Série diffusée à l'émission un Dromadaire sur l'épaule (Radio suisse romande) du 6 au 10 septembre 2010.
Oulan-Bator: vie urbaine en terre nomade
Le journaliste Frédérick Lavoie nous fait découvrir la vie des habitants de la capitale mongole Oulan-Bator, entre traditions nomades et réalités sédentaires.
Yourte perdue dans les paysages lunaires infinis, nomades à cheval rassemblant leurs bêtes disséminées dans la steppe. Le romantisme de la vie mongole fait rêver.
Mais depuis la chute du communisme en 1990, la réalité est loin d'être aussi rose pour les descendants de Gengis Khan. Ne pouvant plus compter sur l'aide de l'État après une série d'hivers rigoureux, des centaines de milliers de nomades quittent la steppe pour planter leur yourte dans les faubourgs pollués et insalubres de la capitale.
Résultat: en 20 ans, la population d'Oulan-Bator est passée de 540 000 habitants à entre 1,1 et 1,6 million selon les estimations. Ironiquement, la moitié des trois millions de Mongols s'entassent donc aujourd'hui dans la capitale de l'État le moins densément peuplé du globe.
À flanc de collines, autour d'un centre-ville à l'architecture socialiste, les quartiers de yourtes en constante expansion ceinturent la capitale. Dans ces agglomérations poussiéreuses, des jeunes professionnels rêvent d'un appartement, d'études à l'étranger ou d'un boulot dans l'industrie minière mongole en plein développement. D'autres voient plutôt la ville comme un passage obligé, espérant amasser rapidement assez d'argent pour s'acheter un troupeau et retourner à une vie nomade.
Si les traditions mongoles sont tenaces malgré l'urbanisation galopante, cette société asiatique isolée demeure étonnamment libérale. Sans tabou, les jeunes rockers aux cheveux longs échauffent leur public avec leur musique lourde d'inspiration occidentale. Dans la foule, des skinheads mongols font le salut hitlérien, rappelant que si la Mongolie est ouverte, les étrangers n'y sont pas toujours les bienvenus, surtout s'ils viennent de la menaçante Chine voisine.
Après deux décennies post-communistes relativement tranquilles, la démocratie mongole se cherche toujours. Sur la place Suukhbaatar, devant le parlement et une énorme statue du conquérant Gengis Khan, des citoyens en colère bravent le froid pour rappeler au gouvernement ses promesses non tenues.
1/5: Vie de yourte (écouter ou télécharger l'émission)
Habit et coiffure bien soignés, valise à la main, des milliers de professionnels franchissent au petit matin la porte de leur yourte dans les faubourgs insalubres de la capitale. Direction: centre-ville d'Oulan-Bator.
Torbat, jeune travailleur social, rêve d'un appartement en ville et d'études à l'étranger. En attendant, il habite avec sa femme Ankhtsetseg et son bébé dans une yourte toute équipée: frigo, télé, micro-onde, poêle et... aquarium.
Originaire de la campagne, Torbat adore la vie urbaine, plus facile et plus diversifiée que celle que connaît son frère éleveur nomade. Il déteste toutefois les quartier de yourtes, où l'air vicié par les fumées de charbon et de bois de chauffage est irrespirable dès l'arrivée des grands froids. Il compte mettre toute son énergie à bâtir une vie meilleure pour ses enfants, quitte à sacrifier la sienne.
L'invitée: Gaëlle Lacaze
Ethnologue, spécialiste de la Mongolie. Maître de conférences en ethnologie à l’Université de Strasbourg. Auteur en 2006, du guide Mongolie : Pays d'ombres et de lumières aux éditions Olizane.
Gaëlle Lacaze nous parle des quartiers de yourtes qui ceinturent la capitale Oulan Bator, où s'entassent des centaines de milliers d'anciens éleveurs nomades. Elle nous raconte les conditions de vie extrêmement précaires, la destructuration sociale et l'absence total de perspectives dans ces banlieues de yourtes.
2/5: Fragile démocratie (écouter ou télécharger l'émission)
Dans le froid intense du mois d'avril 2010, plus de cinq mille Mongols descendent sur la Place Suukhbaatar, place centrale d'Oulan-Bator, pour réclamer la démission du gouvernement.
À leur tête, Ouyanga, 34 ans, femme menue et hypercharismatique. Entourée d'hommes imposants, la leader du mouvement civil dénonce la corruption d'un gouvernement qui a perdu la confiance populaire selon elle en ne remplissant pas ses promesses électorales.
Blotti dans une tente installée sur la place, l'ancienne journaliste déclenche avec huit compagnons une grève de la faim. Affaiblie, elle parle de ses ambitions pour une Mongolie à la démocratie toujours chancelante, 20 ans après la chute du communisme.
Quatorze jours plus tard, les autorités viendront interner de force les grévistes à l'hôpital.
Invité: Jacques Legrand
Jacques Legrand, professeur de langue et littérature mongoles, est aujourd’hui président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Il est l'auteur de nombreux livres sur l’histoire, la culture et la langue mongole, dont un dictionnaire français-mongol (Monsudar, Ulaanbaatar, 2007).
Jacques Legrand nous parle de l’évolution de ce pays qu'il parcourt depuis 1967. Il nous raconte les bouleversements liés à la chute du communisme, à l’arrivée de l’économie de marché, au déclin du nomadisme et à la découverte d’immenses richesses dans le sous-sol mongol. L'occasion d'écouter les sonorités très particulières de la langue mongole.
3/5: En mémoire de Gengis Khan (écouter ou télécharger l'émission)
Croix gammée dans le cou, Gansouren assure être ni fasciste, ni nazi. Il est nationaliste. Comme l'était en son temps son héros, Gengis Khan, le plus grand conquérant mongol.
Dans une salle de gym, où il enseigne le taekwondo, le leader de Khoukh Mongol (Bleu mongol) parle des attaques de son organisation nationaliste contre des employeurs chinois "irrespectueux" et de sa grande vision d'unité pour le peuple mongol. Sa femme Otguirid, entraîneuse d'haltérophilie, explique l'importance du sport pour démontrer la force de sa nation.
Invitée: Françoise Aubin
Françoise Aubin est directeur de recherche émérite au CNRS et au Centre de recherche sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne.
Elle nous explique pourquoi Gengis Khan est un héros national en Mongolie alors que l’Occident le présente toujours sous la forme d’un barbare sanguinaire. Elle nous raconte qui était Gengis Khan et comment il a lui-même construit sa légende.
4/5: Heavy mongol (écouter ou télécharger l'émission)
C'est soir de fête pour le groupe culte Nisvanis. Pionniers du rock mongol, ils célèbrent leur14e anniversaire sur scène. D'autres formations plus jeunes viennent leur rendre hommage.
Amgalan, le chanteur de Nisvanis, est tout sourire. Il se rappelle des débuts, alors qu'il était difficile de trouver des instruments à Oulan-Bator et que sa musique inspirée de Nirvana faisait fuir les foules.
