jeudi 25 novembre 2010

Un dromadaire sur l'épaule à Oulan-Bator

Série diffusée à l'émission un Dromadaire sur l'épaule (Radio suisse romande) du 6 au 10 septembre 2010.

Oulan-Bator: vie urbaine en terre nomade

Le journaliste Frédérick Lavoie nous fait découvrir la vie des habitants de la capitale mongole Oulan-Bator, entre traditions nomades et réalités sédentaires.

Yourte perdue dans les paysages lunaires infinis, nomades à cheval rassemblant leurs bêtes disséminées dans la steppe. Le romantisme de la vie mongole fait rêver.

Mais depuis la chute du communisme en 1990, la réalité est loin d'être aussi rose pour les descendants de Gengis Khan. Ne pouvant plus compter sur l'aide de l'État après une série d'hivers rigoureux, des centaines de milliers de nomades quittent la steppe pour planter leur yourte dans les faubourgs pollués et insalubres de la capitale.

Résultat: en 20 ans, la population d'Oulan-Bator est passée de 540 000 habitants à entre 1,1 et 1,6 million selon les estimations. Ironiquement, la moitié des trois millions de Mongols s'entassent donc aujourd'hui dans la capitale de l'État le moins densément peuplé du globe.
À flanc de collines, autour d'un centre-ville à l'architecture socialiste, les quartiers de yourtes en constante expansion ceinturent la capitale. Dans ces agglomérations poussiéreuses, des jeunes professionnels rêvent d'un appartement, d'études à l'étranger ou d'un boulot dans l'industrie minière mongole en plein développement. D'autres voient plutôt la ville comme un passage obligé, espérant amasser rapidement assez d'argent pour s'acheter un troupeau et retourner à une vie nomade.

Si les traditions mongoles sont tenaces malgré l'urbanisation galopante, cette société asiatique isolée demeure étonnamment libérale. Sans tabou, les jeunes rockers aux cheveux longs échauffent leur public avec leur musique lourde d'inspiration occidentale. Dans la foule, des skinheads mongols font le salut hitlérien, rappelant que si la Mongolie est ouverte, les étrangers n'y sont pas toujours les bienvenus, surtout s'ils viennent de la menaçante Chine voisine.
Après deux décennies post-communistes relativement tranquilles, la démocratie mongole se cherche toujours. Sur la place Suukhbaatar, devant le parlement et une énorme statue du conquérant Gengis Khan, des citoyens en colère bravent le froid pour rappeler au gouvernement ses promesses non tenues.
1/5: Vie de yourte (écouter ou télécharger l'émission)
Habit et coiffure bien soignés, valise à la main, des milliers de professionnels franchissent au petit matin la porte de leur yourte dans les faubourgs insalubres de la capitale. Direction: centre-ville d'Oulan-Bator.

Torbat, jeune travailleur social, rêve d'un appartement en ville et d'études à l'étranger. En attendant, il habite avec sa femme Ankhtsetseg et son bébé dans une yourte toute équipée: frigo, télé, micro-onde, poêle et... aquarium.

Originaire de la campagne, Torbat adore la vie urbaine, plus facile et plus diversifiée que celle que connaît son frère éleveur nomade. Il déteste toutefois les quartier de yourtes, où l'air vicié par les fumées de charbon et de bois de chauffage est irrespirable dès l'arrivée des grands froids. Il compte mettre toute son énergie à bâtir une vie meilleure pour ses enfants, quitte à sacrifier la sienne.

L'invitée: Gaëlle Lacaze
Ethnologue, spécialiste de la Mongolie. Maître de conférences en ethnologie à l’Université de Strasbourg. Auteur en 2006, du guide Mongolie : Pays d'ombres et de lumières aux éditions Olizane.

Gaëlle Lacaze nous parle des quartiers de yourtes qui ceinturent la capitale Oulan Bator, où s'entassent des centaines de milliers d'anciens éleveurs nomades. Elle nous raconte les conditions de vie extrêmement précaires, la destructuration sociale et l'absence total de perspectives dans ces banlieues de yourtes.
2/5: Fragile démocratie (écouter ou télécharger l'émission)
Dans le froid intense du mois d'avril 2010, plus de cinq mille Mongols descendent sur la Place Suukhbaatar, place centrale d'Oulan-Bator, pour réclamer la démission du gouvernement.

À leur tête, Ouyanga, 34 ans, femme menue et hypercharismatique. Entourée d'hommes imposants, la leader du mouvement civil dénonce la corruption d'un gouvernement qui a perdu la confiance populaire selon elle en ne remplissant pas ses promesses électorales.

Blotti dans une tente installée sur la place, l'ancienne journaliste déclenche avec huit compagnons une grève de la faim. Affaiblie, elle parle de ses ambitions pour une Mongolie à la démocratie toujours chancelante, 20 ans après la chute du communisme.

Quatorze jours plus tard, les autorités viendront interner de force les grévistes à l'hôpital.

Invité: Jacques Legrand
Jacques Legrand, professeur de langue et littérature mongoles, est aujourd’hui président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Il est l'auteur de nombreux livres sur l’histoire, la culture et la langue mongole, dont un dictionnaire français-mongol (Monsudar, Ulaanbaatar, 2007).

Jacques Legrand nous parle de l’évolution de ce pays qu'il parcourt depuis 1967. Il nous raconte les bouleversements liés à la chute du communisme, à l’arrivée de l’économie de marché, au déclin du nomadisme et à la découverte d’immenses richesses dans le sous-sol mongol. L'occasion d'écouter les sonorités très particulières de la langue mongole.

3/5: En mémoire de Gengis Khan (écouter ou télécharger l'émission)

Croix gammée dans le cou, Gansouren assure être ni fasciste, ni nazi. Il est nationaliste. Comme l'était en son temps son héros, Gengis Khan, le plus grand conquérant mongol.

Dans une salle de gym, où il enseigne le taekwondo, le leader de Khoukh Mongol (Bleu mongol) parle des attaques de son organisation nationaliste contre des employeurs chinois "irrespectueux" et de sa grande vision d'unité pour le peuple mongol. Sa femme Otguirid, entraîneuse d'haltérophilie, explique l'importance du sport pour démontrer la force de sa nation.

Invitée: Françoise Aubin
Françoise Aubin est directeur de recherche émérite au CNRS et au Centre de recherche sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne.

Elle nous explique pourquoi Gengis Khan est un héros national en Mongolie alors que l’Occident le présente toujours sous la forme d’un barbare sanguinaire. Elle nous raconte qui était Gengis Khan et comment il a lui-même construit sa légende.

4/5: Heavy mongol (écouter ou télécharger l'émission)

C'est soir de fête pour le groupe culte Nisvanis. Pionniers du rock mongol, ils célèbrent leur14e anniversaire sur scène. D'autres formations plus jeunes viennent leur rendre hommage.

Amgalan, le chanteur de Nisvanis, est tout sourire. Il se rappelle des débuts, alors qu'il était difficile de trouver des instruments à Oulan-Bator et que sa musique inspirée de Nirvana faisait fuir les foules.

Sunny, leader de la formation The Lemons, a eu de la difficulté à faire accepter à ses parents son choix de devenir musicien rock, une occupation pas très payante dans la peu populeuse Mongolie. Mais aujourd'hui, avec ses airs de star, il se produit régulièrement en Chine et au Japon.

Ougui est le grand manitou de la scène rock mongole. C'est lui qui organise tous les spectacles. Si la vie de rock star ne conduit pas à la fortune en Mongolie, il se réjouit au moins que la société soit assez libérale pour ne pas le juger pour ses cheveux longs et ses fringues gothique.

Invité: Grégory Delaplace
Grégory Delaplace, anthropologue, mène une recherche post-doctorale à l’Université de Cambridge (Mongolia and Inner Asia Study Unit) en Angleterre, sur les morts et les "choses invisibles" en Mongolie contemporaine. Depuis 1999, ses enquêtes de terrain à la capitale et dans le Nord-ouest du pays, auprès d’une population de pasteurs nomades, l’ont conduit à s’intéresser à des sujets aussi divers que la nouvelle pratique urbaine du feng shui, l’historiographie de la collectivisation et le rap mongol.

Grégory Delaplace est l’auteur de "L'invention des morts. Sépultures, fantômes et photographie en Mongolie contemporaine", Collection Nord-Asie, supplément aux Études Mongoles & Sibériennes, Centrasiatiques & Tibétaines, Paris, 2009.

Grégory Delaplace nous parle de la culture rock en Mongolie, un de seuls milieux à résister au nationalisme qui a suivi la fin du communisme et la reconstruction d’une identité "purement" mongole. Il nous présentera des groupes ultra célèbres comme Mohanik ou Tatar, leur vision de la société mongole, leurs revendications dans un pays en profonde mutation.

5/5: Nomades dans l'âme (écouter ou télécharger l'émission)
Chaque année, des milliers de nomades quittent la vie d'éleveurs pour s'installer dans les faubourgs pollués et insalubres de la capitale. Plus par nécessité que par choix.

Dans l'un des quartiers de yourtes encore sans électricité, Batchtolong nivelle son terrain nouvellement acquis, sur lequel il habitera avec sa mère Ningoui. Pour ce poseur de climatiseur de 26 ans, la ville n'est qu'un passage obligé. Son rêve: s'acheter un troupeau et retourner vivre dans la steppe comme ses ancêtres.

À 450 km de là, dans la province de Boulgan, Tomurbaatar et Otgon ne quitteraient pour rien au monde leur rude vie nomade. Même s'ils ont perdu la moitié de leur troupeau durant le rigoureux hiver 2010, la télévision leur a appris que la vie ne serait guère mieux dans la capitale, où règne le chômage, la pollution et la maladie. Dans leur yourte perdue, au moins, ils sont les "seuls à respirer l'air ambiant" à des kilomètres à la ronde, plaide Otgon.

L'invitée: Tsogzolmaa Sambuu
Tsogzolmaa Sambuu organise des voyages touristiques en Mongolie qui travaille notamment avec l’agence suisse Espace Est-Ouest. Elle nous donne les dernières nouvelles de la capitale Oulan Bator.

Mongolie: Le nomadisme hors des steppes

Article publié dans la section Vacances/Voyage de La Presse le 30 septembre 2010

Oulan-Bator, Mongolie - L'air pur, la yourte plantée au milieu de nulle part, l'éleveur à cheval dirigeant son troupeau dans la steppe sans fin: ne cherchez pas le romantisme de la vie nomade mongole à Oulan-Bator, il ne s'y trouve pas. En revanche, le voyageur qui a le courage (ou l'obligation) de s'attarder dans la capitale polluée ne regrettera pas son plongeon dans les profondeurs de la fascinante culture mongole, entre bouddhisme, nomadisme, et... heavy metal.

