Article paru dans les journaux La Presse, La Croix et le Soir, en juillet-août 2009.
Il y a quatre ans, craignant d'être renversé par une révolution pro-démocratique comme le furent ses alliés en Ukraine voisine, le régime autoritaire de Vladimir Poutine a créé des groupes de jeunes patriotes prêts à le défendre contre tout mouvement populaire. Aujourd'hui, la menace est passée. L'opposition russe est en lambeaux. Le Kremlin veut maintenant mobiliser sa jeunesse pour développer le pays, leur promettant un rêve russe aux accents américains, nous explique notre collaborateur.
Région de Tver, Russie - Il est 8h du matin, sur les bords du pittoresque lac Seliger, à 340 km au nord-ouest de Moscou. Des haut-parleurs crachent l'hymne national russe. Des centaines de participants du camp Seliger se massent devant une scène décorée de portraits et de citations du président Dmitri Medvedev et du premier ministre Vladimir Poutine pour la séance matinale d'exercice.
Les quatre années précédentes, le camp était organisé par Nachi («Les nôtres»), groupe jeunesse pro-Kremlin fondé au début de 2005, tout juste après la vague de révolutions colorées pro-occidentales dans trois républiques ex-soviétiques.
Cet été, l'Agence fédérale pour les affaires de la jeunesse, dirigée par l'ancien chef des Nachi, a reçu 3 millions de dollars de fonds publics pour prendre en main le camp. Quelque 50 000 jeunes au total ont passé une semaine ou plus dans le village de tentes aux abords de Seliger, soit 10 fois plus que l'an dernier.
«Allez! Dmitri Anatolevitch (Medvedev) doit voir que nous sommes pleins d'énergie!» lance un animateur aux jeunes en train de se dégourdir. En après-midi, ils s'entretiendront avec le président par vidéoconférence.
Quelques centaines de mètres plus loin, une série de croix plantées au sol forment le «Cimetière des inventions qui auraient pu appartenir à la Russie». Les épitaphes relatent l'histoire de l'ampoule électrique, de la radio, de l'hélicoptère ou encore du jeu Tetris, que les Russes auraient été les premiers à mettre au point, mais qu'un Américain ou, pire, un Russe immigré, ont breveté à l'étranger.
Soutenir la jeunesse
Evgueni Kourkine, 23 ans, s'assurera que ça ne se reproduise plus. Dans l'une des tentes du camp, l'étudiant de l'Université aérocosmique de Samara règle les détails d'une entente commerciale avec le directeur innovation d'Onexim Group, Mikhaïl Rogatchev. Ce dernier est prêt à investir 1 million de roubles (36 000$ CAN) dans le développement de la turbine éolienne conçue pour le milieu urbain par Evgueni et son équipe.
«Appuyer ces projets est pour nous un moyen de former une demande pour l'innovation en Russie, expliquera M. Rogatchev. Nous croyons qu'il est important que notre jeunesse énergique soit soutenue.»
Dans un pays où les mots durs de Poutine envers un chef d'entreprise peuvent faire chuter du tiers la valeur de ses actions en une journée, c'est aussi une façon pour les gens d'affaires d'assurer leurs bonnes relations avec le pouvoir.
Au moment de la vidéoconférence, Dmitri Medvedev se félicitera d'ailleurs qu'Onexim Group, qui appartient à Mikhaïl Prokhorov, l'homme le plus riche de Russie selon le magazine Forbes, appuie ces projets.
Sous un autre chapiteau, de jeunes inventeurs en sont encore à convaincre des investisseurs potentiels. «Vous devriez mieux montrer votre avantage concurrentiel», suggère l'un des hommes d'affaires à une jeune fille après sa présentation. Celle-ci aurait peut-être dû se procurer l'une des dizaines de traductions de livres américains qui promettent de révéler la recette miracle pour devenir millionnaire, en vente dans la tente voisine.
Plus de capitalisme
Seliger est maintenant plongé dans le capitalisme. «Nous commençons un nouveau cycle», explique Ilia Kostounov, l'énergique directeur du camp. «Les premières années, il n'y avait qu'une thématique: la politique. Nous devions préparer de jeunes politiciens», rappelle-t-il.
Résultats: cinq anciens campeurs de Seliger sont devenus députés à la Douma (Parlement russe), près d'une trentaine siègent dans les parlements régionaux, sans compter la multitude d'entre eux qui sont devenus fonctionnaires.
«Par analogie, nous voudrions avoir, dans trois ans, cinq multinationales et une trentaine d'entreprises régionales» issues de Seliger, rêve déjà Ilia Kostounov.
Il assure qu'il y a désormais «zéro politique» dans l'organisation du camp et dans le choix des participants. «Le fait d'avoir ou non une carte de membre d'un parti ne change en rien la capacité d'une personne à inventer.»
Gleb Pavlovski, conseiller de tous les présidents russes et l'un des idéologues derrière la création de Nachi, confirme le changement de fonction de la jeunesse poutinienne.
«Il y a quatre ans, il y avait sans l'ombre d'un doute une menace réelle (contre le pouvoir) et son rôle était de contenir les mouvements antiétatiques.» Selon M. Pavlovski, c'est «l'existence même» des groupes de jeunes pro-Kremlin qui a permis de «régler» le cas de l'opposition. «Aujourd'hui, le problème sonne différemment: il faut moderniser le pays.»
En ce cas, les forces vives de la jeunesse patriotique russe seront toujours mobilisées. Ilia Kostounov n'hésitera pas à délaisser momentanément sa chaise de fonctionnaire pour reprendre la rue. «J'ai prêté serment en tant que commissaire (de Nachi) que je ne laisserais jamais se produire un événement anticonstitutionnel dans le pays.»
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