qui a ravivé la colère des amis du jeune homme et des nationalistes. Selon eux, des membres influents de la diaspora tchétchène ont fait pression auprès des forces de l'ordre pour étouffer l'affaire. Ils assurent en outre que la famille Volkov reçoit des menaces de la part d'inconnus.
Devant les objets à la mémoire de Iouri Volkov, mercredi après-midi, un supporteur du Spartak montait la garde alors que des passants curieux s'arrêtaient pour lire les inscriptions nationalistes.
"Nous sommes pacifistes", assure Sergueï Pozdniakov, 27 ans, qui connaissait vaguement Iouri. Selon lui, les nationalistes sont en minorité dans le fan-club du Spartak, généralement "apolitique et neutre".
Le discours de Sergueï est tout de même ambigu. "Nous avons un pays multiethnique, nous devons nous assurer qu'il n'y ait pas d'autres crimes racistes", dit Sergueï, avant d'ajouter: "Ce sont les Tchétchènes qui provoquent les incidents. Ils veulent montrer qu'ils sont puissants, ici. Nous nous baladons les mains vides, et eux, ils trimballent des armes blanches."
Sergueï croit que les amis de Iouri doivent poursuivre leurs actions pour obliger la police russe, réputée corrompue et inefficace, à aller jusqu'au bout de l'affaire. "Il faut s'assurer que le crime ne restera pas impuni."
CRIMES RACISTES
Au cours de la première moitié de 2010, 167 personnes ont été victimes de crimes à caractère raciste en Russie. Dix-neuf d'entre elles sont mortes. La plupart étaient des travailleurs migrants en provenance de l'Asie centrale postsoviétique et des militants antifascistes. Les attaques racistes sont tout de même en baisse constante, particulièrement à Moscou. C'est que, depuis deux ans, les forces de l'ordre ont réellement commencé à arrêter les responsables de violence raciale, même si plusieurs crimes demeurent impunis. Les nationalistes ont répliqué en appelant au terrorisme contre le pouvoir, qui ne défend pas assez la "nation russe", à leur avis.
Guerre médiatique entre Loukachenko et le Kremlin
Article publié dans la chronique «Les gens» du journal Le Soir le 27 juillet 2010
Il était l'un des plus fidèles alliés de Moscou. Mais les caprices du président biélorusse commencent à irriter le Kremlin, qui cherche tranquillement à l'éjecter du pouvoir. Première étape : la guerre médiatique. Début juillet, la chaîne russe NTV diffuse un documentaire compromettant sur le « Batka » (« petit père »), au pouvoir depuis 1993 dans son ex-république soviétique. Le film rappelle notamment la disparition d'opposants biélorusses à la fin des années 90. Rien de neuf dans les accusations, si ce n'est qu'elles sont diffusées à la télévision russe, contrôlée de près par le Kremlin.
Loukachenko n'a pas mis de temps à comprendre le signal. Mais loin de vouloir calmer le jeu, le bouillant président autoritaire réplique. Quelques jours plus tard, un journal gouvernemental reprend des extraits d'un vieux pamphlet de l'opposition russe sur les magouilles du Premier ministre Vladimir Poutine. Le 15 juillet, Loukachenko frappe encore plus fort : la télévision d'État biélorusse diffuse à une heure de grande écoute une interview du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. La bête noire de Moscou en profite pour lancer sa diatribe habituelle contre le Kremlin.
Les relations entre Minsk et Moscou sont au plus bas. Le mois dernier, la Russie a réclamé une dette gazière de 187 millions de dollars. Loukachenko a répliqué en exigeant le paiement de 260 millions de dollars pour le transit du gaz russe destiné à l'Europe. Loukachenko a bien essayé de se rapprocher de l'Occident, mais le très soviétique ex-directeur de kolkhoze n'arrive pas à faire oublier son image de « dernier dictateur d'Europe » à Bruxelles et à Washington.
À l'horizon : la prochaine élection présidentielle biélorusse, au plus tard en début d'année 2011. Si le Kremlin se joint à l'Europe pour dénoncer une autre victoire frauduleuse de Loukachenko, ses jours à la présidence pourraient être comptés...
Il était l'un des plus fidèles alliés de Moscou. Mais les caprices du président biélorusse commencent à irriter le Kremlin, qui cherche tranquillement à l'éjecter du pouvoir. Première étape : la guerre médiatique. Début juillet, la chaîne russe NTV diffuse un documentaire compromettant sur le « Batka » (« petit père »), au pouvoir depuis 1993 dans son ex-république soviétique. Le film rappelle notamment la disparition d'opposants biélorusses à la fin des années 90. Rien de neuf dans les accusations, si ce n'est qu'elles sont diffusées à la télévision russe, contrôlée de près par le Kremlin.
Loukachenko n'a pas mis de temps à comprendre le signal. Mais loin de vouloir calmer le jeu, le bouillant président autoritaire réplique. Quelques jours plus tard, un journal gouvernemental reprend des extraits d'un vieux pamphlet de l'opposition russe sur les magouilles du Premier ministre Vladimir Poutine. Le 15 juillet, Loukachenko frappe encore plus fort : la télévision d'État biélorusse diffuse à une heure de grande écoute une interview du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. La bête noire de Moscou en profite pour lancer sa diatribe habituelle contre le Kremlin.
Les relations entre Minsk et Moscou sont au plus bas. Le mois dernier, la Russie a réclamé une dette gazière de 187 millions de dollars. Loukachenko a répliqué en exigeant le paiement de 260 millions de dollars pour le transit du gaz russe destiné à l'Europe. Loukachenko a bien essayé de se rapprocher de l'Occident, mais le très soviétique ex-directeur de kolkhoze n'arrive pas à faire oublier son image de « dernier dictateur d'Europe » à Bruxelles et à Washington.
À l'horizon : la prochaine élection présidentielle biélorusse, au plus tard en début d'année 2011. Si le Kremlin se joint à l'Europe pour dénoncer une autre victoire frauduleuse de Loukachenko, ses jours à la présidence pourraient être comptés...
Aux arbres, citoyens
Article publié dans La Croix, Le Soir et La Presse entre le 23 et le 27 juillet 2010.
Перевод на русский от Иносми.ру: Жители Химок на защите леса
Khimki, Russie - Dans un rare élan d'engagement citoyen en Russie, les habitants d'une banlieue moscovite ont fait arrêter la coupe d'une vaste forêt, qui doit laisser passer une autoroute. La détermination des citoyens a suscité l'étonnement et fait naître l'espoir d'une société civile capable de se faire entendre... Notre correspondant est allé à leur rencontre.
"Nous allons rester ici jusqu'à ce qu'ils modifient le tracé!" Le ton assuré, Evguenia Tchirikova, la charismatique leader du Mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, s'adresse à sa petite armée de militants en train de casser la croûte autour des six tentes d'un campement.
Les habitants de Khimki, ville-dortoir de 180 000 habitants, sont en guerre depuis quelques années. Leurs ennemis: l'Agence fédérale des routes (Rosavtodor), responsable du projet, et la firme française Vinci, mandatée pour construire le premier tronçon de l'autoroute à péage Moscou-Saint-Pétersbourg. Selon le tracé actuel, l'autoroute coupera en deux les 1000 hectares de la luxuriante forêt de Khimki, menaçant l'écosystème de ce poumon de la capitale.
Jusqu'ici, l'histoire des habitants de Khimki ressemble à des milliers de mobilisations citoyennes. La différence est que cette opération se déroule en Russie, où une telle opposition au pouvoir est assez rare. Pour cause.
La détermination des habitants de Khimki a déjà coûté cher à l'un d'entre eux. En novembre 2008, le journaliste local Mikhaïl Beketov, qui appuyait Evguenia Tchirikova et sa bande, a été trouvé près de sa maison, baignant dans son sang depuis plusieurs heures. Il a survécu, mais il a fallu lui amputer une jambe et plusieurs doigts gelés. Il conserve des séquelles importantes au cerveau et ne peut prononcer que quelques mots. On n'a jamais su qui l'avait agressé, mais ses amis accusent à mots couverts le maire de leur ville d'avoir voulu le faire taire.
Malgré les menaces, Evguenia Tchirikova, qui s'est installée à Khimki justement pour fuir la pollution du centre-ville, n'a jamais baissé les bras.
"Nous sommes pour l'autoroute, mais on ne veut pas qu'elle tue le poumon de la ville, explique-t-elle. Nous ne nous battons pas que pour nous-mêmes, mais pour tous les Moscovites." Moscou est l'une des rares capitales au monde encore entourées d'une luxuriante ceinture verte.
En face du campement, des billots de bois sont cordés devant sept hectares dénudés où de grands chênes se dressaient encore il y a quelques jours. Il y a deux semaines, un membre du mouvement a remarqué par hasard une affiche qui disait "Attention, coupe forestière", près de l'aéroport Cheremetyevo. À l'arrivée des militants sur les lieux, les travailleurs migrants qui abattaient les arbres ont refusé de montrer leurs papiers et ont pris la fuite.
Une trentaine d'habitants de Khimki et autres militants écologistes se sont donc relayés jour et nuit dans le campement improvisé pour empêcher la reprise des travaux. Les journalistes russes, même ceux des médias officiels, suivent l'affaire avec intérêt.
Soupçons de corruption
Pendant plus d'une semaine, Rosavtodor s'est contentée de déclarer que la coupe était légale, sans faire appel aux autorités policières pour tenter de déloger les militants.
Dans un communiqué, l'agence a expliqué qu'elle n'a pas besoin de permis particulier pour la coupe puisque, en novembre dernier, le gouvernement russe a transformé 144 hectares de la forêt protégée de Khimki en terres exploitables.
Vrai. Mais c'est justement ce changement de zonage que les militants contestent. Appuyés par Transparency International, ils assurent que le processus laissait place à la corruption. Selon la loi russe, on ne peut exploiter une aire protégée si une autre option est possible. Les militants ont proposé un autre tracé, qui aurait limité les impacts sur la forêt, mais les autorités le jugent trop cher.
Même l'opposition libérale ne croyait pas vraiment aux chances des citoyens de Khimki de faire cesser les travaux. Sur son blogue, Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l'Énergie devenu l'un des leaders du mouvement d'opposition Solidarnost, a reconnu qu'il avait longtemps douté de leur réussite. "S'ils réussissent à interrompre définitivement cette coupe illégale, ce sera une grande victoire sur l'arbitraire du pouvoir."
Vers 5h du matin vendredi, une cinquantaine de jeunes cagoulés ont envahi le campement et ont tabassé les militants. À l'arrivée des policiers, les assaillants avaient déjà pris la fuite et les agents ont arrêté... les écologistes, pour avoir illégalement allumé des feux de camp et essayé d'empêcher leur départ en se couchant devant leurs voitures.
En fin de journée, la coupe de bois avait repris.
Mais Evguenia Tchirikova et sa bande n'avaient pas dit leur dernier mot. Hier, ils étaient de retour dans la forêt, encore plus forts, accompagnés d'un député et du légendaire musicien rock d'opposition Iouri Chevtchouk. Et encore une fois, la coupe était interrompue.
Перевод на русский от Иносми.ру: Жители Химок на защите леса
Khimki, Russie - Dans un rare élan d'engagement citoyen en Russie, les habitants d'une banlieue moscovite ont fait arrêter la coupe d'une vaste forêt, qui doit laisser passer une autoroute. La détermination des citoyens a suscité l'étonnement et fait naître l'espoir d'une société civile capable de se faire entendre... Notre correspondant est allé à leur rencontre.
"Nous allons rester ici jusqu'à ce qu'ils modifient le tracé!" Le ton assuré, Evguenia Tchirikova, la charismatique leader du Mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, s'adresse à sa petite armée de militants en train de casser la croûte autour des six tentes d'un campement.
Les habitants de Khimki, ville-dortoir de 180 000 habitants, sont en guerre depuis quelques années. Leurs ennemis: l'Agence fédérale des routes (Rosavtodor), responsable du projet, et la firme française Vinci, mandatée pour construire le premier tronçon de l'autoroute à péage Moscou-Saint-Pétersbourg. Selon le tracé actuel, l'autoroute coupera en deux les 1000 hectares de la luxuriante forêt de Khimki, menaçant l'écosystème de ce poumon de la capitale.
Jusqu'ici, l'histoire des habitants de Khimki ressemble à des milliers de mobilisations citoyennes. La différence est que cette opération se déroule en Russie, où une telle opposition au pouvoir est assez rare. Pour cause.
La détermination des habitants de Khimki a déjà coûté cher à l'un d'entre eux. En novembre 2008, le journaliste local Mikhaïl Beketov, qui appuyait Evguenia Tchirikova et sa bande, a été trouvé près de sa maison, baignant dans son sang depuis plusieurs heures. Il a survécu, mais il a fallu lui amputer une jambe et plusieurs doigts gelés. Il conserve des séquelles importantes au cerveau et ne peut prononcer que quelques mots. On n'a jamais su qui l'avait agressé, mais ses amis accusent à mots couverts le maire de leur ville d'avoir voulu le faire taire.
Malgré les menaces, Evguenia Tchirikova, qui s'est installée à Khimki justement pour fuir la pollution du centre-ville, n'a jamais baissé les bras.
"Nous sommes pour l'autoroute, mais on ne veut pas qu'elle tue le poumon de la ville, explique-t-elle. Nous ne nous battons pas que pour nous-mêmes, mais pour tous les Moscovites." Moscou est l'une des rares capitales au monde encore entourées d'une luxuriante ceinture verte.
En face du campement, des billots de bois sont cordés devant sept hectares dénudés où de grands chênes se dressaient encore il y a quelques jours. Il y a deux semaines, un membre du mouvement a remarqué par hasard une affiche qui disait "Attention, coupe forestière", près de l'aéroport Cheremetyevo. À l'arrivée des militants sur les lieux, les travailleurs migrants qui abattaient les arbres ont refusé de montrer leurs papiers et ont pris la fuite.
Une trentaine d'habitants de Khimki et autres militants écologistes se sont donc relayés jour et nuit dans le campement improvisé pour empêcher la reprise des travaux. Les journalistes russes, même ceux des médias officiels, suivent l'affaire avec intérêt.
Soupçons de corruption
Pendant plus d'une semaine, Rosavtodor s'est contentée de déclarer que la coupe était légale, sans faire appel aux autorités policières pour tenter de déloger les militants.
Dans un communiqué, l'agence a expliqué qu'elle n'a pas besoin de permis particulier pour la coupe puisque, en novembre dernier, le gouvernement russe a transformé 144 hectares de la forêt protégée de Khimki en terres exploitables.
Vrai. Mais c'est justement ce changement de zonage que les militants contestent. Appuyés par Transparency International, ils assurent que le processus laissait place à la corruption. Selon la loi russe, on ne peut exploiter une aire protégée si une autre option est possible. Les militants ont proposé un autre tracé, qui aurait limité les impacts sur la forêt, mais les autorités le jugent trop cher.
Même l'opposition libérale ne croyait pas vraiment aux chances des citoyens de Khimki de faire cesser les travaux. Sur son blogue, Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l'Énergie devenu l'un des leaders du mouvement d'opposition Solidarnost, a reconnu qu'il avait longtemps douté de leur réussite. "S'ils réussissent à interrompre définitivement cette coupe illégale, ce sera une grande victoire sur l'arbitraire du pouvoir."
