Article publié dans La Presse le 4 février 2010.
(Moscou) Militairement, la Géorgie ne fait pas le poids devant la Russie. L'ex-république soviétique pro-occidentale a donc décidé de lui déclarer la guerre... des ondes. Au début du mois de janvier, elle a lancé une chaîne en langue russe décrite comme la seule solution de rechange aux télévisions manipulées par le Kremlin dans le Caucase. Mais le réseau accuse Moscou de lui mettre des bâtons dans les roues.
Dans un décor qui laisse deviner le maigre budget de la chaîne, la présentatrice entame son bulletin en trébuchant sur les premiers mots. Les reporters sont hésitants, les images sont rares et souvent de mauvaise qualité, mais l'équipe de 1K sait où elle s'en va: à contre-courant du Kremlin.
«Nous sommes encore très jeunes», s'excuse presque d'entrée de jeu Maya Bichikashvili, vice-directrice de la télévision publique géorgienne, dont dépend la chaîne Pervy Kavkazky (la Première caucasienne ou 1K).
Doté d'un budget d'à peine 1,5 million de dollars pour sa première année, le réseau a été mis sur pied en moins de quatre mois dans les studios de la télévision publique à Tbilissi, la capitale géorgienne. Ses objectifs: donner au public russophone une autre image de la Géorgie que celle véhiculée par les télévisions étatiques russes et parler des choses qu'elles passent sous silence.
Mme Bichikashvili assure toutefois que 1K ne se veut pas un outil de contre-propagande. «Nous ne sommes pas dirigés par le gouvernement géorgien. Nos journalistes peuvent parler de ce qu'ils veulent. Ils ont une entière liberté.»
L'équipe de 1K étant en majeure partie composée de Géorgiens et d'opposants au régime russe - comme l'animatrice Alla Doudaïev, veuve du président séparatiste tchétchène Djokhar Doudaïev -, la position anti-Kremlin fait toutefois officieusement consensus.
La «voix alternative» de 1K dans l'espace télévisuel russophone ne signifie donc pas pour autant que la chaîne tend vers l'objectivité, malgré sa prétention de parler du Caucase «sans faussetés».
La plupart des événements qu'elle couvre portent sur les républiques instables du Caucase russe, en proie à une insurrection islamiste, et sur la politique russe.
Par contre, la chaîne est quasi muette sur la situation politique en Géorgie, où l'opposition au président Mikhaïl Saakachvili grandit.
Seulement sur le web
La principale difficulté de la chaîne est toutefois de trouver des auditeurs. Le 25 janvier, à peine 10 jours après le début de ses émissions, le fournisseur français Eutelsat l'a exclue de son offre satellitaire.
Dans les bulletins d'information de 1K, journalistes et invités sont unanimes: la décision est liée à la signature quelques jours plus tôt d'un lucratif contrat entre Eutelsat et une entreprise affiliée au géant gazier d'État Gazprom, proche du pouvoir russe. Eutelsat aurait donc plié devant les pressions «politiques» de son important client.
En attendant de trouver un fournisseur satellitaire, la chaîne n'est offerte que sur l'internet. Or, la plupart des foyers du Caucase du Nord, son principal public cible, ne sont pas branchés au web, ce qui limite son influence.
En août 2008, le président Saakachvili a appris à ses dépens qu'il ne pouvait battre son puissant voisin sur un champ de bataille. La tentative de l'armée géorgienne pour reprendre la région séparatiste d'Ossétie-du-Sud, prorusse, s'est soldée par une intervention militaire de la Russie et l'occupation d'une partie du territoire géorgien.
Le président Saakachvili, qui a étudié en France et aux États-Unis, a vraisemblablement compris que son champ de bataille devrait être médiatique.
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