lundi 9 novembre 2009

Chute du mur de Berlin: Indifférence en Union soviétique

Publié le 9 novembre dans le journal Le Soir de Bruxelles.

«Le noeud gordien est coupé ». C'est avec ce titre nébuleux que la Pravda faisait état dans son édition du 11 novembre 1989 de la « situation » en République démocratique allemande. Non pas en « Une », occupée par des informations pompeuses sur la mise à l'eau du paquebot soviétique Ernesto Che Guevara et les activités du Parti communiste, mais en bas de page 6, dans la section Le monde des années 80.

« Tout juste après que la décision du gouvernement de RDA [d'autoriser le libre déplacement de ses citoyens hors du pays] a été rendue publique, plusieurs habitants de la capitale ont utilisé cette nouvelle possibilité : dans leur propre voiture ou en train de banlieue, ils se sont dirigés vers l'Allemagne de l'Ouest. À quelques rares exceptions, ils sont ensuite revenus », désinformait le correspondant berlinois du journal officiel du PC soviétique. « Aux questions des correspondants occidentaux [à savoir pourquoi ils revenaient], la réponse habituelle des gens était qu'en Allemagne de l'Est, ils ont un travail, une résidence et qu'ici, c'est leur pays natal », ajoutait-il.

Ceux qui maîtrisait l'art de lire entre les lignes de la Pravda avait compris que quelque chose ne tournait plus rond en Allemagne socialiste. Mais même chez les mieux informés des démocrates et dissidents, la nouvelle n'a pas entraîné l'euphorie immédiate. « La chute du mur n'a pas été perçue comme un événement très important en Union soviétique », souligne Iouri Afanassiev, qui était co-président du Groupe interrégional, première fraction de députés non-communistes au parlement soviétique, élus en mars 1989. « Les gens vivaient dans des conditions sordides. Les problèmes de la vie quotidienne les occupaient totalement sur les plans physique et psychologique. D'ailleurs, l'annonce de la chute de l'URSS n'a pas non plus au départ créé un grand choc ».

L'historien ne se souvient pas lui-même de ce qu'il faisait ni comment il a appris que le Mur était tombé. Avec les autres chefs de fil du mouvement démocratique de l'époque, Andreï Sakharov, Boris Eltsine et Anatoly Sobtchak (plus tard maire de Saint-Pétersbourg et mentor de Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev), il n'a pas cru bon d'organiser une réunion pour discuter de l'événement et ses conséquences. « En 1989, nous avons commencé notre action (politique) avec un niveau très bas de compréhension de la situation ». Afanassiev et les autres démocrates croyaient toujours que le socialisme était réformable. « Même dans les pays Baltes, l'idée d'indépendance de l'Union soviétique n'existait pas encore en 1989. En Estonie, on ne parlaient que d'indépendance économique. »

Mais la société soviétique était déjà en ébullition avant la chute du Mur. « Nous avons passé 1989 avec la possibilité constante d'interventions militaires », explique Afanassiev, en référence notamment aux manifestations réprimées dans le sang par l'armée rouge à Tbilissi en avril.

L'hebdomadaire Moskovskie Novosti, proche des démocrates, prenait conscience dix jours après la chute du Mur de sa portée. « Les changements en RDA réjouissent chacun de ceux pour qui "liberté" est un mot tendre », y écrivait l'historien spécialiste de l'Allemagne Vladimir Ostrogorski, tout en s'inquiétant des troubles causés par des « skinheads et des néo-nazis » venus d'Allemagne de l'Ouest, « instigateurs de débauche » près du Mur. Dressant un parallèle avec la Révolution française, il en concluait malgré tout que la chute du Mur aurait sa place dans les livres d'histoire : « La prise de la Bastille n'a pas entraîné non plus, comme on le sait, l'avènement de la paix et la grâce sur notre planète de vice. Mais tout de même, deux siècles plus tard, nous célébrons toujours cet événement avec faste. »

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