Vers 5h du matin vendredi, une cinquantaine de jeunes cagoulés ont envahi le campement et ont tabassé les militants. À l'arrivée des policiers, les assaillants avaient déjà pris la fuite et les agents ont arrêté... les écologistes, pour avoir illégalement allumé des feux de camp et essayé d'empêcher leur départ en se couchant devant leurs voitures.
En fin de journée, la coupe de bois avait repris.
Mais Evguenia Tchirikova et sa bande n'avaient pas dit leur dernier mot. Hier, ils étaient de retour dans la forêt, encore plus forts, accompagnés d'un député et du légendaire musicien rock d'opposition Iouri Chevtchouk. Et encore une fois, la coupe était interrompue.
lundi 2 août 2010
Les États-Unis et la Russie troquent leurs espions à Vienne
Article publié dans Le Figaro le 10 juillet 2010.
L'échange des agents a eu lieu hier après-midi à l'aéroport de Vienne, haut lieu de l'espionnage durant la guerre froide. Mais l'esprit de suspicion qui régnait autrefois entre Russes et Américains n'était plus que l'ombre de lui- même. Le scénario écrit rapidement en coulisse par les autorités américaines et russes au cours des derniers jours s'est déroulé comme prévu.
Quelques heures après le troc, les dix espions russes arrêtés par les autorités américaines le 28 juin atterrissaient à Moscou. Ils avaient quitté New York jeudi soir, tout de suite après un procès expéditif dans lequel ils avaient tous reconnu avoir participé à une « conspiration pour agir en tant qu'agent d'un gouvernement étranger sans être dûment enregistré ».
Pendant ce temps, à Moscou, en plein milieu de la nuit, le président Dmitri Medvedev graciait quatre citoyens russes qui purgeaient de longues peines de prison, trois d'entre eux pour espionnage au profit de puissances occidentales : le scientifique Igor Soutiaguine, expert en armement, arrêté en 1999, Aleksander Zaporojski, ex-agent des services de renseignement extérieur russe, emprisonné depuis 2003, et Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire condamné en 2006 à treize ans de prison.
Les médias russes s'expliquaient toutefois mal hier la présence de Gennady Vassilenko sur la liste des graciés. Cet ancien agent éphémère du KGB avait été arrêté une première fois en 1989, soupçonné d'avoir entretenu des liens avec la CIA, puis relâché l'année suivante. Reconverti dans la sécurité privée, il avait été arrêté et jugé à nouveau en 2006, officiellement pour possession illégale d'armes.
Durant les deux semaines qu'aura duré le scandale d'espionnage, la Maison-Blanche et le Kremlin se sont montrés avares de commentaires. Une fois le problème résolu, ils n'ont pas caché leur soulagement d'avoir su éviter l'écueil, qui aurait pu constituer un énième refroidissement des relations toujours fragiles entre les deux pays.
« Cette action a été accomplie dans le contexte général de l'amélioration des relations russo-américaines », a fait savoir clairement le ministère des Affaires étrangères russe dans un communiqué laconique publié hier matin.
Pour les Russes, l'incident d'espionnage est désormais clos. Selon eux, les liens entre Washington et Moscou pourraient même en ressortir raffermis.
Clause de confidentialité
À Moscou, experts comme officiels laissent entendre depuis le début du scandale que l'arrestation des espions visait avant tout à déstabiliser l'Administration Obama. Des éléments conservateurs dans l'appareil de sécurité américain auraient ainsi souhaité embêter le président et empêcher un rapprochement russo-américain.
Si la Maison-Blanche se réjouissait elle aussi que le scandale d'espionnage ait été résolu si rapidement, elle a prévenu qu'elle ne comptait pas baisser la garde pour autant. En interview à la télévision publique PBS, le chef de cabinet du président Obama, Rahm Emanuel, a indiqué que l'arrestation des espions « lance un signal clair, non seulement à la Russie mais aux autres pays qui voudraient essayer (d'envoyer des espions), que nous les surveillons ».
L'attention se portera maintenant vers les ex-espions et leur nouvelle vie. Vicky Pelaez, la journaliste d'origine péruvienne qui serait la seule non-Russe des 10 espions expulsés vers Moscou, hier, s'est fait offrir, selon son avocat, un logement gratuit dans la capitale russe, des visas pour ses enfants et une pension à vie de 2000 $. Elle a indiqué qu'elle comptait plutôt retourner dans son pays natal.
Mieux vaut ne pas attendre non plus sur les tablettes un récit d'espionnage signé Anna Chapman, cette belle rousse de 28 ans dont la vie privée a été largement étalée dans la presse : avant de quitter les États-Unis, les dix agents ont dû signer un document leur interdisant de révéler les détails de leur vie d'espion pour des fins commerciales.
L'échange des agents a eu lieu hier après-midi à l'aéroport de Vienne, haut lieu de l'espionnage durant la guerre froide. Mais l'esprit de suspicion qui régnait autrefois entre Russes et Américains n'était plus que l'ombre de lui- même. Le scénario écrit rapidement en coulisse par les autorités américaines et russes au cours des derniers jours s'est déroulé comme prévu.
Quelques heures après le troc, les dix espions russes arrêtés par les autorités américaines le 28 juin atterrissaient à Moscou. Ils avaient quitté New York jeudi soir, tout de suite après un procès expéditif dans lequel ils avaient tous reconnu avoir participé à une « conspiration pour agir en tant qu'agent d'un gouvernement étranger sans être dûment enregistré ».
Pendant ce temps, à Moscou, en plein milieu de la nuit, le président Dmitri Medvedev graciait quatre citoyens russes qui purgeaient de longues peines de prison, trois d'entre eux pour espionnage au profit de puissances occidentales : le scientifique Igor Soutiaguine, expert en armement, arrêté en 1999, Aleksander Zaporojski, ex-agent des services de renseignement extérieur russe, emprisonné depuis 2003, et Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire condamné en 2006 à treize ans de prison.
Les médias russes s'expliquaient toutefois mal hier la présence de Gennady Vassilenko sur la liste des graciés. Cet ancien agent éphémère du KGB avait été arrêté une première fois en 1989, soupçonné d'avoir entretenu des liens avec la CIA, puis relâché l'année suivante. Reconverti dans la sécurité privée, il avait été arrêté et jugé à nouveau en 2006, officiellement pour possession illégale d'armes.
Durant les deux semaines qu'aura duré le scandale d'espionnage, la Maison-Blanche et le Kremlin se sont montrés avares de commentaires. Une fois le problème résolu, ils n'ont pas caché leur soulagement d'avoir su éviter l'écueil, qui aurait pu constituer un énième refroidissement des relations toujours fragiles entre les deux pays.
« Cette action a été accomplie dans le contexte général de l'amélioration des relations russo-américaines », a fait savoir clairement le ministère des Affaires étrangères russe dans un communiqué laconique publié hier matin.
Pour les Russes, l'incident d'espionnage est désormais clos. Selon eux, les liens entre Washington et Moscou pourraient même en ressortir raffermis.
Clause de confidentialité
À Moscou, experts comme officiels laissent entendre depuis le début du scandale que l'arrestation des espions visait avant tout à déstabiliser l'Administration Obama. Des éléments conservateurs dans l'appareil de sécurité américain auraient ainsi souhaité embêter le président et empêcher un rapprochement russo-américain.
Si la Maison-Blanche se réjouissait elle aussi que le scandale d'espionnage ait été résolu si rapidement, elle a prévenu qu'elle ne comptait pas baisser la garde pour autant. En interview à la télévision publique PBS, le chef de cabinet du président Obama, Rahm Emanuel, a indiqué que l'arrestation des espions « lance un signal clair, non seulement à la Russie mais aux autres pays qui voudraient essayer (d'envoyer des espions), que nous les surveillons ».
L'attention se portera maintenant vers les ex-espions et leur nouvelle vie. Vicky Pelaez, la journaliste d'origine péruvienne qui serait la seule non-Russe des 10 espions expulsés vers Moscou, hier, s'est fait offrir, selon son avocat, un logement gratuit dans la capitale russe, des visas pour ses enfants et une pension à vie de 2000 $. Elle a indiqué qu'elle comptait plutôt retourner dans son pays natal.
Mieux vaut ne pas attendre non plus sur les tablettes un récit d'espionnage signé Anna Chapman, cette belle rousse de 28 ans dont la vie privée a été largement étalée dans la presse : avant de quitter les États-Unis, les dix agents ont dû signer un document leur interdisant de révéler les détails de leur vie d'espion pour des fins commerciales.
Moscou et Washington vont échanger leurs espions
Article publié dans Le Figaro, le 9 juillet 2010.
Dès hier, un scientifique russe, accusé d'aider la CIA, a été transféré à Vienne.
ESPIONNAGE Moscou et Washington veulent en finir au plus vite avec le scandale qui éclabousse les relations bilatérales depuis deux semaines. Les Russes ont accepté de libérer quatre prisonniers convaincus d'espionnage pour des puissances occidentales, indiquait en fin d'après-midi le ministère américain de la Justice. En échange, les Américains devraient transférer en Russie les dix personnes arrêtées par le FBI le 28 juin dernier aux États-Unis et accusées d'avoir collaboré avec le Service des renseignements extérieurs russe (SVR). Le onzième, Christopher Metsos, a pris le large après avoir été libéré sous caution à Chypre.
Un premier échange a eu lieu dès hier. Le scientifique Igor Soutiaguine, arrêté en 1999 pour espionnage au profit des Britanniques et des Américains, a appelé son père hier après-midi pour lui confirmer son arrivée en Autriche. De là, il devait s'envoler vers Londres, escorté par un officiel britannique, où il sera libéré. Durant la nuit, la présumée espionne Anna Chapman, jolie rousse de 28 ans, devrait être, de son côté, escortée incognito de New York jusqu'à Moscou.
C'est la famille d'Igor Soutiaguine qui a révélé les tractations en cours. Un porte-parole du département d'État américain s'est limité à reconnaître que le sort des espions avait été discuté entre des représentants des deux pays. Tout comme les autorités russes. Les proches et l'avocate d'Igor Soutiaguine ont indiqué que le chercheur avait été transféré en début de semaine de sa prison dans le nord du pays vers Moscou. Les autorités russes lui ont proposé de signer un document où il confirme sa culpabilité, en échange de quoi il est gracié et expulsé du pays. Le tout s'est déroulé en présence de diplomates américains, selon la famille, qui a pu rencontrer le chercheur mardi.
Igor Soutiaguine, qui a toujours nié avoir été un espion, a indiqué à ses proches qu'il avait pu prendre connaissance d'une liste initiale de dix autres personnes qui pouvaient être échangées avec lui. Il n'a cité que quelques noms, dont ceux de Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire russe, et Aleksander Zaporojski, ex-agent du Service de renseignements extérieurs. Selon Soutiaguine, l'idée de cet échange est venue des autorités américaines. Puisqu'aucun Américain n'est actuellement détenu en Russie pour espionnage, les prisonniers rendus par Moscou devraient tous être des citoyens russes. Aucune loi en Russie et aux États-Unis ne prévoyant un tel échange, la décision a dû être prise dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Un processus semé d'embûches
La Maison-Blanche et le Kremlin se montrent jusqu'ici peu loquaces. Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences, estime que « les deux pays ne veulent pas nuire à leur rapprochement » initié par Barack Obama. Kremeniouk connaît bien Igor Soutiaguine. Avant d'être arrêté pour espionnage en 1999, Soutiaguine était chercheur spécialisé en armement pour son institut. « Plusieurs des accusations à son encontre sont de la pure invention », affirme Kremeniouk.
Selon toute vraisemblance, Soutiaguine, comme les présumés espions arrêtés aux États-Unis, ne détient pas d'informations sensibles et ne représente donc pas une menace pour la sécurité nationale russe. Kremeniouk estime que la conclusion rapide de cette affaire « ne signifie pas pour autant que les relations russo-américaines ont un avenir radieux devant elles. » Le rapprochement bilatéral « sera toujours parsemé d'embûches. Il y a des gens des deux côtés, formés durant la guerre froide, qui veulent faire dérailler le processus », allusion aux conservateurs américains.
Dès hier, un scientifique russe, accusé d'aider la CIA, a été transféré à Vienne.
ESPIONNAGE Moscou et Washington veulent en finir au plus vite avec le scandale qui éclabousse les relations bilatérales depuis deux semaines. Les Russes ont accepté de libérer quatre prisonniers convaincus d'espionnage pour des puissances occidentales, indiquait en fin d'après-midi le ministère américain de la Justice. En échange, les Américains devraient transférer en Russie les dix personnes arrêtées par le FBI le 28 juin dernier aux États-Unis et accusées d'avoir collaboré avec le Service des renseignements extérieurs russe (SVR). Le onzième, Christopher Metsos, a pris le large après avoir été libéré sous caution à Chypre.
Un premier échange a eu lieu dès hier. Le scientifique Igor Soutiaguine, arrêté en 1999 pour espionnage au profit des Britanniques et des Américains, a appelé son père hier après-midi pour lui confirmer son arrivée en Autriche. De là, il devait s'envoler vers Londres, escorté par un officiel britannique, où il sera libéré. Durant la nuit, la présumée espionne Anna Chapman, jolie rousse de 28 ans, devrait être, de son côté, escortée incognito de New York jusqu'à Moscou.
C'est la famille d'Igor Soutiaguine qui a révélé les tractations en cours. Un porte-parole du département d'État américain s'est limité à reconnaître que le sort des espions avait été discuté entre des représentants des deux pays. Tout comme les autorités russes. Les proches et l'avocate d'Igor Soutiaguine ont indiqué que le chercheur avait été transféré en début de semaine de sa prison dans le nord du pays vers Moscou. Les autorités russes lui ont proposé de signer un document où il confirme sa culpabilité, en échange de quoi il est gracié et expulsé du pays. Le tout s'est déroulé en présence de diplomates américains, selon la famille, qui a pu rencontrer le chercheur mardi.
Igor Soutiaguine, qui a toujours nié avoir été un espion, a indiqué à ses proches qu'il avait pu prendre connaissance d'une liste initiale de dix autres personnes qui pouvaient être échangées avec lui. Il n'a cité que quelques noms, dont ceux de Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire russe, et Aleksander Zaporojski, ex-agent du Service de renseignements extérieurs. Selon Soutiaguine, l'idée de cet échange est venue des autorités américaines. Puisqu'aucun Américain n'est actuellement détenu en Russie pour espionnage, les prisonniers rendus par Moscou devraient tous être des citoyens russes. Aucune loi en Russie et aux États-Unis ne prévoyant un tel échange, la décision a dû être prise dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Un processus semé d'embûches
La Maison-Blanche et le Kremlin se montrent jusqu'ici peu loquaces. Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences, estime que « les deux pays ne veulent pas nuire à leur rapprochement » initié par Barack Obama. Kremeniouk connaît bien Igor Soutiaguine. Avant d'être arrêté pour espionnage en 1999, Soutiaguine était chercheur spécialisé en armement pour son institut. « Plusieurs des accusations à son encontre sont de la pure invention », affirme Kremeniouk.
