samedi 4 août 2007

Le calvaire des réfugiés tchétchènes

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Varsovie

Bon nombre de Tchétchènes qui fuient la violence faisant encore rage dans leur république se retrouvent en Pologne. Un pays qui n'a pas les moyens de subvenir à leurs besoins. Notre collaborateur raconte la détresse de ces exilés.

En fuyant la violence de sa Tchétchénie natale il y a deux ans, Zoukhra croyait pouvoir trouver la paix et un peu de confort en Pologne. Un mois plus tard, elle tentait de s'enfuir «plus loin» avec son mari, à la recherche d'un pays qui pourrait vraiment l'aider à refaire sa vie.

Zoukhra ignorait que la législation européenne lui interdit de demander asile dans un autre pays après l'avoir déjà fait dans un premier. En voulant traverser à pied la frontière polono-slovaque, elle a vite été interceptée par les gardes-frontière et expédiée au centre de réfugiés Bielany, qui porte le nom du quartier de Varsovie où il est situé.

Les conditions dans cet édifice décrépit, un ancien hôtel pour travailleurs d'usine, frôlent l'insalubrité. Chaque famille tchétchène, qui compte rarement moins de quatre enfants, n'a le droit qu'à une seule pièce exiguë et doit partager des toilettes sales et les cuisines avec les autres réfugiés.

«Ce qu'on nous donne à manger ici, c'est de la nourriture de prison! J'ai besoin de vitamines, se plaint Zoukhra, enceinte. Et c'est impossible de dormir avec tous ces enfants qui crient.»

Elle doit se débrouiller avec les 70 zlotys (27$) qu'elle reçoit chaque mois de l'État comme «argent de poche». «Je n'ai pas de vêtements, pas d'aide en surplus, je n'ai rien. On ne me donne même pas de lunettes», dit la femme de 36 ans, atteinte d'un grave trouble de la vue. «Pourquoi rester ici? Qui a besoin de nous ici? Nous vivons, nous dormons et c'est tout.»

En attendant une décision sur leur statut, ce qui peut prendre jusqu'à un an et demi, les réfugiés n'ont rien à faire de la journée dans les centres et reçoivent peu d'aide. À Bielany, il n'y a que deux travailleurs sociaux à temps plein et un psychologue une journée par semaine pour s'occuper des 340 réfugiés, souvent traumatisés par la guerre.

Malgré la fin officielle des deux conflits (1994-1995 et 1999-2000) entre l'armée russe et les indépendantistes tchétchènes, les exactions et les enlèvements de civils se produisent encore quotidiennement dans leur petite république du Caucase, qui fait partie de la fédération de Russie.

Déjà aux prises avec ses propres problèmes sociaux, la Pologne n'a pas les moyens de subvenir adéquatement aux besoins de ces réfugiés, reconnaît Tomasz Cytrynowicz, responsable des demandes d'asile au Bureau des étrangers de Pologne.

Plusieurs d'entre eux cherchent donc à aller «plus loin», illégalement, en Europe de l'Ouest ou du Nord, où les systèmes d'aide sociale sont plus généreux. «Pour la plupart d'entre eux, la Pologne n'est qu'une terre de transit», explique-t-il. Sur les quelque 28 000 à avoir demandé l'asile dans ce pays depuis 1994, il n'en reste pas plus d'un sur sept.

Ils préféreraient aller directement en Europe occidentale, mais sans argent, la Pologne est le pays de l'Union européenne le plus accessible pour eux. En quittant la Tchétchénie en train, ils traversent tout le sud de la Russie et profitant de l'absence de contrôle à leur entrée en Biélorussie, ils peuvent se rendre sans présenter leurs papiers jusqu'à la frontière polonaise.

Les plus téméraires mettent ensuite tout leur espoir et toutes leurs économies en un passeur pour rejoindre l'Allemagne en fourgonnette, et ce même s'ils voient chaque jour des compatriotes revenir bredouilles de leur tentative. Rejetés à l'Ouest, sans aide adéquate en Pologne, environ 200 réfugiés l'an dernier ont choisi de rentrer en Tchétchénie, malgré le danger.

Alkan, mère de trois enfants, compte y retourner bientôt, faute d'avoir trouvé en Pologne des soins adéquats pour sa fille de 11 ans qui ne marche plus et ne parle plus en raison d'un traumatisme de guerre.

Mais si elle retourne dans sa patrie peu sûre, c'est avant tout par défaut d'avoir les moyens d'aller rejoindre des membres de sa famille installés en Belgique, en Autriche et au Danemark. «À vrai dire, si j'avais l'argent, je risquerais moi aussi. Mais je n'ai pas cet argent. Je n'ai même pas l'argent pour retourner chez moi. Mais je me débrouillerai», assure Alkan.

Zoukhra, elle aussi, veut rentrer en Tchétchénie, même si elle y est constamment interrogée par la police et la milice du président Ramzan Kadyrov. «Que je vive ou que je meure là-bas, au moins je serai à la maison.»

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