Article publié le 14 février 2008 dans le journal La Presse et sur Cyberpresse.ca
Frédérick Lavoie (collaboration spéciale)
La Presse
Moscou
Vladimir Poutine aura été un exemple de droiture pour plusieurs Russes durant ses huit années au pouvoir. Désormais, il pourra aussi leur servir de modèle dans leurs relations amoureuses et familiales.
Un long métrage, théoriquement de fiction, relatant la vie de Vladimir Poutine, de sa rencontre avec sa femme Lioudmila à son accession à la présidence, sort en DVD partout en Russie aujourd'hui, jour de la Saint-Valentin.
Dans Le baiser n'est pas pour la presse (Potseluï nie dlia pressy), on présente Aleksander, jeune Pétersbourgeois spécialiste des arts martiaux, qui parle parfaitement allemand et évite toujours de parler de son mystérieux travail lié à «l'amitié russo-allemande».
Il épouse Tatiana, hôtesse de l'air originaire de Kaliningrad, qui devient enseignante. Le couple a deux filles et vit une histoire d'amour passionnée, malgré l'emploi du temps chargé du mari, qui gravit les échelons jusqu'à devenir chef de l'État.
Les ressemblances avec Vladimir Poutine, ex-agent du KGB germanophone et ceinture noire de judo, ne sont que «coïncidences», jurent les auteurs. Pour eux, ce «film d'amour» est avant tout une «fiction».
Le célèbre acteur russe Andreï Panine y incarne pourtant Vladimir Poutine jusque dans les moindre détails. Outre le look, il a aussi adopté la démarche particulière du président, se balançant de gauche à droite, et sa façon de parler, mitraillant des séries de mots entrecoupées de silences.
«Nous avons fait notre héros à l'image de ce que nous voulons que nos politiciens soient. Il est normal qu'il y ait beaucoup d'analogies», répondait lundi soir aux journalistes sceptiques le coauteur Anatoli Voropaïev, après la première et seule présentation du film sur grand écran.
Le film sera en effet directement disponible sur DVD pour la modique somme de 150 roubles (6 $). M. Voropaïev, aussi producteur, explique cette décision par une «logique commerciale». «Le film traite des valeurs familiales, alors nous voulons que le plus de familles possible puissent le regarder.»
Message politique
En plus de leçons sur la vie de famille et les relations amoureuses, les Russes pourront également mieux comprendre les politiques de Vladimir Poutine. L'avant-dernière scène du film montre la première dame répondant avec assurance aux critiques des journalistes russes et étrangers envers son mari président. Elle leur explique, par exemple, que les «médias russes sont plus libres qu'en Occident», que «ce n'est un secret pour personne que l'argent russe est à l'étranger et doit revenir au pays».
Exaspéré par les questions sur le caractère politique du film, le producteur Anatoli Voropaïev a finalement exposé son admiration pour le président actuel: «J'ai 40 ans. Ma génération vit dans une époque avec un leader convenable, un leader dont nous n'avons pas honte, qui nous redonne la fierté de notre pays. Et je ne vois rien de mal là-dedans.»
Le baiser n'est pas pour la presse a été écrit et tourné entre 2001 et 2003. M. Voropaïev explique le long délai avant sa sortie publique par son devoir de réserve dans son poste de fonctionnaire entre 2003 et décembre dernier.
Selon lui, la Saint-Valentin 2008 était le jour de sortie idéal puisque il s'agit d'un film «d'amour» et que 2008 a été décrétée Année de la famille en Russie. Il affirme qu'il n'y a aucun lien entre la sortie du film et l'élection présidentielle du 2 mars prochain.
Les artisans du film étaient pratiquement les seuls lundi soir à ne pas déceler de caractère politique dans leur oeuvre. Moins de cinq minutes après le début de la présentation, deux militants du Parti national-bolchevik (interdit) se sont levés au deuxième balcon en scandant des slogans anti-Poutine.
«Courbette devant le pouvoir»
Le critique de cinéma des Novye Izvestia, Viktor Matizen, n'a que des injures pour qualifier le film. «C'est un gros zéro. Il ne permet en rien de comprendre la vie de nos politiciens. C'est simplement une courbette devant le pouvoir, de pures relations publiques», s'emporte-t-il.
À son avis, il est toutefois peu probable que le Kremlin ait participé d'une manière ou d'une autre au projet, contrairement à ce que soupçonnent plusieurs de ses collègues. «Je ne peux même pas m'imaginer que Gleb Pavlovski (influent idéologue du Kremlin) ou quelqu'un d'autre de l'administration présidentielle ait pu commander un tel film. Ce sont tout de même des gens d'un niveau plus élevé que ceux qui ont fait ce film!»
À noter que le principal intéressé, Vladimir Poutine, n'était pas présent à la première du film. Au même moment, il assistait en compagnie de son dauphin et très probable successeur Dmitri Medvedev à un concert privé de Tina Turner et Deep Purple au palais du Kremlin pour célébrer le 15e anniversaire de la société d'État Gazprom.
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