Avant d'entrer dans une yourte, l'habitation ronde traditionnelle des nomades, on ne frappe pas. En campagne, comme en ville. La pratique peut être déroutante pour l'étranger, habitué au respect de la vie privée. Mais dans les faubourgs poussiéreux d'Oulan-Bator, où à perte de vue s'étendent à flanc de colline les milliers de yourtes des exilés ruraux, il n'y a rien de plus normal que d'entrer chez un inconnu sans s'annoncer pour y boire un thé au lait salé.

Ne vous attendez pas aux grandes effusions de politesse et de chaleur humaine qu'on retrouve dans d'autres pays à l'hospitalité débordante. Habitués à l'autosuffisance et à l'indépendance de la vie nomade, les Mongols vous accueillent dans leur humble demeure en vous présentant un tabouret, des friandises et du thé... avant de retourner vaquer à leurs occupations, jusqu'à ce que vous entamiez la discussion, malheureusement limitée par la barrière langagière.

Détrompez-vous. Vous êtes le bienvenu, vous ne dérangez pas. Sentez-vous comme chez vous. Vraiment. Non pas comme un invité, mais comme un membre de la famille, en aidant un peu, comme les autres.

Et puis l'heure du départ arrive. Pas de déchirante séparation. Vous repartez comme vous êtes arrivé, après les brèves salutations d'usage. Sans fausse promesse de retour.
En ressortant de la yourte, le choc est brutal. Vous n'êtes pas au milieu de la campagne, comme vous auriez pu le croire à voir la vache qui broute les rares herbes sur la terre aride. Vous êtes en pleine ville.

Pour conserver l'intimité offerte par la steppe infinie, les nomades sédentarisés ont, paradoxalement, tous clôturé leur terrain. Chacun habite dans son petit monde, limitant la vie de quartier aux échanges commerciaux. Étonnant, dans une société dominée par la pauvreté, que la solidarité de voisinage arrive si difficilement à se trouver une niche.

Capitalisme mongol


Retour au centre-ville, place Suükhbaatar, la place principale. Les yourtes ont cédé la place aux imposants édifices grisâtres. Le grand édifice vitré en face de vous semble sorti tout droit de Dubaï. En fait, il est surtout le symbole des petits échecs du capitalisme mongol. Presque terminé, il reste inoccupé et devra être démoli, en raison d'un problème de fondations.

Durant des siècles, les nomades ont vécu sans capitale fixe. Jusqu'à ce que les communistes, au pouvoir pendant plus de six décennies, lancent une première vraie vague d'urbanisation, sous l'influence du grand frère soviétique. En ne prenant pour critère que la beauté du paysage urbain, difficile de dire qu'ils ont réussi...

L'arrivée du capitalisme en 1990 aura vu l'éclosion de plusieurs petits commerces, et même de cafés et restaurants tenus par des Occidentaux, de passage en Mongolie avant d'y prendre femme, donc pays.

Les commerces mongols se spécialisent plutôt dans les produits du cachemire, le poil hivernal des chèvres qui fait la réputation internationale du pays dans l'industrie de la mode.
En vendant le fruit du travail des nomades, ils essaient de faire oublier la pollution de l'avenue de la Paix, artère principale de la ville, où plusieurs citadins se protègent de l'air vicié sous des masques chirurgicaux. Le voyageur, lui, devrait surtout se protéger des voleurs à la tire, dont l'appareil photo de l'auteur de ces lignes a failli être victime, en plein coeur de la ville en après-midi...

Passage obligé
Pour la plupart des visiteurs, Oulan-Bator est un passage obligé. Certains y arrivent après un long séjour dans le train transmongolien en partance de Moscou, via la Sibérie. C'est aussi le point de transit pour partir à la découverte de la steppe et de la vie nomade à cheval.
Les touristes convergent également à Oulan-Bator en juillet pour la grande fête nationale de Naadam, durant laquelle les Mongols se mesurent au tir à l'arc, à la course à chevaux et dans des compétitions de lutte mongole, toujours revêtus des costumes traditionnels.

Oulan-Bator est aussi un point de pèlerinage pour certains. Le monastère de Gandan, non loin du centre-ville, devient la porte d'entrée vers l'héritage bouddhiste mongol, en pleine résurgence. Il est l'un des seuls à avoir survécu à la répression de la religion sous le régime communiste.

Sous ses allures de capitale bancale d'un pays en développement, la mentalité libérale d'Oulan-Bator surprend et charme. Les traditions mongoles sont certes importantes, mais elles ne briment pas les aspirations à la modernité de la jeunesse. Lors de notre séjour, nous avons même pu assister à un spectacle de musique heavy metal donné par plusieurs groupes de la scène émergente mongole. C'est pour ce genre de moments de découverte qu'Oulan-Bator, malgré sa laideur et sa saleté de façade, mérite d'être découverte.

Le défi olympien de Sotchi

Dossier publié dans La Presse le 25 septembre 2010

SOTCHI - Sotchi est en train de relever un défi olympien. Prise de court il y a trois ans par l'obtention surprise des Jeux d'hiver de 2014, cette station balnéaire russe construit à la hâte son rêve olympique. Et rien ne peut arrêter le pouvoir russe, qui souhait
e en mettre plein la vue au reste du monde. Ni une grève de la faim de citoyens expropriés. Ni les écolos qui crient au désastre écologique. Ni l'explosion des coûts qui vient de faire grimper la facture de quelques dizaines de milliards de dollars.

Sur la route principale de Krasnaïa Polyana, la poussière n'a jamais le temps de retomber. Des centaines de camions passent en trombe chaque jour pour transporter les matériaux nécessaires aux constructions olympiques.

"C'est peut-être temporaire, mais nous, nous n'habitons pas ici temporairement!" s'emporte Claudia, la cinquantaine. Habitante du village depuis toujours, elle s'indigne de voir la sérénité de Krasnaïa Polyana emportée par la vague olympique.

En 2014, c'est dans cette bourgade montagnarde à 60 km de Sotchi que se dérouleront toutes les épreuves de neige. La petite station de ski désuète déjà existante vivra désormais dans l'ombre de quatre grands complexes olympiques. Et les modestes maisons des villageois devront s'accoutumer aux imposants hôtels en construction.

"Je suis contre depuis le début. Tout le monde est contre, mais personne ne nous a demandé notre avis", souligne Claudia en transportant ses sacs d'épicerie. "Ils ont organisé ces Jeux simplement pour blanchir de l'argent!" lance-t-elle, énervée, avant de s'engouffrer dans sa voiture sans révéler son nom de famille.

Un peu plus loin, Vyatcheslav Soulimenko, 71 ans, assure être "pour le progrès", donc pour les JO. "Mais d'un autre côté, j'ai peur pour l'environnement. Ils ont abattu beaucoup d'arbres et des animaux ont fui", explique ce chasseur et guide touristique, en sirotant une bière en milieu d'après-midi sur un banc public.

Pas de jeux verts
"Nous aurions pu avoir des JO verts, comme les organisateurs avaient promis", croit de son côté Dmitri Kaptsov, militant de la Faction écologiste, une organisation environnementale locale. "Mais le projet s'est heurté à la réalité russe."

Selon lui, pour tenir des Jeux sans conséquence écologiques, la Russie aurait dû se préparer au moins quatre ou cinq ans avant de présenter sa candidature. Or, après le discours flamboyant de Vladimir Poutine en juillet 2007, le Comité international olympique a cru sur parole au projet cher à l'homme fort du pays... même si la ville candidate ne disposait à ce moment d'aucune des installations nécessaires à la tenue des Jeux.

Pris de court par leur victoire, les organisateurs n'ont pas pu mener toutes les expertises écologiques nécessaires pour minimiser les impacts, estime Dmitri Kaptsov. "Au lieu de respecter les lois, ils les changent. Si avant c'était un crime de couper certains arbres dans un secteur, maintenant, c'est totalement légal."

En 2007, les groupes verts ont réussi à faire déplacer la piste de bobsleigh projetée, qui aurait détruit l'habitat naturel de plusieurs animaux. Ce fut leur seule victoire. Après une brève collaboration, Greenpeace, WWF et la Faction écologiste ont tourné le dos à la société étatique responsable des travaux, Olympstroï.

"Il n'y a jamais eu autant d'attention consacrée à l'environnement dans un projet en Russie", affirme pour sa part Alexandra Kasterina, porte-parole d'Olympstroï. Elle indique que les dommages causés à l'environnement seront compensés par l'ajout de 20 000 hectares de forêt protégée au parc national près de Sotchi.

Pour les verts, la principale menace écologique touche la rivière Mzymta. Le long de ce cours d'eau sont actuellement construits en parallèle une route neuve et un chemin de fer pour lier l'aéroport aux sites olympiques de Krasnaïa Polyana. "La moitié de la ville de Sotchi s'y abreuve", s'inquiète Dmitri Kaptsov. Au coût mirobolant de 6,5 milliards, le projet prévoit notamment 23 ponts ferroviaires et six tunnels pour trains et automobiles.

Cette route et d'autres "imprévus" ont fait tripler la facture olympique. En juin, le ministère des Régions a estimé que les investissements privés et publics pour les 242 installations nécessaires à la tenue des Jeux totaliseraient 950 milliards de roubles, soit 31 milliards de dollars.

Les critiques du pouvoir montrent du doigt la corruption qui gangrène le pays pour expliquer en partie l'explosion des coûts. Un entrepreneur a notamment accusé un responsable de l'administration présidentielle d'avoir exigé 12% de la valeur d'un contrat en pots-de-vin. Le fonctionnaire a été démis de ses fonctions en août et fait face à des accusations criminelles.

Grève de la faim
Quant au site principal des Jeux, à quelques centaines de mètres de la mer Noire, les stades et arénas commencent à prendre forme. Au passage de La Presse il y a trois ans, les basses terres d'Imereti - comme les habitants appellent ce secteur parsemé de quelques villages à une quarantaine de kilomètres du centre-ville de Sotchi - n'étaient que champ de maïs entouré de quelques maisons.

De son jardin, Lioubov Fourssa a une vue prenante sur le squelette du futur palais de glace de 12 000 places, qui accueillera les compétitions de patinage de vitesse courte piste et de patinage artistique. Mais pas pour longtemps. D'ici décembre, elle devra quitter sa maison.

Elle fait partie de la centaine de familles expropriées par les autorités. Lorsque la ville a présenté sa candidature, elle assurait pourtant qu'aucun citoyen n'aurait à déménager.

