Article publié dans La Presse le 12 avril et sur cyberpresse.ca
La géopolitique n'est pas une science exacte. L'an dernier, l'Occident a reconnu l'indépendance du Kosovo. La Russie a fait de même pour l'Abkhazie et l'Ossétie-du-Sud. Mais pas pour la Transnistrie. Cette région séparatiste de Moldavie, plus petite que l'Île-du-Prince Édouard, se retrouve donc dans un vide juridique.
Tiraspol - À Tiraspol, la chute de l'Union soviétique n'a pas été complètement digérée. Devant le Soviet suprême, le parlement de la république autoproclamée de Transnistrie, un Lénine en granit rose semble regarder à l'horizon un rêve communiste déchu. Derrière lui, le drapeau transnistrien flotte, frappé de la faucille et du marteau.
Au-delà des symboles, les Transnistriens, en majorité russophones, ont des raisons bien terre-à-terre de regretter l'époque soviétique. Lorsqu'ils ont fait sécession de la Moldavie nouvellement indépendante en 1991, craignant notamment sa politique linguistique nationaliste pro-roumaine, ils sont tombés dans un vide juridique international.
«Le fait que nous ne soyons pas reconnus ne nous donne aucune confiance en l'avenir», confie Valentina, étudiante à l'Université d'État de Tiraspol. «Les jeunes ne veulent pas rester ici. Ils vont dans des pays où l'avenir est plus certain, comme la Russie, l'Ukraine ou la Moldavie», ajoute la future enseignante de 21 ans, qui, comme la majorité de ses concitoyens, appuie malgré tout l'indépendance.
Impossible de présenter son passeport transnistrien aux frontières internationales, donc impossible de sortir de cette bande de terre plus petite que l'Île-du-Prince-Édouard, située en majeure partie sur la rive orientale du Dniestr. À moins de devenir citoyen d'un pays reconnu.
De descendance ukrainienne, Valentina a pu se procurer un passeport de la république voisine. Presque la totalité des quelque 550 000 Transnistriens ont en poche des papiers moldaves, russes, ukrainiens ou autres. Voire plusieurs passeports. Question de survie.
La main de Moscou
Comme un vrai État, la Transnistrie a son gouvernement, sa monnaie, son armée et ses postes-frontières. Malgré cela, tous les pays de la planète la considèrent comme partie intégrante de la Moldavie.
Même la Russie, dont l'armée a appuyé les séparatistes durant la brève tentative des autorités moldaves de reprendre par les armes le contrôle de la région en 1992. Quelque 1500 soldats russes sont d'ailleurs toujours postés en Transnistrie et Moscou fournit annuellement une «aide humanitaire» vitale à la république séparatiste.
«Le statu quo est avantageux pour la Russie», note Vasile Botnaru, chef du bureau de Radio Free Europe à Chisinau, capitale de la Moldavie. «Pourquoi reconnaître la Transnistrie alors qu'actuellement, Moscou peut exercer une influence sur la vie politique de la Moldavie entière?»
La Moldavie offre une large autonomie à la Transnistrie pour qu'elle revienne dans son giron. Mais selon un officiel moldave, le gouvernement autoritaire transnistrien n'est qu'une «marionnette russe». Les clés de la résolution du conflit se trouveraient donc à Moscou, qui ne permettra un règlement que si elle est assurée de conserver sa mainmise sur la petite Moldavie.
Après les États baltes, l'Ukraine et la Géorgie, Moscou ne voudrait surtout pas voir une autre des anciennes républiques soviétiques sortir de sa sphère d'influence.
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Vivre dans un non-pays
Pendant que leurs politiciens se chamaillent, les Transnistriens, eux, ont appris à vivre dans leur non-pays. «Il y a quelques années, le conflit était la première inquiétude des Moldaves et des Transnistriens. Aujourd'hui, c'est en septième place», note la sociologue Elena Babkova, directrice d'un institut de sondages à Tiraspol. «Les gens sont plus préoccupés par le chômage, le bas niveau de vie et la mauvaise qualité des soins.» Malgré 18 ans de vie séparée, une réconciliation entre Moldaves et Transnistriens serait plutôt facile au-delà des difficultés administratives, estime le politologue moldave Vladislav Koulminski. «Des deux côtés du Dniestr, il n'y a pas de haine entre les gens, dit-il. C'est un conflit entre les élites.»
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