Dossier publié dans la section Affaires du journal La Presse le 12 mai 2010.
(Mongolie) La Mongolie est assise sur une mine d'or... et de cuivre, de charbon, d'uranium, d'argent, de tungstène et bien d'autres. Vingt ans après la chute du régime communiste et l'ouverture du pays, le gouvernement se dit maintenant prêt à exploiter ses richesses. Mais tergiversations et législations encore changeantes mettent un frein aux investissements étrangers. En attendant le vrai boom, les minières canadiennes placent leurs pions.
Ivanhoe Mines aura mis plus de neuf ans à s'entendre avec le gouvernement mongol pour l'exploitation d'Oyu Tolgoï, le plus gros gisement de cuivre et d'or au monde encore non exploité. En signant l'entente en octobre dernier, elle aura dû concéder 34% des parts à l'État mongol.
La minière vancouvéroise peut toutefois se compter chanceuse. Khan Resources, une petite société de Toronto, s'est carrément vu retirer ses licences d'exploration et d'exploitation d'un gisement d'uranium fin mars. Elle y avait déjà investi 20 millions de dollars.
Selon le gouvernement mongol, Khan Resources avait omis de l'informer de changement dans les structures de sa propriété, ce que nie la société. Elle accuse le gouvernement d'avoir tout simplement voulu se débarrasser d'elle pour reprendre le contrôle du secteur.
Ce genre de rebondissement juridique est courant en Mongolie. Pas étonnant donc que dans son dernier sondage annuel mené auprès de dirigeants de compagnies minières, l'Institut Fraser place le pays parmi les 10 destinations minières les moins accueillantes, loin derrière le Québec, au premier rang. L'étude prenait notamment en compte l'environnement fiscal, législatif et la stabilité politique.
Malgré tout, au cours des cinq dernières années, des centaines de minières étrangères, dont une cinquantaine de canadiennes, sont venues s'installer en Mongolie, un pays qui compte moins de trois millions d'habitants. Les intérêts économiques sont si importants qu'en 2008, le Canada a ouvert une ambassade à Oulan-Bator.
Si l'Institut Fraser avait jugé les destinations en tenant compte strictement de leur potentiel, la Mongolie se serait retrouvée dans le haut du classement.
Durant les presque sept décennies de règne communiste, le pays ne comptait que deux mines. Seul l'allié soviétique pouvait explorer le sous-sol mongol, avec ses technologies archaïques. Résultat: jusqu'à ce jour, environ 30% seulement du territoire de ce pays montagneux, désertique et peu densément peuplé a été exploré. Et déjà, les découvertes de gisements de différents minéraux sont phénoménales.
La Mongolie espère faire tripler son PIB (5,3 milliards en 2008) au cours de la prochaine décennie, principalement grâce au boom minier.
Les déboires de Khan Resources ont tout de même créé une onde de choc, dit Graeme Hancock, analyste du secteur minier au bureau d'Oulan-Bator de la Banque mondiale. «Les gens ont perdu confiance en la Mongolie en tant que destination minière. Pourquoi viendraient-ils investir 100 millions de dollars ici pour ensuite se faire retirer leur licence?»
Graeme Hancock croit que les dirigeants mongols, pour la plupart d'ex-communistes reconvertis, n'arrivent pas à se départir de leurs vieilles habitudes. «Le gouvernement a encore cette approche centralisée de planification de l'économie. Il essaie de régler les problèmes, mais tourne en rond. C'est beaucoup une question d'être capable de laisser aller (l'économie), d'avoir confiance que (l'État) peut réguler le secteur privé au lieu de tout posséder et tout faire par soi-même.»
En attendant une politique claire, les investissements étrangers d'envergure resteront marginaux, croit Graeme Hancock. «Qui dépensera de l'argent à développer une mine dans laquelle le gouvernement n'investit aucun argent tout en contrôlant les intérêts?»
Le vice-ministre des Mines mongol Ariunsan Baldandjav s'énerve lorsqu'on prononce le nom de Khan Resources. «L'uranium, c'est une ressource stratégique. Il faut donc (que l'État) ait un certain contrôle», argue-t-il. Du même souffle, il nie toutefois que les déboires administratifs de la minière canadienne soient liés à la nouvelle loi sur l'énergie nucléaire. Adopté en 2009, elle stipule que l'État mongol devra être actionnaire majoritaire dans tout projet concernant l'uranium.
Ariunsan Baldandjav ne croit pas que cet incident ait terni l'image de la Mongolie auprès des investisseurs étrangers. «Khan Resources, ce n'est qu'une petite compagnie. Il n'y a pas de peur chez les autres minières», s'énerve-t-il.