Sunny, leader de la formation The Lemons, a eu de la difficulté à faire accepter à ses parents son choix de devenir musicien rock, une occupation pas très payante dans la peu populeuse Mongolie. Mais aujourd'hui, avec ses airs de star, il se produit régulièrement en Chine et au Japon.
Ougui est le grand manitou de la scène rock mongole. C'est lui qui organise tous les spectacles. Si la vie de rock star ne conduit pas à la fortune en Mongolie, il se réjouit au moins que la société soit assez libérale pour ne pas le juger pour ses cheveux longs et ses fringues gothique.
Invité: Grégory Delaplace
Grégory Delaplace, anthropologue, mène une recherche post-doctorale à l’Université de Cambridge (Mongolia and Inner Asia Study Unit) en Angleterre, sur les morts et les "choses invisibles" en Mongolie contemporaine. Depuis 1999, ses enquêtes de terrain à la capitale et dans le Nord-ouest du pays, auprès d’une population de pasteurs nomades, l’ont conduit à s’intéresser à des sujets aussi divers que la nouvelle pratique urbaine du feng shui, l’historiographie de la collectivisation et le rap mongol.
Grégory Delaplace est l’auteur de "L'invention des morts. Sépultures, fantômes et photographie en Mongolie contemporaine", Collection Nord-Asie, supplément aux Études Mongoles & Sibériennes, Centrasiatiques & Tibétaines, Paris, 2009.
Grégory Delaplace nous parle de la culture rock en Mongolie, un de seuls milieux à résister au nationalisme qui a suivi la fin du communisme et la reconstruction d’une identité "purement" mongole. Il nous présentera des groupes ultra célèbres comme Mohanik ou Tatar, leur vision de la société mongole, leurs revendications dans un pays en profonde mutation.
5/5: Nomades dans l'âme (écouter ou télécharger l'émission)
Chaque année, des milliers de nomades quittent la vie d'éleveurs pour s'installer dans les faubourgs pollués et insalubres de la capitale. Plus par nécessité que par choix.
Dans l'un des quartiers de yourtes encore sans électricité, Batchtolong nivelle son terrain nouvellement acquis, sur lequel il habitera avec sa mère Ningoui. Pour ce poseur de climatiseur de 26 ans, la ville n'est qu'un passage obligé. Son rêve: s'acheter un troupeau et retourner vivre dans la steppe comme ses ancêtres.
À 450 km de là, dans la province de Boulgan, Tomurbaatar et Otgon ne quitteraient pour rien au monde leur rude vie nomade. Même s'ils ont perdu la moitié de leur troupeau durant le rigoureux hiver 2010, la télévision leur a appris que la vie ne serait guère mieux dans la capitale, où règne le chômage, la pollution et la maladie. Dans leur yourte perdue, au moins, ils sont les "seuls à respirer l'air ambiant" à des kilomètres à la ronde, plaide Otgon.
L'invitée: Tsogzolmaa Sambuu
Tsogzolmaa Sambuu organise des voyages touristiques en Mongolie qui travaille notamment avec l’agence suisse Espace Est-Ouest. Elle nous donne les dernières nouvelles de la capitale Oulan Bator.
jeudi 25 novembre 2010
Mongolie: Le nomadisme hors des steppes
Article publié dans la section Vacances/Voyage de La Presse le 30 septembre 2010
Oulan-Bator, Mongolie - L'air pur, la yourte plantée au milieu de nulle part, l'éleveur à cheval dirigeant son troupeau dans la steppe sans fin: ne cherchez pas le romantisme de la vie nomade mongole à Oulan-Bator, il ne s'y trouve pas. En revanche, le voyageur qui a le courage (ou l'obligation) de s'attarder dans la capitale polluée ne regrettera pas son plongeon dans les profondeurs de la fascinante culture mongole, entre bouddhisme, nomadisme, et... heavy metal.
Avant d'entrer dans une yourte, l'habitation ronde traditionnelle des nomades, on ne frappe pas. En campagne, comme en ville. La pratique peut être déroutante pour l'étranger, habitué au respect de la vie privée. Mais dans les faubourgs poussiéreux d'Oulan-Bator, où à perte de vue s'étendent à flanc de colline les milliers de yourtes des exilés ruraux, il n'y a rien de plus normal que d'entrer chez un inconnu sans s'annoncer pour y boire un thé au lait salé.
Ne vous attendez pas aux grandes effusions de politesse et de chaleur humaine qu'on retrouve dans d'autres pays à l'hospitalité débordante. Habitués à l'autosuffisance et à l'indépendance de la vie nomade, les Mongols vous accueillent dans leur humble demeure en vous présentant un tabouret, des friandises et du thé... avant de retourner vaquer à leurs occupations, jusqu'à ce que vous entamiez la discussion, malheureusement limitée par la barrière langagière.
Détrompez-vous. Vous êtes le bienvenu, vous ne dérangez pas. Sentez-vous comme chez vous. Vraiment. Non pas comme un invité, mais comme un membre de la famille, en aidant un peu, comme les autres.
Et puis l'heure du départ arrive. Pas de déchirante séparation. Vous repartez comme vous êtes arrivé, après les brèves salutations d'usage. Sans fausse promesse de retour.
En ressortant de la yourte, le choc est brutal. Vous n'êtes pas au milieu de la campagne, comme vous auriez pu le croire à voir la vache qui broute les rares herbes sur la terre aride. Vous êtes en pleine ville.
Pour conserver l'intimité offerte par la steppe infinie, les nomades sédentarisés ont, paradoxalement, tous clôturé leur terrain. Chacun habite dans son petit monde, limitant la vie de quartier aux échanges commerciaux. Étonnant, dans une société dominée par la pauvreté, que la solidarité de voisinage arrive si difficilement à se trouver une niche.
Capitalisme mongol
Retour au centre-ville, place Suükhbaatar, la place principale. Les yourtes ont cédé la place aux imposants édifices grisâtres. Le grand édifice vitré en face de vous semble sorti tout droit de Dubaï. En fait, il est surtout le symbole des petits échecs du capitalisme mongol. Presque terminé, il reste inoccupé et devra être démoli, en raison d'un problème de fondations.
Durant des siècles, les nomades ont vécu sans capitale fixe. Jusqu'à ce que les communistes, au pouvoir pendant plus de six décennies, lancent une première vraie vague d'urbanisation, sous l'influence du grand frère soviétique. En ne prenant pour critère que la beauté du paysage urbain, difficile de dire qu'ils ont réussi...
L'arrivée du capitalisme en 1990 aura vu l'éclosion de plusieurs petits commerces, et même de cafés et restaurants tenus par des Occidentaux, de passage en Mongolie avant d'y prendre femme, donc pays.
