Article (premier de deux) publié dans La Presse, le 7 mai 2008
Lavoie, Frédérick
Collaboration spéciale
MOSCOU - Dmitri Medvedev deviendra aujourd'hui le troisième président de la Russie. Mais ce juriste peu charismatique de 42 ans ne pourra pas régner en tsar. Tout indique qu'il dirigera la Russie en tandem avec son mentor et populaire prédécesseur, Vladimir Poutine, qu'il nommera premier ministre. À quand des portraits officiels où figureront les deux hommes? C'est pour bientôt, nous raconte notre correspondant.
Depuis que le peintre Viktor Deriouguine s'est mis aux portraits présidentiels en 2000, à l'arrivée de Vladimir Poutine, son carnet de commandes ne dérougit pas.
Il peint chaque année une vingtaine de portraits du maître du Kremlin. On ne lui avait pourtant jamais commandé de toile de l'impopulaire Boris Eltsine. "C'est parce que maintenant, les gens aiment leurs politiciens", explique l'artiste, lui-même partisan du président sortant, qui jouit toujours d'une cote de popularité de 80%.
Depuis l'élection présidentielle de mars, M. Deriouguine a aussi commencé à peindre Dmitri Medvedev, qui deviendra officiellement président aujourd'hui. Il ne croit cependant pas qu'on cessera de lui réclamer des toiles de Poutine. "Plusieurs accrocheront les deux portraits" dans leur bureau, prédit-il.
Légalement, seul le président figure sur les murs des administrations. Mais puisqu'on ne sait pas vraiment qui du président sortant ou du nouvellement assermenté tiendra réellement les rênes, mieux vaut ne pas prendre de risque.
Certains ont d'ailleurs trouvé une solution pratique. "Une fabrique de pain vient de me commander un portrait double", avec Poutine et Medvedev sur le même tableau, révèle le peintre.
Pouvoir à deux têtes
Depuis la nomination en décembre de Dmitri Medvedev comme candidat unique du pouvoir pour la présidentielle, les Russes ont appris à s'accoutumer aux deux visages présentés presque à temps égal sur les chaînes de télévision nationales, contrôlées par le Kremlin.
Propagande aidant, l'effacé premier vice-premier ministre Medvedev s'est rapidement transformé en symbole de la continuité poutinienne. Même sans les fraudes électorales dénoncées par des observateurs lors du scrutin du 2 mars, son élection avec 70% des voix n'aurait été qu'une formalité.
Cette passivité de la population n'est que le résultat de la politique "paternaliste" du président sortant, analyse la politologue Maria Lipman, du Centre Carnegie. "Le niveau de vie s'améliore et donc les citoyens sont prêts à vivre avec le fait que le pouvoir ne les respecte pas."
Avant l'élection de Medvedev, plusieurs analystes doutaient que Poutine accepte réellement de devenir à nouveau premier ministre, poste qu'il a occupé quelques mois en 1999, avant de succéder à Eltsine.
En Russie, le chef du gouvernement remplit surtout des tâches routinières et bureaucratiques, servant souvent de bouc émissaire pour les échecs des politiques du pays, devant le tout-puissant président.
Mais depuis l'élection de Medvedev, Poutine a entamé un modelage à son goût du poste de premier ministre, afin de créer un deuxième centre de pouvoir dans le pays.
Le roi des coulisses
À la fin du mois, plus de 150 amendements de lois devraient être adoptées facilement par la Douma, où les partis pro-Kremlin sont majoritaires. Ils permettront d'alléger le travail quotidien de Poutine, reléguant aux ministres et ministères les tâches les plus techniques.
L'un des derniers décrets présidentielles de Poutine visait d'ailleurs à responsabiliser les chefs des exécutifs régionaux non plus devant le Kremlin, mais devant la Maison blanche, le siège du gouvernement situé de l'autre côté de la rivière Moskova.
En acceptant le mois dernier de diriger Russie unie, le parti majoritaire non seulement à la Douma mais dans pratiquement toutes les régions du pays, Poutine s'est également assuré de conserver un contrôle stratégique.
Peu importe la Constitution, qui confère de larges pouvoirs au président, les décisions politiques en Russie se prennent de toute façon de manière informelle, note Maria Lipman. Et ici, Poutine, ancien agent du KGB, est le roi des coulisses. "Tous ceux qui ont des postes élevés actuellement les doivent à Poutine. Pour l'instant, personne ne doit rien à Medvedev."
Poutine a-t-il l'intention de reprendre le Kremlin dans quatre ans? Veut-il simplement quitter la scène en douceur? "Une énigme totale." Maria Lipman reconnaît les limites de sa science face à l'opacité du jeu politique russe. "Personne ne connaît l'entente entre les deux hommes."
Qui est Dimitri Medvedev?
Nom complet: Dmitri Anatolevitch Medvedev.
Origine: né le 14 septembre 1965 dans un quartier populaire de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) de deux parents professeurs.
Études: licence de droit à l'Université d'État de Leningrad. Il y enseignera par la suite.
Dernières fonctions en date: président du conseil de direction de Gazprom depuis 2000. Premier vice-premier ministre du gouvernement russe, chargé des grands projets nationaux (santé, logement, éducation et agriculture) depuis 2005.
État civil: marié à Svetlana Linnik, qu'il fréquente depuis l'école secondaire. Père d'Ilia, né en 1996.
Loisirs: photographie, natation. Fan des groupes rock Deep Purple, Pink Floyd et Black Sabbath.
Religion: baptisé en secret à 23 ans, de sa propre initiative. Orthodoxe croyant et pratiquant
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