Selon toute vraisemblance, Soutiaguine, comme les présumés espions arrêtés aux États-Unis, ne détient pas d'informations sensibles et ne représente donc pas une menace pour la sécurité nationale russe. Kremeniouk estime que la conclusion rapide de cette affaire « ne signifie pas pour autant que les relations russo-américaines ont un avenir radieux devant elles. » Le rapprochement bilatéral « sera toujours parsemé d'embûches. Il y a des gens des deux côtés, formés durant la guerre froide, qui veulent faire dérailler le processus », allusion aux conservateurs américains.
Moscou cherche à mettre au pas les potentats locaux
Article publié dans Le Figaro le 7 juillet 2010.
Версия на русском языке в Иносми.ру: Москва пытается приструнить региональных владык
Mourtaza Rakhimov, puissant président du Bachkortostan, n'est plus en odeur de sainteté au Kremlin.
C'est venu tout d'un coup, après dix-sept ans de règne sans partage sur le Bachkortostan pétrolifère (Bachkirie, dans l'Oural). Le 19 juin, la chaîne fédérale NTV, propriété du géant gazier étatique Gazprom, diffuse un reportage incendiaire sur le clan du président Mourtaza Rakhimov, 76 ans : corruption, extorsion, appropriation des biens de l'État. « Chaque oiseau bachkir doit remplir le budget de la famille Rakhimov », laisse tomber le narrateur.
Dans la foulée, les autres médias favorables au Kremlin se sont mis de la partie. Fin juin, le journal officiel Rossiïskaïa Gazeta reprenait les mêmes arguments pour discréditer Rakhimov, prévenant que « les actions de l'administration locale sont déjà tombées dans une zone d'attention particulière pour les instances policières. » Cette semaine, Rakhimov a intenté des poursuites pour diffamation contre NTV, menaçant de s'en prendre aussi aux autres médias qui mettent en doute son honnêteté.
En février dernier, Mourtaza Rakhimov avait pourtant toujours les faveurs de Moscou. Dans une interview à la même Rossiïskaïa Gazeta, il expliquait comment il comptait participer au processus de « modernisation » cher au président Dmitri Medvedev. En octobre 2006, Vladimir Poutine, alors président, avait reconduit Rakhimov dans ses fonctions. Ce que les médias « omettent » de mentionner, c'est que les malversations qui lui sont aujourd'hui reprochées datent pour la plupart d'avant cette date...
Négocier avec doigté
La question, maintenant, n'est plus de savoir si Rakhimov conservera son poste à la fin de son mandat en octobre 2011, mais s'il sera démis avant cette échéance. Depuis l'abolition des élections des dirigeants régionaux en 2004, le président russe a théoriquement tout le loisir de nommer et de renvoyer les 83 « têtes » de la fédération. La réalité est toutefois plus complexe. Comme d'autres dinosaures du pouvoir régional, Rakhimov a échafaudé une machine politico-économique qui est devenue garante de la stabilité de sa république. Pour éviter les troubles, Moscou doit donc négocier avec doigté. En janvier dernier, le président du Tatarstan, Mintimer Chaïmiev, avait demandé à ce que son mandat ne soit pas renouvelé. Il proposait comme successeur son fidèle premier ministre, voeu exaucé par le Kremlin. Depuis, d'autres potentats ont préféré la retraite dorée à la guerre contre la « verticale du pouvoir » chère à Vladimir Poutine.
Mais une autre lutte s'annonce pour le Kremlin. En décembre prochain viendra à échéance le cinquième mandat du maire de Moscou, Iouri Loujkov. Le puissant édile n'a donné aucun signe qu'il était prêt à quitter de lui-même le siège qu'il occupe depuis dix-huit ans.
Версия на русском языке в Иносми.ру: Москва пытается приструнить региональных владык
Mourtaza Rakhimov, puissant président du Bachkortostan, n'est plus en odeur de sainteté au Kremlin.
C'est venu tout d'un coup, après dix-sept ans de règne sans partage sur le Bachkortostan pétrolifère (Bachkirie, dans l'Oural). Le 19 juin, la chaîne fédérale NTV, propriété du géant gazier étatique Gazprom, diffuse un reportage incendiaire sur le clan du président Mourtaza Rakhimov, 76 ans : corruption, extorsion, appropriation des biens de l'État. « Chaque oiseau bachkir doit remplir le budget de la famille Rakhimov », laisse tomber le narrateur.
Dans la foulée, les autres médias favorables au Kremlin se sont mis de la partie. Fin juin, le journal officiel Rossiïskaïa Gazeta reprenait les mêmes arguments pour discréditer Rakhimov, prévenant que « les actions de l'administration locale sont déjà tombées dans une zone d'attention particulière pour les instances policières. » Cette semaine, Rakhimov a intenté des poursuites pour diffamation contre NTV, menaçant de s'en prendre aussi aux autres médias qui mettent en doute son honnêteté.
En février dernier, Mourtaza Rakhimov avait pourtant toujours les faveurs de Moscou. Dans une interview à la même Rossiïskaïa Gazeta, il expliquait comment il comptait participer au processus de « modernisation » cher au président Dmitri Medvedev. En octobre 2006, Vladimir Poutine, alors président, avait reconduit Rakhimov dans ses fonctions. Ce que les médias « omettent » de mentionner, c'est que les malversations qui lui sont aujourd'hui reprochées datent pour la plupart d'avant cette date...
Négocier avec doigté
La question, maintenant, n'est plus de savoir si Rakhimov conservera son poste à la fin de son mandat en octobre 2011, mais s'il sera démis avant cette échéance. Depuis l'abolition des élections des dirigeants régionaux en 2004, le président russe a théoriquement tout le loisir de nommer et de renvoyer les 83 « têtes » de la fédération. La réalité est toutefois plus complexe. Comme d'autres dinosaures du pouvoir régional, Rakhimov a échafaudé une machine politico-économique qui est devenue garante de la stabilité de sa république. Pour éviter les troubles, Moscou doit donc négocier avec doigté. En janvier dernier, le président du Tatarstan, Mintimer Chaïmiev, avait demandé à ce que son mandat ne soit pas renouvelé. Il proposait comme successeur son fidèle premier ministre, voeu exaucé par le Kremlin. Depuis, d'autres potentats ont préféré la retraite dorée à la guerre contre la « verticale du pouvoir » chère à Vladimir Poutine.
Mais une autre lutte s'annonce pour le Kremlin. En décembre prochain viendra à échéance le cinquième mandat du maire de Moscou, Iouri Loujkov. Le puissant édile n'a donné aucun signe qu'il était prêt à quitter de lui-même le siège qu'il occupe depuis dix-huit ans.
Les Kirghiz ont voté pour la stabilité
Reportage publié dans La Croix le 28 juin 2010.
(Bichkek, Kirghizstan) Les électeurs se sont prononcés hier par référendum pour l'instauration d'une démocratie parlementaire, afin de rétablir la stabilité du pays.
Au bureau de vote de l'école n° 24, dans le centre de la capitale, Bichkek, des haut-parleurs crachent une version instrumentale de L'Été indien de Joe Dassin pour inciter les électeurs à venir déposer leur bulletin dans l'urne. Sur toutes les lèvres, quatre mots : stabilité, calme, ordre et légitimité. Le message de la présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva est vraisemblablement passé : le référendum sur la nouvelle Constitution donnera à son gouvernement, issu du coup d'État du 7 avril dernier, la légitimité dont il a besoin jusqu'aux élections législatives de septembre. Il pourra s'employer à restaurer l'ordre, le calme et ramener la stabilité au Kirghizstan.
Tous les électeurs rencontrés hier matin ont affirmé avoir voté pour la nouvelle Constitution, qui propose de faire passer la petite république ex-soviétique d'Asie centrale d'un système présidentiel à un système parlementaire. Aucun toutefois n'apportait un soutien inconditionnel au gouvernement provisoire. « Il est tout de même mieux que le régime de Bakiev ! lance Aïnagoul Doboulbekova, contrôleuse dans un poste électrique, en référence au président renversé il y a deux mois et demi. Eux, au moins, ils ont un peu de conscience et sont fiers de leur peuple. »
« S'ils n'avaient pas fait leur coup d'État, il n'y aurait jamais eu toutes ces victimes en avril (NDLR : 87 morts), constate Lioubov Derkatch, venue voter avec son bébé de 4 mois. Mais en même temps, ils n'auraient jamais réussi à prendre le pouvoir d'une autre façon. Bakiev était installé à vie. » La présidente Otounbaïeva répète depuis des semaines que la nouvelle Constitution est la seule chance de ramener la stabilité. Un système parlementaire empêchera la concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne. C'est pourquoi Rosa Otounbaïeva a insisté pour que l'exercice ait lieu à la date prévue, en dépit des violences qui ont frappé le sud du pays et fait plus de 400 000 réfugiés et déplacés.
Aussi, tout a été fait pour assurer une participation maximale des électeurs. Compte tenu du nombre de déplacés et de gens qui ont perdu leurs papiers, tout citoyen a pu voter dans n'importe quel bureau de vote du pays, même sans papier d'identité, à condition d'être reconnu par deux membres de la commission électorale. Dans le Sud, des brigades d'urnes mobiles ont été organisées pour faire voter ceux qui craignaient de sortir de leur domicile.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke entassés dans des camps en Ouzbékistan ont été rapatriés cette semaine, parfois contre leur gré selon Amnesty International, afin qu'ils puissent participer au référendum. Le politologue kirghiz Nour Omarov doute toutefois que la nouvelle Constitution soit suffisante pour assurer un avenir radieux au Kirghizstan : « L'important, ce n'est pas la sorte de république que nous avons, mais les gens qui sont au pouvoir. » Et pour l'instant, dit-il, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont des caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place.
Dans le sud du pays, le vote s'est déroulé sous haute surveillance. Si les violences ont cessé entre la majorité kirghize et la minorité ouzbèke, la situation reste tendue. L'élément déclencheur des troubles qui ont fait au moins 264 morts reste toujours une énigme. Les services de sécurité kirghiz ont bien annoncé, jeudi, les conclusions de leur enquête : la famille Bakiev a financé des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaida et aux talibans afghans pour qu'ils mettent à sac le Sud, afin de faire dérailler le processus référendaire et de ramener au pouvoir l'ex-président.
Si l'idée d'une implication du clan Bakiev ne peut être exclue, celle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages recueillis par La Croix la semaine dernière à Och, épicentre des violences. Des photos et vidéos prises dans cette ville par des touristes étrangers durant les heurts montrent clairement des groupes d'ethnie kirghize en train de piller la ville, ainsi que des policiers et militaires passifs, sinon complices.
La complicité possible des forces de l'ordre laisse croire que des membres du gouvernement provisoire ayant un contrôle sur la police et l'armée pourraient avoir une responsabilité dans les violences. La mésentente au sein du gouvernement, formé de différentes tendances politiques d'opposition, n'est un secret pour personne à Bichkek. Si une force extérieure ne vient pas usurper le faible pouvoir de Rosa Otounbaïeva, l'éclatement pourrait encore venir de l'intérieur.
(Bichkek, Kirghizstan) Les électeurs se sont prononcés hier par référendum pour l'instauration d'une démocratie parlementaire, afin de rétablir la stabilité du pays.
Au bureau de vote de l'école n° 24, dans le centre de la capitale, Bichkek, des haut-parleurs crachent une version instrumentale de L'Été indien de Joe Dassin pour inciter les électeurs à venir déposer leur bulletin dans l'urne. Sur toutes les lèvres, quatre mots : stabilité, calme, ordre et légitimité. Le message de la présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva est vraisemblablement passé : le référendum sur la nouvelle Constitution donnera à son gouvernement, issu du coup d'État du 7 avril dernier, la légitimité dont il a besoin jusqu'aux élections législatives de septembre. Il pourra s'employer à restaurer l'ordre, le calme et ramener la stabilité au Kirghizstan.
Tous les électeurs rencontrés hier matin ont affirmé avoir voté pour la nouvelle Constitution, qui propose de faire passer la petite république ex-soviétique d'Asie centrale d'un système présidentiel à un système parlementaire. Aucun toutefois n'apportait un soutien inconditionnel au gouvernement provisoire. « Il est tout de même mieux que le régime de Bakiev ! lance Aïnagoul Doboulbekova, contrôleuse dans un poste électrique, en référence au président renversé il y a deux mois et demi. Eux, au moins, ils ont un peu de conscience et sont fiers de leur peuple. »
« S'ils n'avaient pas fait leur coup d'État, il n'y aurait jamais eu toutes ces victimes en avril (NDLR : 87 morts), constate Lioubov Derkatch, venue voter avec son bébé de 4 mois. Mais en même temps, ils n'auraient jamais réussi à prendre le pouvoir d'une autre façon. Bakiev était installé à vie. » La présidente Otounbaïeva répète depuis des semaines que la nouvelle Constitution est la seule chance de ramener la stabilité. Un système parlementaire empêchera la concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne. C'est pourquoi Rosa Otounbaïeva a insisté pour que l'exercice ait lieu à la date prévue, en dépit des violences qui ont frappé le sud du pays et fait plus de 400 000 réfugiés et déplacés.
Aussi, tout a été fait pour assurer une participation maximale des électeurs. Compte tenu du nombre de déplacés et de gens qui ont perdu leurs papiers, tout citoyen a pu voter dans n'importe quel bureau de vote du pays, même sans papier d'identité, à condition d'être reconnu par deux membres de la commission électorale. Dans le Sud, des brigades d'urnes mobiles ont été organisées pour faire voter ceux qui craignaient de sortir de leur domicile.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke entassés dans des camps en Ouzbékistan ont été rapatriés cette semaine, parfois contre leur gré selon Amnesty International, afin qu'ils puissent participer au référendum. Le politologue kirghiz Nour Omarov doute toutefois que la nouvelle Constitution soit suffisante pour assurer un avenir radieux au Kirghizstan : « L'important, ce n'est pas la sorte de république que nous avons, mais les gens qui sont au pouvoir. » Et pour l'instant, dit-il, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont des caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place.
Dans le sud du pays, le vote s'est déroulé sous haute surveillance. Si les violences ont cessé entre la majorité kirghize et la minorité ouzbèke, la situation reste tendue. L'élément déclencheur des troubles qui ont fait au moins 264 morts reste toujours une énigme. Les services de sécurité kirghiz ont bien annoncé, jeudi, les conclusions de leur enquête : la famille Bakiev a financé des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaida et aux talibans afghans pour qu'ils mettent à sac le Sud, afin de faire dérailler le processus référendaire et de ramener au pouvoir l'ex-président.
Si l'idée d'une implication du clan Bakiev ne peut être exclue, celle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages recueillis par La Croix la semaine dernière à Och, épicentre des violences. Des photos et vidéos prises dans cette ville par des touristes étrangers durant les heurts montrent clairement des groupes d'ethnie kirghize en train de piller la ville, ainsi que des policiers et militaires passifs, sinon complices.
La complicité possible des forces de l'ordre laisse croire que des membres du gouvernement provisoire ayant un contrôle sur la police et l'armée pourraient avoir une responsabilité dans les violences. La mésentente au sein du gouvernement, formé de différentes tendances politiques d'opposition, n'est un secret pour personne à Bichkek. Si une force extérieure ne vient pas usurper le faible pouvoir de Rosa Otounbaïeva, l'éclatement pourrait encore venir de l'intérieur.
