mardi 24 avril 2007

Boris Eltsine: l’homme mou dans un pays dur


Non, il n’a pas été empoisonné. Si ce n’est par des années d’alcool. Jusqu’à preuve du contraire, c’est un arrêt cardiaque qui a emporté lundi l’ancien président russe Boris Eltsine à l’âge de 76 ans.

La mort du premier président russe n’a rien de très surprenant. Son état de santé n’avait cessé de se dégrader au cours des dernières années, si l’on en croit les quelques rares bribes d’informations sur sa vie post-présidentielle qui se rendaient parfois aux oreilles de la presse.

Parce que depuis sa démission le 31 décembre 1999, Boris Eltsine n’existait plus en Russie, autrement que dans les livres d’Histoire. Ses seules apparitions publiques étaient à titre de spectateur de matchs de tennis. Il a maintenu au cours des sept dernières années une réserve complète sur les affaires russes et internationales, hormis une diatribe contre les États-Unis à la veille de l’invasion de l’Iraq.

Pas question de jouer au sage en prodiguant des conseils à son dauphin Vladimir Poutine, comme s’amusent à - ou ne peuvent s’empêcher de - le faire plusieurs ex-chefs d’État. En fait, Boris Eltsine avait tout intérêt à tenir profil bas. Après les privatisations sauvages des compagnies d’État qui ont marqué son règne et enrichi son entourage (ceux qu’on appelle désormais les oligarques), mieux valait de se faire oublier. D’autant plus qu’il n’était pas en position de force face à Vladimir Poutine, dont le premier geste à titre de président fut de garantir l’immunité à son prédecesseur et ses proches, une décision sur laquelle il aurait pu revenir à tout instant…

Même si – ou puisque - Boris Eltsine était l’un des acteurs clés ayant mené à la chute de l’URSS, il était loin d’être populaire en Russie. Et encore plus déshonorant, il était loin d’être respecté. Pourquoi?

Staline était et est toujours respecté par bon nombre de Russes. On peut le détester, lui reprocher la mort de dizaines de millions de Russes et Soviétiques, son régime de terreur, son incompétence en économie, mais Staline était un leader fier. Et il faisait rayonner cette fierté, peu importe la situation catastrophique qui régnait en réalité en Union soviétique, particulièrement au lendemain de la «Grande guerre patriotique» (Deuxième guerre mondiale).

Eltsine, lui, était ridiculisé. Pas en raison de ses mauvaises décisions. Dans le chaos de la Russie post-soviétique, de toute façon, il n’existait pas de bonnes solutions aux problèmes, seulement des solutions moins pires que d’autres. Il était ridiculisé parce qu’il ne dirigeait pas fièrement et fermement son pays. Il était ridiculisé parce qu’il n’était pas aveuglé par le patriotisme face aux problèmes du pays et ne réussissait donc pas à donner à espérer à ses citoyens.

Il avait pourtant commencé en lion. En août 1991, quelques mois avant la mort de l’Union soviétique, alors qu’il est président de la République socialiste de la Fédération de Russie, c’est lui qui fait échouer le coup d’État contre le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev. C’est d’ailleurs cette démonstration de leadership qui lui permettra de se présenter en homme fort devant l’adversité et d’être ensuite élu président de la Russie nouvellement indépendante.

Son déclin commence en 1994, lorsqu’il ordonne l’invasion de la Tchétchénie par l’armée pour mater les vélléités d’indépendance de la république caucasienne. Ce n’est pas sa décision de partir en guerre qui cause son impopularité, mais plutôt le fait qu’il ne l’a pas gagné, ou n’a pas réussi à faire croire qu’il l’avait gagné…

S’il est réélu en 1996, c’est strictement grâce à l’appui de ses amis oligarques, qui lui doivent leur nouvelle fortune. Alors que Boris Eltsine est au plus bas dans les sondages à quelques mois de la présidentielle, ils mettent à son service leurs médias en lançant une campagne de dénigrement du candidat communiste Guennady Ziouganov. Les nouveaux rois du capitalisme russe préfèrent évidemment un président faible et manipulable à un retour à l’ère soviétique.

