jeudi 24 mai 2007

Maroc: bidonville ou fabrique de kamikazes?

Paru dans le journal La Presse, samedi 19 mai 2007

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Casablanca, Maroc

Le Maroc est un pays du Maghreb réputé pour sa modération. Ce qui ne l'empêche pas d'être périodiquement victime d'attentats religieux attribués à des extrémistes salafistes, mouvement revendiquant un retour à l'islam des origines. Notre collaborateur s'est rendu dans une banlieue de Casablanca d'où sont issus plusieurs «martyrs d'Allah».

Ils n'étaient qu'une dizaine. Mais depuis qu'ils se sont fait exploser au nom d'Allah, le quartier populaire de Sidi Moumen, en périphérie de Casablanca, doit vivre avec le poids d'avoir vu grandir des terroristes.

La majorité des 12 kamikazes du 16 mai 2003, qui ont fait 33 morts dans le centre-ville de Casablanca, étaient originaires des bidonvilles de Sidi Moumen. Idem pour Abdelfettah Raydi, 23 ans, qui s'est fait exploser dans un cybercafé du quartier le 11 mars dernier, et son frère Ayoub, 19 ans, qui, traqué par la police, a déclenché sa ceinture d'explosifs le 10 avril, avec deux autres complices.

Depuis ce temps, Sidi Moumen s'est vu coller le surnom peu enviable de «fabrique de kamikazes».

Ce quartier, c'est 14 400 familles vivant dans quatre bidonvilles géants, construits depuis les années 60 au fil de l'exode rural vers la capitale économique marocaine. De petites habitations approximatives bâties sur des terrains privés à l'insu des propriétaires, qui ne peuvent plus faire grand-chose pour déloger les habitants, sinon attendre que la politique de relogement du gouvernement les fasse partir.

C'est dans ces bidonvilles qu'Abdelfettah, Ayoub et les autres ont été recrutés pour devenir des bombes humaines par des islamistes salafistes, des fondamentalistes religieux qui rejettent toute autorité autre que celle de Dieu.

«Bons et mauvais» extrémistes

En se promenant dans le bidonville de Douar Skouila, on ne perçoit pourtant pas à première vue les signes d'une ferveur religieuse poussée à l'extrême: la burqa à l'afghane - comme celle que porte la mère des frères Raydi - n'est pas très en vogue. Il y a certes plus de femmes voilées que dans le centre de Casablanca, mais certaines choisissent tout de même de se promener tête découverte. Plusieurs hommes, rasés de près, fument et avouent boire de l'alcool.


Et parmi les plus fervents musulmans, difficile de reconnaître le simple bon croyant du futur kamikaze. «Des extrémistes, il y en a des bons et des mauvais, dit ainsi un commerçant. Il y a des jeunes qui portent la barbe et font leur prière assidûment, mais ça ne veut pas dire qu'ils vont aller se faire sauter demain matin!»

«La police est venue il y a deux semaines arrêter des jeunes», dit un homme qui refuse de se nommer. «Ça ne faisait même pas un an qu'ils avaient commencé à se faire pousser la barbe et à faire la prière. Il y a 10 mois, ils fumaient du haschisch et buvaient de l'alcool avec nous jusqu'à l'aube!» s'étonne encore celui qui vend du vieux pain ramassé un peu partout dans la ville pour nourrir le bétail.

Depuis les attentats, les recruteurs et leurs nouveaux adeptes se font encore plus discrets, allant jusqu'à se couper la barbe pour éviter d'attirer l'attention. «Comment peux-tu empêcher ton enfant d'être enrôlé par les extrémistes quand tu ne perçois même pas de signes de changement?» s'inquiète Hussein, chômeur et père de six enfants.

Les habitants du bidonville rencontrés par La Presse rejetaient pourtant l'idée souvent invoquée que la pauvreté puisse faciliter le recrutement de kamikazes à Sidi Moumen. Le spécialiste de l'islamisme marocain Mohammed Darif ne croit pas non plus que la pauvreté soit le premier facteur en cause.

Selon lui, c'est plutôt la quasi-absence des autorités dans les quartiers défavorisés qui permet aux salafistes d'y répandre assez librement leur vision radicale de l'islam. «Ils peuvent recruter, endoctriner et même fabriquer des explosifs sans être dérangés!» lance-t-il.

Deuxième facteur non négligeable: le «degré de religiosité» est plus élevé dans les bidonvilles qu'ailleurs, puisque la population vient en grande majorité de la campagne. «En arrivant en ville, ils apportent avec eux les valeurs conservatrices de leur petit village», ce qui les prédispose un peu plus à la radicalisation, explique le spécialiste de l'islam.

Pour les islamistes salafistes, Sidi Moumen et les 450 bidonvilles que compte Casablanca, laissés à eux-mêmes par les autorités, sont des endroits rêvés pour la fabrication de bombes humaines.

1 commentaire:

Unknown a dit...

Vous dîtes que les gens se sont installés sur des terrains "à l'insu des propriétaires".
Faux dans la plupart des cas. En effet lors de la 1ère exode rurale dès après l'indépendance ; ce sont ces propriétaires-là qui ont fait venir des "beldi" pour travailler au boom économique de Casablanca. Les gens étaient "logés" ainsi "gratuitement" par leurs employeurs.
Ainsi, (c'est le cas des bidonvilles des Carrières Thomas. comme leur nom l'indique) après le départ des propriétaires français, lorsque des Marocains sont devenus propriétaires à leur tour (de façon souvent pas très claire d'ailleurs), ils ont "hébergés" des paysans qui sont venus pour travailler.
A partir des années 80, la sociologie des bidonvillois a été totalement différente. Il s'agissait alors de gens trop pauvres pour se loger ailleurs et qui pourraient être considérés comme des squatters, ce qui n'était pas le cas de la précédente population.