jeudi 1 mai 2008

Les cultivateurs russes souhaitent nourrir la planète

Article publié dans La Presse Affaires le 29 avril 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

La planète a besoin de pain? Les agriculteurs russes sont prêts à la nourrir. Mais ils accusent la corruption et l'inertie de leurs fonctionnaires de les empêcher d'accélérer le redressement de l'économie agricole, après les dures années post-soviétiques.

«Pour se développer, on se bat avec la bureaucratie!» soupire Viktor Babitch. Depuis 10 ans, le fermier de Volokolamsk (130 km au nord-ouest de Moscou) supplie les gouvernements de lui vendre des terres à un prix décent pour qu'il poursuive le développement de sa ferme.

«Mais je ne peux pas concurrencer les banquiers,» ajoute-t-il, en montrant des photos de terres agricoles abandonnées, achetées par des promoteurs pour y bâtir de luxueuses maisons de campagne. Depuis la chute de l'URSS en 1991, le tiers des terres arables ont cessé d'être exploitées en Russie. Ici, les dézonages agricoles se négocient souvent à l'enveloppe.

Avec la disparition des fermes collectives (kolkhozes) qui faisaient la fierté de l'empire soviétique, la production agricole a chuté de façon drastique. Au rythme actuel, il faudra encore au moins sept ans au pays pour récolter autant de céréales qu'en 1990.

Malgré tout, le retour agricole de la Russie est bel et bien commencé. L'an dernier, elle a exporté deux fois plus de blé que l'année précédente, et ce, malgré la taxe dissuasive à l'exportation de céréales imposée par le gouvernement en novembre, qui atteint 40%. Cette taxe temporaire sera abolie à la prochaine moisson, le 1er juillet, et la Russie compte devenir le troisième exportateur de blé d'ici cinq ans, devant la France et le Canada.

«Aujourd'hui, l'État appuie la production agricole avec l'idée que le seul remède contre des prix élevés est l'augmentation de la production et la hausse de l'offre», explique Aleksander Korbout, vice-président de l'Union céréalière russe.

Si elle gagne à exporter ses céréales, la Russie demeure au total un importateur net de produits alimentaires, souligne l'économiste agricole Aleksander Serkov. Elle est donc dépendante des prix mondiaux, notamment ceux de la viande, qu'elle importe à 37%.

Viktor Babitch, lui, est convaincu que l'agriculture russe pourrait être encore en bien meilleure position. «On ne parlerait même pas de crise alimentaire en Russie si on nous laissait travailler les terres.»

En dépit des embûches, la ferme de M. Babitch s'est développée à un rythme fulgurant. En 1992, le nouvel État russe lui a attribué cinq hectares de terres. Il a réussi à en acheter 63 de plus au fil des années. Il n'avait que trois vaches à l'époque, son troupeau en compte maintenant 150 et chaque bête est deux fois plus productive, grâce à l'amélioration des technologies.

L'an dernier, notamment en raison de la hausse des prix du lait, ses profits ont atteint 20%. Aujourd'hui, il aimerait simplement qu'on lui permettre de réinvestir son argent quelque part, pour participer au retour de la Russie comme puissance agricole.

Inflation

Depuis le début de l'année, la hausse mondiale du coût des denrées, jumelée à une inflation galopante qui frôle les 14% dans le pays, a fait exploser les prix sur les tablettes.

La mie de pain coûte ainsi 10% de plus qu'en janvier, alors que les fruits et légumes ont pris plus de 20%. Le gel des prix sur certains produits de base comme le lait, le pain et la viande, conclu entre le gouvernement et certaines entreprises en octobre, n'aura ainsi eu qu'un effet limité.

Heureusement pour les consommateurs russes, la hausse constante de leur revenu au cours des dernières années a permis d'amortir une partie du choc.

Tatiana Chevel, une retraitée de 72 ans rencontrée à la sortie d'un marché public de Moscou, ne s'en faisait ainsi pas trop avec le prix du beurre. «Comme on dit, c'est jusqu'à l'été!» lance-t-elle, convaincu que les prix redescendront à la saison des récoltes.

Avec sa retraite de 200$ par mois, plus haute que la moyenne russe, elle ne se plaint pas de sa vie modeste. «On achète du pain, des légumes, et on ne va pas nulle part,» dit-elle simplement. Pour contrer la hausse, elle s'est tout de même mise à acheter des légumes congelés, moins chers que les frais.

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