lundi 12 mai 2008

La Russie gonfle ses muscles

Article publié le 10 mai 2008 dans le journal La Presse et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
Collaboration spéciale
Moscou

La place Rouge avait des airs soviétiques hier. Pour la première fois depuis la chute de l'URSS, tanks, chars d'assaut, lance-missiles et ogives dernier cri ont accompagné les 8000 soldats défilant pour la commémoration annuelle de la victoire sur l'Allemagne nazie.

Placée sur le tracé du défilé, une gigantesque affiche rouge de plus d'une quarantaine de mètres, garnie d'étoiles dorées, ornait un édifice. «Russie, notre puissance sacrée», pouvait-on y lire.

Avant de quitter ses fonctions présidentielles cette semaine, Vladimir Poutine avait assuré que le retour à la tradition soviétique des grandioses défilés militaires ne visait pas à narguer l'Occident, avec qui il a entretenu des relations tendues durant ses deux mandats à la tête de l'État.

«Nous ne menaçons personne et ne nous apprêtons pas à le faire», avait-il déclaré, avant d'ajouter qu'il s'agissait bien toutefois d'une «démonstration de notre potentiel croissant en matière de défense».

Moqueries américaines

Hier, sur la tribune officielle de la place Rouge, M. Poutine se tenait aux côtés de son dauphin et successeur, Dmitri Medvedev. Sans grande conviction, le nouveau chef de l'État a lu son premier long discours public après sa prestation de serment de mercredi, reprenant la rhétorique de son mentor.

«L'histoire des guerres mondiales montre que les conflits armés ne naissent pas d'eux-mêmes. Ils sont déclenchés par ceux dont les ambitions irresponsables prennent le dessus sur les intérêts de pays et de continents entiers, de millions de gens», a déclaré M. Medvedev, dans une probable allusion aux États-Unis.

La veille, à Washington, un porte-parole du Pentagone s'était moqué du retour, après 18 ans d'absence, de l'équipement militaire dans les rues de Moscou. «S'ils veulent sortir leurs vieux véhicules, les faire tourner et les regarder, ils sont plus que bienvenus pour le faire», avait ainsi raillé Geoff Morrell.

Ceux qui croient que la Russie veut impressionner le reste du monde avec son arsenal sous-estiment l'intelligence de ses dirigeants, répond en substance Gleb Pavlovski, conseiller des présidents russes depuis Boris Eltsine. «Au Kremlin, il n'y a pas d'idiots. Personne ne pense qu'on peut convaincre un pays de sa puissance militaire par une parade», a-t-il soutenu, en entrevue avec La Presse mardi.

Après les humiliantes années de misère qui ont suivi la chute de l'empire soviétique, il faut aider le peuple à se respecter de nouveau, a expliqué M. Pavlovski. «Une parade, pour la nation, c'est un miroir qui embellit.»

Embellir est certainement le mot juste, puisque les forces russes sont loin d'être à la hauteur de l'Armée rouge d'antan.

Militaires maltraités

Même si le budget militaire a été multiplié par huit sous Vladimir Poutine, il reste toujours 10 fois moins imposant que celui des États-Unis. Récemment, le ministère de la Défense a commencé à vendre certains de ses bâtiments, afin de financer la rénovation d'autres installations.

Les soldats sont aussi loin de pouvoir rivaliser avec ceux des armées occidentales. Les deux tiers sont des conscrits, souvent victimes d'une armée qui n'a pas perdu son esprit soviétique. «Avant, on les maltraitait, et on les maltraite encore», dénonce la secrétaire générale de l'Union des comités des mères de soldats, Valentina Melnikova. L'an dernier, 15 jeunes appelés sont décédés à la suite de rites d'initiation cruels. Victimes de sévices et de taxage de la part de leurs supérieurs, 200 ont choisi de s'enlever la vie.

Une chose est certaine, le défilé militaire d'hier laissera des traces: il en coûtera 1,5 milliard de roubles (63,7 millions $ CAN) pour réparer les routes et les pavés endommagés par le passage des lourds équipements militaires.

Beau temps garanti

Il ne pleut jamais sur Moscou le 9 mai, même lorsqu'on annonce des averses. Et cette année n'a pas fait exception. Hier matin, 10 avions ont ainsi attaqué des nuages qui se dirigeaient vers le centre-ville de Moscou. Depuis le début des années 90, les Russes ont mis au point une technique pour neutraliser les nuages gris, utilisée lors des fêtes importantes. À l'aide d'un mélange d'azote liquide et d'iodure d'argent ou de poudre de ciment - selon le type de nuages - les avions-chasseurs peuvent forcer la pluie à tomber loin des défilés. Les seuls nuages qui peuvent nuire à la clarté du ciel moscovite lors de la fête sont ainsi tout à fait inoffensifs. Selon le ministère de la Défense, qui dépense des milliers de dollars pour l'opération chaque année, les agents réactifs utilisés ne sont pas dangereux pour l'environnement. Les écologistes, eux, en doutent.

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