Après une grève de la faim de 24 jours en mai, faute de recevoir la visite exigée du premier ministre Vladimir Poutine, Mme Fourssa et huit autres habitants ont pu rencontrer des responsables olympiques qui leur ont promis une meilleure compensation. Comme la plupart, elle a finalement accepté une maison flambant neuve quelques kilomètres plus loin, dans le village voisin de Nekrassovskoe.

La famille d'Alla Matioukha a fait la même chose. Et selon cette mère de trois enfants, les expropriés en ont eu pour leur argent. "Plusieurs familles n'avaient même pas de toilettes dans leur ancienne demeure", dit-elle.

Mme Matioukha croit qu'il aurait de toute façon été inutile d'opposer une résistance au rêve chéri par le premier ministre Poutine. "Les Jeux olympiques, c'est un projet d'État. Peu importe ce que nous aurions dit, on nous aurait déplacés", conclut-elle.

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Sotchi: en attendant l'avenir
Le slogan imprimé sur le t-shirt le plus en vogue à Sotchi résume l'ambition de la ville: «Sochi: city of the future». Si la station balnéaire mise sur l'avenir, c'est parce que le passé soviétique y fait toujours de l'ombre au présent.

Sotchi voudrait être une ville internationale, mais les étrangers y demeurent une curiosité. Et pour cause. Même les Russes désertent de plus en plus la station balnéaire au climat subtropical, autrefois perle chérie de la mer Noire pour les Soviétiques, dont le dictateur Joseph Staline. Seuls le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine insistent pour conserver une résidence officielle dans la «capitale d'été» de la Russie.

Service à la russe
L'explication est simple: de Moscou, il est habituellement moins cher de s'envoler pour l'Égypte, ou la Turquie. Là-bas, l'hébergement et les repas sont meilleur marché et de meilleure qualité. Et surtout, le touriste russe n'a pas à y subir l'exécrable service à la clientèle de ses compatriotes...
C'est que malgré les milliards de dollars qui s'y investissent en prévision des JO de 2014, les traces d'architecture et de mentalité soviétiques peinent à disparaître à Sotchi.

En revanche, depuis la première visite de La Presse à Sotchi à l'été 2007, un mois après l'obtention-surprise des Jeux, la ville s'est indéniablement transformée pour le mieux.
Plusieurs édifices sont sortis de terre, les façades des immeubles d'habitation ont été rénovées aux frais - et aux conditions - de l'État, les systèmes électriques et ceux de canalisation ont été refaits. Et les Sotchinois sont unanimes sur le principal acquis de la préparation olympique: le développement des routes et leur élargissement, qui ont nécessité des prouesses urbanistiques.

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Dans la bulle olympique
Si Sotchi demeure profondément soviétique, le touriste olympique ne devrait tout de même pas trop s'inquiéter. Les Jeux d'hiver de 2014 se dérouleront à l'abri des problèmes quotidiens de la ville. Dans une bulle olympique bien orchestrée.

Voici le scénario: arrivée des visiteurs et athlètes à l'aéroport flambant neuf, ouvert il y a quatre mois à peine. De là, un train allemand rapide et moderne les transporte en cinq minutes au stade et dans les arénas du Parc olympique des basses terres d'Imereti, à un jet de pierre de la plage. Direction les montagnes, toujours en train, on atteint en une demi-heure le village de Krasnaïa Polyana, site des compétitions de ski alpin, nordique et acrobatique et de la piste de bobsleigh.

Avec un peu de chance, l'hiver 2014 recouvrira le village et les sommets avoisinants d'un manteau blanc naturel. Ce n'était pas le cas la saison dernière, au moment où la colère déferlait sur les organisateurs des JO de Vancouver en raison de l'absence de neige...

Pas besoin de quitter les sites olympiques pour dormir non plus. Bien collées aux installations, 23 000 chambres d'hôtel sont prévues pour les touristes.

Les visiteurs les plus courageux oseront s'aventurer dans le centre-ville de Sotchi, à plus de 40 km des installations olympiques.

Là, à moins d'un miracle socio-économique d'ici quatre ans, ils y retrouveront la vraie vie russe. Dans les yeux d'une grand-mère qui cherche à écouler les produits de son jardin au coin d'une rue pour ajouter à sa maigre pension, ou dans la richesse clinquante reflétée dans la vitrine de la boutique Dior. Loin du vase clos olympique.
*** Sotchi
Population: 400 000 habitants.
Situation géographique: À environ 1200 km au sud-ouest de Moscou, la ville s'étend sur 150 kilomètres sur le bord de la mer Noire, à la même latitude que Toronto.
Superficie : 3790 km2.
Industries : Tourisme (4 millions de visiteurs par année) et santé (300 spas).
Foule attendue pour les jeux: 1 million de visiteurs et 5000 athlètes.

Échecs et Mars

Article publié dans La Presse le 24 septembre 2010

MOSCOU - Il affirme avoir été enlevé par des extraterrestres et est soupçonné d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste. Kirsan Ilioumjinov président excentrique d'une petite république de Russie est à la tête de la Fédération internationale d'échecs depuis 15 ans. Mercredi prochain, il pourrait être mis échec et mat par un ex-champion du monde.

La vraie bataille, à Khanti-Mansiïsk, se déroule à l'ombre des échiquiers. Dans cette petite ville pétrolière de Sibérie occidentale, alors que les grands maîtres se disputent cette semaine les honneurs des 39es Olympiades mondiales d'échecs, deux hommes jouent leur partie dans les coulisses.

Et tous les coups sont permis pour obtenir le grand prix: la présidence de la Fédération internationale d'échecs (FIDE).

La récompense peut sembler banale pour le commun des mortels. Mais pas pour l'excentrique président sortant Kirsan Ilioumjinov, qui croit que les échecs, ce «jeu cosmique» offert aux humains par les extraterrestres, sauveront le monde de l'Apocalypse...

Ni pour Anatoli Karpov, légende soviétique des échecs, qui estime que la comédie Ilioumjinov a assez duré.

Depuis des mois, les deux Russes font campagne autour du monde pour amasser les appuis des fédérations nationales. Karpov peut compter sur le vote de grands pays comme la France, l'Allemagne et les États-Unis.

Mais dans cette partie, tous les pions ont valeur égale. Et son adversaire est soutenu par les fédérations de plusieurs micro-États et pays en développement, auxquelles il aurait promis une aide. Avantage Ilioumjinov.

Anatoli Karpov a accusé le président sortant d'avoir transformé la FIDE en une «organisation corrompue» durant ses 15 ans de règne. Corrompue, comme la petite république bouddhiste de Kalmoukie, dans le Caucase russe, que dirige sans partage Ilioumjinov depuis 1993.

Justement, le mois prochain, il quittera la politique. Le millionnaire de 48 ans, qui a fait fortune lors du boom automobile postsoviétique, compte se consacrer entièrement au développement de son sport favori et à la paix dans le monde.

L'un de ses projets: un centre mondial d'échecs de 24 étages en forme de pièce de roi à Ground Zero. En plus des salles de jeu, l'édifice abriterait des temples des principales religions monothéistes.

Durant ses 17 ans à la tête de la Kalmoukie, Kirsan Ilioumjinov a fait des échecs une matière obligatoire dans les écoles de sa république de 300 000 habitants. Il a aussi fait construire City-Chess, un luxueux complexe échiquéen qui accueille régulièrement des tournois internationaux.

Avec les extraterrestres

Ses détracteurs le soupçonnent d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste d'opposition en 1998, pour lequel l'un de ses proches collaborateurs a été condamné. Par ailleurs, son récit d'un voyage avec des extraterrestres en 1997, sur lequel il revient sans gêne, a consterné plusieurs politiciens russes.

En dépit de son excentricité, Ilioumjinov a su survivre longtemps aux changements politiques en Russie. En récompense de sa loyauté sans faille au pouvoir, sa candidature à la FIDE a reçu l'appui de la fédération d'échecs russe, dont le vice-président est un conseiller du chef de l'État Dmitri Medvedev.

Quant aux accusations pour corruption, Ilioumjinov y a réagi par une poursuite en diffamation contre Anatoli Karpov. Selon lui, le champion mondial de 1975 n'est de toute façon plus qu'un «joueur vieillissant» qui ne peut accepter d'avoir perdu l'attention du public.

Dmitri Medvedev limoge le maire de Moscou

Article publié dans La Presse le 28 septembre 2010

La plus grande bataille politique des 10 dernières années en Russie a pris fin hier. Le puissant maire de Moscou Iouri Loujkov a été limogé par le président Dmitri Medvedev, dont il avait «perdu la confiance». Ce ne sont pas les accusations de corruption et de mauvaise gestion qui auront eu raison de l'extravagant magistrat... mais le fait qu'il ait osé critiquer le chef de l'État, explique notre collaborateur.

Moscou - En arrivant à son bureau hier matin, Iouri Loujkov a appris qu'il n'était plus maire de la capitale depuis quelques minutes. Le président Dmitri Medvedev venait de publier sur son site internet sa lettre de congédiement. Avec effet immédiat.

Le premier magistrat de la capitale de 10 millions d'habitants aurait pourtant dû s'y attendre. Depuis trois semaines, il n'était plus dans les bonnes grâces du chef de l'État.

En cause: un article signé de sa main dans lequel il critiquait de manière à peine voilée le leadership de Medvedev, insinuant qu'il préférait celui du premier ministre Vladimir Poutine, ancien président et toujours homme fort du pays.

S'ensuivit une campagne médiatique pour le discréditer. Après des années de silence télévisuel sur ses présumées malversations, les chaînes contrôlées par le Kremlin ont rivalisé d'originalité pour noircir l'image du coloré maire: corruption, négligence, favoritisme envers sa femme entrepreneure devenue milliardaire durant les 18 ans de règne de son mari... Tous les coups étaient permis.

La semaine dernière, en accord avec le Kremlin, Iouri Loujkov est allé réfléchir sur son avenir en Autriche où il se retrouvait officiellement en famille pour célébrer son 74e anniversaire. À son retour au travail lundi, tous les observateurs s'attendaient à sa démission. Mais le politicien acharné n'en démordait pas: il ne quitterait pas son poste de son propre chef.

Poursuites en vue?

Pour la première fois en deux ans de présidence, Medvedev a donc eu à renvoyer un dirigeant régional récalcitrant. La loi le lui permet entièrement depuis l'abolition des élections des gouverneurs par son prédécesseur Poutine en 2004. Au cours des derniers mois, tous les autres dinosaures régionaux avaient choisi de quitter «volontairement» le pouvoir, en échange d'un poste symbolique ou d'une retraite dorée à l'abri de la justice.

