mercredi 27 février 2008

La présumée fortune de Poutine

Deuxième article d'une série pré-électorale, publié le 27 février 2008 dans le journal La Presse et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

À quatre jours de l'élection présidentielle russe, les observateurs spéculent: combien de milliards de dollars Vladimir Poutine et son entourage ont-ils cachés pour leur bénéfice personnel à l'étranger?


Pour Stanislav Belkovsky (photo), politologue à l'Institut de stratégie nationale, il ne fait aucun doute qu'en huit ans de pouvoir, Vladimir Poutine est devenu l'homme le plus riche d'Europe. À lui seul, le président aurait accumulé l'équivalent d'«au moins 40 milliards de dollars» en actifs qu'il dissimulerait dans des compagnies offshore à l'aide de prête-noms.

Le principal intéressé prend ces graves accusations en riant. Lors de sa dernière conférence de presse, le 14 février, Vladimir Poutine a admis être « l'homme le plus riche du monde»... parce que les Russes l'ont élu à deux reprises à la tête de l'État! Et concernant sa présumée fortune? « Des racontars. Ils ont sorti tout cela de leur nez et l'ont étalé sur ces torchons. «

Mais Belkovsky persiste et signe. Citant des sources anonymes au Kremlin, il affirme que Vladimir Poutine détiendrait plus du tiers des actions de Surgutneftgaz, troisième producteur russe de pétrole. Il posséderait également 4,5% de la société d'État Gazprom et les trois quarts de Gunvor, une entreprise pétrolière basée à Zoug en Suisse. Cette obscure compagnie fondée par son ami Guennady Timchenko a déclaré des revenus de 43 milliards de dollars en 2007.

Aleksei Moukhine, directeur du Centre d'information politique, modère les propos de son collègue. Il avance «intuitivement» le chiffre de 4 ou 5 milliards de dollars à propos des avoirs de Poutine.

Les deux politologues s'entendent toutefois sur une chose: Vladimir Poutine est avant tout un «homme d'affaires» qui a su profiter de l'explosion des prix du pétrole et du gaz sur les marchés mondiaux pour s'enrichir en se servant de l'État russe et de ses sociétés.

Et il ne serait pas seul. Stanislav Belkovsky estime qu'une « quinzaine» des proches alliés du président sortant auraient aussi amassé de gros magots. Le changement de garde, qui se fera en mai prochain, fait craindre à plusieurs d'entre eux de perdre leur butin ou, au pire, de se retrouver derrière les barreaux lorsque le nouveau président voudra former sa propre équipe.

Guerre interne

Les alliés de Vladimir Poutine se livrent ainsi une guerre interne pour « légaliser» leurs actifs à l'étranger, au cas où ils ne pourraient rester à l'intérieur des murs du Kremlin après son départ.

Dans cette lutte, chacun utilise les armes à sa disposition pour nuire à ses adversaires. Les membres des services de sécurité seraient derrière l'arrestation du vice-ministre des Finances Serguei Stortchak, accusé en novembre du détournement de plus de 43 millions de dollars de fonds publics. Selon Aleksei Moukhine, ils voulaient ainsi nuire au ministre des Finances Aleksei Koudrine, autre proche du président.

«En échange d'une compensation, ceux qui devront quitter le Kremlin ne déclareront pas la guerre à la nouvelle administration», croit M. Moukhine. En prévision de l'arrivée quasi assurée au pouvoir de Dmitri Medvedev, le dauphin de Vladimir Poutine, chacun place ses pions pour être en position de négocier son éventuelle sortie du Kremlin.

« De purs mensonges», répond le porte-parole du président, Dmitri Peskov. « Poutine n'est pas un homme riche et les fonctionnaires qui siègent à la direction des sociétés d'État ne reçoivent pas de salaire supplémentaire.» M. Peskov assure que ni Vladimir Poutine ni Dmitri Medvedev (actuel président du conseil de direction de Gazprom) ne possèdent quelque action que ce soit au sein d'une société d'État russe.

En novembre dernier, Vladimir Poutine déclarait à la commission électorale un revenu de deux millions de roubles (82 000$) pour l'année 2006. Il affirmait aussi posséder un modeste appartement à Saint-Pétersbourg, trois voitures, un terrain près de Moscou et 230 actions de la Banque de Saint-Pétersbourg, en plus de conserver l'équivalent de 140 000$ dans ses comptes de banque. Dmitri Medvedev ne serait pas vraiment plus riche, si l'on en croit ses déclarations en prévision de la présidentielle.

Qui croire? Il est pratiquement impossible de vérifier les allégations des politologues, explique Elena Panfilova, directrice du bureau moscovite de Transparency International, parce que l'information est verrouillée par le Kremlin. « Seuls ceux qui participent au processus peuvent savoir ce qui se passe et ils n'ont aucun intérêt à ce que ça se sache. «

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