Kirghizstan: référendum constitutionnel à haut risque
Reportage publié dans La Presse le 26 juin 2010
Bichkek, Kirghizistan - Déchiré par un conflit ethnique qui a déjà fait des centaines de morts, le Kirghizistan votera demain pour une nouvelle Constitution. Un exercice à haut risque qui pourrait faire passer ou casser le gouvernement provisoire en quête de légitimité. Et soulever une nouvelle vague de violences, nous explique notre collaborateur.
En cinq ans, Bazyl Abdyjalanov a vu deux révolutions lui passer sous les yeux. Demain, ce concierge de l'entrée de la Maison-Blanche de Bichkek, siège du gouvernement kirghiz, votera «pour la paix».
«Je voterai pour la nouvelle Constitution, bien sûr. Nous aurons la paix et alors le gouvernement provisoire pourra fonctionner», dit le sexagénaire.
En mars 2005, il était malgré lui aux premières loges de la «révolution des tulipes», qui a renversé le président Askar Akaïev, accusé d'autoritarisme. Puis, en avril dernier, il a vu de la même façon le successeur d'Akaïev, Kourmanbek Bakiev, être chassé du pouvoir par une foule en colère pour les mêmes raisons. Les deux fois, Bazyl Abdyjalanov a pris ses jambes à son cou. Comme les présidents.
Bazyl estime que les Kirghiz «doivent absolument participer au référendum». Non pas qu'il soit un grand partisan de la nouvelle Constitution proposée - il ne l'a pas lue de toute façon -, mais parce que le simple fait de tenir un vote démocratique après un coup d'État représente un espoir de stabilisation pour sa petite ex-république soviétique d'Asie centrale.
Pour le gouvernement provisoire, ce référendum est crucial. La présidente par intérim, Rosa Otounbaïeva, ne cache pas que l'exercice est sa seule chance de gagner une légitimité avant l'élection législative prévue pour septembre.
Grands bouleversements
Les deux présidents qu'a connus le pays depuis son indépendance en 1991 ont profité de leur position pour s'enrichir, usurper le pouvoir et mater toute opposition. Passer d'une république présidentielle à une parlementaire empêcherait la concentration du pouvoir dans les mains d'un seul homme, assure le gouvernement provisoire.
«L'important, ce n'est pas quelle sorte de république nous avons, mais qui sont les gens au pouvoir», nuance toutefois le politologue kirghiz Nour Omarov. Et pour l'instant, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont d'anciens caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place. Ce qui ne laisse pas présager des jours meilleurs.
D'ailleurs, depuis l'arrivée du gouvernement provisoire, formé de membres des différentes factions de l'opposition, plusieurs entreprises ont été nationalisées dans le pays. «Ils utilisent les mêmes vieux mécanismes de privatisation cachée (pour s'enrichir)», souligne Nour Omarov, qui a pourtant appuyé le renversement du régime Bakiev.
Le politologue doute ainsi que le gouvernement provisoire acceptera le verdict des urnes. «Je crois qu'ils falsifieront le résultat s'il n'est pas en leur faveur.»
Les deux précédents coups d'État ont prouvé qu'il était plutôt facile de renverser les dirigeants avec l'appui de quelques milliers de partisans, même sans armes à feu. Dans la capitale Bichkek, personne n'exclut qu'un autre groupe politique tente de prendre le pouvoir par la force. Si le gouvernement provisoire perd son référendum demain, et ainsi sa crédibilité, les chances de putsch ne feront qu'augmenter.
Violences ethniques
La principale crainte pour le bon déroulement du référendum se trouve toutefois dans le sud du pays. Il y a deux semaines, des violences entre les Kirghiz et la minorité ouzbek ont fait des centaines, voire des milliers de morts. Environ 400 000 personnes, principalement d'ethnie ouzbek, ont fui leur domicile. La plupart sont rentrés, mais plusieurs ont retrouvé leur maison incendiée.
Jeudi, les services de sécurité kirghiz ont fait savoir qu'ils avaient déterminé l'identité des coupables des violences ethniques: des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaïda et aux talibans afghans, financés par la famille de l'ex-président Bakiev. Selon les autorités, leur but était de faire dérayer le processus référendaire afin que l'ex-président puisse reprendre le pouvoir.
Si l'hypothèse de l'implication du clan Bakiev est probable, celle du rôle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages que La Presse a recueillis la semaine dernière à Och, épicentre des violences.
Quelle que soit l'identité des instigateurs des troubles, une chose est certaine: rien ne les empêche de frapper de nouveau et de pousser encore un peu plus le faible État kirghiz vers la défaillance.
Bichkek, Kirghizistan - Déchiré par un conflit ethnique qui a déjà fait des centaines de morts, le Kirghizistan votera demain pour une nouvelle Constitution. Un exercice à haut risque qui pourrait faire passer ou casser le gouvernement provisoire en quête de légitimité. Et soulever une nouvelle vague de violences, nous explique notre collaborateur.
En cinq ans, Bazyl Abdyjalanov a vu deux révolutions lui passer sous les yeux. Demain, ce concierge de l'entrée de la Maison-Blanche de Bichkek, siège du gouvernement kirghiz, votera «pour la paix».
«Je voterai pour la nouvelle Constitution, bien sûr. Nous aurons la paix et alors le gouvernement provisoire pourra fonctionner», dit le sexagénaire.
En mars 2005, il était malgré lui aux premières loges de la «révolution des tulipes», qui a renversé le président Askar Akaïev, accusé d'autoritarisme. Puis, en avril dernier, il a vu de la même façon le successeur d'Akaïev, Kourmanbek Bakiev, être chassé du pouvoir par une foule en colère pour les mêmes raisons. Les deux fois, Bazyl Abdyjalanov a pris ses jambes à son cou. Comme les présidents.
Bazyl estime que les Kirghiz «doivent absolument participer au référendum». Non pas qu'il soit un grand partisan de la nouvelle Constitution proposée - il ne l'a pas lue de toute façon -, mais parce que le simple fait de tenir un vote démocratique après un coup d'État représente un espoir de stabilisation pour sa petite ex-république soviétique d'Asie centrale.
Pour le gouvernement provisoire, ce référendum est crucial. La présidente par intérim, Rosa Otounbaïeva, ne cache pas que l'exercice est sa seule chance de gagner une légitimité avant l'élection législative prévue pour septembre.
Grands bouleversements
Les deux présidents qu'a connus le pays depuis son indépendance en 1991 ont profité de leur position pour s'enrichir, usurper le pouvoir et mater toute opposition. Passer d'une république présidentielle à une parlementaire empêcherait la concentration du pouvoir dans les mains d'un seul homme, assure le gouvernement provisoire.
«L'important, ce n'est pas quelle sorte de république nous avons, mais qui sont les gens au pouvoir», nuance toutefois le politologue kirghiz Nour Omarov. Et pour l'instant, la plupart des prétendants aux hautes fonctions sont d'anciens caciques des régimes précédents qui cherchent à reprendre leur place. Ce qui ne laisse pas présager des jours meilleurs.
D'ailleurs, depuis l'arrivée du gouvernement provisoire, formé de membres des différentes factions de l'opposition, plusieurs entreprises ont été nationalisées dans le pays. «Ils utilisent les mêmes vieux mécanismes de privatisation cachée (pour s'enrichir)», souligne Nour Omarov, qui a pourtant appuyé le renversement du régime Bakiev.
Le politologue doute ainsi que le gouvernement provisoire acceptera le verdict des urnes. «Je crois qu'ils falsifieront le résultat s'il n'est pas en leur faveur.»
Les deux précédents coups d'État ont prouvé qu'il était plutôt facile de renverser les dirigeants avec l'appui de quelques milliers de partisans, même sans armes à feu. Dans la capitale Bichkek, personne n'exclut qu'un autre groupe politique tente de prendre le pouvoir par la force. Si le gouvernement provisoire perd son référendum demain, et ainsi sa crédibilité, les chances de putsch ne feront qu'augmenter.
Violences ethniques
La principale crainte pour le bon déroulement du référendum se trouve toutefois dans le sud du pays. Il y a deux semaines, des violences entre les Kirghiz et la minorité ouzbek ont fait des centaines, voire des milliers de morts. Environ 400 000 personnes, principalement d'ethnie ouzbek, ont fui leur domicile. La plupart sont rentrés, mais plusieurs ont retrouvé leur maison incendiée.
Jeudi, les services de sécurité kirghiz ont fait savoir qu'ils avaient déterminé l'identité des coupables des violences ethniques: des mouvements islamistes ouzbeks liés à Al-Qaïda et aux talibans afghans, financés par la famille de l'ex-président Bakiev. Selon les autorités, leur but était de faire dérayer le processus référendaire afin que l'ex-président puisse reprendre le pouvoir.
Si l'hypothèse de l'implication du clan Bakiev est probable, celle du rôle des islamistes ouzbeks est farfelue, selon les nombreux témoignages que La Presse a recueillis la semaine dernière à Och, épicentre des violences.
Quelle que soit l'identité des instigateurs des troubles, une chose est certaine: rien ne les empêche de frapper de nouveau et de pousser encore un peu plus le faible État kirghiz vers la défaillance.
À Och, les barricades sont levées, pas la méfiance
Reportage publié le 21 juin 2010 dans La Presse et La Croix.
Och, Kirghizistan - Les barricades sont levées. Dans la deuxième ville du Kirghizistan, épicentre des violences ethniques des dernières semaines, l'armée a rétabli cette fin de semaine la circulation entre les quartiers kirghiz, ouzbeks et mixtes, sans rencontrer de résistance. Les réfugiés commencent timidement à rentrer, mais la méfiance et les rumeurs de nouveaux affrontements demeurent.
Begaïm Nouralieva retourne dans sa maison pour la première fois depuis plus d'une semaine. Avec une dizaine d'autres habitants kirghiz du quartier Chahid Tepa, à majorité ouzbèke, elle est escortée jusqu'à sa demeure par des soldats en armes. "Nous n'avons pas peur de nos voisins, mais des Ouzbeks qui viennent d'ailleurs", confie la frêle infirmière de 47 ans, visiblement effrayée.
Les voisins ouzbeks l'accueillent chaleureusement. En voyant sa maison saccagée et pillée, Begaïm s'effondre en larmes. Mais elle refuse d'accuser les habitants du quartier et de s'avancer sur l'identité des voleurs. Selon Begaïm, "le temps dira" s'il est possible pour les 30 familles kirghizes de Chahid Tepa de continuer d'y vivre.
Pour l'instant, toutefois, mieux vaut ne pas prendre de risques. Après avoir rempli de vêtements quelques sacs de plastique, les Kirghiz repartent en véhicule blindé.
Quelques minutes plus tôt, les blindés défaisaient encore les barricades de fortune du quartier, dressées par la minorité ouzbèke pour se protéger de nouvelles attaques. En moins d'une heure, ils déplacent camions-citernes et cylindres de béton mis en travers de la route, obtenant même du renfort des Ouzbeks, pourtant opposés à l'opération.
À Och, si la confiance entre majorité kirghize et minorité ouzbèke est loin d'être revenue, les tensions s'apaisent. Quelques milliers d'Ouzbeks, principales victimes des violences, ont même repris le chemin de la maison durant le week-end. Selon l'ONU, le conflit a fait 400 000 déplacés et réfugiés.
Au poste frontière improvisé de Vlksm, ouvert dans l'urgence au premier jour des hostilités, des centaines de réfugiés retournent au Kirghizistan, enjambant des barbelés recouverts d'un petit tapis fleuri.
Rumeurs et tensions
Mais chacun reste sur ses gardes. À Och, les rumeurs fusent, laissant planer le doute sur la suite des événements. Même aujourd'hui, il reste difficile de déterminer ce qui a déclenché les hostilités dans la nuit du 10 au 11 juin.
Avant l'embrasement, les tensions ethniques étaient bien réelles, soit. Mais les motifs et l'identité des instigateurs des violences dans la deuxième ville du pays, qui se sont ensuite répandues à d'autres localités du sud du Kirghizistan, demeurent nébuleux.
Y a-t-il eu viol d'étudiantes kirghizes par une bande de jeunes Ouzbeks dans un dortoir du centre-ville? La rumeur kirghize l'assure, mais aucun témoin direct. Pour la minorité ouzbèke, le premier épisode du conflit, c'est l'attaque de leurs quartiers par des hordes d'incendiaires cagoulés, vraisemblablement kirghiz, avec l'aide de véhicules blindés et de soldats.
L'ampleur des dégâts et le nombre de victimes, qui se comptent en centaines voire en milliers, laissent penser que les violences étaient organisées. Plusieurs citoyens et d'ex-officiels soupçonnent le maire d'Och, Melisbek Myrzakmatov, d'avoir commandité les massacres. Le principal intéressé nie et accuse d'improbables groupes islamistes liés au terrorisme international.
Selon certains, le maire aurait voulu aider le président déchu Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir en avril, à reprendre le contrôle du sud du pays. En faisant dérailler le référendum constitutionnel prévu dimanche prochain, il saperait du même coup l'autorité du fragile gouvernement provisoire.
Selon d'autres, le maire ou des groupes mafieux voulaient débarrasser la ville des commerçants ouzbeks prospères.
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est qu'Och, Djalal-Abad et d'autres villes et villages du sud du Kirghizistan sont défigurés, déchirés et divisés.
Plusieurs Kirghiz ne cachent pas leurs sentiments nationalistes et estiment que les Ouzbeks, qui forment 15% de la population, devraient quitter "leur" pays. Même s'ils l'habitent depuis des siècles.
Les Ouzbeks, eux, ne font pas confiance aux autorités et aux forces de l'ordre, contrôlées presque sans exception par la majorité kirghize. Pas étonnant pour eux que les seules personnes arrêtées en lien avec les troubles soient d'ethnie ouzbèke ou des "mercenaires étrangers".
Au cours des prochaines semaines, si le calme s'installe, des milliers d'Ouzbeks, déplacés internes ou réfugiés, retrouveront leur maison pillée ou brûlée. Des Kirghiz aussi ont perdu leur toit, et quelques centaines devront décider s'ils retournent dans leur quartier à majorité ouzbèke.
Des comités de réconciliation ont été créés, mais pour l'instant, Ouzbeks et Kirghiz ne s'entendent que sur un seul point: il ne suffirait que d'une étincelle pour remettre le feu aux poudres.
Och, Kirghizistan - Les barricades sont levées. Dans la deuxième ville du Kirghizistan, épicentre des violences ethniques des dernières semaines, l'armée a rétabli cette fin de semaine la circulation entre les quartiers kirghiz, ouzbeks et mixtes, sans rencontrer de résistance. Les réfugiés commencent timidement à rentrer, mais la méfiance et les rumeurs de nouveaux affrontements demeurent.
Begaïm Nouralieva retourne dans sa maison pour la première fois depuis plus d'une semaine. Avec une dizaine d'autres habitants kirghiz du quartier Chahid Tepa, à majorité ouzbèke, elle est escortée jusqu'à sa demeure par des soldats en armes. "Nous n'avons pas peur de nos voisins, mais des Ouzbeks qui viennent d'ailleurs", confie la frêle infirmière de 47 ans, visiblement effrayée.