Autre douche froide pour l'industrie, à la mi-avril, quand le président du pays Tsakhia Elbegdorj a annoncé que plus aucune licence ne serait émise tant qu'une nouvelle loi sur les mines ne serait pas écrite. Selon lui, le processus d'attribution commençait à «ressembler aux activités du crime organisé».
La peur de la Chine
La géopolitique influence aussi le développement minier du pays, enclavé entre les géants chinois et russe. La Chine compte déjà pour plus de 80% des investissements étrangers en Mongolie, où paradoxalement, le sentiment antichinois est presque unanime dans la population.
Ainsi, le gouvernement mongol ne veut pas laisser les grands projets miniers aux mains exclusives des Chinois ou des Russes, explique B. Batbileg, porte-parole de l'Association nationale des minières de Mongolie. Il préfère diluer leur influence dans des consortiums avec des entreprises d'autres pays.
«Si plusieurs compagnies différentes sont impliquées, c'est une protection pour notre sécurité nationale et économique», note B. Batbileg. Les projets canadiens, américains, japonais ou autres inquiètent moins le gouvernement, croit-il.
Pour Graeme Hancock, la peur du gouvernement mongol est peut-être fondée, mais manque de pragmatisme. Pour le mégaprojet de mine de charbon de Tavan Tolgoï, le gouvernement compte ainsi utiliser la technologie ferroviaire russe... même si le minerai sera en majeure partie transporté vers la Chine, qui utilise un autre système de rails. La marchandise devra donc être transbordée à la frontière, faisant exploser les coûts de l'opération.
Malgré toutes les embûches, l'industrie minière mongole prendra tôt ou tard son envol. «Quand les règles du jeu seront claires», précise Graeme Hancock. «Les compagnies doivent savoir que ce n'est pas un endroit pour devenir riche du jour au lendemain. Elles doivent y aller dans une perspective à long terme.»
*** Oyu Tolgoï
Située dans le désert de Gobi, à 550 km au sud d'Oulan-Bator et à 80 km de la frontière chinoise, la «Colline turquoise» (Oyu Tolgoï, en mongol) est le plus grand projet de mine d'or-cuivre en développement actuellement dans le monde. Après de premières prospections concluantes, Ivanhoe Mines s'est engagée dans le projet en mai 2000. En octobre 2009, après un long processus de négociation avec l'État mongol et un milliard de dollars d'investissement dans la prospection et le développement du projet, l'entente pour l'exploitation était finalement signée. Le gouvernement mongol contrôlera 34% des parts dans la compagnie conjointe OT LLC, sans toutefois avoir à investir un sou dans le développement. L'anglo-australienne Rio Tinto, actionnaire minoritaire d'Ivanhoe Mines (22,4%), agira comme «partenaire stratégique», aidant au financement du projet, estimé à 5 milliards. Selon l'accord, les normes fiscales et réglementaires pour l'exploitation du site sont fixées pour 30 ans. La construction des infra-structures de la mine devrait être terminée en 2012. Le début de l'exploitation est prévu pour l'année suivante. À pleine capacité, Oyu Tolgoï devrait fournir jusqu'à 450 000 tonnes de cuivre et 330 000 onces d'or durant 60 ans. Sa production représenterait alors entre 10% et 15% du PIB de la Mongolie. Maintenant que l'entente finale est conclue, Oyu Tolgoï est un projet à «faible risque» pour Ivanhoe Mines, selon Graeme Hancock, analyste du secteur minier à la Banque mondiale. Fin avril, le gouvernement mongol a pourtant promis à un mouvement civil qui faisait la grève de la faim notamment pour contester les termes de l'entente d'Oyu Tolgoï de la réévaluer. Une promesse qu'il a peu de chance de tenir, mais qui rappelle la fragilité des accords commerciaux en Mongolie.
***
La Mongolie en chiffres
Population: 3,0 millions
Territoire: 1,6 million de km2
Minerais: Cuivre, tungstène, nickel, or, fer
Impact économique
12%
Le secteur minier contribue à 12% de l'activité économique
40%
Le secteur minier contribue à 40% des exportations du pays
1 commentaire:
Deux idées de lecture sur la Mongolie...
Sur la Mongolie contemporaine, le fossé entre vie rurale et vie urbaine comme les enjeux économiques : Sous les yourtes de Mongolie, Avec les Fils de la steppe ;
Sur la vie nomade : La Vertu des steppes, Petite révérence à la vie nomade
Tous les deux sont publiés aux éditions Transboréal, www.transboreal.fr
Publier un commentaire