lundi 14 mai 2007

Un dimanche en enfance à Sidi Moumen


CASABLANCA (Maroc) - Je suis certain qu’ils sont aussi heureux que les autres enfants de la Terre. J’en suis convaincu. Avec un sourire comme celui-là, les enfants du bidonville de Douar Skouila, dans le secteur de Sidi Moumen à Casablanca, ne peuvent qu’être heureux. Ou du moins, ils ne peuvent qu’être de vrais enfants. Avec une enfance.

Autour d’eux il y a la misère. Dans leur vie, il y a la misère. La misère économique, sociale, parfois familiale. Il y a le terrorisme, puisque quelques-uns de leurs voisins se sont faits exploser au cours des derniers mois au nom d’un Dieu qu’ils avaient peut-être mal compris. Des jeunes dans la vingtaine qui ont certainement déjà eu un sourire d’enfant, eux aussi, malgré la misère.

Parce que la naïveté d’enfant peut protéger les enfants de Sidi Moumen et d’ailleurs de beaucoup de choses. Pas de tout, mais de beaucoup de choses. Jusqu’à 10, 12 ans, peut-être plus. Après, les sourires s’effaceront petit à petit, ou tout d’un coup. Et il y aura la colle à sniffer, l’école à quitter, le travail impossible à trouver, le Dieu à prier trop fort. Il y aura le poids de la vie qui les rattrapera. Il y aura la conscience de partir avec des kilomètres de retard sur d’autres pour réussir sa vie, parce qu’on est né au mauvais endroit au mauvais moment. Et il y aura la frustration, l’impuissance, la colère, la résignation ou chez certains, espérons-le, la volonté de se battre pour sortir de l’exclusion innée.

En attendant, il y a l’enfance dans la misère. Mais il y a surtout l’enfance plus forte que la misère.

Un petit garçon sillonne les terrains vagues qui font office de grande poubelle collective. Il cherche. Quelque chose à manger peut-être, comme les ânes errants et les chèvres qui broutent des déchets. Ou quelque chose à vendre. Mais il ne se pose pas de question sur son existence comme nous le faisons sur la sienne. Il n’est pas l’enfant défavorisé que voient nos yeux d’adultes. Il n’est pas celui qui n’a rien, qui fait pitié, qu’on devrait amené dans un grand magasin pour le vêtir dernier cri, dans un grand restaurant pour le nourrir avec ce qu’il y a de mieux. Il est cet enfant qui vit avec un environnement qu’il n’a pas choisi, mais qui lui convient parce que c’est celui qu’on lui a donné. C’est tout.

Des enfants jouent au soccer dans le sable avec un ballon mou, des babouches aux pieds. Ils seraient certainement contents de recevoir un ballon tout neuf et des paires de crampons. Mais pour l’instant, ils jouent. Avec ce qu’ils ont. Avec ce qu’ils sont. Parce que c’est ce qu’ils ont. Parce que c’est ce qu’ils sont. C’est tout.


La petite fille derrière le grillage du dépanneur n’a pas plus de sept ans. C’est dimanche à Sidi Moumen et ailleurs sur la Terre, et mademoiselle est caissière. En remplacement de son père peut-être. Elle sourit lorsqu’elle voit l’étranger. Un sourire gêné de petite fille qui n’en voit pas souvent. Un sourire de petite fille impressionnée par si peu. Si peu pour certains, beaucoup pour elle. Mais l’important, c’est qu’elle sourit. Elle sourit son enfance à grand coup de spontanéité, autant sinon plus que les enfants de mon quartier natal, sur un autre continent, et qui ont hérité d’un environnement qui finalement n’a pas grand chose de différent avec Sidi Moumen sauf tout ce qui ne change pas grand chose à l’essence de l’enfance.

Tant qu’on leur laisse leur naïveté, les enfants de Sidi Moumen et d’ailleurs trouvent toujours le bonheur. Dans une foire ou un dépotoir. Le seul – et grave – problème, c’est qu’il y a une fin à l’enfance...

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Beau texte que celui-ci mon Fred. Tu connais la chanson L'enfance de Jacques Brel ? Tu devrais l'écouter, je crois que tu l'aimerais. Ton texte m'a fait penser à cette chanson. Continue ton beau boulot et prends-soin de toi. Pascal

Fredotchka a dit...

Merci Pascal pour la découverte. Je ne connaissais pas la chanson, mais en effet, c'est superbe. Voici les paroles:

Un enfant
Paroles: J.Brel. Musique: J.Brel, G.Jouannest 1968 "Vezoul"

Un enfant
Ça vous décroche un rêve
Ça le porte à ses lèvres
Et ça part en chantant
Un enfant
Avec un peu de chance
Ça entend le silence
Et ça pleure des diamants
Et ça rit à n'en savoir que faire
Et ça pleure en nous voyant pleurer
Ça s'endort de l'or sous les paupières
Et ça dort pour mieux nous faire rêver

Un enfant
Ça écoute le merle
Qui dépose ses perles
Sur la portée du vent
Un enfant
C'est le dernier poète
D'un monde qui s'entête
A vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes
Et ça s'inquiète d'une neige tombée
Et ça croit que nous sommes fidèles
Et ça se doute qu'il n'y a plus de fées

Mais un enfant
Et nous fuyons l'enfance
Un enfant
Et nous voilà passants
Un enfant
Et nous voilà patience
Un enfant
Et nous voilà passés.