Les commerces mongols se spécialisent plutôt dans les produits du cachemire, le poil hivernal des chèvres qui fait la réputation internationale du pays dans l'industrie de la mode.
En vendant le fruit du travail des nomades, ils essaient de faire oublier la pollution de l'avenue de la Paix, artère principale de la ville, où plusieurs citadins se protègent de l'air vicié sous des masques chirurgicaux. Le voyageur, lui, devrait surtout se protéger des voleurs à la tire, dont l'appareil photo de l'auteur de ces lignes a failli être victime, en plein coeur de la ville en après-midi...
Passage obligé
Pour la plupart des visiteurs, Oulan-Bator est un passage obligé. Certains y arrivent après un long séjour dans le train transmongolien en partance de Moscou, via la Sibérie. C'est aussi le point de transit pour partir à la découverte de la steppe et de la vie nomade à cheval.
Les touristes convergent également à Oulan-Bator en juillet pour la grande fête nationale de Naadam, durant laquelle les Mongols se mesurent au tir à l'arc, à la course à chevaux et dans des compétitions de lutte mongole, toujours revêtus des costumes traditionnels.
Oulan-Bator est aussi un point de pèlerinage pour certains. Le monastère de Gandan, non loin du centre-ville, devient la porte d'entrée vers l'héritage bouddhiste mongol, en pleine résurgence. Il est l'un des seuls à avoir survécu à la répression de la religion sous le régime communiste.
Sous ses allures de capitale bancale d'un pays en développement, la mentalité libérale d'Oulan-Bator surprend et charme. Les traditions mongoles sont certes importantes, mais elles ne briment pas les aspirations à la modernité de la jeunesse. Lors de notre séjour, nous avons même pu assister à un spectacle de musique heavy metal donné par plusieurs groupes de la scène émergente mongole. C'est pour ce genre de moments de découverte qu'Oulan-Bator, malgré sa laideur et sa saleté de façade, mérite d'être découverte.
Oulan-Bator, Mongolie - L'air pur, la yourte plantée au milieu de nulle part, l'éleveur à cheval dirigeant son troupeau dans la steppe sans fin: ne cherchez pas le romantisme de la vie nomade mongole à Oulan-Bator, il ne s'y trouve pas. En revanche, le voyageur qui a le courage (ou l'obligation) de s'attarder dans la capitale polluée ne regrettera pas son plongeon dans les profondeurs de la fascinante culture mongole, entre bouddhisme, nomadisme, et... heavy metal.
Avant d'entrer dans une yourte, l'habitation ronde traditionnelle des nomades, on ne frappe pas. En campagne, comme en ville. La pratique peut être déroutante pour l'étranger, habitué au respect de la vie privée. Mais dans les faubourgs poussiéreux d'Oulan-Bator, où à perte de vue s'étendent à flanc de colline les milliers de yourtes des exilés ruraux, il n'y a rien de plus normal que d'entrer chez un inconnu sans s'annoncer pour y boire un thé au lait salé.
Ne vous attendez pas aux grandes effusions de politesse et de chaleur humaine qu'on retrouve dans d'autres pays à l'hospitalité débordante. Habitués à l'autosuffisance et à l'indépendance de la vie nomade, les Mongols vous accueillent dans leur humble demeure en vous présentant un tabouret, des friandises et du thé... avant de retourner vaquer à leurs occupations, jusqu'à ce que vous entamiez la discussion, malheureusement limitée par la barrière langagière.
Détrompez-vous. Vous êtes le bienvenu, vous ne dérangez pas. Sentez-vous comme chez vous. Vraiment. Non pas comme un invité, mais comme un membre de la famille, en aidant un peu, comme les autres.
Et puis l'heure du départ arrive. Pas de déchirante séparation. Vous repartez comme vous êtes arrivé, après les brèves salutations d'usage. Sans fausse promesse de retour.
En ressortant de la yourte, le choc est brutal. Vous n'êtes pas au milieu de la campagne, comme vous auriez pu le croire à voir la vache qui broute les rares herbes sur la terre aride. Vous êtes en pleine ville.
Pour conserver l'intimité offerte par la steppe infinie, les nomades sédentarisés ont, paradoxalement, tous clôturé leur terrain. Chacun habite dans son petit monde, limitant la vie de quartier aux échanges commerciaux. Étonnant, dans une société dominée par la pauvreté, que la solidarité de voisinage arrive si difficilement à se trouver une niche.
Capitalisme mongol
Retour au centre-ville, place Suükhbaatar, la place principale. Les yourtes ont cédé la place aux imposants édifices grisâtres. Le grand édifice vitré en face de vous semble sorti tout droit de Dubaï. En fait, il est surtout le symbole des petits échecs du capitalisme mongol. Presque terminé, il reste inoccupé et devra être démoli, en raison d'un problème de fondations.
Durant des siècles, les nomades ont vécu sans capitale fixe. Jusqu'à ce que les communistes, au pouvoir pendant plus de six décennies, lancent une première vraie vague d'urbanisation, sous l'influence du grand frère soviétique. En ne prenant pour critère que la beauté du paysage urbain, difficile de dire qu'ils ont réussi...
L'arrivée du capitalisme en 1990 aura vu l'éclosion de plusieurs petits commerces, et même de cafés et restaurants tenus par des Occidentaux, de passage en Mongolie avant d'y prendre femme, donc pays.
Les commerces mongols se spécialisent plutôt dans les produits du cachemire, le poil hivernal des chèvres qui fait la réputation internationale du pays dans l'industrie de la mode.
En vendant le fruit du travail des nomades, ils essaient de faire oublier la pollution de l'avenue de la Paix, artère principale de la ville, où plusieurs citadins se protègent de l'air vicié sous des masques chirurgicaux. Le voyageur, lui, devrait surtout se protéger des voleurs à la tire, dont l'appareil photo de l'auteur de ces lignes a failli être victime, en plein coeur de la ville en après-midi...
Passage obligé
Pour la plupart des visiteurs, Oulan-Bator est un passage obligé. Certains y arrivent après un long séjour dans le train transmongolien en partance de Moscou, via la Sibérie. C'est aussi le point de transit pour partir à la découverte de la steppe et de la vie nomade à cheval.
Les touristes convergent également à Oulan-Bator en juillet pour la grande fête nationale de Naadam, durant laquelle les Mongols se mesurent au tir à l'arc, à la course à chevaux et dans des compétitions de lutte mongole, toujours revêtus des costumes traditionnels.
Oulan-Bator est aussi un point de pèlerinage pour certains. Le monastère de Gandan, non loin du centre-ville, devient la porte d'entrée vers l'héritage bouddhiste mongol, en pleine résurgence. Il est l'un des seuls à avoir survécu à la répression de la religion sous le régime communiste.
