samedi 19 juillet 2008

Les jeunes marginaux dans le collimateur des députés russes

Article publié dans La Presse le 18 juillet 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou
Les députés russes ne savent plus que faire pour prouver leur utilité et leur patriotisme au tout-puissant tandem Vladimir Poutine-Dmitri Medvedev. Leur nouvelle cible: les jeunes marginaux trop influencés par la mode et le style de vie occidentaux.

Le mois dernier, les parlementaires russes de la Douma (Chambre basse) ont proposé un projet de loi pour remettre la jeunesse sur le droit chemin. Leur but: faire des ados russes de bons patriotes.

Les députés estiment que le pays ne doit plus tolérer dans les écoles les accoutrements noir et rose des «emo», qui, selon ce qu'ils en savent, écoutent de la musique mélancolique et ne pensent qu'à s'ouvrir les veines. Les «gothiques», adeptes d'un autre mouvement venu des États-Unis, devront aussi enlever maquillage et habits sombres.

Plus question non plus de célébrer dans les établissements scolaires les fêtes «empruntées» à l'Occident comme l'Halloween et la Saint-Valentin.

Dans sa forme actuelle, le projet interdirait les tatouages et les perçages aux mineurs, sauf les boucles d'oreilles pour les filles. Il imposerait aussi un couvre-feu dans tout le pays pour les moins de 16 ans. Les compagnies de téléphonie cellulaire devraient même censurer tout texto entre jeunes contenant des jurons.

L'un des auteurs du projet de loi est Stanislav Govoroukhine, cinéaste et député de Russie unie, le parti du premier ministre Vladimir Poutine. Il a donné le ton lorsque le projet a été présenté: «Avec la jeune génération actuelle, il n'y a déjà plus rien à faire. Elle est perdue. Il faut sauver ceux qui ont actuellement 2 ans et ceux qui ne sont pas encore nés.»

Déconnectés

Place du Manège, à une centaine de mètres à peine de la Douma, Pavlik et ses amis - qu'il a rencontrés sur l'internet pour la plupart - flânent comme tous les soirs en cachant leur alcool à la vue des policiers. En dépit de son allure nonchalante, l'écolier de 16 ans à la frange dans le visage est bien au courant de ses droits.

«Selon la Constitution, chaque personne peut exprimer ses émotions comme il le veut, même dans ses chaussures!» lance Pavlik en pointant les siennes, à semelles basses, qu'il considère comme partie intégrante de sa personnalité.

Son amie Vera, 15 ans, croit que les politiciens sont tout simplement déconnectés. «Ils sont nés dans une autre génération, sous l'Union soviétique. Ils ne comprennent pas que nous, nous avons grandi sous d'autres lois (plus libérales) et qu'ils ne peuvent pas tout changer ça du jour au lendemain.»

À parler avec Pavlik et sa bande, on comprend mal pourquoi les politiciens craignent d'avoir affaire à des antipatriotes. Le jeune homme appuie par exemple sans hésitation Vladimir Poutine: «Un vrai homme qui n'a pas peur de dire fuck aux autres pays et qui respecte les jeunes.»

Combattre l'ennui

L'hebdomadaire Ogoniok croit savoir ce qui motive avant tout les parlementaires dans leur lutte contre la marginalité. L'ennui. Pas celui des ados, mais le leur.

«Il n'y a pas beaucoup de secteurs où les députés peuvent dire quelque chose puisque la majorité des sujets relève de l'autorité directe du Kremlin ou du gouvernement», note ainsi le politologue Nikolaï Petrov, du Centre Carnegie de Moscou.

Certains «ambitieux» concoctent donc des projets de loi pour faire parler d'eux, espérant attirer l'attention du président Dmitri Medvedev ou du premier ministre Poutine, poursuit M. Petrov. Ces projets «comportent souvent une rhétorique antioccidentale et patriotique», indique le politologue, qui, rassurant, précise que rares sont ceux qui se transforment véritablement en lois.

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