Article paru dans le journal La Presse le 29 avril 2010.
(Moscou) Ils sont journalistes, opposants libéraux ou d'extrême droite, satiristes, et ont deux choses en commun: ils critiquent tous le pouvoir russe et sont tous tombés dans le piège et dans le lit de la même femme. Alors que les vidéos de leurs ébats sont diffusées sur l'internet, les «victimes» de «Katia» accusent le Kremlin.
Lorsque Katia Guerassimova lui a proposé de la cocaïne, le jeune opposant Ilia Iachine a compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il a alors quitté le luxueux appartement du mannequin pour ne plus y revenir. C'était il y a un an et demi.
Il y a un mois, les choses se sont éclaircies. Dans une première vidéo diffusée sur l'internet, qui montre le rédacteur en chef de la livraison russe de Newsweek Mikhaïl Fichman à demi nu en train de consommer une poudre blanche, Ilia Iachine a tout de suite reconnu le «mauvais appartement». Et il n'est pas le seul.
Le satiriste Vitkor Chenderovitch, leader du Parti national-bolchévique et écrivain Édouard Limonov et le chef du Mouvement contre l'immigration illégal, Alexander Potkine, ont tous reconnu avoir été piégés par la belle et pulpeuse brunette aux longues jambes, introuvable depuis.
La semaine dernière, une vidéo mise en ligne les montre nus en pleine action avec une jeune fille au visage et au corps assombris au montage.
Comme les vidéos précédentes, elle a été mise en ligne sur Kanal911.com. Ce site créé à la fin du mois de mars se présente comme le portail du «Comité public pour la défense de la morale, de la loi et de l'entente civile».
Aucune vidéo des ébats sexuels de Iachine avec Katia et une copine n'a été diffusé sur la Toile. Rien non plus sur un autre leader de l'opposition, Roman Dobrokhotov, qui affirme aussi avoir été piégé. Les deux jeunes célibataires, qui ont refusé d'utiliser les stupéfiants proposés, n'ont en effet rien à se reprocher.
Une autre vidéo circule, toutefois, montrant Ilia Iachine en train de donner un pot-de-vin à un policier de la circulation, faux ou complice, qui le menaçait de lui retirer son permis de conduire pour une infraction au code de la route. Un analyste politique a aussi été piégé de la sorte.
Méthode soviétique
À l'époque soviétique, ce genre de vidéo était utilisé pour faire chanter des diplomates étrangers et les contraindre à rendre des informations stratégiques à l'URSS.
L'été dernier, deux diplomates, américain et britannique, ont été filmés chacun leur tour dans des circonstances similaires, soi-disant en compagnie de prostituées. Le gouvernement américain a alors dénoncé une «campagne de salissage» digne de la guerre froide.
Aucune des victimes de Katia n'a affirmé avoir fait l'objet de chantage. Selon eux, il est toutefois clair que le pouvoir se cache derrière cette série de scandales.
Au cours des derniers jours, la plupart des victimes ont réagi sur leur blogue. Et mardi, Ilia Iachine a porté plainte contre ceux qui auraient produit et mis en ligne les vidéos compromettantes, demandant au procureur de «vérifier la participation à ce crime» de Vladislav Sourkov et Vasili Iakemenko. Le premier est l'un des principaux idéologues du Kremlin. Le deuxième est le fondateur et ex-leader du mouvement jeunesse pro-Kremlin Nachi, devenu haut fonctionnaire.
Nachi a répliqué en demandant à la justice d'arrêter et de juger les protagonistes filmés en train de consommer de la drogue ou d'offrir des pots-de-vin.
Sur son blogue, le satiriste Viktor Chenderovitch, père cinquantenaire marié, a essayé de tourner le scandale à la blague, se plaignant de n'avoir eu droit qu'à une seule fille, contre deux pour les plus jeunes opposants comme Iachine.
Il rappelle aussi que depuis 10 ans, le régime de Vladimir Poutine n'a jamais répondu aux accusations de corruption, de meurtres et d'usurpation du pouvoir qu'il a formulées. «L'administration poutinienne a écouté tout cela avec un grand sang-froid, sans jamais rien nier, et elle répond par ses habituelles saletés illégales», écrit-il.
À l'attention du pouvoir, Chenderovitch ajoute que maintenant que «l'opposition est décrédibilisée pour de bon, on peut s'occuper d'attraper Dokou Oumarov», leader de la rébellion islamiste dans le Caucase. «J'ai un conseil pour vous: envoyez-lui Katia.»
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