Sous ses allures de capitale bancale d'un pays en développement, la mentalité libérale d'Oulan-Bator surprend et charme. Les traditions mongoles sont certes importantes, mais elles ne briment pas les aspirations à la modernité de la jeunesse. Lors de notre séjour, nous avons même pu assister à un spectacle de musique heavy metal donné par plusieurs groupes de la scène émergente mongole. C'est pour ce genre de moments de découverte qu'Oulan-Bator, malgré sa laideur et sa saleté de façade, mérite d'être découverte.
Le défi olympien de Sotchi
Dossier publié dans La Presse le 25 septembre 2010
SOTCHI - Sotchi est en train de relever un défi olympien. Prise de court il y a trois ans par l'obtention surprise des Jeux d'hiver de 2014, cette station balnéaire russe construit à la hâte son rêve olympique. Et rien ne peut arrêter le pouvoir russe, qui souhaite en mettre plein la vue au reste du monde. Ni une grève de la faim de citoyens expropriés. Ni les écolos qui crient au désastre écologique. Ni l'explosion des coûts qui vient de faire grimper la facture de quelques dizaines de milliards de dollars.
Sur la route principale de Krasnaïa Polyana, la poussière n'a jamais le temps de retomber. Des centaines de camions passent en trombe chaque jour pour transporter les matériaux nécessaires aux constructions olympiques.
"C'est peut-être temporaire, mais nous, nous n'habitons pas ici temporairement!" s'emporte Claudia, la cinquantaine. Habitante du village depuis toujours, elle s'indigne de voir la sérénité de Krasnaïa Polyana emportée par la vague olympique.
En 2014, c'est dans cette bourgade montagnarde à 60 km de Sotchi que se dérouleront toutes les épreuves de neige. La petite station de ski désuète déjà existante vivra désormais dans l'ombre de quatre grands complexes olympiques. Et les modestes maisons des villageois devront s'accoutumer aux imposants hôtels en construction.
"Je suis contre depuis le début. Tout le monde est contre, mais personne ne nous a demandé notre avis", souligne Claudia en transportant ses sacs d'épicerie. "Ils ont organisé ces Jeux simplement pour blanchir de l'argent!" lance-t-elle, énervée, avant de s'engouffrer dans sa voiture sans révéler son nom de famille.
Un peu plus loin, Vyatcheslav Soulimenko, 71 ans, assure être "pour le progrès", donc pour les JO. "Mais d'un autre côté, j'ai peur pour l'environnement. Ils ont abattu beaucoup d'arbres et des animaux ont fui", explique ce chasseur et guide touristique, en sirotant une bière en milieu d'après-midi sur un banc public.
Pas de jeux verts
"Nous aurions pu avoir des JO verts, comme les organisateurs avaient promis", croit de son côté Dmitri Kaptsov, militant de la Faction écologiste, une organisation environnementale locale. "Mais le projet s'est heurté à la réalité russe."
Selon lui, pour tenir des Jeux sans conséquence écologiques, la Russie aurait dû se préparer au moins quatre ou cinq ans avant de présenter sa candidature. Or, après le discours flamboyant de Vladimir Poutine en juillet 2007, le Comité international olympique a cru sur parole au projet cher à l'homme fort du pays... même si la ville candidate ne disposait à ce moment d'aucune des installations nécessaires à la tenue des Jeux.
Pris de court par leur victoire, les organisateurs n'ont pas pu mener toutes les expertises écologiques nécessaires pour minimiser les impacts, estime Dmitri Kaptsov. "Au lieu de respecter les lois, ils les changent. Si avant c'était un crime de couper certains arbres dans un secteur, maintenant, c'est totalement légal."
En 2007, les groupes verts ont réussi à faire déplacer la piste de bobsleigh projetée, qui aurait détruit l'habitat naturel de plusieurs animaux. Ce fut leur seule victoire. Après une brève collaboration, Greenpeace, WWF et la Faction écologiste ont tourné le dos à la société étatique responsable des travaux, Olympstroï.
"Il n'y a jamais eu autant d'attention consacrée à l'environnement dans un projet en Russie", affirme pour sa part Alexandra Kasterina, porte-parole d'Olympstroï. Elle indique que les dommages causés à l'environnement seront compensés par l'ajout de 20 000 hectares de forêt protégée au parc national près de Sotchi.
Pour les verts, la principale menace écologique touche la rivière Mzymta. Le long de ce cours d'eau sont actuellement construits en parallèle une route neuve et un chemin de fer pour lier l'aéroport aux sites olympiques de Krasnaïa Polyana. "La moitié de la ville de Sotchi s'y abreuve", s'inquiète Dmitri Kaptsov. Au coût mirobolant de 6,5 milliards, le projet prévoit notamment 23 ponts ferroviaires et six tunnels pour trains et automobiles.
Cette route et d'autres "imprévus" ont fait tripler la facture olympique. En juin, le ministère des Régions a estimé que les investissements privés et publics pour les 242 installations nécessaires à la tenue des Jeux totaliseraient 950 milliards de roubles, soit 31 milliards de dollars.
Les critiques du pouvoir montrent du doigt la corruption qui gangrène le pays pour expliquer en partie l'explosion des coûts. Un entrepreneur a notamment accusé un responsable de l'administration présidentielle d'avoir exigé 12% de la valeur d'un contrat en pots-de-vin. Le fonctionnaire a été démis de ses fonctions en août et fait face à des accusations criminelles.
Grève de la faim
Quant au site principal des Jeux, à quelques centaines de mètres de la mer Noire, les stades et arénas commencent à prendre forme. Au passage de La Presse il y a trois ans, les basses terres d'Imereti - comme les habitants appellent ce secteur parsemé de quelques villages à une quarantaine de kilomètres du centre-ville de Sotchi - n'étaient que champ de maïs entouré de quelques maisons.
De son jardin, Lioubov Fourssa a une vue prenante sur le squelette du futur palais de glace de 12 000 places, qui accueillera les compétitions de patinage de vitesse courte piste et de patinage artistique. Mais pas pour longtemps. D'ici décembre, elle devra quitter sa maison.
Elle fait partie de la centaine de familles expropriées par les autorités. Lorsque la ville a présenté sa candidature, elle assurait pourtant qu'aucun citoyen n'aurait à déménager.
Après une grève de la faim de 24 jours en mai, faute de recevoir la visite exigée du premier ministre Vladimir Poutine, Mme Fourssa et huit autres habitants ont pu rencontrer des responsables olympiques qui leur ont promis une meilleure compensation. Comme la plupart, elle a finalement accepté une maison flambant neuve quelques kilomètres plus loin, dans le village voisin de Nekrassovskoe.
La famille d'Alla Matioukha a fait la même chose. Et selon cette mère de trois enfants, les expropriés en ont eu pour leur argent. "Plusieurs familles n'avaient même pas de toilettes dans leur ancienne demeure", dit-elle.
Mme Matioukha croit qu'il aurait de toute façon été inutile d'opposer une résistance au rêve chéri par le premier ministre Poutine. "Les Jeux olympiques, c'est un projet d'État. Peu importe ce que nous aurions dit, on nous aurait déplacés", conclut-elle.
