Article publié dans La Presse (12 septembre 2009) et dans La Tribune de Genève.
Plus de la moitié des quelque 10 000 Noirs de Moscou ont déjà été agressés en raison de la couleur de leur peau, selon une étude récente. Le racisme continue de menacer quotidiennement la vie des Africains en Russie.
Moscou - Emmanuel et Jalambo grillent des cigarettes avec d'autres amis soudanais dans la cour de l'Université russe de l'amitié entre les peuples de Moscou. « Ici, personne ne nous touche. C'est plus sûr », lance Emmanuel.
Même s'il n'étudie plus, l'Africain de 27 ans, aujourd'hui diplômé en médecine, continue de flâner près de l'institution qui compte 3500 étudiants étrangers.
Son genou le fait encore souffrir. En 2004, il a passé deux mois à l'hôpital après avoir été « salué » par une quinzaine de skinheads à Saratov (à 700 km au sud-est de Moscou). « Je revenais du supermarché et ils m'ont attrapé », raconte Emmanuel, dans un russe presque sans accent.
Son copain Jalambo, 26 ans, finissant en génie électrique, n'a eu quant à lui que des « petits pépins «. Pas question tout de même de se promener seul dans la rue une fois la nuit tombée, et encore moins de prendre le métro sans être accompagné, explique celui qui travaille comme disc-jockey en banlieue de Moscou.
« Pas seulement les skinheads, mais n'importe quelle personne soûle peut nous insulter ou nous demander ton argent. Et même si on nous bat, personne dans la rue ne viendra nous aider. »
Tous les amis de couleur de Jalambo et Emmanuel ont déjà au moins été traités de « singes». Lorsqu'ils n'ont pas carrément été passés à tabac.
Objet «prioritaire» de la haine
Selon un sondage mené par l'Aumônerie protestante de Moscou, une ONG qui travaille avec les immigrants africains, 60 % des Noirs de la capitale ont été agressés depuis qu'ils y habitent. Quatre répondants sur cinq ont affirmé avoir été l'objet de violence verbale.
« Ce n'est pas du tout étonnant », commente Alexander Verkhovski, directeur du Centre Sova, une ONG qui observe les mouvements nationalistes et racistes en Russie.
La plupart des attaques racistes sont toutefois commises contre des ressortissants des républiques du Caucase russe ou de l'Asie centrale ex-soviétique, souligne-t-il. Les mouvements d'extrême droite les accusent de menacer la suprématie du peuple russe, de vouloir « islamiser » le pays et de voler les emplois des Russes.
La violence contre les Africains s'explique différemment. « Les groupes néonazis russes imitent les pratiques et la rhétorique de ceux d'Europe occidentale, pour qui les Noirs sont l'objet prioritaire de la haine », note M. Verkhovski.
Lundi, un Camerounais a été poignardé dans le sud de Moscou, vraisemblablement par des néonazis. Une attaque courante. Durant les six premiers mois de l'année, 37 personnes ont été tuées dans 126 attaques xénophobes dans tout le pays. Les Africains forment une très petite communauté de quelques milliers de personnes en Russie, mais ils sont surreprésentés parmi les victimes.
L'Obama russe
Pour obtenir aide et protection, les étrangers hésitent à se tourner vers la police. Les forces de l'ordre font plus souvent parti du problème que de la solution, expliquent les deux Soudanais interrogés. Emmanuel ne compte plus le nombre de fois où des agents contrôlent sans raison son identité, chaque jour.
Alexander Verkhovski note toutefois que les forces de l'ordre ont réellement intensifié la lutte contre les mouvements d'extrême droite depuis deux ans. « Certains [néo-nazis] se cachent, d'autres se sont même suicidés. Ces groupes font face à une sérieuse pression à Moscou. Dans les autres villes par contre, ce n'est pas encore le cas », précise-t-il.
Le racisme n'aura tout de même pas empêché Joaquim Crima, 37 ans, de se présenter au poste de chef de district de Sredneakhtoubinsk (Sud), pour l'élection d'octobre.
Originaire de Guinée-Bissau, il a rapidement été surnommé l'« Obama russe », même si ses chances d'élections sont minces. Un deuxième candidat, de père ghanéen et de mère russe, s'est ensuite lancé dans la course pour le même siège.
« J'ai peur pour lui », dit Emmanuel en parlant de Joaquim Crima. « Peut-être qu'ils vont le zigouiller. « L'élection de Barack Obama en novembre dernier aura créé une certaine vague de respect pour les Noirs en Russie, note Emmanuel. « Mais après un mois, ça s'est dissipé. »
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