Les voisins ouzbeks l'accueillent chaleureusement. En voyant sa maison saccagée et pillée, Begaïm s'effondre en larmes. Mais elle refuse d'accuser les habitants du quartier et de s'avancer sur l'identité des voleurs. Selon Begaïm, "le temps dira" s'il est possible pour les 30 familles kirghizes de Chahid Tepa de continuer d'y vivre.
Pour l'instant, toutefois, mieux vaut ne pas prendre de risques. Après avoir rempli de vêtements quelques sacs de plastique, les Kirghiz repartent en véhicule blindé.
Quelques minutes plus tôt, les blindés défaisaient encore les barricades de fortune du quartier, dressées par la minorité ouzbèke pour se protéger de nouvelles attaques. En moins d'une heure, ils déplacent camions-citernes et cylindres de béton mis en travers de la route, obtenant même du renfort des Ouzbeks, pourtant opposés à l'opération.
À Och, si la confiance entre majorité kirghize et minorité ouzbèke est loin d'être revenue, les tensions s'apaisent. Quelques milliers d'Ouzbeks, principales victimes des violences, ont même repris le chemin de la maison durant le week-end. Selon l'ONU, le conflit a fait 400 000 déplacés et réfugiés.
Au poste frontière improvisé de Vlksm, ouvert dans l'urgence au premier jour des hostilités, des centaines de réfugiés retournent au Kirghizistan, enjambant des barbelés recouverts d'un petit tapis fleuri.
Rumeurs et tensions
Mais chacun reste sur ses gardes. À Och, les rumeurs fusent, laissant planer le doute sur la suite des événements. Même aujourd'hui, il reste difficile de déterminer ce qui a déclenché les hostilités dans la nuit du 10 au 11 juin.
Avant l'embrasement, les tensions ethniques étaient bien réelles, soit. Mais les motifs et l'identité des instigateurs des violences dans la deuxième ville du pays, qui se sont ensuite répandues à d'autres localités du sud du Kirghizistan, demeurent nébuleux.
Y a-t-il eu viol d'étudiantes kirghizes par une bande de jeunes Ouzbeks dans un dortoir du centre-ville? La rumeur kirghize l'assure, mais aucun témoin direct. Pour la minorité ouzbèke, le premier épisode du conflit, c'est l'attaque de leurs quartiers par des hordes d'incendiaires cagoulés, vraisemblablement kirghiz, avec l'aide de véhicules blindés et de soldats.
L'ampleur des dégâts et le nombre de victimes, qui se comptent en centaines voire en milliers, laissent penser que les violences étaient organisées. Plusieurs citoyens et d'ex-officiels soupçonnent le maire d'Och, Melisbek Myrzakmatov, d'avoir commandité les massacres. Le principal intéressé nie et accuse d'improbables groupes islamistes liés au terrorisme international.
Selon certains, le maire aurait voulu aider le président déchu Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir en avril, à reprendre le contrôle du sud du pays. En faisant dérailler le référendum constitutionnel prévu dimanche prochain, il saperait du même coup l'autorité du fragile gouvernement provisoire.
Selon d'autres, le maire ou des groupes mafieux voulaient débarrasser la ville des commerçants ouzbeks prospères.
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est qu'Och, Djalal-Abad et d'autres villes et villages du sud du Kirghizistan sont défigurés, déchirés et divisés.
Plusieurs Kirghiz ne cachent pas leurs sentiments nationalistes et estiment que les Ouzbeks, qui forment 15% de la population, devraient quitter "leur" pays. Même s'ils l'habitent depuis des siècles.
Les Ouzbeks, eux, ne font pas confiance aux autorités et aux forces de l'ordre, contrôlées presque sans exception par la majorité kirghize. Pas étonnant pour eux que les seules personnes arrêtées en lien avec les troubles soient d'ethnie ouzbèke ou des "mercenaires étrangers".
Au cours des prochaines semaines, si le calme s'installe, des milliers d'Ouzbeks, déplacés internes ou réfugiés, retrouveront leur maison pillée ou brûlée. Des Kirghiz aussi ont perdu leur toit, et quelques centaines devront décider s'ils retournent dans leur quartier à majorité ouzbèke.
Des comités de réconciliation ont été créés, mais pour l'instant, Ouzbeks et Kirghiz ne s'entendent que sur un seul point: il ne suffirait que d'une étincelle pour remettre le feu aux poudres.
Rosa Otounbaïeva: une diplomate pour apaiser les tensions
Mon portrait de la présidente intérimaire kirghize, publié dans La Presse le 19 juin 2010.
Och, Kirghizistan - Calme, modérée, posée. La présidente intérimaire du Kirghizistan est tout le contraire de son pays. Hier, Rosa Otounbaïeva a fait une visite éclair à Och, épicentre des violences interethniques des derniers jours. Accueillie par une foule en colère, l'ex-diplomate a cherché à calmer les esprits, qui appellent notamment à la ségrégation raciale. Notre collaborateur l'a suivie.
Lorsque Rosa Otounbaïeva arrive, personne n'applaudit. Mais personne ne hue non plus. Les doléances des citoyens sont pourtant nombreuses dans un pays au bord de la guerre civile. Mais en dépit de sa faible autorité, la présidente intérimaire réussit à s'extraire de la mêlée.
La femme de 59 ans est habituée aux négociations. Depuis le milieu des années 80, Rosa Otounbaïeva travaille dans la diplomatie. Elle a été à trois reprises ministre des Affaires étrangères du Kirghizistan, dont deux fois en période critique.
À la chute de l'URSS en 1991, elle a pris les commandes des relations extérieures d'un pays indépendant malgré lui. En 2005, après avoir aidé au renversement populaire d'Askar Akaïev par la "révolution des tulipes", elle a fait de même, dans l'espoir de réformer un système étatique corrompu et dysfonctionnel.
Mais ses illusions de changement s'étant rapidement envolées, elle s'est jointe à son ancien allié révolutionnaire, Kourmanbek Bakiev. En avril dernier, le président, devenu autoritaire après cinq ans de pouvoir, a lui aussi été chassé du pouvoir par de violentes émeutes qui ont fait 87 morts.
Étonnamment, c'est la députée Otounbaïeva, la plus modérée des leaders putchistes, qui a été nommée à la présidence intérimaire. Son mandat ne devait durer que six mois, mais en raison des troubles qui enflamment le pays depuis, il a été prolongé en mai jusqu'à décembre 2011.
Dans sa tenue immaculée, qui fait presque oublier son discret gilet pare-balles beige, Rosa Otounbaïeva détonne parmi ses semblables. De ses postes d'ambassadrice aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 90, elle revient occidentalisée. Dans la manière, le ton, comme le discours, qu'elle peut tenir en kirghiz et en russe, mais aussi en anglais, une langue peu connue de ses compatriotes.
À Och, la présidente est venue hier écouter une population déchirée et enragée. Les habitants kirghiz et ouzbeks de la deuxième ville du pays s'accusent mutuellement d'avoir été à la source des violences qui ont fait 192 morts en moins d'une semaine, selon un bilan très partiel, probablement "plusieurs fois plus élevé" de l'avis d'Otounbaïeva. Elle a même déclaré au quotidien russe Kommersant qu'elle multiplierait "par 10 les chiffres officiels". Ce qui pourrait faire grimper à 2000 le nombre de morts.
Pour faire cesser les hostilités, son gouvernement provisoire a été impuissant, lui ont rappelé avec véhémence des représentants de quartiers d'Och. Après avoir défendu ses actions, Otounbaïeva a prêté l'oreille pendant plus d'une heure, en prenant des notes, aux discours enflammés des femmes et hommes, tous d'ethnie kirghize, comme elle. Compte tenu de l'atmosphère tendue, les rares Ouzbeks présents n'ont pas osé prendre la parole.
Plusieurs orateurs ont appelé à la fin des quartiers mixtes à Och, à la séparation des deux communautés historiques de la ville, et exigé que la présidente prenne des mesures sévères contre la minorité.
"Allez, calmons-nous. Certains d'entre vous sont très émotifs dans leurs déclarations, et nous n'avons pas besoin de ça", a tranché Rosa Otounbaïeva, son tour venu.
Mais dans la rue, la foule kirghize, brandissant les photos de proches pris en otages dans des quartiers ouzbeks, était encore plus nombreuse. Et plus en colère.
Dans ses petits souliers, la chef de l'État intérimaire, cachée sous un parapluie et protégée par les mallettes pare-balles de ses gardes du corps, a tout de même tenu à prendre la parole. "Je vous promets la paix dans deux jours."
Trop long pour les manifestants. Et toute la faiblesse de la présidence de cette petite femme solide est alors ressortie, lorsqu'elle a dû céder devant le chef de la police d'Och, qui voulait reprendre le contrôle des quartiers ouzbeks avant 24 heures.
Dans le chaos kirghiz, Rosa Otounbaïeva n'a pratiquement que le poids de sa bonne conscience.
Och, Kirghizistan - Calme, modérée, posée. La présidente intérimaire du Kirghizistan est tout le contraire de son pays. Hier, Rosa Otounbaïeva a fait une visite éclair à Och, épicentre des violences interethniques des derniers jours. Accueillie par une foule en colère, l'ex-diplomate a cherché à calmer les esprits, qui appellent notamment à la ségrégation raciale. Notre collaborateur l'a suivie.
Lorsque Rosa Otounbaïeva arrive, personne n'applaudit. Mais personne ne hue non plus. Les doléances des citoyens sont pourtant nombreuses dans un pays au bord de la guerre civile. Mais en dépit de sa faible autorité, la présidente intérimaire réussit à s'extraire de la mêlée.
La femme de 59 ans est habituée aux négociations. Depuis le milieu des années 80, Rosa Otounbaïeva travaille dans la diplomatie. Elle a été à trois reprises ministre des Affaires étrangères du Kirghizistan, dont deux fois en période critique.
À la chute de l'URSS en 1991, elle a pris les commandes des relations extérieures d'un pays indépendant malgré lui. En 2005, après avoir aidé au renversement populaire d'Askar Akaïev par la "révolution des tulipes", elle a fait de même, dans l'espoir de réformer un système étatique corrompu et dysfonctionnel.
Mais ses illusions de changement s'étant rapidement envolées, elle s'est jointe à son ancien allié révolutionnaire, Kourmanbek Bakiev. En avril dernier, le président, devenu autoritaire après cinq ans de pouvoir, a lui aussi été chassé du pouvoir par de violentes émeutes qui ont fait 87 morts.
Étonnamment, c'est la députée Otounbaïeva, la plus modérée des leaders putchistes, qui a été nommée à la présidence intérimaire. Son mandat ne devait durer que six mois, mais en raison des troubles qui enflamment le pays depuis, il a été prolongé en mai jusqu'à décembre 2011.
Dans sa tenue immaculée, qui fait presque oublier son discret gilet pare-balles beige, Rosa Otounbaïeva détonne parmi ses semblables. De ses postes d'ambassadrice aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 90, elle revient occidentalisée. Dans la manière, le ton, comme le discours, qu'elle peut tenir en kirghiz et en russe, mais aussi en anglais, une langue peu connue de ses compatriotes.
À Och, la présidente est venue hier écouter une population déchirée et enragée. Les habitants kirghiz et ouzbeks de la deuxième ville du pays s'accusent mutuellement d'avoir été à la source des violences qui ont fait 192 morts en moins d'une semaine, selon un bilan très partiel, probablement "plusieurs fois plus élevé" de l'avis d'Otounbaïeva. Elle a même déclaré au quotidien russe Kommersant qu'elle multiplierait "par 10 les chiffres officiels". Ce qui pourrait faire grimper à 2000 le nombre de morts.
Pour faire cesser les hostilités, son gouvernement provisoire a été impuissant, lui ont rappelé avec véhémence des représentants de quartiers d'Och. Après avoir défendu ses actions, Otounbaïeva a prêté l'oreille pendant plus d'une heure, en prenant des notes, aux discours enflammés des femmes et hommes, tous d'ethnie kirghize, comme elle. Compte tenu de l'atmosphère tendue, les rares Ouzbeks présents n'ont pas osé prendre la parole.
Plusieurs orateurs ont appelé à la fin des quartiers mixtes à Och, à la séparation des deux communautés historiques de la ville, et exigé que la présidente prenne des mesures sévères contre la minorité.
"Allez, calmons-nous. Certains d'entre vous sont très émotifs dans leurs déclarations, et nous n'avons pas besoin de ça", a tranché Rosa Otounbaïeva, son tour venu.
Mais dans la rue, la foule kirghize, brandissant les photos de proches pris en otages dans des quartiers ouzbeks, était encore plus nombreuse. Et plus en colère.
Dans ses petits souliers, la chef de l'État intérimaire, cachée sous un parapluie et protégée par les mallettes pare-balles de ses gardes du corps, a tout de même tenu à prendre la parole. "Je vous promets la paix dans deux jours."
Trop long pour les manifestants. Et toute la faiblesse de la présidence de cette petite femme solide est alors ressortie, lorsqu'elle a dû céder devant le chef de la police d'Och, qui voulait reprendre le contrôle des quartiers ouzbeks avant 24 heures.
Dans le chaos kirghiz, Rosa Otounbaïeva n'a pratiquement que le poids de sa bonne conscience.
Les Ouzbeks du Kirghizstan dénoncent des violences ciblées
Reportage publié dans La Croix et La Presse le 18 juin 2010
Och, Kirghizistan - Les combats interethniques ont cessé dans le sud du Kirghizistan. Mais la minorité ouzbèke d'Och craint toujours de sortir de ses quartiers dévastés. Et même d'y laisser entrer l'aide humanitaire. C'est qu'ils sont de plus en plus nombreux à croire que les violences de la dernière semaine ont été directement organisées par les autorités locales, dominées par la majorité kirghize, raconte notre collaborateur.
"Qui va répondre de nos maisons brûlées, des meurtres, des femmes violées?" Sur une tribune improvisée, entouré des hommes du quartier ouzbek de Chahid-Teba, Mourat Isakov se lance dans un discours enflammé. Le général à la retraite à qui il fait la morale, un Kirghiz, baisse la tête. Il était venu négocier la levée des barricades afin de faire passer 20 tonnes de produits de première nécessité.
"Nous n'en voulons pas, de votre aide humanitaire!" crie la foule. Mourat, vétéran de la guerre soviétique en Afghanistan, calme ses compatriotes et poursuit sa diatribe contre le général silencieux, représentant malgré lui des Kirghiz.
"Si vous voulez montrer aux Ouzbeks que nous sommes des peuples frères, la balle est dans votre camp. Ici, tout est calme. Nous n'avons fait que nous défendre."
À Chahid-Teba, des dizaines de maisons ont été incendiées lors des violences qui ont débuté dans la nuit du 10 au 11 juin et ont fait au moins 191 morts, selon un bilan officiel largement sous-estimé. Rien que dans ce quartier, les habitants ont inhumé 18 des leurs dans une fosse commune.
Au poste de contrôle qui sépare Chahid-Teba d'un quartier mixte, des soldats, tous kirghiz, fouillent les voitures. Leader informel de la foule, grand orateur, Mourat explique au général Moldochev que les Ouzbeks ont toujours peur des militaires, même si les tirs ont cessé.