***
Sotchi: en attendant l'avenir
Le slogan imprimé sur le t-shirt le plus en vogue à Sotchi résume l'ambition de la ville: «Sochi: city of the future». Si la station balnéaire mise sur l'avenir, c'est parce que le passé soviétique y fait toujours de l'ombre au présent.
Sotchi voudrait être une ville internationale, mais les étrangers y demeurent une curiosité. Et pour cause. Même les Russes désertent de plus en plus la station balnéaire au climat subtropical, autrefois perle chérie de la mer Noire pour les Soviétiques, dont le dictateur Joseph Staline. Seuls le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine insistent pour conserver une résidence officielle dans la «capitale d'été» de la Russie.
Service à la russe
L'explication est simple: de Moscou, il est habituellement moins cher de s'envoler pour l'Égypte, ou la Turquie. Là-bas, l'hébergement et les repas sont meilleur marché et de meilleure qualité. Et surtout, le touriste russe n'a pas à y subir l'exécrable service à la clientèle de ses compatriotes...
C'est que malgré les milliards de dollars qui s'y investissent en prévision des JO de 2014, les traces d'architecture et de mentalité soviétiques peinent à disparaître à Sotchi.
En revanche, depuis la première visite de La Presse à Sotchi à l'été 2007, un mois après l'obtention-surprise des Jeux, la ville s'est indéniablement transformée pour le mieux.
Plusieurs édifices sont sortis de terre, les façades des immeubles d'habitation ont été rénovées aux frais - et aux conditions - de l'État, les systèmes électriques et ceux de canalisation ont été refaits. Et les Sotchinois sont unanimes sur le principal acquis de la préparation olympique: le développement des routes et leur élargissement, qui ont nécessité des prouesses urbanistiques.
***
Dans la bulle olympique
Si Sotchi demeure profondément soviétique, le touriste olympique ne devrait tout de même pas trop s'inquiéter. Les Jeux d'hiver de 2014 se dérouleront à l'abri des problèmes quotidiens de la ville. Dans une bulle olympique bien orchestrée.
Voici le scénario: arrivée des visiteurs et athlètes à l'aéroport flambant neuf, ouvert il y a quatre mois à peine. De là, un train allemand rapide et moderne les transporte en cinq minutes au stade et dans les arénas du Parc olympique des basses terres d'Imereti, à un jet de pierre de la plage. Direction les montagnes, toujours en train, on atteint en une demi-heure le village de Krasnaïa Polyana, site des compétitions de ski alpin, nordique et acrobatique et de la piste de bobsleigh.
Avec un peu de chance, l'hiver 2014 recouvrira le village et les sommets avoisinants d'un manteau blanc naturel. Ce n'était pas le cas la saison dernière, au moment où la colère déferlait sur les organisateurs des JO de Vancouver en raison de l'absence de neige...
Pas besoin de quitter les sites olympiques pour dormir non plus. Bien collées aux installations, 23 000 chambres d'hôtel sont prévues pour les touristes.
Les visiteurs les plus courageux oseront s'aventurer dans le centre-ville de Sotchi, à plus de 40 km des installations olympiques.
Là, à moins d'un miracle socio-économique d'ici quatre ans, ils y retrouveront la vraie vie russe. Dans les yeux d'une grand-mère qui cherche à écouler les produits de son jardin au coin d'une rue pour ajouter à sa maigre pension, ou dans la richesse clinquante reflétée dans la vitrine de la boutique Dior. Loin du vase clos olympique.
*** Sotchi
Population: 400 000 habitants.
Situation géographique: À environ 1200 km au sud-ouest de Moscou, la ville s'étend sur 150 kilomètres sur le bord de la mer Noire, à la même latitude que Toronto.
Superficie : 3790 km2.
Industries : Tourisme (4 millions de visiteurs par année) et santé (300 spas).
Foule attendue pour les jeux: 1 million de visiteurs et 5000 athlètes.
SOTCHI - Sotchi est en train de relever un défi olympien. Prise de court il y a trois ans par l'obtention surprise des Jeux d'hiver de 2014, cette station balnéaire russe construit à la hâte son rêve olympique. Et rien ne peut arrêter le pouvoir russe, qui souhaite en mettre plein la vue au reste du monde. Ni une grève de la faim de citoyens expropriés. Ni les écolos qui crient au désastre écologique. Ni l'explosion des coûts qui vient de faire grimper la facture de quelques dizaines de milliards de dollars.
Sur la route principale de Krasnaïa Polyana, la poussière n'a jamais le temps de retomber. Des centaines de camions passent en trombe chaque jour pour transporter les matériaux nécessaires aux constructions olympiques.
"C'est peut-être temporaire, mais nous, nous n'habitons pas ici temporairement!" s'emporte Claudia, la cinquantaine. Habitante du village depuis toujours, elle s'indigne de voir la sérénité de Krasnaïa Polyana emportée par la vague olympique.
En 2014, c'est dans cette bourgade montagnarde à 60 km de Sotchi que se dérouleront toutes les épreuves de neige. La petite station de ski désuète déjà existante vivra désormais dans l'ombre de quatre grands complexes olympiques. Et les modestes maisons des villageois devront s'accoutumer aux imposants hôtels en construction.
"Je suis contre depuis le début. Tout le monde est contre, mais personne ne nous a demandé notre avis", souligne Claudia en transportant ses sacs d'épicerie. "Ils ont organisé ces Jeux simplement pour blanchir de l'argent!" lance-t-elle, énervée, avant de s'engouffrer dans sa voiture sans révéler son nom de famille.
Un peu plus loin, Vyatcheslav Soulimenko, 71 ans, assure être "pour le progrès", donc pour les JO. "Mais d'un autre côté, j'ai peur pour l'environnement. Ils ont abattu beaucoup d'arbres et des animaux ont fui", explique ce chasseur et guide touristique, en sirotant une bière en milieu d'après-midi sur un banc public.
Pas de jeux verts
"Nous aurions pu avoir des JO verts, comme les organisateurs avaient promis", croit de son côté Dmitri Kaptsov, militant de la Faction écologiste, une organisation environnementale locale. "Mais le projet s'est heurté à la réalité russe."
Selon lui, pour tenir des Jeux sans conséquence écologiques, la Russie aurait dû se préparer au moins quatre ou cinq ans avant de présenter sa candidature. Or, après le discours flamboyant de Vladimir Poutine en juillet 2007, le Comité international olympique a cru sur parole au projet cher à l'homme fort du pays... même si la ville candidate ne disposait à ce moment d'aucune des installations nécessaires à la tenue des Jeux.
Pris de court par leur victoire, les organisateurs n'ont pas pu mener toutes les expertises écologiques nécessaires pour minimiser les impacts, estime Dmitri Kaptsov. "Au lieu de respecter les lois, ils les changent. Si avant c'était un crime de couper certains arbres dans un secteur, maintenant, c'est totalement légal."
