Article publié dans La Presse le 21 octobre 2009
La place Rouge ne blanchira pas cet hiver. Et dans un pays où les politiciens font la pluie et le beau temps, Dame Nature n'y est pour rien. C'est le conseil municipal de Moscou qui vient de décider d'abolir les tempêtes de neige, nous rapporte notre collaborateur.
Moscou - Quand le maire de Moscou Iouri Loujkov a proposé, début septembre, d'abolir les tempêtes de neige dans sa ville, il ne s'agissait pas d'une promesse électorale en l'air. Du 15 novembre au 15 mars, l'aviation russe aura l'ordre d'éliminer tout nuage susceptible de causer de trop fortes précipitations sur la capitale.
Le tout-puissant maire, en poste depuis 17 ans, n'est pas allergique à l'hiver. Sa motivation est plutôt d'ordre budgétaire. Selon ses estimations, la ville pourrait économiser entre 160 et 300 millions de roubles (5,7 et 10,7 millions CAN) chaque hiver en déneigement si les grandes tempêtes de plus de 10 cm de neige étaient évitées. La chasse aux nuages ne coûterait qu'entre deux et trois millions de dollars par hiver, toujours selon le maire.
La technique a déjà fait ses preuves. Depuis des décennies, l'aviation soviétique, puis russe, bombarde, à l'aide d'un mélange d'iodure d'argent, de poudre de ciment et de glace sèche, les nuages menaçant de se déverser sur les parades dans la capitale lors de certaines fêtes estivales. Le procédé n'a toutefois pas été testé en hiver.
Mais Iouri Loujkov n'a rien à prouver. Même s'il n'a fourni aucune expertise, n'a pas consulté les météorologues, écologistes et économistes, le projet a été adopté sans grand questionnement par les députés du conseil municipal, la semaine dernière.
Chef de file à Moscou de Russie unie, le parti dirigé par le premier ministre Vladimir Poutine, le maire avait justement renforcé sa majorité lors d'élections entachées d'irrégularités, le 11 octobre. Russie unie détient maintenant 32 des 35 sièges au conseil.
Les citoyens et élus de la région moscovite n'ont pas été consultés eux non plus. C'est pourtant eux qui hériteront en premier lieu de la neige qui aurait dû tomber sur la place Rouge, puisque les nuages seront crevés au-dessus de leurs têtes. En juin 2008, une famille avait d'ailleurs eu la mauvaise surprise de voir son toit transpercé par un sac de ciment de 25 kg, échappé par un avion lors d'une chasse aux nuages.
Selon Loujkov, les habitants de la périphérie devraient surtout se réjouir de son illumination. «Il ne faut pas en rire, tout ce que ça fera, c'est que les récoltes dans les champs seront meilleures!» a-t-il déclaré récemment, se fiant uniquement à son bon sens.
Des écologistes ont dit craindre que la perturbation du cycle naturel de précipitations ne menace des animaux sauvages en périphérie de la capitale, alors que la végétation au centre-ville pourrait manquer d'eau.
Ce n'est pas la première fois que Iouri Loujkov se prend pour Dame Nature. Depuis longtemps, il plaide pour rediriger le cours de fleuves de Sibérie afin d'irriguer des terres. À l'époque soviétique, un éclair de génie similaire d'économistes soviétiques avait failli causer l'assèchement de la gigantesque mer d'Aral, en Asie centrale, qui a perdu 60% de son volume en 30 ans.
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