La question que se pose désormais le Tout-Moscou: après cet affront au président, le système judiciaire russe «redécouvrirait»-il soudainement les malversations de l'ère Loujkov?

Une chose est certaine, le maire déchu ne pourra pas compter sur Vladimir Poutine pour tempérer un chef de l'État blessé dans son orgueil. Hier, le premier ministre a fait savoir qu'il appuyait entièrement la décision présidentielle.

Quelques noms circulent pour remplacer Iouri Loujkov. On sait déjà que le prochain maire de la capitale sera plus docile que son bouillant prédécesseur: tous les candidats doivent leur carrière politique au tandem Poutine-Medvedev.

Lawrence Cannon à Moscou: "Nous n'avons pas du tout l'intention de militariser l'Arctique"

Article publié dans La Presse le 17 septembre 2010

Moscou - En visite officielle à Moscou, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lawrence Cannon, a défendu la souveraineté canadienne dans l'Arctique, hier, mais a catégoriquement refusé de parler de "militarisation" de la région.

"Nous n'avons pas du tout l'intention de militariser l'Arctique", a-t-il dit en conférence de presse, accompagné de son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Paradoxalement, le ministre Cannon a enchaîné en soulignant que le Canada exercera sa souveraineté en Arctique "d'abord par une présence robuste des Forces canadiennes et des équipements qui doivent nécessairement entourer leur présence".

Au mois d'août, quand le gouvernement conservateur a dévoilé sa politique sur l'Arctique, il avait affirmé que la souveraineté canadienne y remonte "à très loin", qu'elle est "bien établie et basée sur notre droit de propriété historique". Or, elle n'a jamais été reconnue internationalement.

Preuves à l'ONU
D'ici à 2013, le Canada compte présenter à la commission responsable de l'application de la convention des Nations unies sur le droit de la mer les preuves que la dorsale de Lomonossov est le prolongement du territoire canadien. "Nous croyons que notre dossier prévaudra, avec le soutien de preuves scientifiques", a déclaré hier le ministre Cannon.

Mais, sur ce point, la Russie a déjà une longueur d'avance. En 2001, elle a déposé de premières études au soutien de la thèse du rattachement de ces montagnes sous-marines au continent eurasien. Elles n'avaient été ni rejetées ni acceptées. Depuis, les Russes étayent leur dossier.
Le Danemark aussi s'est mis de la partie et cherche à faire reconnaître la dorsale comme la continuité du Groenland.

L'attrait pour l'Arctique s'est accru depuis quelques années, la fonte de la calotte glaciaire rendant plus accessibles des gisements d'hydrocarbure qui pourraient représenter 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz naturel non découvertes du globe. Les États-Unis et la Norvège y ont également des revendications territoriales.

Ottawa n'inquiète pas Moscou
Le ministre des Affaires étrangères de la Russie n'a pas semblé trop s'inquiéter de la position canadienne, hier. "Toute revendication doit être basée sur des faits scientifiques que la commission examinera. C'est là que l'on décidera qui a raison et qui a tort", a déclaré Sergueï Lavrov.

Même si la Russie déploie elle aussi des troupes en Arctique, on ne peut parler de militarisation du territoire, selon lui: "Le Canada et la Russie ont bien sûr une responsabilité à l'égard de la sécurité de leurs frontières et des voies maritimes qui passent près de ces frontières. Et nous allons naturellement remplir cette responsabilité par des gestes pratiques."

"Nous ne voyons pas quel pourrait être l'apport de l'OTAN dans l'Arctique", a ajouté le ministre Lavrov, sans plus de détail.

Le Canada intercepte régulièrement des bombardiers russes qui s'approchent de son territoire aérien dans le Grand Nord. Au mois d'août, au cours d'une visite en Arctique où il était allé observer le déroulement d'exercices militaires de plus en plus imposants chaque année, le premier ministre Stephen Harper s'était d'ailleurs servi d'un incident du genre pour justifier l'achat de 65 chasseurs furtifs qu'il venait d'annoncer, au coût de 16 milliards de dollars.

Le maire de Moscou dans la mire du Kremlin

Article publié le 13 septembre dans le journal La Presse

Les jours du puissant maire de Moscou à la tête de la capitale russe sont comptés. En voulant semer la zizanie entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine, Iouri Loujkov a récolté leur colère. Pour le discréditer, le Kremlin s'est lancé dans une fronde médiatique sans précédent.

Moscou - «Moscou étouffait dans la fumée alors que son maire sauvait ses abeilles?» demande le narrateur d'un ton grave. C'est le genre de critique que Iouri Loukjov n'avait pas essuyée depuis plus d'une décennie à la télé russe. Mais depuis la semaine dernière, les «enquêtes» compromettantes à l'endroit du maire de Moscou inondent les chaînes fédérales, minutieusement contrôlées par le Kremlin.

Vendredi, NTV a ouvert le bal. La chaîne, propriété du géant gazier d'État Gazprom, a diffusé un documentaire intitulé «L'affaire est dans la casquette», en référence au couvre-chef distinctif du maire.

Le reportage accusait notamment Loujkov d'avoir laissé tomber ses concitoyens durant les incendies de forêt de cet été. Alors que sa ville était asphyxiée par la fumée, il avait attendu plusieurs jours avant d'interrompre ses vacances à l'étranger.

À son retour, note le narrateur, le maire a débloqué 105 millions de roubles (3,5 millions de dollars) pour les soins aux victimes des incendies et 256 millions... pour ceux des abeilles. L'apiculture est le passe-temps préféré du coloré maire.

Le reportage «révélait» aussi que la fortune accumulée par son épouse (2,9 milliards selon Forbes), reine de l'immobilier moscovite, n'était pas étrangère aux fonctions de son mari...
Les accusations de corruption et de mauvaise gestion à l'endroit de Loujkov ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles trouvent leur voie jusqu'aux ondes hertziennes.

En 18 ans à la tête de la capitale, Iouri Loujkov a su naviguer à travers les changements de garde au Kremlin pour conserver le contrôle de sa mégapole de 10 millions d'habitants.

Lettre ouverte

Mais mercredi dernier, il a commis l'impardonnable. Dans une lettre ouverte, le maire a critiqué de façon à peine voilée la décision du président Medvedev d'interrompre la construction d'un tronçon d'autoroute à la demande des écologistes. Il y laissait entendre que la méthode autoritaire de Poutine, qui est plutôt favorable à la poursuite des travaux, est meilleure pour régler les problèmes du pays que celle du chef de l'État, plus enclin au compromis.

À la suite de la publication, une source anonyme au Kremlin a indiqué à l'agence Interfax que l'attaque «ne resterait pas sans réaction appropriée». Depuis, les documentaires-chocs pullulent.

Iouri Loujkov assurait encore vendredi qu'il n'avait aucune raison de quitter ses fonctions avant la fin de son cinquième mandat en 2011.

Légalement, Dmitri Medvedev peut renvoyer le maire à sa guise. Mais il doit tout d'abord lui trouver un successeur, et aucun nom ne semble faire l'unanimité actuellement dans les coulisses du Kremlin. En attendant, la propagande se charge de descendre en flamme le maire de 73 ans, qui a osé choisir la confrontation.

Abkhazie: un «pays» en mode séduction

Article publié dans les journaux La Presse, Le Soir et La Croix en août-septembre 2010

Fin août, la Russie a annoncé avoir déployé en Abkhazie des missiles pointés vers la très pro-occidentale Géorgie. L'Abkhazie? Officiellement, il s'agit d'une région géorgienne. Or, ce territoire prétend être une nation indépendante. Moscou l'a reconnu il y a deux ans presque jour pour jour.


C'est une journée d'été habituelle au poste frontière russo-abkhaze de Psaou. Côté russe, les marchands transfrontaliers abkhazes poussent leurs vieux chariots rouillés remplis de melons vers les cinq guichets de contrôle des passeports. Quelques dizaines de touristes russes en tongs traînent leurs valises à roulettes et cherchent à dépasser les commerçants. Le ton monte. « Nous allons à la mer, nous ! », lance une Russe, irritée par la longue attente, dans la chaleur insoutenable qui étouffe toute la région depuis des semaines. Côté abkhaze, la douane est en revanche affaire de quelques secondes. Tous ceux qui viennent de Russie sont les bienvenus !

Les 100 km sinueux qui séparent la frontière de la capitale, Soukhoum, se roulent tantôt sur une route neuve, gracieuseté de la Russie, tantôt sur de l'asphalte morcelé datant d'avant la chute de l'URSS. À l'époque, l'Abkhazie et ses 213 km de front maritime sur la mer Noire étaient le paradis du tourisme soviétique. Aujourd'hui, 99% des quelque 800 000 vacanciers qu'elle accueille chaque année sont russes.

Soukhoum. Ou Soukhoumi, en géorgien, puisque hormis pour la Russie, le Venezuela, le Nicaragua et la microscopique île de Nauru, l'Abkhazie demeure légalement une région géorgienne.

Il y a deux ans encore, la capitale de quelque 50 000 habitants ne comptait qu'un seul feu de circulation. Aujourd'hui, on en dénombre quelques dizaines flambant neufs. Plusieurs édifices portent toujours les cicatrices de la sanglante guerre de sécession de 1992-1993 contre la Géorgie, qui a fait 13 000 morts. Mais de nouveaux immeubles commencent peu à peu à sortir de terre.

"Merci à la Russie!"

Avenue de la Paix, des personnes âgées attendent devant une banque le signal du gardien de sécurité pour aller encaisser les 500 roubles (17$) de pension que leur verse l'Abkhazie. "Merci à la Russie! Sans elle, nous n'aurions que cela!" lance Lioudmila, 68 ans, médecin à la retraite, qui continue à enseigner à l'université et à soigner à l'hôpital. Plus tard, elle ira dans une autre banque récolter les 2900 roubles offerts par l'État russe.

C'est que, comme plus de 90% des Abkhazes, Lioudmila a facilement obtenu la nationalité russe au début des années 2000. Si la Russie ne considérait pas à l'époque les régions séparatistes géorgiennes comme des pays, elle était déjà dans les faits leur respirateur artificiel. En reconnaissant l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, le 26 août 2008, le président russe Dmitri Medvedev a simplement officialisé les relations.

Moins de 24 heures après notre demande d'entrevue, le président abkhaze, Serguei Bagapch, nous reçoit dans son bureau présidentiel. L'Abkhazie, en mal de reconnaissance, est en mode séduction.