En 2007, les groupes verts ont réussi à faire déplacer la piste de bobsleigh projetée, qui aurait détruit l'habitat naturel de plusieurs animaux. Ce fut leur seule victoire. Après une brève collaboration, Greenpeace, WWF et la Faction écologiste ont tourné le dos à la société étatique responsable des travaux, Olympstroï.
"Il n'y a jamais eu autant d'attention consacrée à l'environnement dans un projet en Russie", affirme pour sa part Alexandra Kasterina, porte-parole d'Olympstroï. Elle indique que les dommages causés à l'environnement seront compensés par l'ajout de 20 000 hectares de forêt protégée au parc national près de Sotchi.
Pour les verts, la principale menace écologique touche la rivière Mzymta. Le long de ce cours d'eau sont actuellement construits en parallèle une route neuve et un chemin de fer pour lier l'aéroport aux sites olympiques de Krasnaïa Polyana. "La moitié de la ville de Sotchi s'y abreuve", s'inquiète Dmitri Kaptsov. Au coût mirobolant de 6,5 milliards, le projet prévoit notamment 23 ponts ferroviaires et six tunnels pour trains et automobiles.
Cette route et d'autres "imprévus" ont fait tripler la facture olympique. En juin, le ministère des Régions a estimé que les investissements privés et publics pour les 242 installations nécessaires à la tenue des Jeux totaliseraient 950 milliards de roubles, soit 31 milliards de dollars.
Les critiques du pouvoir montrent du doigt la corruption qui gangrène le pays pour expliquer en partie l'explosion des coûts. Un entrepreneur a notamment accusé un responsable de l'administration présidentielle d'avoir exigé 12% de la valeur d'un contrat en pots-de-vin. Le fonctionnaire a été démis de ses fonctions en août et fait face à des accusations criminelles.
Grève de la faim
Quant au site principal des Jeux, à quelques centaines de mètres de la mer Noire, les stades et arénas commencent à prendre forme. Au passage de La Presse il y a trois ans, les basses terres d'Imereti - comme les habitants appellent ce secteur parsemé de quelques villages à une quarantaine de kilomètres du centre-ville de Sotchi - n'étaient que champ de maïs entouré de quelques maisons.
De son jardin, Lioubov Fourssa a une vue prenante sur le squelette du futur palais de glace de 12 000 places, qui accueillera les compétitions de patinage de vitesse courte piste et de patinage artistique. Mais pas pour longtemps. D'ici décembre, elle devra quitter sa maison.
Elle fait partie de la centaine de familles expropriées par les autorités. Lorsque la ville a présenté sa candidature, elle assurait pourtant qu'aucun citoyen n'aurait à déménager.
Après une grève de la faim de 24 jours en mai, faute de recevoir la visite exigée du premier ministre Vladimir Poutine, Mme Fourssa et huit autres habitants ont pu rencontrer des responsables olympiques qui leur ont promis une meilleure compensation. Comme la plupart, elle a finalement accepté une maison flambant neuve quelques kilomètres plus loin, dans le village voisin de Nekrassovskoe.
La famille d'Alla Matioukha a fait la même chose. Et selon cette mère de trois enfants, les expropriés en ont eu pour leur argent. "Plusieurs familles n'avaient même pas de toilettes dans leur ancienne demeure", dit-elle.
Mme Matioukha croit qu'il aurait de toute façon été inutile d'opposer une résistance au rêve chéri par le premier ministre Poutine. "Les Jeux olympiques, c'est un projet d'État. Peu importe ce que nous aurions dit, on nous aurait déplacés", conclut-elle.
***
Sotchi: en attendant l'avenir
Le slogan imprimé sur le t-shirt le plus en vogue à Sotchi résume l'ambition de la ville: «Sochi: city of the future». Si la station balnéaire mise sur l'avenir, c'est parce que le passé soviétique y fait toujours de l'ombre au présent.
Sotchi voudrait être une ville internationale, mais les étrangers y demeurent une curiosité. Et pour cause. Même les Russes désertent de plus en plus la station balnéaire au climat subtropical, autrefois perle chérie de la mer Noire pour les Soviétiques, dont le dictateur Joseph Staline. Seuls le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine insistent pour conserver une résidence officielle dans la «capitale d'été» de la Russie.
Service à la russe
L'explication est simple: de Moscou, il est habituellement moins cher de s'envoler pour l'Égypte, ou la Turquie. Là-bas, l'hébergement et les repas sont meilleur marché et de meilleure qualité. Et surtout, le touriste russe n'a pas à y subir l'exécrable service à la clientèle de ses compatriotes...
C'est que malgré les milliards de dollars qui s'y investissent en prévision des JO de 2014, les traces d'architecture et de mentalité soviétiques peinent à disparaître à Sotchi.
En revanche, depuis la première visite de La Presse à Sotchi à l'été 2007, un mois après l'obtention-surprise des Jeux, la ville s'est indéniablement transformée pour le mieux.
Plusieurs édifices sont sortis de terre, les façades des immeubles d'habitation ont été rénovées aux frais - et aux conditions - de l'État, les systèmes électriques et ceux de canalisation ont été refaits. Et les Sotchinois sont unanimes sur le principal acquis de la préparation olympique: le développement des routes et leur élargissement, qui ont nécessité des prouesses urbanistiques.
***
Dans la bulle olympique
Si Sotchi demeure profondément soviétique, le touriste olympique ne devrait tout de même pas trop s'inquiéter. Les Jeux d'hiver de 2014 se dérouleront à l'abri des problèmes quotidiens de la ville. Dans une bulle olympique bien orchestrée.
Voici le scénario: arrivée des visiteurs et athlètes à l'aéroport flambant neuf, ouvert il y a quatre mois à peine. De là, un train allemand rapide et moderne les transporte en cinq minutes au stade et dans les arénas du Parc olympique des basses terres d'Imereti, à un jet de pierre de la plage. Direction les montagnes, toujours en train, on atteint en une demi-heure le village de Krasnaïa Polyana, site des compétitions de ski alpin, nordique et acrobatique et de la piste de bobsleigh.
Avec un peu de chance, l'hiver 2014 recouvrira le village et les sommets avoisinants d'un manteau blanc naturel. Ce n'était pas le cas la saison dernière, au moment où la colère déferlait sur les organisateurs des JO de Vancouver en raison de l'absence de neige...
Pas besoin de quitter les sites olympiques pour dormir non plus. Bien collées aux installations, 23 000 chambres d'hôtel sont prévues pour les touristes.
Les visiteurs les plus courageux oseront s'aventurer dans le centre-ville de Sotchi, à plus de 40 km des installations olympiques.