Si Boris Eltsine est devenu président de la Russie, c’est bien parce qu’il avait démontré sa fermeté et sa force en tant que leader pendant que l’URSS agonisait. On peut probablement attribuer à ses troubles de santé et son alcoolisme son incapacité à maintenir son leadership durant la majeure partie de sa présidence. Ce n’est pas le fait qu’il ait laissé son entourage piller les richesses du pays qui font que Boris Eltsine n’était pas respecté en Russie. C’est que dans ce dur pays, l’homme mou est moins respecté que le dictateur.

1 commentaire:

Mathieu Arsenault a dit...

Boris Nikolaevitch Eltsine,

Un homme qui ne laisse personne indifférent... C'est un homme qui a beaucoup accompli, mais malheureusement, à mon avis, ses accomplissements se limitent largement à la période initiale de son règne: la chute de l'URSS, la transformation de la Russie en une économie de marché et une constitution en 1993 qui vient encrer tous ces principes ainsi que des nouvelles institutions pour cette Russie renaissante.

Je suis d'accord avec toi quand tu dis qu'il n'y avait pas de solutions faciles pendant ces années-là, mais je crois qu'il y en avait des meilleures. Eltsine a suivi les conseils d'un groupe très restreint de personnes (notamment sa famille et ses amis proches) et faisait peu confiance à ceux qui n'en faisaient pas partie. Des gaffes monumentales ont été commises, la Première Guerre de Tchétchénie en est une, la privatisation en est une autre, celle qui a permis, comme tu le notes, à une poignée d'hommes d'affaires de s'approprier (voire voler) les plus précieux avoirs de l'État soviétique, qui en principe appartenaient à toute la population russe. Eltsine, aussi mou soit-il, n'a pas cherché à empêcher plusieurs de ces facheux développements, ni à prévoir toutes les difficultés pourtant relativement prévisibles d'une transition post-communiste. selon moi, ce sont ces facteurs, ainsi que la chute du niveau de vie des Russes qui expliquent pourquoi il n'avait que 4% de cote de popularité en 1999 juste avant qu'il ne cède le pouvoir à Vladimir Poutine... Même Charest n'a jamais atteint de tels dégrés d'impopularité!

Je crois que tu as raison lorsque tu dis que les dictateurs, ou du moins les hommes forts sont largement respectés, voire aimés en Russie, mais selon moi, ceci dépend du contexte. Staline, dictateur, est vénéré puisqu'il est le grand général qui a remporté la Grande Guerre patriotique (c'est pas rien!) et parce qu'il a permis l'industrialisation de la Russie arriérée et en retard sur les pays capitalistes. Vladimir Poutine, homme fort, est populaire quant à lui puisqu'il ramène de l'ordre au chaos laissé derrière par Eltsine. Il aura peut-être fallu un homme fort à ce moment-là précis en Russie.

Ces contextes expliquent le respect, ou du moins l'acceptance de l'homme fort. Cependant, dans le cas d'Eltsine, je crois que les Russes lui en veulent plus pour avoir ruiné leur pays et d'avoir humilié la Russie, qui était réduite presqu'au rang de pays du tiers monde (ce qui est toute une chute lorsqu'on considère qu'elle composait la partie principale de ce qu'était la deuxième super-puissance de cette monde!)

Je crois donc que dans ce cas-ci, l'homme mou aurait pu réussir, du moins mieux réussir, mais qu'il n'a pas toujours pris les bons choix. Il me semble qu'il était l'homme qu'il fallait pour amorcer la transformation (suite au putsch etc.), mais qu'il en aurait peut-être fallu un autre pour gouverner la Russie à travers cet océan tumultueux qu'est une transition post-communiste. Eltsine était donc un grand homme en son temps, il a beaucoup accompli, mais il m'est difficile de dire si ses accomplissements excèdent ses échecs.

Mathieu