Selon ce que La Presse a pu observer, les secteurs ouzbeks d'Och ont été indéniablement plus touchés que les quartiers kirghiz, que les incendiaires ont laissés pratiquement intacts.
Luttes mafieuses
En entrevue, le maire de la ville, Melisbek Myrzakmatov, nie que les divisions ethniques aient pu causer les violences et que les Ouzbeks aient été plus visés que les Kirghiz. "Le simple peuple n'y est pour rien. Nos deux peuples vivent ensemble depuis des siècles et maintenant des forces extérieures veulent les monter l'un contre l'autre", affirme-t-il.
Selon lui, ces forces pourraient être des islamistes liés à "des groupes terroristes internationaux". Il y a en effet de tels mouvements dans la vallée de Ferghana, où se trouve Och, mais ils n'ont jamais été à l'origine d'attaques d'une telle ampleur au Kirghizistan.
Dans les rues d'Och, l'hypothèse de l'implication de forces étrangères ou islamistes est beaucoup moins populaire que dans les couloirs de la mairie. Pour les Kirghiz comme pour les Ouzbeks, les affrontements interethniques ont plutôt pour source les luttes politiques et mafieuses qui ont mené à deux coups d'État en cinq ans, dont le plus récent en avril.
Mais le maire insiste: plusieurs personnes ont été arrêtées au cours de la semaine et "ce ne sont pas des citoyens du Kirghizistan".
Or, La Presse a eu accès hier à une prison du Service d'État de sécurité nationale, où une dizaine d'hommes, tous Ouzbeks, ont été présentés comme des participants aux violences. Il s'agirait des seuls détenus arrêtés en lien avec les événements survenus à Och. Certains membres des forces de l'ordre ne cachaient pas leur conviction que la minorité ouzbèke était responsable du saccage.
Hôpital psychiatrique
De son côté, la communauté ouzbèke, qui compte pour environ 40% de la population d'Och, accuse les autorités régionales de discrimination. Peu de ses membres en effet travaillent dans l'administration et les forces de sécurité.
Le maire Myrzakmatov nie. "C'est parce qu'aucun Ouzbek ne veut travailler dans l'appareil d'État pour 100$ par mois", répond-il, agacé. "Qui parmi eux s'enrôle pour protéger nos frontières? Aucune autre ethnie à part les Kirghiz ne veut servir dans notre armée et défendre nos frontières."
Dans le quartier de Chahid-Teba, Danil Olmat, la vingtaine, voit les choses différemment: "Dès que tu envoies une demande pour devenir employé de l'État et qu'ils voient que tu es ouzbek, tu es rejeté. J'ai une licence en droit, mais je suis chômeur."
Pour les Ouzbeks, le maire est désormais devenu suspect dans le déclenchement des violences. Dans une interview accordée cette semaine au site d'information Ferghana.ru, le vice-maire, Timour Kamtchibekov, a accusé son supérieur d'avoir un "lien direct avec les événements".
Mardi, Kamtchibekov, qui se serait porté à la défense des Ouzbeks durant les violences, a été relevé de ses fonctions. Melisbek Myrzakmatov ne nie pas le renvoi de son adjoint. Mais pour l'expliquer, il brandit aux journalistes la photocopie d'un diagnostic de maladie mentale établi par un hôpital psychiatrique.
Och, Kirghizistan - Les combats interethniques ont cessé dans le sud du Kirghizistan. Mais la minorité ouzbèke d'Och craint toujours de sortir de ses quartiers dévastés. Et même d'y laisser entrer l'aide humanitaire. C'est qu'ils sont de plus en plus nombreux à croire que les violences de la dernière semaine ont été directement organisées par les autorités locales, dominées par la majorité kirghize, raconte notre collaborateur.
"Qui va répondre de nos maisons brûlées, des meurtres, des femmes violées?" Sur une tribune improvisée, entouré des hommes du quartier ouzbek de Chahid-Teba, Mourat Isakov se lance dans un discours enflammé. Le général à la retraite à qui il fait la morale, un Kirghiz, baisse la tête. Il était venu négocier la levée des barricades afin de faire passer 20 tonnes de produits de première nécessité.
"Nous n'en voulons pas, de votre aide humanitaire!" crie la foule. Mourat, vétéran de la guerre soviétique en Afghanistan, calme ses compatriotes et poursuit sa diatribe contre le général silencieux, représentant malgré lui des Kirghiz.
"Si vous voulez montrer aux Ouzbeks que nous sommes des peuples frères, la balle est dans votre camp. Ici, tout est calme. Nous n'avons fait que nous défendre."
À Chahid-Teba, des dizaines de maisons ont été incendiées lors des violences qui ont débuté dans la nuit du 10 au 11 juin et ont fait au moins 191 morts, selon un bilan officiel largement sous-estimé. Rien que dans ce quartier, les habitants ont inhumé 18 des leurs dans une fosse commune.
Au poste de contrôle qui sépare Chahid-Teba d'un quartier mixte, des soldats, tous kirghiz, fouillent les voitures. Leader informel de la foule, grand orateur, Mourat explique au général Moldochev que les Ouzbeks ont toujours peur des militaires, même si les tirs ont cessé.
Selon ce que La Presse a pu observer, les secteurs ouzbeks d'Och ont été indéniablement plus touchés que les quartiers kirghiz, que les incendiaires ont laissés pratiquement intacts.
Luttes mafieuses
En entrevue, le maire de la ville, Melisbek Myrzakmatov, nie que les divisions ethniques aient pu causer les violences et que les Ouzbeks aient été plus visés que les Kirghiz. "Le simple peuple n'y est pour rien. Nos deux peuples vivent ensemble depuis des siècles et maintenant des forces extérieures veulent les monter l'un contre l'autre", affirme-t-il.
Selon lui, ces forces pourraient être des islamistes liés à "des groupes terroristes internationaux". Il y a en effet de tels mouvements dans la vallée de Ferghana, où se trouve Och, mais ils n'ont jamais été à l'origine d'attaques d'une telle ampleur au Kirghizistan.
Dans les rues d'Och, l'hypothèse de l'implication de forces étrangères ou islamistes est beaucoup moins populaire que dans les couloirs de la mairie. Pour les Kirghiz comme pour les Ouzbeks, les affrontements interethniques ont plutôt pour source les luttes politiques et mafieuses qui ont mené à deux coups d'État en cinq ans, dont le plus récent en avril.
Mais le maire insiste: plusieurs personnes ont été arrêtées au cours de la semaine et "ce ne sont pas des citoyens du Kirghizistan".
Or, La Presse a eu accès hier à une prison du Service d'État de sécurité nationale, où une dizaine d'hommes, tous Ouzbeks, ont été présentés comme des participants aux violences. Il s'agirait des seuls détenus arrêtés en lien avec les événements survenus à Och. Certains membres des forces de l'ordre ne cachaient pas leur conviction que la minorité ouzbèke était responsable du saccage.
Hôpital psychiatrique
De son côté, la communauté ouzbèke, qui compte pour environ 40% de la population d'Och, accuse les autorités régionales de discrimination. Peu de ses membres en effet travaillent dans l'administration et les forces de sécurité.
Le maire Myrzakmatov nie. "C'est parce qu'aucun Ouzbek ne veut travailler dans l'appareil d'État pour 100$ par mois", répond-il, agacé. "Qui parmi eux s'enrôle pour protéger nos frontières? Aucune autre ethnie à part les Kirghiz ne veut servir dans notre armée et défendre nos frontières."
Dans le quartier de Chahid-Teba, Danil Olmat, la vingtaine, voit les choses différemment: "Dès que tu envoies une demande pour devenir employé de l'État et qu'ils voient que tu es ouzbek, tu es rejeté. J'ai une licence en droit, mais je suis chômeur."
Pour les Ouzbeks, le maire est désormais devenu suspect dans le déclenchement des violences. Dans une interview accordée cette semaine au site d'information Ferghana.ru, le vice-maire, Timour Kamtchibekov, a accusé son supérieur d'avoir un "lien direct avec les événements".
Mardi, Kamtchibekov, qui se serait porté à la défense des Ouzbeks durant les violences, a été relevé de ses fonctions. Melisbek Myrzakmatov ne nie pas le renvoi de son adjoint. Mais pour l'expliquer, il brandit aux journalistes la photocopie d'un diagnostic de maladie mentale établi par un hôpital psychiatrique.
Och déchirée entre Ouzbeks et Kirghiz
Reportage publié dans La Croix, La Presse et La Tribune de Genève le 17 juin 2010.
À Och, les blessures seront longues à cicatriser. Épicentre des violences interethniques qui ravagent le sud du Kirghizstan depuis vendredi dernier, la deuxième ville du pays est défigurée et dépouillée de milliers de ses habitants en fuite. Des Kirghiz, majoritaires, et des Ouzbeks, minoritaires, accusent les responsables politiques d'avoir instrumentalisé leurs tensions pour faire avancer leurs intérêts.
Pour se rendre dans le village de Chark, à la sortie d'Och, il faut changer de voiture. Le chauffeur kirghiz n'ose plus s'aventurer dans les bourgs peuplés d'Ouzbeks. Et inversement. À Chark, le ressentiment est grand. Mais personne ne sait nommer avec certitude les coupables des attaques qui ont dévasté le village. « L'armée ouvrait le passage en camion blindé puis d'autres nous attaquaient, certains en uniforme, d'autres non. Difficile de dire si c'était des soldats ou non », explique Darvan Badalov, 35 ans, montrant les vestiges de dizaines de maisons et commerces incendiés. Femmes et enfants du village ont pour la plupart fui. Sans armes apparentes, les hommes ont installé des barricades sur la chaussée, craignant de nouvelles agressions.
Au pied de l'école primaire à moitié rasée par les flammes, Takhir Ousmanov raconte l'histoire de son fils, « tué par un sniper » alors qu'il tentait dimanche d'éteindre le troisième incendie de l'école en trois jours. Le géologue de 59 ans n'en veut toutefois pas au peuple kirghiz, même s'il pense que certains de ses membres sont à l'origine des troubles. « Il n'y a pas de mauvaise nation, il n'y a que des mauvaises personnes », dit-il, avant d'ajouter avoir reçu les condoléances de plusieurs collègues et amis kirghiz.
Selon les habitants du village, les vrais coupables sont les « politiciens ». Et pas seulement Kourmanbek Bakiev, le président renversé par de violentes manifestations en avril, que le gouvernement intérimaire de Roza Otounbaïeva accuse d'avoir allumé la mèche d'un conflit ethnique latent afin de reprendre les rênes de l'État. « Le gouvernement provisoire avait besoin de ce chaos pour se maintenir », lance un autre villageois. « Bakiev et le gouvernement cherchent à se partager le pouvoir sur le dos du peuple ouzbek », renchérit un troisième.
Takhir a bon espoir qu'Ouzbeks et Kirghiz puissent vivre à nouveau ensemble. Il est toutefois moins optimiste sur les chances de voir le Kirghizstan redevenir l'îlot de stabilité et de relative démocratie en Asie centrale que l'ex-république soviétique a été après la chute de l'URSS. « Je voudrais bien dire que j'attends des dirigeants honnêtes, mais je suis certain que les prochains seront encore des bandits ».
À quelques kilomètres de Chark, dans le centre-ville d'Och, la vie commençait timidement à reprendre son cours hier. Sur l'une des rues principales, des marchands étalaient oignons, patates, concombres, pain, abricots et autres produits sur des couvertures au sol. Devant eux, des commerces calcinés et d'autres épargnés.
Les nombreux graffitis « Mort aux Ouzbeks » un peu plus loin n'avaient toutefois rien pour rassurer la minorité. Ni les milices kirghizes aux allégeances floues sillonnant la ville, kalachnikov en bandoulière. La mixité habituelle du centre-ville en prenait ainsi un coup. Pas un commerçant ouzbek n'osait y tenir pavillon. Les quelques clients appartenant à l'ethnie minoritaire - plus de 40 % de la population -, passaient rapidement faire leurs courses, avant de repartir aussitôt.
Employée d'une coopérative agricole, la Kirghize Bouroul Bourjebaïeva est convaincue que les deux communautés n'ont rien à gagner de ces troubles. « C'est l'élite qui crée la division, pas le peuple ». Juste à côté, le boulanger Bekbolot blâme plutôt les Ouzbeks, devenus récemment « trop gourmands » à son goût. « Pourquoi veulent-ils une autonomie, la reconnaissance de leur langue et des hauts postes dans l'administration ? Si ça ne leur plaît pas ici, ils peuvent retourner dans leur patrie historique », l'Ouzbékistan. En attendant, la fuite des commerçants ouzbeks a une conséquence pour tous ses habitants. Depuis des générations, ils étaient bouchers. La viande est désormais introuvable à Och.
À Och, les blessures seront longues à cicatriser. Épicentre des violences interethniques qui ravagent le sud du Kirghizstan depuis vendredi dernier, la deuxième ville du pays est défigurée et dépouillée de milliers de ses habitants en fuite. Des Kirghiz, majoritaires, et des Ouzbeks, minoritaires, accusent les responsables politiques d'avoir instrumentalisé leurs tensions pour faire avancer leurs intérêts.
Pour se rendre dans le village de Chark, à la sortie d'Och, il faut changer de voiture. Le chauffeur kirghiz n'ose plus s'aventurer dans les bourgs peuplés d'Ouzbeks. Et inversement. À Chark, le ressentiment est grand. Mais personne ne sait nommer avec certitude les coupables des attaques qui ont dévasté le village. « L'armée ouvrait le passage en camion blindé puis d'autres nous attaquaient, certains en uniforme, d'autres non. Difficile de dire si c'était des soldats ou non », explique Darvan Badalov, 35 ans, montrant les vestiges de dizaines de maisons et commerces incendiés. Femmes et enfants du village ont pour la plupart fui. Sans armes apparentes, les hommes ont installé des barricades sur la chaussée, craignant de nouvelles agressions.
Au pied de l'école primaire à moitié rasée par les flammes, Takhir Ousmanov raconte l'histoire de son fils, « tué par un sniper » alors qu'il tentait dimanche d'éteindre le troisième incendie de l'école en trois jours. Le géologue de 59 ans n'en veut toutefois pas au peuple kirghiz, même s'il pense que certains de ses membres sont à l'origine des troubles. « Il n'y a pas de mauvaise nation, il n'y a que des mauvaises personnes », dit-il, avant d'ajouter avoir reçu les condoléances de plusieurs collègues et amis kirghiz.
Selon les habitants du village, les vrais coupables sont les « politiciens ». Et pas seulement Kourmanbek Bakiev, le président renversé par de violentes manifestations en avril, que le gouvernement intérimaire de Roza Otounbaïeva accuse d'avoir allumé la mèche d'un conflit ethnique latent afin de reprendre les rênes de l'État. « Le gouvernement provisoire avait besoin de ce chaos pour se maintenir », lance un autre villageois. « Bakiev et le gouvernement cherchent à se partager le pouvoir sur le dos du peuple ouzbek », renchérit un troisième.
Takhir a bon espoir qu'Ouzbeks et Kirghiz puissent vivre à nouveau ensemble. Il est toutefois moins optimiste sur les chances de voir le Kirghizstan redevenir l'îlot de stabilité et de relative démocratie en Asie centrale que l'ex-république soviétique a été après la chute de l'URSS. « Je voudrais bien dire que j'attends des dirigeants honnêtes, mais je suis certain que les prochains seront encore des bandits ».