"Nous n'avons pas l'intention de supplier quiconque de nous reconnaître", précise toutefois le président, en poste depuis 2004. "Le plus important, c'est de construire un État de droit, démocratique, respectable, pour que la communauté internationale comprenne que nous voulons la paix et la stabilité, non la guerre, et donc qu'il faut nous reconnaître."

Le fait que la Cour internationale de justice ait validé, le 22 juillet dernier, la légalité de l'indépendance du Kosovo, reconnue par 69 États, ne changera rien pour son "pays", estime Serguei Bagapch. "Mais cela démontre encore une fois que la décision de la Russie de reconnaître l'Abkhazie était tout à fait juste."

Protégés en cas de guerre

Pour le président, la sauvegarde de l'indépendance passera par le développement économique, principalement du tourisme et de l'agriculture, l'Abkhazie étant un gros producteur d'agrumes. Mais, paradoxalement, tout dépend de l'argent russe.

Cette année, l'aide de la Russie viendra presque doubler le maigre budget abkhaze, d'environ 135 millions de dollars. En comptant les services fournis aux citoyens russes d'Abkhazie, elle le triple.

Autre paradoxe, la présence militaire russe en Abkhazie assure l'indépendance de la république, croit Serguei Bagapch. Elle dissuade le président de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, de chercher à reprendre par la force les territoires séparatistes, comme lors de la guerre éclair d'août 2008 en Ossétie du Sud.

Et c'est là que repose le principal acquis de ce conflit, estime le président abkhaze. Après des années d'incertitude, "les gens sentent maintenant que la paix est arrivée, qu'ils peuvent eux-mêmes décider de leur sort".

La retraitée Lioudmila confirme: "Nous savons que, s'il y a une guerre avec la Géorgie, les Russes seront là pour nous défendre."

Des Géorgiens laissés pour compte

Dans le sud-est de l'Abkhazie, peuplé en majorité de Géorgiens, on voit la situation d'un oeil différent.

La route pour se rendre à Gali est aussi délabrée et déprimante que la ville elle-même. Lors de la guerre de 1992-1993, la majorité des habitants se sont réfugiés en Géorgie, de peur des représailles des séparatistes abkhazes.

Depuis, rien n'a été reconstruit, et la ville est désormais trop grande pour sa population de quelques milliers de personnes, soit celle d'un gros village.

Ici, la plupart des habitants possèdent en secret la nationalité géorgienne en plus de l'abkhaze. Certains ont aussi un passeport russe, pour avoir droit aux services. L'enseignement en géorgien étant interdit, plusieurs parents envoient leurs enfants à l'école de l'autre côté de la "frontière".
Dans un café, des soldats russes commandent une bouteille de vodka. À leur vue, des hommes grommellent à voix basse en géorgien.

À l'entrée de Gali trône un portrait géant du président Bagapch, comme pour narguer les hommes recyclés en chauffeurs de taxi qui attendent à ses pieds d'improbables clients. Les langues mettent du temps à se délier. "En 20 ans, ils n'ont même pas réussi à refaire la route!" se plaint enfin Gouram, la cinquantaine bedonnante, après une longue apologie ironique de l'Abkhazie indépendante.

"Avant, la ville était animée, les gens se baladaient, se rappelle-t-il. Maintenant, la vie est mauvaise. En Géorgie, par contre, tout est magnifique! Surtout les routes!"

mardi 3 août 2010

La Russie brûle, Poutine joue les pompiers

Article publié dans La Presse et La Tribune de Genève le 3 août 2010.

Moscou - Les autorités russes affirment maîtriser les incendies de forêt qui font rage depuis plus d'une semaine dans 14 régions du pays. Les informations contradictoires qu'elles laissent filtrer montrent plutôt qu'elles sont dépassées par l'ampleur de la catastrophe. Visé par les critiques, le premier ministre Vladimir Poutine rejette le blâme sur ses subordonnés, explique notre collaborateur.

Plus de 500 000 hectares et 77 villages partis en fumée, 7000 foyers d'incendie toujours en activité, 40 morts et des centaines de personnes à la rue: la Russie brûle, les secours sont désorganisés, mais Vladimir Poutine est aux commandes.

Hier après-midi, alors que le président Dmitri Medvedev décrétait l'état d'urgence dans sept régions du pays, le premier ministre et homme fort du régime russe convoquait les responsables des régions sinistrées. "Je veux entendre aujourd'hui comment s'organise la reconstruction des habitations. Je veux des plans de reconstruction pour chaque région, chaque localité, chaque maison."

Le ton est ferme, mais l'exigence pratiquement impossible à remplir. "Il me faut une liste de tous les blessés signée de vous, les gouverneurs", a-t-il ajouté.

Visiblement, Vladimir Poutine n'a pas digéré les reproches que lui ont servis vendredi dernier les habitants de Verkhniaïa Vereia, village rasé de la région de Nijni-Novgorod. "Vous n'avez rien fait pour empêcher que ça brûle!" avait lancé une femme hystérique à un premier ministre stoïque venu constater l'ampleur des dégâts.

La séquence "omise" par la télévision d'État russe a trouvé le chemin de YouTube quelques jours plus tard. Les médias russes indépendants ont eux aussi critiqué vertement le manque de préparation des autorités dans la lutte contre les incendies.

Dès lors, l'ancien président a entrepris de rejeter le blâme sur les responsables régionaux, pourtant nommés par lui-même et par son fidèle successeur, Dmitri Medvedev, depuis l'abolition des élections des gouverneurs en 2004. Lors de sa visite à Verkhniaïa Vereïa, il a conseillé aux politiciens locaux qui sentaient avoir perdu la confiance de leurs concitoyens de rendre leur démission.

"Pour réduire le risque d'une répétition de tels événements, il faut à l'avenir élaborer des programmes fédéraux et régionaux afin d'assurer la sécurité contre les incendies", a fait savoir le premier ministre aux dirigeants locaux.

Mais pour cette fois, il est trop tard. Les habitants de plusieurs villages ont été laissés à leur sort. Dans la région de Voronej, par exemple, des dizaines de jeunes ont formé des brigades de volontaires pour s'attaquer aux flammes qui s'approchaient de leur maison, rapportait hier l'AFP.

Informations contradictoires

La distribution de l'aide aux sinistrés s'annonce laborieuse. Conscient que le pays est rongé par la corruption, Vladimir Poutine a indiqué que les fonds débloqués seraient "sous le contrôle des représentants du Kremlin dans les régions, afin qu'ils ne soient pas détournés".

Il s'attend aussi à ce que des citoyens et des fonctionnaires malhonnêtes profitent de la situation pour obtenir de l'argent auquel ils n'ont pas droit. "Les maisons seront reconstruites selon les prix réels du marché (...) et la liste des victimes sera vérifiée minutieusement. Les escrocs et les voyous ne doivent pas avoir la moindre chance de profiter de la situation", a déclaré le premier ministre hier.

De son côté, le ministère des Situations d'urgence, responsable de la lutte contre les incendies, s'est montré officiellement optimiste dans ses efforts pour freiner les incendies. Quelque 265 villages auraient été épargnés des flammes en une seule journée grâce au travail des sapeurs.

"Trois cents nouveaux foyers d'incendie apparaissent en moyenne chaque jour et 95% d'entre eux sont éteints la journée où ils sont localisés", a déclaré un porte-parole du Ministère hier. Pourtant, les données officielles fournies par le même ministère parle d'un décuplement du nombre de foyers entre dimanche et lundi, passant de quelque 700 à 7000...

Dans la série des informations floues et contradictoires, des officiels ont déclaré le week-end dernier que deux sites nucléaires étaient menacés par les incendies. D'autres responsables se sont empressés de démentir la nouvelle.

Hier, le ministre Sergueï Choïgou a pourtant "multiplié par dix" les moyens pour combattre les flammes près du Centre fédéral de recherche nucléaire de Sarov, en plein coeur de l'une des zones les plus affectées par les incendies de forêt. En raison de la fumée trop épaisse, les avions-citernes n'ont pu survoler les environs de Sarov hier. L'extinction de l'incendie a été remise à cet après-midi.

Asséchée, la Russie brûle

Reportage publié dans La Croix, La Presse, La Tribune de Genève et Le Soir le 2 août 2010.
Mokhovoe, région de Moscou - Asséchés par plus d'un mois de canicule presque sans précipitations, des dizaines de milliers d'hectares de forêt et de tourbière sont la proie d'incendies depuis une semaine en Russie. Des villages entiers ont été rasés. Notre collaborateur s'est rendu à Mokhovoe, à 150 km au sud-est de Moscou, où les villageois ont dû se défendre par eux-mêmes du feu, faute d'aide des autorités.

Lorsque les flammes ont commencé à avancer sur Mokhovoe, village situé à 150 km au sud-est de Moscou, jeudi midi, Lioubov Beliakova et ses voisines sont sorties en priant dans les rues poussiéreuses, icônes orthodoxes à la main. « En cinq minutes l'air est devenu noir comme la nuit. La terre brûlait sous nos pieds. Nous avons compris que ça n'augurait rien de bon », raconte la comptable retraitée.

La croix avec l'inscription « Que le Seigneur te protège » plantée à l'entrée du village n'a pas pu le sauver. Et encore moins les autorités russes. Les quelque 150 habitants de Mokhovoe n'ont jamais été prévenus de l'approche de l'incendie et aucune mesure n'a été prise pour les évacuer.

Laissés à eux-mêmes, entourés d'une haute forêt et de tourbières asséchées à l'époque soviétique pour servir de combustible, les villageois ont dû se débrouiller. « Les hommes se sont précipités à l'orée de la forêt pour couper des arbres afin d'empêcher le feu d'avancer », explique Mme Beliakova. Rien à faire. En quelques minutes, le village n'existait plus. Un seul immeuble d'habitation n'a pas été touché par les flammes. Douze maisons et trois édifices ont été détruits. Ceux qui possédaient une voiture ont pu s'enfuir. Mais dans ce village pauvre, peuplé principalement de retraités, certains n'avaient pas ce luxe.

« Ils sont morts asphyxiés dans cette cave. » Maria Mourougova montre le petit abri à légumes bétonné dans le jardin calciné de ses voisins. Ils étaient six à s'y cacher et sont restés piégés lorsque les flammes ont rasé la quasi-totalité des jardins qui nourrissaient le village.

