Dossier publié dans La Presse le 28 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca
Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Soukhoumi, Abkhazie
Pendant que les Kosovars célèbrent leur indépendance, d'autres peuples grognent de jalousie. Indépendantes de facto depuis une quinzaine d'années, les républiques d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud (Géorgie), et celle de Transdniestrie (Moldavie), n'ont toujours pas été reconnues par aucun autre État.
Notre collaborateur s'est rendu en Abkhazie, république autoproclamée une fois et demie grande comme l'Île-du-Prince-Édouard, que la Russie songe à reconnaître, furieuse du «précédent» kosovar créé par les Occidentaux.
Sur la place de l'ancienne gare maritime de Soukhoumi, Poto a bon espoir de revoir un jour sa capitale aussi dynamique que durant les années soviétiques, alors que les touristes affluaient par milliers au bord de la mer Noire. «Bientôt, des bateaux viendront», assure le vieux gardien de sécurité en regardant le port en décrépitude.
«Avant, il y avait du monde partout», se rappelle Poto. Soukhoumi a en effet des airs de ville-fantôme. En plein centre-ville, le tiers des édifices sont détruits ou à l'abandon. Plusieurs bâtiments portent les cicatrices de la sanglante guerre de sécession contre la Géorgie, en 1992-1993, peu après la déclaration unilatérale d'indépendance de l'Abkhazie.
Durant les hostilités, plus de 13 000 personnes sont mortes, dont le fils de Poto. Près de la moitié de la population a fui la république sécessionniste, en majorité des Géorgiens qui y étaient installés. Aujourd'hui, il ne reste plus que quelque 300 000 habitants, dont le tiers seulement sont d'origine abkhaze. Les autres sont russes, arméniens ou géorgiens.
Dans les paisibles rues de Soukhoumi, le mot «indépendance» est sur toutes les lèvres. Surtout depuis que le Kosovo a proclamé sa souveraineté, le 17 février. Immédiatement, le gouvernement abkhaze a réitéré sa demande de reconnaissance internationale.
Raisons historiques
Tous les Abkhazes rencontrés par La Presse font valoir qu'ils ont encore plus de raisons que les Kosovars d'être indépendants. «Contrairement à eux, nous avons déjà eu notre propre État», argue Anatoli, fringant retraité de 75 ans, avant de se lancer dans un long exposé historique.
Avant de se joindre à l'URSS en 1921, l'Abkhazie était un pays indépendant. Elle fut par la suite rattachée à la république soviétique de Géorgie, avec un statut de «région autonome».
«Donc, nous avions le droit de nous séparer de l'URSS autant que la Géorgie», poursuit Maxim Goundjia, vice-ministre des Affaires étrangères abkhaze.
Le jeune fonctionnaire demeure toutefois réaliste. Il sait que la reconnaissance internationale est avant tout une question «politique». Même la Russie, le plus grand allié de l'Abkhazie, n'a toujours pas voulu l'appuyer officiellement. Après avoir vivement dénoncé l'indépendance du Kosovo, elle ne peut reconnaître l'Abkhazie du jour au lendemain, raisonne Maxim Goundjia.
Double jeu
La Russie mène un double jeu: officiellement, elle soutient l'intégralité territoriale de la Géorgie et de la Moldavie. Dans les faits, elle a accordé la citoyenneté russe à plus de 90% des habitants des républiques non reconnues. En Abkhazie et en Ossétie du Sud, le rouble russe est la monnaie officielle, les retraites sont versées par Moscou et le russe est la langue la plus répandue.
Durant la guerre d'indépendance, c'est la Russie qui a armé les Abkhazes contre les Géorgiens. Les sanctions qui devaient freiner depuis 12 ans le commerce à la frontière russo-abkhaze ont été définitivement abolies début mars. Pour construire à temps les infrastructures des Jeux olympiques de Sotchi de 2014, la Russie ne pourra en effet se passer des ressources de l'Abkhazie, qui se trouve à 9 km du futur village olympique.
Il y a une semaine, les députés russes ont officiellement demandé à leur gouvernement «d'examiner l'opportunité d'une reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud».
«Après la reconnaissance unilatérale de l'indépendance du Kosovo, la Russie doit corriger sa politique» à l'égard de ces républiques séparatistes, précisent les députés.
Moscou a bien fait comprendre aux pays occidentaux que l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine et surtout de la Géorgie, qui sera étudiée lors du sommet de l'organisation à Bucarest du 2 au 4 avril, pourrait accélérer la reconnaissance des deux républiques autoproclamées sur le territoire géorgien. Elle veut à tout prix éviter de voir un nouvel élargissement de l'OTAN qui a accueilli les pays baltes en 2004.
Mais le président géorgien pro-américain Mikheïl Saakachvili a fait savoir à plusieurs reprises qu'il n'accepterait jamais les indépendances sud-ossètes et abkhazes et que l'armée pourrait à nouveau intervenir pour les empêcher.
De facto indépendante
Reconnaissance ou non, les Abkhazes construisent leur pays. Depuis 15 ans, leur république fonctionne déjà bon gré mal gré comme un État. Le gouvernement prélève des impôts et commence à offrir quelques services à ses citoyens. De nouvelles infrastructures voient petit à petit le jour à Soukhoumi. «Nous ouvrirons bientôt un bureau commercial au Canada», assure Maxim Goundjia, qui multiplie les efforts pour attirer les investisseurs étrangers.
La seule chose qui pourrait freiner le développement de l'Abkhazie, c'est une «agression de la Géorgie», dit le jeune vice-ministre. «Nous sommes un pays de tourisme et d'agriculture. La guerre signifie pour nous que le tourisme sera interrompu pour quelques années et nous perdrons des milliards.»
À la sortie d'un restaurant de Soukhoumi, une dame un brin éméchée par la vodka résume le sentiment populaire: «Dites aux Canadiens, aux Américains, à tout le monde, de venir nous visiter en Abkhazie... mais sans l'OTAN!»
Ossétie du Sud
70 000 habitants
Capitale : Tskhinvali
La guerre d'indépendance de cette région séparatiste de Géorgie a fait près de 1 000 morts entre 1990 et 1992. Des milliers d'Ossètes se sont réfugiés en Ossétie du Nord, l'entité de la Fédération de Russie à laquelle ils espèrent un jour être rattachés. Comme en Abkhazie, des forces de maintien de la paix russes y sont postées depuis la fin de la guerre.
Transdnestrie
533 500 habitants
Capitale : Tiraspol
La république moldave de Transdniestrie s'est autoproclamée indépendante de la Moldavie en 1991 et a tenu sept référendums pour confirmer son statut. Aucun n'a été reconnu par un autre État. Les Russes ont soutenu la Transdniestrie lors de la guerre d'indépendance de 1992.
Abkhazie
300 000 habitants
Capitale: Soukhoumi
L'Abkhazie était un État indépendant quand elle a adhéré à l'URSS en 1921, pour devenir ensuite une région autonome au sein de la Géorgie soviétique. Après l'éclatement de l'URSS, la déclaration d'indépendance de l'Abkhazie a entraîné une intervention militaire de la Géorgie.
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