À quelques kilomètres de Chark, dans le centre-ville d'Och, la vie commençait timidement à reprendre son cours hier. Sur l'une des rues principales, des marchands étalaient oignons, patates, concombres, pain, abricots et autres produits sur des couvertures au sol. Devant eux, des commerces calcinés et d'autres épargnés.
Les nombreux graffitis « Mort aux Ouzbeks » un peu plus loin n'avaient toutefois rien pour rassurer la minorité. Ni les milices kirghizes aux allégeances floues sillonnant la ville, kalachnikov en bandoulière. La mixité habituelle du centre-ville en prenait ainsi un coup. Pas un commerçant ouzbek n'osait y tenir pavillon. Les quelques clients appartenant à l'ethnie minoritaire - plus de 40 % de la population -, passaient rapidement faire leurs courses, avant de repartir aussitôt.
Employée d'une coopérative agricole, la Kirghize Bouroul Bourjebaïeva est convaincue que les deux communautés n'ont rien à gagner de ces troubles. « C'est l'élite qui crée la division, pas le peuple ». Juste à côté, le boulanger Bekbolot blâme plutôt les Ouzbeks, devenus récemment « trop gourmands » à son goût. « Pourquoi veulent-ils une autonomie, la reconnaissance de leur langue et des hauts postes dans l'administration ? Si ça ne leur plaît pas ici, ils peuvent retourner dans leur patrie historique », l'Ouzbékistan. En attendant, la fuite des commerçants ouzbeks a une conséquence pour tous ses habitants. Depuis des générations, ils étaient bouchers. La viande est désormais introuvable à Och.
Des milliers de civils tentent de fuir le Kirghizstan
Article publié dans La Croix, La Presse et La Tribune de Genève le 15 juin 2010.
Pour la quatrième journée, les violences interethniques se sont poursuivies hier dans le sud du Kirghizstan. Le bilan provisoire de 138 morts et de 1761 blessés serait largement sous-estimé. La Russie et ses alliés ex-soviétiques ayant exclu une fois de plus hier l'envoi rapide d'une force de maintien de la paix, rien ne semble pouvoir arrêter les violences à court terme.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke continuent de tenter de s'enfuir du Kirghizstan vers l'Ouzbékistan voisin. En quatre jours, ils seraient plus de 100 000 à avoir traversé la frontière pour se réfugier dans des camps. Au seul poste-frontière du district de Souzak, ils étaient hier au moins 50 000 autres à vouloir se rendre en Ouzbékistan. Le Comité international de la Croix-Rouge parle d'une situation humanitaire « critique ».
D'autant que l'Ouzbékistan a fermé hier soir sa frontière et a lancé un appel à l'aide internationale pour les 45 000 réfugiés (seuls les hommes adultes sont comptés) et leurs femmes et enfants, qui ont déjà été accueillis. « Nous allons cesser d'accepter des réfugiés du Kirghizstan car nous ne pouvons pas les loger et n'avons pas les capacités pour les accueillir », a déclaré le vice-premier ministre ouzbek, Abdoullah Aripov, au camp de réfugiés de Iorkichlok, à la frontière.
À Och et Djalalabad, les deuxième et troisième villes du pays, la situation restait très tendue. L'agence kirghize AKIpress rapportait qu'à Djalalabad, un « groupe de jeunes gens armés portant des brassards avec le slogan "S'il y a des Ouzbeks, on va leur tirer dessus" » sillonnait la ville. Un reporter du New York Times visitant un quartier ouzbek d'Och dimanche a constaté que pratiquement tous les édifices étaient en feu sauf un, marqué à la peinture rouge de l'inscription « kirghiz ». Plusieurs Kirghizes auraient aussi indiqué leur appartenance ethnique sur leur voiture afin d'éviter d'être la cible de tirs.
Des réfugiés d'ethnie ouzbèke accusent l'armée kirghize régulière, théoriquement sous le contrôle du gouvernement provisoire, d'ouvrir la voie aux bandes armées kirghizes pour qu'elles commettent un « génocide planifié » contre la minorité ouzbèke du pays. La diaspora ouzbèke, qui constitue près de la moitié de la population dans certaines villes du sud du Kirghizstan, avait pourtant appuyé le gouvernement provisoire lors des violentes émeutes qui ont renversé le président Kourmanbek Bakiev, le 7 avril dernier. Mais le contrôle du gouvernement sur la situation et même sur sa propre armée est limité. La présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva, dont le pouvoir commence à être contesté à Bichkek, a reconnu son impuissance devant le risque de guerre civile.
Selon Rosa Otounbaïeva, son prédécesseur déchu Kourmanbek Bakiev aurait mis le feu aux tensions ethniques latentes dans le sud, où il dispose toujours d'appuis importants et armés, dans l'espoir de regagner le contrôle d'une partie du pays et de faire annuler le référendum constitutionnel prévu pour le 27 juin.
Sans hésitation, Rosa Otounbaïeva a demandé dès le début de la crise l'ingérence de Moscou, arbitre naturel des conflits dans la plupart des ex-républiques soviétiques. Mais le président russe Dmitri Medvedev n'a pas eu le même empressement à intervenir dans ce conflit, « interne » selon lui, que lors de la guerre dans la république séparatiste géorgienne d'Ossétie du Sud, en août 2008. C'est qu'au Kirghizstan, les intérêts russes ne sont pas contestés. Le président russe a certes promis une aide humanitaire d'urgence, mais les seuls soldats russes qui ont atterri pour l'instant sen renfort sur le sol kirghiz venaient... pour protéger les familles des militaires de la base russe de Kant.
Pour la plupart des observateurs, la seule option pour faire cesser rapidement les violences interethniques serait l'envoi d'une force de maintien de la paix russe ou de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe sept ex-républiques soviétiques. Or, en réunion d'urgence hier à Moscou, les secrétaires des pays membres ont rejeté l'idée d'un déploiement rapide de leurs soldats au Kirghizstan. L'organisation a indiqué à l'issue de sa réunion que « ces mesures doivent être réfléchies », selon son secrétaire général Nikolaï Bordiouja.
Pour la quatrième journée, les violences interethniques se sont poursuivies hier dans le sud du Kirghizstan. Le bilan provisoire de 138 morts et de 1761 blessés serait largement sous-estimé. La Russie et ses alliés ex-soviétiques ayant exclu une fois de plus hier l'envoi rapide d'une force de maintien de la paix, rien ne semble pouvoir arrêter les violences à court terme.
Les réfugiés d'ethnie ouzbèke continuent de tenter de s'enfuir du Kirghizstan vers l'Ouzbékistan voisin. En quatre jours, ils seraient plus de 100 000 à avoir traversé la frontière pour se réfugier dans des camps. Au seul poste-frontière du district de Souzak, ils étaient hier au moins 50 000 autres à vouloir se rendre en Ouzbékistan. Le Comité international de la Croix-Rouge parle d'une situation humanitaire « critique ».
D'autant que l'Ouzbékistan a fermé hier soir sa frontière et a lancé un appel à l'aide internationale pour les 45 000 réfugiés (seuls les hommes adultes sont comptés) et leurs femmes et enfants, qui ont déjà été accueillis. « Nous allons cesser d'accepter des réfugiés du Kirghizstan car nous ne pouvons pas les loger et n'avons pas les capacités pour les accueillir », a déclaré le vice-premier ministre ouzbek, Abdoullah Aripov, au camp de réfugiés de Iorkichlok, à la frontière.
À Och et Djalalabad, les deuxième et troisième villes du pays, la situation restait très tendue. L'agence kirghize AKIpress rapportait qu'à Djalalabad, un « groupe de jeunes gens armés portant des brassards avec le slogan "S'il y a des Ouzbeks, on va leur tirer dessus" » sillonnait la ville. Un reporter du New York Times visitant un quartier ouzbek d'Och dimanche a constaté que pratiquement tous les édifices étaient en feu sauf un, marqué à la peinture rouge de l'inscription « kirghiz ». Plusieurs Kirghizes auraient aussi indiqué leur appartenance ethnique sur leur voiture afin d'éviter d'être la cible de tirs.
Des réfugiés d'ethnie ouzbèke accusent l'armée kirghize régulière, théoriquement sous le contrôle du gouvernement provisoire, d'ouvrir la voie aux bandes armées kirghizes pour qu'elles commettent un « génocide planifié » contre la minorité ouzbèke du pays. La diaspora ouzbèke, qui constitue près de la moitié de la population dans certaines villes du sud du Kirghizstan, avait pourtant appuyé le gouvernement provisoire lors des violentes émeutes qui ont renversé le président Kourmanbek Bakiev, le 7 avril dernier. Mais le contrôle du gouvernement sur la situation et même sur sa propre armée est limité. La présidente intérimaire Rosa Otounbaïeva, dont le pouvoir commence à être contesté à Bichkek, a reconnu son impuissance devant le risque de guerre civile.
Selon Rosa Otounbaïeva, son prédécesseur déchu Kourmanbek Bakiev aurait mis le feu aux tensions ethniques latentes dans le sud, où il dispose toujours d'appuis importants et armés, dans l'espoir de regagner le contrôle d'une partie du pays et de faire annuler le référendum constitutionnel prévu pour le 27 juin.
Sans hésitation, Rosa Otounbaïeva a demandé dès le début de la crise l'ingérence de Moscou, arbitre naturel des conflits dans la plupart des ex-républiques soviétiques. Mais le président russe Dmitri Medvedev n'a pas eu le même empressement à intervenir dans ce conflit, « interne » selon lui, que lors de la guerre dans la république séparatiste géorgienne d'Ossétie du Sud, en août 2008. C'est qu'au Kirghizstan, les intérêts russes ne sont pas contestés. Le président russe a certes promis une aide humanitaire d'urgence, mais les seuls soldats russes qui ont atterri pour l'instant sen renfort sur le sol kirghiz venaient... pour protéger les familles des militaires de la base russe de Kant.
Pour la plupart des observateurs, la seule option pour faire cesser rapidement les violences interethniques serait l'envoi d'une force de maintien de la paix russe ou de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe sept ex-républiques soviétiques. Or, en réunion d'urgence hier à Moscou, les secrétaires des pays membres ont rejeté l'idée d'un déploiement rapide de leurs soldats au Kirghizstan. L'organisation a indiqué à l'issue de sa réunion que « ces mesures doivent être réfléchies », selon son secrétaire général Nikolaï Bordiouja.
Le Kirghizstan bascule dans la violence
Article publié le lundi 14 juin 2010 dans La Presse et La Tribune de Genève.
Moscou - Des affrontements entre la majorité kirghize et la minorité ouzbèke ont fait plus de 100 morts et 1250 blessés depuis vendredi soir dans le sud du Kirghizistan. Le gouvernement provisoire de cette instable ex-république soviétique reconnaît avoir perdu la maîtrise de la situation.
Maisons et édifices brûlés, corps calcinés dans les rues, fusillades de jour comme de nuit, population en fuite. Depuis trois jours, Och et Djalal-Abad, deuxième et troisième villes du pays, sont livrées aux exactions et au pillage de plusieurs bandes armées.
Si l'élément déclencheur précis des violences reste nébuleux, la mèche était courte et facile à allumer. Les tensions entre les deux communautés dominantes sont constantes dans le sud du Kirghizistan, situé dans la très multiethnique vallée de Ferghana. Il n'y avait toutefois pas eu d'affrontements aussi violents entre Kirghizes et Ouzbeks depuis 1990.
Selon Danil Kislov, rédacteur en chef du site d'information Ferghana.ru, celui qui a mis le feu au poudre, c'est l'ex-président Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir par la rue le 7 avril dernier. "Ses hommes ont répandu des rumeurs à l'effet que des Ouzbeks avaient violé des femmes kirghizes, et vice versa." Il n'en fallait pas plus pour que la jeunesse désoeuvrée de cette région pauvre prenne les armes et laisse libre cours à sa colère nationaliste, croit M. Kislov.
En exil en Biélorussie, Bakiev a fermement démenti toute implication dans les troubles. Coupable ou non, le clan de l'ex-président, originaire de la région de Djalal-Abad, conserve une très forte influence dans cette partie du pays. C'est d'ailleurs dans le sud que Bakiev s'était réfugié en avril, tout juste après l'invasion du siège de la présidence par une foule en colère. Il avait ensuite été contraint de quitter le pays.
Le couvre-feu en vigueur 24 heures sur 24 et l'état d'urgence décrétés hier par le gouvernement provisoire dans le sud risquent donc de rester sans véritable effet. "Si le gouvernement avait eu les ressources nécessaires, il aurait peut-être pu calmer le jeu. Mais dans le Sud, ils n'ont pas de soldats et doivent en envoyer du Nord. Les policiers de la région, eux, restent fidèles à Bakiev", souligne M. Kislov.
Pour faire face à la menace de guerre civile, le gouvernement a ordonné hier à ses forces de "faire feu à volonté" sur les bandes armées. Le ministère de la Défense a également appelé en renfort tous les réservistes de l'armée âgés de 18 à 50 ans.
Tentative de déstabilisation
La présidente intérimaire du pays, Rosa Otounbaïeva, accuse son prédécesseur déchu de vouloir déstabiliser la situation déjà volatile avant le référendum sur une nouvelle Constitution, prévu le 27 juin. Sa tenue devient de plus en plus improbable avec les violences de cette fin de semaine. "Bakiev ne veut pas du référendum, parce qu'il légitimerait le gouvernement provisoire", analyse Danil Kislov.
Samedi, Rosa Otounbaïeva a jugé que la situation était "impossible à maîtriser" et a demandé à la Russie d'envoyer des soldats pour faire cesser les violences. Moscou a pour l'instant refusé, prétextant qu'il s'agit d'un conflit "interne".
Le président russe Dmitri Medvedev a toutefois annoncé l'attribution d'une aide humanitaire, mais non militaire. Il a aussi promis de discuter du problème aujourd'hui avec ses homologues de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe sept anciennes républiques soviétiques, dont le Kirghizistan.
Pendant ce temps, des milliers de citoyens kirghizes d'origine ouzbèke se sont massés à la frontière avec l'Ouzbékistan hier. Le gouvernement ouzbek a installé des camps pour accueillir les réfugiés sur son territoire. Hier, ils étaient déjà 80 000 à avoir traversé la frontière, ont estimé les autorités ouzbèkes.
Moscou - Des affrontements entre la majorité kirghize et la minorité ouzbèke ont fait plus de 100 morts et 1250 blessés depuis vendredi soir dans le sud du Kirghizistan. Le gouvernement provisoire de cette instable ex-république soviétique reconnaît avoir perdu la maîtrise de la situation.
Maisons et édifices brûlés, corps calcinés dans les rues, fusillades de jour comme de nuit, population en fuite. Depuis trois jours, Och et Djalal-Abad, deuxième et troisième villes du pays, sont livrées aux exactions et au pillage de plusieurs bandes armées.