Là, à moins d'un miracle socio-économique d'ici quatre ans, ils y retrouveront la vraie vie russe. Dans les yeux d'une grand-mère qui cherche à écouler les produits de son jardin au coin d'une rue pour ajouter à sa maigre pension, ou dans la richesse clinquante reflétée dans la vitrine de la boutique Dior. Loin du vase clos olympique.
*** Sotchi
Population: 400 000 habitants.
Situation géographique: À environ 1200 km au sud-ouest de Moscou, la ville s'étend sur 150 kilomètres sur le bord de la mer Noire, à la même latitude que Toronto.
Superficie : 3790 km2.
Industries : Tourisme (4 millions de visiteurs par année) et santé (300 spas).
Foule attendue pour les jeux: 1 million de visiteurs et 5000 athlètes.
Échecs et Mars
Article publié dans La Presse le 24 septembre 2010
MOSCOU - Il affirme avoir été enlevé par des extraterrestres et est soupçonné d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste. Kirsan Ilioumjinov président excentrique d'une petite république de Russie est à la tête de la Fédération internationale d'échecs depuis 15 ans. Mercredi prochain, il pourrait être mis échec et mat par un ex-champion du monde.
La vraie bataille, à Khanti-Mansiïsk, se déroule à l'ombre des échiquiers. Dans cette petite ville pétrolière de Sibérie occidentale, alors que les grands maîtres se disputent cette semaine les honneurs des 39es Olympiades mondiales d'échecs, deux hommes jouent leur partie dans les coulisses.
Et tous les coups sont permis pour obtenir le grand prix: la présidence de la Fédération internationale d'échecs (FIDE).
La récompense peut sembler banale pour le commun des mortels. Mais pas pour l'excentrique président sortant Kirsan Ilioumjinov, qui croit que les échecs, ce «jeu cosmique» offert aux humains par les extraterrestres, sauveront le monde de l'Apocalypse...
Ni pour Anatoli Karpov, légende soviétique des échecs, qui estime que la comédie Ilioumjinov a assez duré.
Depuis des mois, les deux Russes font campagne autour du monde pour amasser les appuis des fédérations nationales. Karpov peut compter sur le vote de grands pays comme la France, l'Allemagne et les États-Unis.
Mais dans cette partie, tous les pions ont valeur égale. Et son adversaire est soutenu par les fédérations de plusieurs micro-États et pays en développement, auxquelles il aurait promis une aide. Avantage Ilioumjinov.
Anatoli Karpov a accusé le président sortant d'avoir transformé la FIDE en une «organisation corrompue» durant ses 15 ans de règne. Corrompue, comme la petite république bouddhiste de Kalmoukie, dans le Caucase russe, que dirige sans partage Ilioumjinov depuis 1993.
Justement, le mois prochain, il quittera la politique. Le millionnaire de 48 ans, qui a fait fortune lors du boom automobile postsoviétique, compte se consacrer entièrement au développement de son sport favori et à la paix dans le monde.
L'un de ses projets: un centre mondial d'échecs de 24 étages en forme de pièce de roi à Ground Zero. En plus des salles de jeu, l'édifice abriterait des temples des principales religions monothéistes.
Durant ses 17 ans à la tête de la Kalmoukie, Kirsan Ilioumjinov a fait des échecs une matière obligatoire dans les écoles de sa république de 300 000 habitants. Il a aussi fait construire City-Chess, un luxueux complexe échiquéen qui accueille régulièrement des tournois internationaux.
Avec les extraterrestres
Ses détracteurs le soupçonnent d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste d'opposition en 1998, pour lequel l'un de ses proches collaborateurs a été condamné. Par ailleurs, son récit d'un voyage avec des extraterrestres en 1997, sur lequel il revient sans gêne, a consterné plusieurs politiciens russes.
En dépit de son excentricité, Ilioumjinov a su survivre longtemps aux changements politiques en Russie. En récompense de sa loyauté sans faille au pouvoir, sa candidature à la FIDE a reçu l'appui de la fédération d'échecs russe, dont le vice-président est un conseiller du chef de l'État Dmitri Medvedev.
Quant aux accusations pour corruption, Ilioumjinov y a réagi par une poursuite en diffamation contre Anatoli Karpov. Selon lui, le champion mondial de 1975 n'est de toute façon plus qu'un «joueur vieillissant» qui ne peut accepter d'avoir perdu l'attention du public.
MOSCOU - Il affirme avoir été enlevé par des extraterrestres et est soupçonné d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste. Kirsan Ilioumjinov président excentrique d'une petite république de Russie est à la tête de la Fédération internationale d'échecs depuis 15 ans. Mercredi prochain, il pourrait être mis échec et mat par un ex-champion du monde.
La vraie bataille, à Khanti-Mansiïsk, se déroule à l'ombre des échiquiers. Dans cette petite ville pétrolière de Sibérie occidentale, alors que les grands maîtres se disputent cette semaine les honneurs des 39es Olympiades mondiales d'échecs, deux hommes jouent leur partie dans les coulisses.
Et tous les coups sont permis pour obtenir le grand prix: la présidence de la Fédération internationale d'échecs (FIDE).
La récompense peut sembler banale pour le commun des mortels. Mais pas pour l'excentrique président sortant Kirsan Ilioumjinov, qui croit que les échecs, ce «jeu cosmique» offert aux humains par les extraterrestres, sauveront le monde de l'Apocalypse...
Ni pour Anatoli Karpov, légende soviétique des échecs, qui estime que la comédie Ilioumjinov a assez duré.
Depuis des mois, les deux Russes font campagne autour du monde pour amasser les appuis des fédérations nationales. Karpov peut compter sur le vote de grands pays comme la France, l'Allemagne et les États-Unis.
Mais dans cette partie, tous les pions ont valeur égale. Et son adversaire est soutenu par les fédérations de plusieurs micro-États et pays en développement, auxquelles il aurait promis une aide. Avantage Ilioumjinov.
Anatoli Karpov a accusé le président sortant d'avoir transformé la FIDE en une «organisation corrompue» durant ses 15 ans de règne. Corrompue, comme la petite république bouddhiste de Kalmoukie, dans le Caucase russe, que dirige sans partage Ilioumjinov depuis 1993.
Justement, le mois prochain, il quittera la politique. Le millionnaire de 48 ans, qui a fait fortune lors du boom automobile postsoviétique, compte se consacrer entièrement au développement de son sport favori et à la paix dans le monde.
L'un de ses projets: un centre mondial d'échecs de 24 étages en forme de pièce de roi à Ground Zero. En plus des salles de jeu, l'édifice abriterait des temples des principales religions monothéistes.
Durant ses 17 ans à la tête de la Kalmoukie, Kirsan Ilioumjinov a fait des échecs une matière obligatoire dans les écoles de sa république de 300 000 habitants. Il a aussi fait construire City-Chess, un luxueux complexe échiquéen qui accueille régulièrement des tournois internationaux.
