samedi 30 juin 2007

Loin d’Ottawa

VARSOVIE (Pologne)- À 7 000 km d’Ottawa, le Canada est beau et muet, commandité par des compagnies privées et n’a que très peu de compte à rendre à ses contribuables.

Varsovie, ambassade du Canada. Un somptueux cocktail pour le «Canada Day», six jours à l’avance. L’événement a été devancé pour coïncider avec la visite de trois sénateurs canadiens. On en a aussi profité pour grossir l’événement en l’honneur de cette visite officielle et des 140 ans de la Confédération.

Personnel de l’ambassade, ambassadeurs étrangers, entrepreneurs polonais, politiciens, militaires, même un prêtre. Le Canada a invité «tous ses contacts» en Pologne, comme c’est la coutume dans le monde diplomatique, dit une employée de l’ambassade.

«Par contre, nous n’invitons pas les ambassadeurs des pays avec qui le Canada n’a pas des bonnes relations. Celui du Bélarus n’est pas là», explique l’employée à l’auteur de ces lignes, qui est en partie responsable de la détérioration des relations entre les deux pays.

Mais l’ambassadeur de la Syrie est là, lui, car le Canada a de bonnes relations avec ce pays où a été emprisonné et torturé le Canadien Maher Arar. Les services secrets canadien avaient transmis à la CIA des informations sur ses possibles liens avec des organisations terroristes, et les Américains l’ont déporté dans son pays natal. Il s’avéra que ces soupçons étaient totalement non-fondés.

Le Canada échange des renseignements anti-terroristes avec la Syrie, où le président Bachar El-Assad a été réélu avec 97,62% il y a un mois. En fait, ce n’était pas une élection, mais bien un référendum, avec un seul candidat, pour savoir si la population le voulait toujours à la tête de l’État pour sept ans. Comme le faisait Saddam Hussein en son temps.

La réception est une réussite, dit l’employée de l’ambassade.

Combien coûte une réception du genre, avec le quatuor à cordes, les serveurs, l’alcool, les canapés et les discours officiels? L’employée ne connaît pas la réponse. L’ambassadeur David Preston non plus. Mais il assure que tout a été fait pour réduire le fardeau des contribuables canadiens. «C’est la mode maintenant (dans les cercles diplomatiques) d’être soutenue par des commanditaires».

Une brasserie et un géant de l’agroalimentaire ont fourni nourriture et alcool pour la réception. L’ambassadeur les remercie dans son discours unilingue anglophone avec traduction en polonais.

Langue de bois

La délégation de sénateurs canadiens est venue pour «promouvoir les relations interparlementaires entre le Canada et la Pologne», dit le président du Sénat Noël Kinsella, qui répond à mes questions le plus généralement possible, en faisant bien attention de ne pas se compromettre - même positivement - et faire de vagues. Certains parleront de langage diplomatique, d’autres de langue de bois.

Tout est beau, tout est bien. On ne saura pas ce que la visite des trois sénateurs canadiens – et leurs épouses - aura apporté précisément aux relations bilatérales entre les deux pays. On ne saura rien, si ce n’est que la Pologne et le Canada «share political and social values, fondamental values of human rights and democracy» et que les présidents des deux sénats ont discuté ensemble des systèmes de sécurité sociale polonais et canadien.

Dans ces conditions, impossible de juger de la pertinence de cette visite au frais des contribuables canadiens.

De toute façon, qui posera des questions sur la visite et ses répercussions? Pratiquement personne ne saura qu’elle a eu lieu. En tant que stagiaire à l’Agence France Presse, je suis allé rencontrer M. Kinsella lors de son passage au Sénat polonais. Mais faute d’informations intéressantes à relayer au public, ne serait-ce qu’une déclaration sincère, même positive (les médias préfèrent évidemment les informations conflictuelles...), je n’ai rien écrit. Alors personne ne saura.

Loin

Nous sommes loin d’Ottawa, à l’étranger. La plupart des ambassades canadiennes font probablement attention de ne pas dépenser n’importe comment les fonds publics. Pour diminuer les coûts, certaines vont même jusqu’à vendre l’image du Canada à une brasserie danoise, comme ce fût le cas pour le «Canada Day» varsovien.

À l’étranger, le Canada officiellement bilingue est la plupart du temps unilingue anglophone. Et s’il est bilingue, la deuxième langue parlée dans l’ambassade est plutôt celle du pays d’accueil. Personne à l’interne pour faire respecter les lois sur le bilinguisme. Cela arrange presque tout le monde et Ottawa est trop loin pour que ceux qui veulent se plaindre le fasse sans craindre des répercussions et des problèmes pour eux-mêmes dans leur ambassade.

Les diplomates canadiens à l’étranger doivent jouer le jeu de la diplomatie internationale et organiser des réceptions somptueuses pour développer nos relations diplomatiques et commerciales en montrant la grandeur et la prestance du Canada.

Ils remplissent probablement aussi bien leur mission que ceux des autres pays industrialisés. Mais ils sont pratiquement laissés à eux-mêmes, pour le meilleur et pour le pire.

Le meilleur ou le pire, on ne le sait pas. Car tout le monde reste discret, muet, pour ne pas faire de vague, de peur de perdre leur position privilégiée, peut-être. On ne sait rien.

Et ceux qui ont pour rôle de s'assurer de leur transparence - Ottawa, sa vérificatrice générale et tous les autres chiens de garde, journalistes compris - sont loins. Très loins.

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