Un ancien président héros de la transition démocratique qui traite de «fils de p...» l'un de ses successeurs, un ministre de l'Éducation qui qualifie de "sales pédérastes" les homosexuels, un président «prêt à mourir» pour sa vision du système de vote dans les instances européennes, un influent prêtre qui traite de «sorcière» la première dame du pays... Bienvenue dans la jungle politique de la Pologne catholique, où les écarts de langage et la mauvaise foi sont souvent la norme.
La Pologne est dirigée depuis 2005 par les frères jumeaux identiques Lech et Jaroslaw Kaczynski, respectivement président et Premier ministre. Leur parti, Prawo i Sprawiedliwosc (Droit et Justice, "PiS"), nationaliste et conservateur, forme actuellement un gouvernement de coalition avec deux partis extrémistes, la Ligue des familles polonaises (LPR) et le parti agrarien Samoobrona (Autodéfense).
Le gouvernement Kaczynski, élu un peu plus d’un an après l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne (mai 2004), est devenue la bête noire de l’Europe. Certes, comme tous dirigeants politiques, les frères jumeaux et leurs alliés tentent de défendre les intérêts de leur pays en même temps que leurs propres intérêts partisans. Mais les dirigeants polonais, qui se disent pourtant de fervents catholiques, le font souvent avec une telle mauvaise foi qu’ils ne peuvent être considérés comme des partenaires fiables.
Avant les négociations pour le nouveau Traité constitutionnel européen à Bruxelles le mois dernier, les Kaczynski ont dit à l’Europe être «prêts à mourir» pour que soit retenu le système de la racine carrée du nombre d’habitants par pays pour déterminer le poids de chaque État dans les instances européennes, un système qu’ils étaient seuls à défendre avec la République tchèque.
Ce système de vote - qui a été rejeté - aurait pourtant désavantagé la Pologne! Mais encore plus, il aurait réduit le poids de l’Allemagne, et c’est précisément ce que cherchaient ces fils de résistants lors du Soulèvement de Varsovie en 1944 contre les Nazis. Une vengeance personnelle, quoi. L’un des sentiments que proscrivent pourtant les Saintes écritures...
Les Kaczynski, comme beaucoup de Polonais, n’ont toujours pas pardonné aux Allemands l’occupation nazie. Le Premier ministre, Jaroswlaw, est même allé jusqu’à dire que sans la Seconde guerre mondiale, «la Pologne aurait été aujourd'hui un pays de 66 millions d'habitants», alors qu’elle en compte un peu moins de 40 millions actuellement... « Nous réclamons seulement qu'on nous rende ce qui nous a été pris», a-t-il dit peu avant le Sommet européen sur le traité constitutionnel.
À l’interne
Les luttes politiques internes mènent aussi à des excès, notamment langagiers.
Il y a un mois, Lech Walesa, ancien président et chef historique du syndicat Solidarité, à l’origine du mouvement qui a mené à la chute du communisme en 1989, a qualifié de «fils de p...» le président actuel Lech Kaczynski. Il ne s’agissait pas d’un mot échappé au détour d’une émotion trop forte, puisque cette grande figure internationale de la lutte pour la démocratie a... écrit ces mots sur son blogue. Il réagissait aux propos du président, l’un de ses anciens conseillers avec qui il est désormais en brouille, qui avait déclaré que "la démocratie en Pologne a été menacée après 1989 [...] jusqu'en 1995", soit durant la période où Walesa était à la tête du pays.
En avril, l’influent prêtre Tadeusz Rydzyk, directeur de la toute aussi influente Radio Maryja (très catholique et très conservatrice) a déclaré devant un parterre d’étudiants de son école de journalisme que la femme du président était une «sorcière», parce qu’elle s’était opposée à un amendement destiné à interdire totalement l’avortement dans le pays. «Madame la présidente et l’euthanasie? Sorcière! Tu vas voir ce que tu vas voir! Si tu veux tuer les gens, commence par toi-même», a-t-il déclaré dans cette conférence fermée au grand public mais dont l’hebdomadaire Wprost a publié cette semaine des extraits. Pas très catholique...
Les autres membres de la coalition gouvernementale ne manquent pas non plus d’ajouter leur voix à ce concert d’insultes publiques qui, contrairement à dans plusieurs pays, ne finissent pas par des excuses toutes aussi publiques.
Roman Giertych, le ministre de l’Éducation, chef de la Ligue des familles polonaises (conservatrice, catholique et nationaliste) ne fait pas simplement interdire toute information sur l’homosexualité dans les écoles, comme son pouvoir le lui permet, mais il traite les gais – en public évidemment -de «sales pédérastes». La tolérance n’est-elle pas aussi une valeur enseignée dans les Saintes écritures?
Lorsque ce ne sont pas les langues qui fourchent, ce sont donc les idées. Ce même ministre de l’Éducation veut rayer Goethe (un Allemand...), Dostoïevski (un Russe...), Kafka, Gombrowicz et Conrad de la liste des lectures obligatoires dans les lycées pour les remplacer par des auteurs plus moralement acceptables et plus patriotes.
Une démocratie qui fonctionne
Le fragile* gouvernement Kaczynski pourrait être qualifié d'obscurantiste pour plusieurs mesures prises qui ont pour effet de refermer la Pologne fraîchement européenne (UE) sur elle-même.
Mais heureusement, la jeune démocratie polonaise fonctionne. Elle empêche les jumeaux de régner en roi et maître et de contrôler à leur guise la destinée du pays.
En mai dernier, la Cour constitutionnelle a invalidé la très controversée loi sur la décommunisation qu'ils voulaient instaurer. Elle visait à obliger des personnes à déclarer publiquement s'ils avaient ou non collaboré avec l'ancienne police secrète communiste (SB) avant 1989.
La plus haute instance du pays a tranché, c'est non. Les Kaczynski ne peuvent rien y faire. Si ce n'est de blasphémer contre la décision...
*La coalition gouvernementale menée par les Kaczynski pourrait tomber bientôt à la suite du limogeage le 9 juin du vice-premier ministre et chef du parti Autodéfense Andrzej Lepper, soupçonné de corruption. Son parti songe à quitter le gouvernement, qui deviendrait minoritaire.
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