Née à Mokhovoe, Maria Mourougova, ingénieure de 34 ans, habite désormais dans la ville de Kolomna, à 50 km et une traversée de bac du village. « J'ai réussi à venir à temps pour sauver ma mère. Mais pourquoi les gens qui doivent s'occuper de notre sécurité n'ont-ils rien fait ? », enrage-t-elle. « Sous le pouvoir soviétique, c'était mieux organisé. » Elle montre un édifice où habitaient deux vieilles dames. « Elles ont voulu s'enfuir dans la forêt et sont mortes brûlées », avance-t-elle, même si, officiellement, les deux femmes font partie des sept villageois toujours portés disparus. Plus loin, ce sont deux personnes handicapées qui seraient mortes dans leur sous-sol, incapables de se lever. « Les sapeurs ne se sont occupés que de la forêt et ont laissé brûler le village », dénonce Mme Mourougova, appuyée par d'autres habitants. Un pompier mal équipé est pourtant mort en voulant protéger la bourgade.

Poutine visite

Lors d'une visite vendredi dans un autre village ravagé près de Nijni Novgorod, le premier ministre Vladimir Poutine a été accueilli par une foule hystérique accusant le pouvoir d'inaction. L'homme fort du pays a rejeté le blâme sur les administrations locales, exigeant la démission des politiciens « envers lesquels la confiance des citoyens est remise en doute ». Vladimir Poutine a aussi promis de quadrupler l'aide prévue pour les victimes des feux de forêts, à 200 000 roubles (5 000 €) par famille. « Avec cette somme, nous pourrons à peine reconstruire la clôture de notre jardin », estime Lioubov Beliakova, qui ne possédait pas d'assurance, comme le reste des villageois.

À côté d'elle, dans la braise encore fumante de Mokhovoe, des hommes s'affairent à déterrer des pieux de métal calcinés. « Bientôt, les voleurs de ferrailles vont passer », explique l'un d'eux. « Et mieux vaut déjà avoir le matériel quand nous reconstruirons au lieu de le racheter. » Mais reconstruira-t-on Mokhovoe ? Malgré les promesses de Vladimir Poutine de rebâtir les villages affectés « d'ici à cet hiver », les habitants doutent que les autorités voudront investir dans leur bourgade, déjà vieillissante et morose avant l'incendie. Agricole, Mokhovoe ne s'est jamais vraiment remis de la chute du communisme et de la fermeture de l'usine du coin, comme des milliers d'autres villages dans le pays.

Et pour reconstruire, encore faudra-t-il que l'aide se rende jusqu'aux victimes. Samedi, le patriarche orthodoxe Kirill a appelé les fonctionnaires à ne pas détourner les fonds destinés aux victimes, pratique courante dans le pays, rongé par la corruption. « L'argent qui va être versé aux gens est de l'argent sacré. Que personne ne lève la main sur cet argent, car s'enrichir sur le malheur des autres est un grand péché devant Dieu », a-t-il déclaré dans un discours télévisé.

À Mokhovoe, les habitants préfèrent compter sur leurs propres forces au lieu d'attendre une aide hypothétique du gouvernement, qui pourrait être difficile à réclamer en raison de la lourdeur administrative. « De toute façon, c'est impossible qu'ils nous donnent une nouvelle maison (ailleurs). Il y a déjà une pénurie de logements dans le pays, donc ils nous placeront probablement dans des résidences communautaires », dit Mme Beliakova, résignée. Son appartement a été évité par les flammes, mais sans gaz, sans eau, sans électricité et sans jardin, impossible d'y retourner.

Les habitants de Mokhovoe ne sont pas les seuls à s'être retrouvés sans toit au cours des derniers jours en Russie. Quelque 1 875 maisons ont été détruites par les flammes dans quatorze régions du pays, principalement aux abords de la Volga. Le ministère des régions a estimé que 117 millions d'euros seraient nécessaires pour la reconstruction.

Selon un bilan provisoire, 30 personnes sont mortes dans les incendies qui ravagent des centaines de milliers d'hectares de forêts partout dans le pays. Hier, les autorités de l'Extrême-Orient ont annoncé que les flammes gagnaient aussi leur région. En dépit des 240 000 personnes mobilisées pour lutter contre les feux, la situation n'est pas en voie de s'améliorer. Hier matin, 770 foyers d'incendie étaient actifs dans le pays. La veille, il y en avait deux fois moins.

Les prévisions météorologiques ne laissent pas place à l'espoir. La canicule jamais vue qui frappe la Russie depuis plus d'un mois, avec des températures diurnes descendant rarement sous les 30 degrés sur une bonne partie du territoire, devrait se poursuivre au moins une semaine. Aucune forte précipitation n'est prévue pour venir calmer les flammes. Asséchée, la Russie brûle.

UNE CANICULE SANS PRÉCÉDENT

En 160 ans d'observation météorologique, la Russie n'avait jamais connu pareille canicule. Jeudi dernier, le thermomètre a atteint 38,2 degrés à Moscou, battant le précédent record de 37,2, établi... trois jours plus tôt. La semaine dernière, la fumée provenant des feux de tourbières en périphérie de la capitale est venue envelopper la mégalopole de 15 millions d'habitants, rendant l'air difficilement respirable. Selon l'observatoire de la qualité de l'air de Moscou, la pollution atmosphérique dépassait dix fois la norme mercredi. Le brouillard s'est finalement dissipé vendredi, mais des centaines de villes et villages dans la région de Moscou vivent toujours sous un dangereux nuage de fumée. Étrangement, les autorités russes n'ont pas fait état de morts résultant de la chaleur et de la fumée. En 2003, une canicule similaire en Europe avait pourtant causé environ 15 000 décès en France, principalement des personnes âgées vulnérables. Pour combattre la chaleur, chacun a son remède de grand-mère. Même le premier ministre Vladimir Poutine, qui a conseillé aux Russes de boire du thé chaud. « Cela favorise la sudation et aide à supporter le coup de chaleur », a-t-il déclaré. Mais un autre « remède » est plus populaire chez les Russes : l'alcool, pourtant connu pour ses propriétés déshydratantes. En deux mois, près de 2 500 personnes se sont noyées en Russie, à cause des chaleurs excessives qui poussent les Russes à se baigner dans les plans d'eau environnants, souvent en dépit des interdictions et du danger. L'an dernier, près des trois quarts des noyades enregistrées dans le pays avait été causées par l'alcool. Autres victimes de la canicule : les agriculteurs. Près du tiers des terres cultivées en Russie ont été affectées par la sécheresse. Vingt-trois régions du pays ont décrété l'état d'urgence. Troisième exportateur de blé au monde, la Russie devrait en produire 20 % de moins cette année, alors que les prix pourraient augmenter de plus du tiers.

Russie: Mettre les points sur les Ë

Article publié dans les journaux La Croix et La Presse les 29 et 31 juillet.

Перевод на русский на Иносми.ру: Россияне не торопятся ставить точки над "ё"

Moscou, Russie - Mikhaïl Gorbatchev n'a jamais dirigé l'URSS et Alex Kovalev n'a jamais joué pour le Canadien de Montréal. Il s'agissait plutôt de... Gorbatchëv et Kovalëv (prononcés "Gorbatchyov" et "Kovalyov"). Depuis 15 ans, un retraité se bat pour remettre les points sur les "e", jusqu'ici facultatifs dans les textes russes. Une croisade singulière qui pourrait sauver des milliers de personnes d'un cauchemar administratif, raconte notre collaborateur.


Dans l'appartement soviétique de Viktor Tchoumakov, la lettre ë ("yo") est érigée en idole. Sur les murs, sur les draps, dans la bibliothèque. Même les hamsters, Ëchka et Ërik, rendent honneur à la septième lettre de l'alphabet cyrillique.

"C'est une question politique très délicate", lance d'un air grave Viktor Tchoumakov, 77 ans, auteur, historien et "ëficateur en chef" autoproclamé de Russie. "Je suis patriote, et la sauvegarde de la langue doit être l'une des principales priorités étatiques, tout juste après l'intégrité territoriale et la souveraineté."

En 1995, ingénieur électrique fraîchement retraité, M. Tchoumakov rend le manuscrit de son premier livre sur les grands dirigeants russes de l'histoire. Il est alors choqué par la proposition de son éditeur d'éliminer tous les ë de la version finale. C'est que, selon les règles officielles de l'orthographe, le tréma sur le e est facultatif, même si la septième lettre de l'alphabet et sa prononciation sont bien distinctes de la sixième, e, ("yé"), plus répandue.

"J'ai alors compris qu'il fallait que je m'occupe de cela." Pour M. Tchoumakov, il s'agit avant tout d'une question de respect du russe, une langue qui s'écrit comme elle se prononce. Le but est également d'éviter les confusions, même si les locuteurs russes savent reconnaître le ë sans tréma, sauf dans de rares occasions.

Quatre livres sur le ë et des dizaines de lettres aux rédactions et maisons d'édition plus tard, Viktor Tchoumakov accumule les victoires. Plusieurs journaux se sont remis à imprimer la lettre empruntée au français en 1783. La commission parlementaire sur la langue russe, dont il fait partie, a publié un décret il y a trois ans qui rend obligatoire l'utilisation du ë dans les passeports.

Les deux derniers ministres de la Culture le soutiennent, et le président s'est mis à écrire "ë" dans ses discours officiels et sur son site web. À Oulianovsk, ville de naissance de Lénine, un monument en l'honneur du ë a même été érigé en 2005!

Mais certains résistent toujours. C'est le cas du journal officiel Rossiïskaïa Gazeta. "Quand ils publient les lois, ils enlèvent automatiquement les ë à l'aide d'un programme!" enrage M. Tchoumakov. Il a pensé poursuivre la publication en justice, mais les frais que cela aurait entraînés l'ont fait reculer.

Prouver son existence

Les anti-ë le sont surtout par souci d'esthétisme et par paresse, explique Marina Korolëva, animatrice de l'émission linguistique Parlons russe à la radio Écho de Moscou. "Sur les claviers russes des machines à écrire et des ordinateurs, le ë a toujours été à la périphérie, en haut à gauche", ce qui favorise son ostracisme.

Même si elle fait partie des 4% de Russes qui ont la lettre dans leur nom de famille, Mme Korolëva avoue préférer les textes littéraires et journalistiques sans tréma.

Pour les documents officiels, toutefois, c'est une autre histoire. Lors des émissions qu'elle a consacrées au ë, des auditeurs lui ont raconté avoir dû se battre avec les autorités pour prouver leur identité et faire reconnaître leurs avoirs. Sur certains documents, leur nom était inscrit avec un ë, sur d'autres, avec un e.

"À l'époque de l'URSS, il y avait moins de problèmes puisque la propriété privée n'existait pas", relève Mme Korolëva. Mais depuis, des fonctionnaires malhonnêtes font chanter des citoyens pour deux petits points. Certains Russes ont même dû demander un changement de nom pour corriger un nom administrativement sans ë.