Si l'élément déclencheur précis des violences reste nébuleux, la mèche était courte et facile à allumer. Les tensions entre les deux communautés dominantes sont constantes dans le sud du Kirghizistan, situé dans la très multiethnique vallée de Ferghana. Il n'y avait toutefois pas eu d'affrontements aussi violents entre Kirghizes et Ouzbeks depuis 1990.
Selon Danil Kislov, rédacteur en chef du site d'information Ferghana.ru, celui qui a mis le feu au poudre, c'est l'ex-président Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir par la rue le 7 avril dernier. "Ses hommes ont répandu des rumeurs à l'effet que des Ouzbeks avaient violé des femmes kirghizes, et vice versa." Il n'en fallait pas plus pour que la jeunesse désoeuvrée de cette région pauvre prenne les armes et laisse libre cours à sa colère nationaliste, croit M. Kislov.
En exil en Biélorussie, Bakiev a fermement démenti toute implication dans les troubles. Coupable ou non, le clan de l'ex-président, originaire de la région de Djalal-Abad, conserve une très forte influence dans cette partie du pays. C'est d'ailleurs dans le sud que Bakiev s'était réfugié en avril, tout juste après l'invasion du siège de la présidence par une foule en colère. Il avait ensuite été contraint de quitter le pays.
Le couvre-feu en vigueur 24 heures sur 24 et l'état d'urgence décrétés hier par le gouvernement provisoire dans le sud risquent donc de rester sans véritable effet. "Si le gouvernement avait eu les ressources nécessaires, il aurait peut-être pu calmer le jeu. Mais dans le Sud, ils n'ont pas de soldats et doivent en envoyer du Nord. Les policiers de la région, eux, restent fidèles à Bakiev", souligne M. Kislov.
Pour faire face à la menace de guerre civile, le gouvernement a ordonné hier à ses forces de "faire feu à volonté" sur les bandes armées. Le ministère de la Défense a également appelé en renfort tous les réservistes de l'armée âgés de 18 à 50 ans.
Tentative de déstabilisation
La présidente intérimaire du pays, Rosa Otounbaïeva, accuse son prédécesseur déchu de vouloir déstabiliser la situation déjà volatile avant le référendum sur une nouvelle Constitution, prévu le 27 juin. Sa tenue devient de plus en plus improbable avec les violences de cette fin de semaine. "Bakiev ne veut pas du référendum, parce qu'il légitimerait le gouvernement provisoire", analyse Danil Kislov.
Samedi, Rosa Otounbaïeva a jugé que la situation était "impossible à maîtriser" et a demandé à la Russie d'envoyer des soldats pour faire cesser les violences. Moscou a pour l'instant refusé, prétextant qu'il s'agit d'un conflit "interne".
Le président russe Dmitri Medvedev a toutefois annoncé l'attribution d'une aide humanitaire, mais non militaire. Il a aussi promis de discuter du problème aujourd'hui avec ses homologues de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui regroupe sept anciennes républiques soviétiques, dont le Kirghizistan.
Pendant ce temps, des milliers de citoyens kirghizes d'origine ouzbèke se sont massés à la frontière avec l'Ouzbékistan hier. Le gouvernement ouzbek a installé des camps pour accueillir les réfugiés sur son territoire. Hier, ils étaient déjà 80 000 à avoir traversé la frontière, ont estimé les autorités ouzbèkes.
Les nomades de Mongolie frappés par des froids extrêmes
Reportage publié dans La Croix, Le Soir et La Presse en mai 2010.
Reportage radio à Radio-Canada sur le même sujet: Le nomadisme mongol en voie d'extinction
Sept millions de têtes de bétail sont mortes à cause de l'hiver le plus froid depuis quarante ans, et des milliers de familles d'éleveurs nomades partent planter leur yourte dans la capitale surpeuplée.
(Oulan-Bator et province de Boulgan, Mongolie) - Ratnabatam Batam traîne le cadavre de l'un de ses moutons hors de son enclos. Il le dépose près de dizaines d'autres carcasses, à une centaine de mètres de sa yourte, où une chèvre affamée arrache les entrailles de l'une de ses congénères mortes. L'hiver est presque terminé, mais les animaux affaiblis de Ratnabatam meurent toujours. Des 600 chèvres et moutons qu'il avait, il n'en compte plus qu'environ 200.
« J'ai perdu vingt ans de travail en trois mois. Chaque matin, j'ai peur d'entrer dans l'enclos et de trouver d'autres de mes animaux morts », confie l'éleveur, qui a embrassé la vie nomade au milieu des années 1980, à l'appel du Parti révolutionnaire du peuple mongol, alors parti unique. « Cet hiver, les animaux avaient si froid qu'ils tremblaient et n'arrivaient pas à creuser la neige épaisse pour aller brouter l'herbe. Certains avaient si faim qu'ils mangeaient le pelage des autres », raconte-t-il.
Malgré tout, Ratnabatam refuse d'abandonner sa vie de pasteur dans la province de Boulgan, à 450 km au nord-ouest de la capitale. L'homme de 55 ans promet de se battre « jusqu'au bout » pour faire renaître son troupeau, au lieu d'aller grossir les rangs de chômeurs à Oulan-Bator.
Depuis la chute du communisme en 1990, les quartiers de yourtes et de maisonnettes sommaires n'ont cessé de s'étendre à flanc de collines dans la capitale, autour d'un centre fait de vieux édifices à l'architecture socialiste. De 540 000 habitants, la population d'Oulan-Bator est passée à 1,1 million, voire 1,6 million, selon les estimations. Environ la moitié des trois millions de Mongols s'entassent aujourd'hui dans la capitale du pays le moins densément peuplé du monde, avec 1,9 habitant au kilomètre carré.
Après les derniers hivers, plutôt doux, 27 000 familles en moyenne quittaient la province, le printemps venu, pour installer leur yourte dans les faubourgs poussiéreux, pollués et sans eau courante de la capitale. Mais cette année, le dzud blanc (hiver rigoureux très enneigé) a frappé presque toutes les régions du pays. Les températures sont descendues jusqu'à - 52 °C lors de l'hiver le plus sévère depuis quarante ans. Plus de sept millions de têtes de bétail ont péri en Mongolie. L'exode rural ne pourra qu'être encore plus massif.
« Oulan-Bator n'est pas prête à les accueillir, mais elle doit les accueillir », indique Ourantsoodj Gombosouren, directrice du Centre pour les droits humains et le développement. « La population est déjà deux fois plus nombreuse que ce que la ville peut absorber, mais il n'y a pas de régulation et on ne peut pas les arrêter. » Depuis l'adoption d'une nouvelle Constitution en 1992, les Mongols ont le droit de circuler librement sur le territoire. Si une famille choisit la vie sédentaire, elle peut prendre possession d'un terrain libre, à Oulan-Bator ou ailleurs, puis lancer les démarches de légalisation.
Selon Ourantsoodj, la seule solution pour freiner le flux de migrants serait d'investir dans le développement régional. Elle note qu'à l'époque communiste, les éleveurs faisaient partie de coopératives et étaient mieux protégés en cas de catastrophe.« Le gouvernement était responsable de tout s'il y avait un dzud », dit-elle. Aujourd'hui, les éleveurs sont propriétaires de leur troupeau. Lorsqu'ils regardaient, impuissants, leurs bêtes mourir de froid cet hiver, c'était leur capital et leurs futurs revenus qu'ils voyaient disparaître.
Batdorg Soukhee, un autre éleveur de la province de Boulgan, a perdu plus de 80 % de ses animaux, dont son unique cheval. Il espère maintenant que la banque se montrera clémente et lui offrira un délai pour rembourser son prêt. Comme plusieurs éleveurs, il avait contracté un emprunt avant l'hiver pour acheter davantage de chèvres et ainsi augmenter sa production de cachemire.
S'il n'arrive pas à sauver le reste de son troupeau, il compte devenir assistant d'un autre éleveur. Le téléviseur installé au coin de sa yourte lui a appris qu'Oulan-Bator, où il a brièvement mis les pieds lors de son service militaire, est une ville polluée où trouver un emploi peut être difficile. « De toute façon, il n'a pas de diplôme universitaire », lance sa femme enceinte qui allaite leur deuxième fille.
Lors du dernier dzud, qui a duré trois hivers consécutifs (2000-2003) et tué plus de onze millions de têtes de bétail, Gambat Soumiya a quitté la vie d'éleveur pour se trouver un travail à Erdenet, deuxième ville du pays. Sans succès. Il dit avoir visité toutes les villes du pays pour se trouver un emploi. Il a même été extracteur illégal d'or. « Avec le recul, je regrette. Je n'aurais pas dû vendre le reste de mon bétail. Maintenant, je dis à mes amis éleveurs de continuer à prendre soin de leurs animaux restants, parce que tôt ou tard, le cheptel grandira à nouveau et, au moins, ils auront un revenu. »
Pendant ce temps, Batchtolong nivelle à coups de pic son nouveau terrain en périphérie d'Oulan-Bator, dans un quartier qui n'est pas encore électrifié ni desservi par les transports en commun, à 17 km du centre-ville. Le jeune homme de 26 ans, un installateur de climatiseurs qui a grandi avec ses grands-parents pasteurs à la campagne, y montera sa yourte pour y habiter avec sa mère. Mais pour lui, la ville n'est qu'un passage obligé. « Je vais travailler ici cinq à dix ans pour amasser de l'argent, puis j'achèterai un troupeau pour aller vivre dans la steppe », se promet-il.
Reportage radio à Radio-Canada sur le même sujet: Le nomadisme mongol en voie d'extinction
Sept millions de têtes de bétail sont mortes à cause de l'hiver le plus froid depuis quarante ans, et des milliers de familles d'éleveurs nomades partent planter leur yourte dans la capitale surpeuplée.
(Oulan-Bator et province de Boulgan, Mongolie) - Ratnabatam Batam traîne le cadavre de l'un de ses moutons hors de son enclos. Il le dépose près de dizaines d'autres carcasses, à une centaine de mètres de sa yourte, où une chèvre affamée arrache les entrailles de l'une de ses congénères mortes. L'hiver est presque terminé, mais les animaux affaiblis de Ratnabatam meurent toujours. Des 600 chèvres et moutons qu'il avait, il n'en compte plus qu'environ 200.
« J'ai perdu vingt ans de travail en trois mois. Chaque matin, j'ai peur d'entrer dans l'enclos et de trouver d'autres de mes animaux morts », confie l'éleveur, qui a embrassé la vie nomade au milieu des années 1980, à l'appel du Parti révolutionnaire du peuple mongol, alors parti unique. « Cet hiver, les animaux avaient si froid qu'ils tremblaient et n'arrivaient pas à creuser la neige épaisse pour aller brouter l'herbe. Certains avaient si faim qu'ils mangeaient le pelage des autres », raconte-t-il.
Malgré tout, Ratnabatam refuse d'abandonner sa vie de pasteur dans la province de Boulgan, à 450 km au nord-ouest de la capitale. L'homme de 55 ans promet de se battre « jusqu'au bout » pour faire renaître son troupeau, au lieu d'aller grossir les rangs de chômeurs à Oulan-Bator.
Depuis la chute du communisme en 1990, les quartiers de yourtes et de maisonnettes sommaires n'ont cessé de s'étendre à flanc de collines dans la capitale, autour d'un centre fait de vieux édifices à l'architecture socialiste. De 540 000 habitants, la population d'Oulan-Bator est passée à 1,1 million, voire 1,6 million, selon les estimations. Environ la moitié des trois millions de Mongols s'entassent aujourd'hui dans la capitale du pays le moins densément peuplé du monde, avec 1,9 habitant au kilomètre carré.
Après les derniers hivers, plutôt doux, 27 000 familles en moyenne quittaient la province, le printemps venu, pour installer leur yourte dans les faubourgs poussiéreux, pollués et sans eau courante de la capitale. Mais cette année, le dzud blanc (hiver rigoureux très enneigé) a frappé presque toutes les régions du pays. Les températures sont descendues jusqu'à - 52 °C lors de l'hiver le plus sévère depuis quarante ans. Plus de sept millions de têtes de bétail ont péri en Mongolie. L'exode rural ne pourra qu'être encore plus massif.
« Oulan-Bator n'est pas prête à les accueillir, mais elle doit les accueillir », indique Ourantsoodj Gombosouren, directrice du Centre pour les droits humains et le développement. « La population est déjà deux fois plus nombreuse que ce que la ville peut absorber, mais il n'y a pas de régulation et on ne peut pas les arrêter. » Depuis l'adoption d'une nouvelle Constitution en 1992, les Mongols ont le droit de circuler librement sur le territoire. Si une famille choisit la vie sédentaire, elle peut prendre possession d'un terrain libre, à Oulan-Bator ou ailleurs, puis lancer les démarches de légalisation.
Selon Ourantsoodj, la seule solution pour freiner le flux de migrants serait d'investir dans le développement régional. Elle note qu'à l'époque communiste, les éleveurs faisaient partie de coopératives et étaient mieux protégés en cas de catastrophe.« Le gouvernement était responsable de tout s'il y avait un dzud », dit-elle. Aujourd'hui, les éleveurs sont propriétaires de leur troupeau. Lorsqu'ils regardaient, impuissants, leurs bêtes mourir de froid cet hiver, c'était leur capital et leurs futurs revenus qu'ils voyaient disparaître.
Batdorg Soukhee, un autre éleveur de la province de Boulgan, a perdu plus de 80 % de ses animaux, dont son unique cheval. Il espère maintenant que la banque se montrera clémente et lui offrira un délai pour rembourser son prêt. Comme plusieurs éleveurs, il avait contracté un emprunt avant l'hiver pour acheter davantage de chèvres et ainsi augmenter sa production de cachemire.
S'il n'arrive pas à sauver le reste de son troupeau, il compte devenir assistant d'un autre éleveur. Le téléviseur installé au coin de sa yourte lui a appris qu'Oulan-Bator, où il a brièvement mis les pieds lors de son service militaire, est une ville polluée où trouver un emploi peut être difficile. « De toute façon, il n'a pas de diplôme universitaire », lance sa femme enceinte qui allaite leur deuxième fille.
Lors du dernier dzud, qui a duré trois hivers consécutifs (2000-2003) et tué plus de onze millions de têtes de bétail, Gambat Soumiya a quitté la vie d'éleveur pour se trouver un travail à Erdenet, deuxième ville du pays. Sans succès. Il dit avoir visité toutes les villes du pays pour se trouver un emploi. Il a même été extracteur illégal d'or. « Avec le recul, je regrette. Je n'aurais pas dû vendre le reste de mon bétail. Maintenant, je dis à mes amis éleveurs de continuer à prendre soin de leurs animaux restants, parce que tôt ou tard, le cheptel grandira à nouveau et, au moins, ils auront un revenu. »
Pendant ce temps, Batchtolong nivelle à coups de pic son nouveau terrain en périphérie d'Oulan-Bator, dans un quartier qui n'est pas encore électrifié ni desservi par les transports en commun, à 17 km du centre-ville. Le jeune homme de 26 ans, un installateur de climatiseurs qui a grandi avec ses grands-parents pasteurs à la campagne, y montera sa yourte pour y habiter avec sa mère. Mais pour lui, la ville n'est qu'un passage obligé. « Je vais travailler ici cinq à dix ans pour amasser de l'argent, puis j'achèterai un troupeau pour aller vivre dans la steppe », se promet-il.
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