lundi 28 janvier 2008

Cases à humains et ville pour géants

MOSCOU — Nous devons être environ 5 000 humains à vivre au 22, rue Gueroev Panfilovtsev. Chacun dans sa case. On appelle cet édifice sans fin la «Muraille de Chine». Douze étages. Au moins un millier d’appartements. Une boîte à humains compartimentée.

Chacun vient y mourir le soir après le travail, à son heure, à sa manière. De longues minutes de transport en commun, puis de marche. Métro Skhodenskaïa, ligne violette. Une ville-dortoir, comme des dizaines d’autres à Moscou. On s’arrache la vie à venir s’y reposer. Et on recommence le même combat le lendemain matin. Attraction vers le centre, puis expulsion.

Il y a le nôtre, le 22, puis d’autres encore, juste un peu moins imposants. Tous construits sous Khrouchtchev probablement, dans les années 50 ou 60. Ils sont si immenses, mais si loin les uns des autres. Par pudeur peut-être. Il y a déjà 5 000 humains entassés dans un, laissez-les au moins regarder l’horizon, a-t-on dû se dire en les construisant.

L’appartement où j’habite a dû connaître des histoires qui ne se racontent pas. J’aimerais entendre les murs me raconter les silences et les mots soviétiques, les paroles de trop et les départs. Pour comprendre.

Je ne suis que l’occupant d’une case parmi d’autres. Peu importe mon histoire, elle ne pèsent pas lourd devant ces milliers d’autres qui se déroulent sur d’autres étages, dans d’autres cases à humains. Je ne suis la nuit, qu’un remplisseur de case.

***

Moscou n’a pas été construite pour les hommes. C’est une ville trop grande pour eux, trop imposante. Les distances sont faites pour des géants à l’énergie sans limites. Les rues sont tellement longues et larges qu’on pourrait penser qu’elles avaient pour objectif premier d’empêcher l’homme de se sentir assez fort pour les occuper, contester ce système titanesque, surhumain.

On se croirait le pion d’un jeu contrôlé au-dessus de nos têtes. Comme si à chaque moment, un maître omniscient pouvait décider de notre sort, nous balayer de la carte sans préavis. On se sent infime poussière sans importance, qui lutte pour s’en donner une.

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