Moscou (Russie)
-Fred! J’ai eu mon passeport!
- Tu as payé [un pot-de-vin], donc?
- Bien sûr.
Il a attendu cinq mois pour avoir son passeport pour l’étranger (en Russie, les citoyens ont aussi un passeport intérieur qu’ils doivent toujours porter sur eux). Il a payé 500 roubles (25$ CAN) à l’État pour le passeport. Et 2000 à la fonctionnaire du service des passeports.
Il a envoyé son père pour faire plus sérieux, pour que les choses débloquent. Après cinq mois de «Ha! Votre passeport, je ne sais pas quand il sera prêt. Il faut encore obtenir l’autorisation de votre région d’origine...etc».
Son père a tout simplement demandé «C’est combien?», elle lui a répondu «Comme vous voulez». Il a mis 2000 RUB sur la table. En 15 minutes, l’autorisation de la région d’origine n’était plus nécessaire et le passeport était prêt. La photo collée, tamponnée.
Mon ami raconte que la fonctionnaire se promène dans une belle voiture flambant neuve et semble plutôt bien gagner sa vie malgré les salaires peu élevés de la fonction publique.
Je pourrais arrêter mon histoire ici. La fonctionnaire crapuleuse, le jeune homme qui rêve d’étranger, l’État dysfonctionnel. J’irai plus loin. Parce qu’il y a des explications plus complexes que le Bien et le Mal.
En Russie, plusieurs fonctionnaires sont corrompus, non seulement parce que le système bureaucratique défaillant rend possible les malversations... mais aussi parce qu’il les rend parfois essentielles pour que tout ne soit pas bloqué.
À la chute de l’URSS en 1991, les autorités de la Fédération de Russie ont eu à adopter rapidement les lois et les règles de leur nouvel État de droit. La législation de ce pays démocratique et capitaliste ne pouvait évidemment être calquée sur celle de la défunte Union soviétique. Elle ne pouvait que s’inspirer des États occidentaux qui venaient de «gagner» la Guerre froide, la guerre des modèles.
Mais transposer un modèle X dans un pays Y à la réalité tout autre ne se fait pas sans heurts.
Les fonctionnaires russes – et les citoyens – sont encore aux prises aujourd’hui avec plusieurs des contradictions de ces lois adoptées à la va-vite il y a 15 ans et que les différentes modifications législatives n’ont pas permis de corriger entièrement: le formulaire A est nécessaire pour obtenir le formulaire B... mais le formulaire B est aussi nécessaire pour obtenir le formulaire A. Et puisque personne n’a le pouvoir de soustraire l’obtention du formulaire A pour se procurer le B...on s’arrange «à l’amiable» pour contourner la loi cul-de-sac.
Le citoyen paie et obtient ce dont il a besoin, parfois encore plus rapidement qu’il ne l’aurait eu dans un système fonctionnel. Le fonctionnaire peut acheter deux places au théatre pour sa femme et lui. Et tout le monde est content. Sauf celui qui n’a pas d’argent pour payer.
Mais de toute façon, celui qui n’a pas d’argent n’a pas de pouvoir. Et ceux qui ont le pouvoir et l’argent trouvent leur compte dans les failles du système. Donc personne – ou presque – qui serait en position de rendre logique et fonctionnel le système légal n’a la volonté pour le faire ni intérêt à le faire. Et la corruption continue.
En Russie, comme dans plusieurs pays en développement, la corruption est difficile à enrayer parce qu’elle sert à la fois à créer des injustices et à en éliminer d’autres, causées par l’illogisme du système.
Quelqu’un a-t-il une solution?
1 commentaire:
Salut Fred
C'est toujours un plaisir de lire tes chroniques, tes réflexions et récits. Je ne connais pas énormément la Russie, mais ton texte confirme la perception que j'avais de ce pays. Je continue de suivre ton voyage à distance.
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