"Il doit y avoir une loi pour éviter les confusions, que ce soit pour obliger l'utilisation du ë ou la rendre facultative, plaide Mme Korolëva. Lorsqu'on laisse un flou, ça laisse toute la place à la corruption."

PETITE HISTOIRE DU Ë

> Certains auteurs russes, comme Alexandre Soljenitsyne (L'archipel du Goulag), ont toujours insisté pour que leurs textes soient imprimés avec les points sur les ë. > Le ë a connu son âge d'or entre 1942 et 1953, en raison d'un puissant partisan des deux points: le dictateur soviétique Joseph Staline. "Durant la guerre, la Pravda s'est mise à utiliser le ë parce que Staline voulait éviter les erreurs militaires, raconte Viktor Tchoumakov. Par exemple, pour ne pas qu'une ville calme appelée Berezovka soit bombardée à la place de Berëzovka!" > La Constitution russe compte 103 "fautes" d'orthographe. Toutes des omissions des points sur les ë.

Iouri Volkov: martyr des nationalistes russes

Article publié dans les journaux Le Soir et La Presse les 29 et 30 juillet 2010.

Moscou - Le 14 juillet, Iouri Volkov devait célébrer ses 23 ans. Tué dans une bagarre par un jeune Tchétchène, il a plutôt eu droit à des funérailles, devenant malgré lui martyr de la cause nationaliste russe, raconte notre collaborateur.

Au pied de la station de métro Tchistie Proudy, dans le centre de Moscou, les photos de Iouri Volkov sont entourées de centaines de bouquets de fleurs, d'écharpes du Spartak, son équipe de soccer préférée, et de slogans nationalistes comme "Mort aux non-Russes".

À quelques mètres de là, dans la nuit du 9 au 10 juillet, le jeune assistant à la réalisation de la chaîne de télévision d'État Rossiya-2 était en train de dire au revoir à ses amis après un concert quand trois jeunes Tchétchènes ont passé tout près. L'un d'eux a heurté l'épaule d'un ami de Iouri, vraisemblablement par mégarde. "Quoi, il n'y a pas assez de place, ici?" a protesté l'ami, avant de recevoir un coup de poing au visage. La bagarre a éclaté. Quelques secondes plus tard, Iouri Volkov, frappé mortellement d'un coup de couteau au coeur, s'est écroulé.

Ses copains ont réussi à rattraper et à neutraliser les trois assaillants avec l'aide d'agents de la circulation. Magomed Souleïmanov, 24 ans, a reconnu le crime et remis son couteau aux forces de l'ordre. Ses deux compagnons ont été libérés sous conditions.

Volkov, le martyr

Depuis, les membres du fan-club du Spartak, dont faisait partie Volkov, s'activent. Parmi eux, plusieurs nationalistes. Pour eux, l'assassin n'est pas seulement un criminel, mais le représentant d'une diaspora mal aimée et accusée de tous les maux.

En deux semaines, ils ont organisé trois rassemblements à la mémoire de Volkov à la station Tchistie Proudy, réunissant chaque fois plusieurs centaines de personnes. Au cours de l'une de ces manifestations, un marchand "non russe" de DVD installé tout près a été attaqué.

Même si les regroupements n'étaient pas autorisés, les policiers ne les ont pas empêchés. Les slogans haineux envers les "ennemis" du peuple russe tapissent maintenant les murs de la station.

Pourtant, Iouri Volkov n'était pas un extrémiste de droite, rappelle Galina Kojevnikova, vice-directrice du centre Sova, une ONG qui étudie les mouvements racistes en Russie. "C'est encore mieux pour les nationalistes. Ils peuvent plus facilement l'utiliser comme victime innocente pour faire leur propagande."

Les meurtres ou blessures graves à la suite d'une bête altercation ne sont pas chose si rare en Russie, rappelle Mme Kojevnikova. "Il y a plein de gens dangereux à Moscou. Et ce ne sont pas que des Tchétchènes!"

Mise en liberté

Dimanche, le présumé meurtrier de Iouri Volkov a été mis en liberté, ce qui a ravivé la colère des amis du jeune homme et des nationalistes. Selon eux, des membres influents de la diaspora tchétchène ont fait pression auprès des forces de l'ordre pour étouffer l'affaire. Ils assurent en outre que la famille Volkov reçoit des menaces de la part d'inconnus.

Devant les objets à la mémoire de Iouri Volkov, mercredi après-midi, un supporteur du Spartak montait la garde alors que des passants curieux s'arrêtaient pour lire les inscriptions nationalistes.

"Nous sommes pacifistes", assure Sergueï Pozdniakov, 27 ans, qui connaissait vaguement Iouri. Selon lui, les nationalistes sont en minorité dans le fan-club du Spartak, généralement "apolitique et neutre".

Le discours de Sergueï est tout de même ambigu. "Nous avons un pays multiethnique, nous devons nous assurer qu'il n'y ait pas d'autres crimes racistes", dit Sergueï, avant d'ajouter: "Ce sont les Tchétchènes qui provoquent les incidents. Ils veulent montrer qu'ils sont puissants, ici. Nous nous baladons les mains vides, et eux, ils trimballent des armes blanches."

Sergueï croit que les amis de Iouri doivent poursuivre leurs actions pour obliger la police russe, réputée corrompue et inefficace, à aller jusqu'au bout de l'affaire. "Il faut s'assurer que le crime ne restera pas impuni."

CRIMES RACISTES

Au cours de la première moitié de 2010, 167 personnes ont été victimes de crimes à caractère raciste en Russie. Dix-neuf d'entre elles sont mortes. La plupart étaient des travailleurs migrants en provenance de l'Asie centrale postsoviétique et des militants antifascistes. Les attaques racistes sont tout de même en baisse constante, particulièrement à Moscou. C'est que, depuis deux ans, les forces de l'ordre ont réellement commencé à arrêter les responsables de violence raciale, même si plusieurs crimes demeurent impunis. Les nationalistes ont répliqué en appelant au terrorisme contre le pouvoir, qui ne défend pas assez la "nation russe", à leur avis.

Guerre médiatique entre Loukachenko et le Kremlin

Article publié dans la chronique «Les gens» du journal Le Soir le 27 juillet 2010

Il était l'un des plus fidèles alliés de Moscou. Mais les caprices du président biélorusse commencent à irriter le Kremlin, qui cherche tranquillement à l'éjecter du pouvoir. Première étape : la guerre médiatique. Début juillet, la chaîne russe NTV diffuse un documentaire compromettant sur le « Batka » (« petit père »), au pouvoir depuis 1993 dans son ex-république soviétique. Le film rappelle notamment la disparition d'opposants biélorusses à la fin des années 90. Rien de neuf dans les accusations, si ce n'est qu'elles sont diffusées à la télévision russe, contrôlée de près par le Kremlin.

Loukachenko n'a pas mis de temps à comprendre le signal. Mais loin de vouloir calmer le jeu, le bouillant président autoritaire réplique. Quelques jours plus tard, un journal gouvernemental reprend des extraits d'un vieux pamphlet de l'opposition russe sur les magouilles du Premier ministre Vladimir Poutine. Le 15 juillet, Loukachenko frappe encore plus fort : la télévision d'État biélorusse diffuse à une heure de grande écoute une interview du président géorgien Mikhaïl Saakachvili. La bête noire de Moscou en profite pour lancer sa diatribe habituelle contre le Kremlin.

Les relations entre Minsk et Moscou sont au plus bas. Le mois dernier, la Russie a réclamé une dette gazière de 187 millions de dollars. Loukachenko a répliqué en exigeant le paiement de 260 millions de dollars pour le transit du gaz russe destiné à l'Europe. Loukachenko a bien essayé de se rapprocher de l'Occident, mais le très soviétique ex-directeur de kolkhoze n'arrive pas à faire oublier son image de « dernier dictateur d'Europe » à Bruxelles et à Washington.

À l'horizon : la prochaine élection présidentielle biélorusse, au plus tard en début d'année 2011. Si le Kremlin se joint à l'Europe pour dénoncer une autre victoire frauduleuse de Loukachenko, ses jours à la présidence pourraient être comptés...

Aux arbres, citoyens

Article publié dans La Croix, Le Soir et La Presse entre le 23 et le 27 juillet 2010.
Перевод на русский от Иносми.ру: Жители Химок на защите леса

Khimki, Russie - Dans un rare élan d'engagement citoyen en Russie, les habitants d'une banlieue moscovite ont fait arrêter la coupe d'une vaste forêt, qui doit laisser passer une autoroute. La détermination des citoyens a suscité l'étonnement et fait naître l'espoir d'une société civile capable de se faire entendre... Notre correspondant est allé à leur rencontre.
"Nous allons rester ici jusqu'à ce qu'ils modifient le tracé!" Le ton assuré, Evguenia Tchirikova, la charismatique leader du Mouvement pour la défense de la forêt de Khimki, s'adresse à sa petite armée de militants en train de casser la croûte autour des six tentes d'un campement.

Les habitants de Khimki, ville-dortoir de 180 000 habitants, sont en guerre depuis quelques années. Leurs ennemis: l'Agence fédérale des routes (Rosavtodor), responsable du projet, et la firme française Vinci, mandatée pour construire le premier tronçon de l'autoroute à péage Moscou-Saint-Pétersbourg. Selon le tracé actuel, l'autoroute coupera en deux les 1000 hectares de la luxuriante forêt de Khimki, menaçant l'écosystème de ce poumon de la capitale.

Jusqu'ici, l'histoire des habitants de Khimki ressemble à des milliers de mobilisations citoyennes. La différence est que cette opération se déroule en Russie, où une telle opposition au pouvoir est assez rare. Pour cause.

La détermination des habitants de Khimki a déjà coûté cher à l'un d'entre eux. En novembre 2008, le journaliste local Mikhaïl Beketov, qui appuyait Evguenia Tchirikova et sa bande, a été trouvé près de sa maison, baignant dans son sang depuis plusieurs heures. Il a survécu, mais il a fallu lui amputer une jambe et plusieurs doigts gelés. Il conserve des séquelles importantes au cerveau et ne peut prononcer que quelques mots. On n'a jamais su qui l'avait agressé, mais ses amis accusent à mots couverts le maire de leur ville d'avoir voulu le faire taire.

Malgré les menaces, Evguenia Tchirikova, qui s'est installée à Khimki justement pour fuir la pollution du centre-ville, n'a jamais baissé les bras.

