samedi 2 février 2008

L'Ingouchie menacée de guerre civile

Publié dans La Presse et sur Cyberpresse le 2 février 2008

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou


Le Caucase du Nord sent de nouveau la poudre à canon. Alors que la situation en Tchétchénie se stabilise sous la main de fer de son président Ramzan Kadyrov, l'Ingouchie voisine est au bord de la guerre civile.

Les autorités russes ont déclaré une partie du territoire de cette petite république «zone d'opération antiterroriste» la semaine dernière, à la veille d'une manifestation prévue par les opposants au très impopulaire président local, Mourat Zyazikov.

Installé au pouvoir il y a deux ans et demi par Vladimir Poutine, cet ancien agent des services de sécurité russes s'est attiré la colère de la population en instaurant un régime corrompu et en permettant un usage démesuré de la force par les policiers.

Il y a une semaine, quelques centaines de personnes ont tenté de se rassembler sur la place de l'Entente, au centre-ville de l'ancienne capitale de l'Ingouchie, Nazran. Les policiers et militaires qui encerclaient l'endroit ont commencé à matraquer les manifestants et à tirer des coups de semonce pour disperser la foule. Une cinquantaine d'opposants ont été arrêtés, ainsi que six journalistes, dont deux ont été sévèrement battus avant d'être relâchés.

Ekaterina Sokiryanskaïa, de l'ONG Memorial, a tenté de filmer les accrochages. «Quand ils ont vu que j'avais une caméra, ils m'ont arrêté. Ils savaient qui nous étions», raconte au bout du fil cette militante des droits de l'homme bien connue en Ingouchie. L'un de ses collègues a été battu. Ils ont ensuite été détenus et interrogés pendant 13 heures.

Menace islamiste


Mme Sokiryanskaïa a vu la situation se détériorer grandement dans cette petite république de 500 000 habitants. Depuis quatre ans, les combattants tchétchènes qui se cachaient dans les montagnes d'Ingouchie ont cédé la place à quelques centaines de combattants ingouches qui veulent renverser le régime de Zyazikov, certains pour instaurer une république islamiste dans le Caucase. «En 2004, tout le monde était surpris de voir autant de groupes armés clandestins dans les rues. Maintenant, plus personne ne s'en étonne.»

Toutefois, ce sont surtout de simples citoyens indignés qui menacent de plonger la république dans la guerre civile, explique Alekseï Malachenko, spécialiste du Caucase au Centre Carnegie de Moscou. «Les gens vengent leurs proches des abus du président Zyazikov. Il y a beaucoup d'armes dans le Caucase du Nord. N'importe qui à n'importe quel moment peut prendre une kalachnikov et aller se venger.»

Depuis un an et demi, pratiquement plus un jour ne passe en Ingouchie sans assassinat, attentat ou coups de feu. En août dernier, 2500 soldats russes supplémentaires avaient été envoyés dans la république. Ils ont finalement été retirés en octobre, sans que la situation ne se soit améliorée.

«Les mesures prises par le pouvoir pour enrayer le terrorisme sont inefficaces. Elles l'aident à se développer», croit Ekaterina Sokiryanskaïa. Selon elle, la population ingouche veut vivre normalement selon les lois russes. D'ailleurs, la manifestation de samedi devait se tenir sous le thème «En soutien à Poutine», réclamant qu'il démette de ses fonctions le président Zyazikov.

«Il n'est pas vraiment question de mouvement islamiste important comme en Tchétchénie, assure Alekseï Malachenko. C'est politique. Je crois qu'après l'élection présidentielle russe de mars, le Kremlin finira par remplacer Zyazikov et la situation se calmera».

INGOUCHIE

Cette république du Caucase fait partie de la Fédération de Russie. Les Ingouches sont en majorité musulmans.

Capitale : Magas

Superficie : 4000 km2

Population : 467 294 (2002)

Langues: ingouche (83%), tchétchène (11,2%), russe (4%), autres (1%)

Nature de l'État: république

Président : Murat Zyazikov

Âge moyen: 22,2 ans

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