"Nous sommes pour l'autoroute, mais on ne veut pas qu'elle tue le poumon de la ville, explique-t-elle. Nous ne nous battons pas que pour nous-mêmes, mais pour tous les Moscovites." Moscou est l'une des rares capitales au monde encore entourées d'une luxuriante ceinture verte.

En face du campement, des billots de bois sont cordés devant sept hectares dénudés où de grands chênes se dressaient encore il y a quelques jours. Il y a deux semaines, un membre du mouvement a remarqué par hasard une affiche qui disait "Attention, coupe forestière", près de l'aéroport Cheremetyevo. À l'arrivée des militants sur les lieux, les travailleurs migrants qui abattaient les arbres ont refusé de montrer leurs papiers et ont pris la fuite.

Une trentaine d'habitants de Khimki et autres militants écologistes se sont donc relayés jour et nuit dans le campement improvisé pour empêcher la reprise des travaux. Les journalistes russes, même ceux des médias officiels, suivent l'affaire avec intérêt.

Soupçons de corruption

Pendant plus d'une semaine, Rosavtodor s'est contentée de déclarer que la coupe était légale, sans faire appel aux autorités policières pour tenter de déloger les militants.

Dans un communiqué, l'agence a expliqué qu'elle n'a pas besoin de permis particulier pour la coupe puisque, en novembre dernier, le gouvernement russe a transformé 144 hectares de la forêt protégée de Khimki en terres exploitables.

Vrai. Mais c'est justement ce changement de zonage que les militants contestent. Appuyés par Transparency International, ils assurent que le processus laissait place à la corruption. Selon la loi russe, on ne peut exploiter une aire protégée si une autre option est possible. Les militants ont proposé un autre tracé, qui aurait limité les impacts sur la forêt, mais les autorités le jugent trop cher.

Même l'opposition libérale ne croyait pas vraiment aux chances des citoyens de Khimki de faire cesser les travaux. Sur son blogue, Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l'Énergie devenu l'un des leaders du mouvement d'opposition Solidarnost, a reconnu qu'il avait longtemps douté de leur réussite. "S'ils réussissent à interrompre définitivement cette coupe illégale, ce sera une grande victoire sur l'arbitraire du pouvoir."

Vers 5h du matin vendredi, une cinquantaine de jeunes cagoulés ont envahi le campement et ont tabassé les militants. À l'arrivée des policiers, les assaillants avaient déjà pris la fuite et les agents ont arrêté... les écologistes, pour avoir illégalement allumé des feux de camp et essayé d'empêcher leur départ en se couchant devant leurs voitures.

En fin de journée, la coupe de bois avait repris.

Mais Evguenia Tchirikova et sa bande n'avaient pas dit leur dernier mot. Hier, ils étaient de retour dans la forêt, encore plus forts, accompagnés d'un député et du légendaire musicien rock d'opposition Iouri Chevtchouk. Et encore une fois, la coupe était interrompue.

lundi 2 août 2010

Les États-Unis et la Russie troquent leurs espions à Vienne

Article publié dans Le Figaro le 10 juillet 2010.

L'échange des agents a eu lieu hier après-midi à l'aéroport de Vienne, haut lieu de l'espionnage durant la guerre froide. Mais l'esprit de suspicion qui régnait autrefois entre Russes et Américains n'était plus que l'ombre de lui- même. Le scénario écrit rapidement en coulisse par les autorités américaines et russes au cours des derniers jours s'est déroulé comme prévu.

Quelques heures après le troc, les dix espions russes arrêtés par les autorités américaines le 28 juin atterrissaient à Moscou. Ils avaient quitté New York jeudi soir, tout de suite après un procès expéditif dans lequel ils avaient tous reconnu avoir participé à une « conspiration pour agir en tant qu'agent d'un gouvernement étranger sans être dûment enregistré ».

Pendant ce temps, à Moscou, en plein milieu de la nuit, le président Dmitri Medvedev graciait quatre citoyens russes qui purgeaient de longues peines de prison, trois d'entre eux pour espionnage au profit de puissances occidentales : le scientifique Igor Soutiaguine, expert en armement, arrêté en 1999, Aleksander Zaporojski, ex-agent des services de renseignement extérieur russe, emprisonné depuis 2003, et Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire condamné en 2006 à treize ans de prison.

Les médias russes s'expliquaient toutefois mal hier la présence de Gennady Vassilenko sur la liste des graciés. Cet ancien agent éphémère du KGB avait été arrêté une première fois en 1989, soupçonné d'avoir entretenu des liens avec la CIA, puis relâché l'année suivante. Reconverti dans la sécurité privée, il avait été arrêté et jugé à nouveau en 2006, officiellement pour possession illégale d'armes.

Durant les deux semaines qu'aura duré le scandale d'espionnage, la Maison-Blanche et le Kremlin se sont montrés avares de commentaires. Une fois le problème résolu, ils n'ont pas caché leur soulagement d'avoir su éviter l'écueil, qui aurait pu constituer un énième refroidissement des relations toujours fragiles entre les deux pays.

« Cette action a été accomplie dans le contexte général de l'amélioration des relations russo-américaines », a fait savoir clairement le ministère des Affaires étrangères russe dans un communiqué laconique publié hier matin.

Pour les Russes, l'incident d'espionnage est désormais clos. Selon eux, les liens entre Washington et Moscou pourraient même en ressortir raffermis.

Clause de confidentialité

À Moscou, experts comme officiels laissent entendre depuis le début du scandale que l'arrestation des espions visait avant tout à déstabiliser l'Administration Obama. Des éléments conservateurs dans l'appareil de sécurité américain auraient ainsi souhaité embêter le président et empêcher un rapprochement russo-américain.

Si la Maison-Blanche se réjouissait elle aussi que le scandale d'espionnage ait été résolu si rapidement, elle a prévenu qu'elle ne comptait pas baisser la garde pour autant. En interview à la télévision publique PBS, le chef de cabinet du président Obama, Rahm Emanuel, a indiqué que l'arrestation des espions « lance un signal clair, non seulement à la Russie mais aux autres pays qui voudraient essayer (d'envoyer des espions), que nous les surveillons ».

L'attention se portera maintenant vers les ex-espions et leur nouvelle vie. Vicky Pelaez, la journaliste d'origine péruvienne qui serait la seule non-Russe des 10 espions expulsés vers Moscou, hier, s'est fait offrir, selon son avocat, un logement gratuit dans la capitale russe, des visas pour ses enfants et une pension à vie de 2000 $. Elle a indiqué qu'elle comptait plutôt retourner dans son pays natal.

Mieux vaut ne pas attendre non plus sur les tablettes un récit d'espionnage signé Anna Chapman, cette belle rousse de 28 ans dont la vie privée a été largement étalée dans la presse : avant de quitter les États-Unis, les dix agents ont dû signer un document leur interdisant de révéler les détails de leur vie d'espion pour des fins commerciales.

Moscou et Washington vont échanger leurs espions

Article publié dans Le Figaro, le 9 juillet 2010.

Dès hier, un scientifique russe, accusé d'aider la CIA, a été transféré à Vienne.

ESPIONNAGE Moscou et Washington veulent en finir au plus vite avec le scandale qui éclabousse les relations bilatérales depuis deux semaines. Les Russes ont accepté de libérer quatre prisonniers convaincus d'espionnage pour des puissances occidentales, indiquait en fin d'après-midi le ministère américain de la Justice. En échange, les Américains devraient transférer en Russie les dix personnes arrêtées par le FBI le 28 juin dernier aux États-Unis et accusées d'avoir collaboré avec le Service des renseignements extérieurs russe (SVR). Le onzième, Christopher Metsos, a pris le large après avoir été libéré sous caution à Chypre.

Un premier échange a eu lieu dès hier. Le scientifique Igor Soutiaguine, arrêté en 1999 pour espionnage au profit des Britanniques et des Américains, a appelé son père hier après-midi pour lui confirmer son arrivée en Autriche. De là, il devait s'envoler vers Londres, escorté par un officiel britannique, où il sera libéré. Durant la nuit, la présumée espionne Anna Chapman, jolie rousse de 28 ans, devrait être, de son côté, escortée incognito de New York jusqu'à Moscou.

C'est la famille d'Igor Soutiaguine qui a révélé les tractations en cours. Un porte-parole du département d'État américain s'est limité à reconnaître que le sort des espions avait été discuté entre des représentants des deux pays. Tout comme les autorités russes. Les proches et l'avocate d'Igor Soutiaguine ont indiqué que le chercheur avait été transféré en début de semaine de sa prison dans le nord du pays vers Moscou. Les autorités russes lui ont proposé de signer un document où il confirme sa culpabilité, en échange de quoi il est gracié et expulsé du pays. Le tout s'est déroulé en présence de diplomates américains, selon la famille, qui a pu rencontrer le chercheur mardi.

Igor Soutiaguine, qui a toujours nié avoir été un espion, a indiqué à ses proches qu'il avait pu prendre connaissance d'une liste initiale de dix autres personnes qui pouvaient être échangées avec lui. Il n'a cité que quelques noms, dont ceux de Sergueï Skripal, ancien colonel du renseignement militaire russe, et Aleksander Zaporojski, ex-agent du Service de renseignements extérieurs. Selon Soutiaguine, l'idée de cet échange est venue des autorités américaines. Puisqu'aucun Américain n'est actuellement détenu en Russie pour espionnage, les prisonniers rendus par Moscou devraient tous être des citoyens russes. Aucune loi en Russie et aux États-Unis ne prévoyant un tel échange, la décision a dû être prise dans les plus hautes sphères du pouvoir.

Un processus semé d'embûches

La Maison-Blanche et le Kremlin se montrent jusqu'ici peu loquaces. Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences, estime que « les deux pays ne veulent pas nuire à leur rapprochement » initié par Barack Obama. Kremeniouk connaît bien Igor Soutiaguine. Avant d'être arrêté pour espionnage en 1999, Soutiaguine était chercheur spécialisé en armement pour son institut. « Plusieurs des accusations à son encontre sont de la pure invention », affirme Kremeniouk.

Selon toute vraisemblance, Soutiaguine, comme les présumés espions arrêtés aux États-Unis, ne détient pas d'informations sensibles et ne représente donc pas une menace pour la sécurité nationale russe. Kremeniouk estime que la conclusion rapide de cette affaire « ne signifie pas pour autant que les relations russo-américaines ont un avenir radieux devant elles. » Le rapprochement bilatéral « sera toujours parsemé d'embûches. Il y a des gens des deux côtés, formés durant la guerre froide, qui veulent faire dérailler le processus », allusion aux conservateurs américains.