Avec les extraterrestres
Ses détracteurs le soupçonnent d'avoir commandité le meurtre d'une journaliste d'opposition en 1998, pour lequel l'un de ses proches collaborateurs a été condamné. Par ailleurs, son récit d'un voyage avec des extraterrestres en 1997, sur lequel il revient sans gêne, a consterné plusieurs politiciens russes.
En dépit de son excentricité, Ilioumjinov a su survivre longtemps aux changements politiques en Russie. En récompense de sa loyauté sans faille au pouvoir, sa candidature à la FIDE a reçu l'appui de la fédération d'échecs russe, dont le vice-président est un conseiller du chef de l'État Dmitri Medvedev.
Quant aux accusations pour corruption, Ilioumjinov y a réagi par une poursuite en diffamation contre Anatoli Karpov. Selon lui, le champion mondial de 1975 n'est de toute façon plus qu'un «joueur vieillissant» qui ne peut accepter d'avoir perdu l'attention du public.
Dmitri Medvedev limoge le maire de Moscou
Article publié dans La Presse le 28 septembre 2010
La plus grande bataille politique des 10 dernières années en Russie a pris fin hier. Le puissant maire de Moscou Iouri Loujkov a été limogé par le président Dmitri Medvedev, dont il avait «perdu la confiance». Ce ne sont pas les accusations de corruption et de mauvaise gestion qui auront eu raison de l'extravagant magistrat... mais le fait qu'il ait osé critiquer le chef de l'État, explique notre collaborateur.
Moscou - En arrivant à son bureau hier matin, Iouri Loujkov a appris qu'il n'était plus maire de la capitale depuis quelques minutes. Le président Dmitri Medvedev venait de publier sur son site internet sa lettre de congédiement. Avec effet immédiat.
Le premier magistrat de la capitale de 10 millions d'habitants aurait pourtant dû s'y attendre. Depuis trois semaines, il n'était plus dans les bonnes grâces du chef de l'État.
En cause: un article signé de sa main dans lequel il critiquait de manière à peine voilée le leadership de Medvedev, insinuant qu'il préférait celui du premier ministre Vladimir Poutine, ancien président et toujours homme fort du pays.
S'ensuivit une campagne médiatique pour le discréditer. Après des années de silence télévisuel sur ses présumées malversations, les chaînes contrôlées par le Kremlin ont rivalisé d'originalité pour noircir l'image du coloré maire: corruption, négligence, favoritisme envers sa femme entrepreneure devenue milliardaire durant les 18 ans de règne de son mari... Tous les coups étaient permis.
La semaine dernière, en accord avec le Kremlin, Iouri Loujkov est allé réfléchir sur son avenir en Autriche où il se retrouvait officiellement en famille pour célébrer son 74e anniversaire. À son retour au travail lundi, tous les observateurs s'attendaient à sa démission. Mais le politicien acharné n'en démordait pas: il ne quitterait pas son poste de son propre chef.
Poursuites en vue?
Pour la première fois en deux ans de présidence, Medvedev a donc eu à renvoyer un dirigeant régional récalcitrant. La loi le lui permet entièrement depuis l'abolition des élections des gouverneurs par son prédécesseur Poutine en 2004. Au cours des derniers mois, tous les autres dinosaures régionaux avaient choisi de quitter «volontairement» le pouvoir, en échange d'un poste symbolique ou d'une retraite dorée à l'abri de la justice.
La question que se pose désormais le Tout-Moscou: après cet affront au président, le système judiciaire russe «redécouvrirait»-il soudainement les malversations de l'ère Loujkov?
Une chose est certaine, le maire déchu ne pourra pas compter sur Vladimir Poutine pour tempérer un chef de l'État blessé dans son orgueil. Hier, le premier ministre a fait savoir qu'il appuyait entièrement la décision présidentielle.
Quelques noms circulent pour remplacer Iouri Loujkov. On sait déjà que le prochain maire de la capitale sera plus docile que son bouillant prédécesseur: tous les candidats doivent leur carrière politique au tandem Poutine-Medvedev.
La plus grande bataille politique des 10 dernières années en Russie a pris fin hier. Le puissant maire de Moscou Iouri Loujkov a été limogé par le président Dmitri Medvedev, dont il avait «perdu la confiance». Ce ne sont pas les accusations de corruption et de mauvaise gestion qui auront eu raison de l'extravagant magistrat... mais le fait qu'il ait osé critiquer le chef de l'État, explique notre collaborateur.
Moscou - En arrivant à son bureau hier matin, Iouri Loujkov a appris qu'il n'était plus maire de la capitale depuis quelques minutes. Le président Dmitri Medvedev venait de publier sur son site internet sa lettre de congédiement. Avec effet immédiat.
Le premier magistrat de la capitale de 10 millions d'habitants aurait pourtant dû s'y attendre. Depuis trois semaines, il n'était plus dans les bonnes grâces du chef de l'État.
En cause: un article signé de sa main dans lequel il critiquait de manière à peine voilée le leadership de Medvedev, insinuant qu'il préférait celui du premier ministre Vladimir Poutine, ancien président et toujours homme fort du pays.
S'ensuivit une campagne médiatique pour le discréditer. Après des années de silence télévisuel sur ses présumées malversations, les chaînes contrôlées par le Kremlin ont rivalisé d'originalité pour noircir l'image du coloré maire: corruption, négligence, favoritisme envers sa femme entrepreneure devenue milliardaire durant les 18 ans de règne de son mari... Tous les coups étaient permis.
La semaine dernière, en accord avec le Kremlin, Iouri Loujkov est allé réfléchir sur son avenir en Autriche où il se retrouvait officiellement en famille pour célébrer son 74e anniversaire. À son retour au travail lundi, tous les observateurs s'attendaient à sa démission. Mais le politicien acharné n'en démordait pas: il ne quitterait pas son poste de son propre chef.
Poursuites en vue?
Pour la première fois en deux ans de présidence, Medvedev a donc eu à renvoyer un dirigeant régional récalcitrant. La loi le lui permet entièrement depuis l'abolition des élections des gouverneurs par son prédécesseur Poutine en 2004. Au cours des derniers mois, tous les autres dinosaures régionaux avaient choisi de quitter «volontairement» le pouvoir, en échange d'un poste symbolique ou d'une retraite dorée à l'abri de la justice.
La question que se pose désormais le Tout-Moscou: après cet affront au président, le système judiciaire russe «redécouvrirait»-il soudainement les malversations de l'ère Loujkov?
Une chose est certaine, le maire déchu ne pourra pas compter sur Vladimir Poutine pour tempérer un chef de l'État blessé dans son orgueil. Hier, le premier ministre a fait savoir qu'il appuyait entièrement la décision présidentielle.
Quelques noms circulent pour remplacer Iouri Loujkov. On sait déjà que le prochain maire de la capitale sera plus docile que son bouillant prédécesseur: tous les candidats doivent leur carrière politique au tandem Poutine-Medvedev.
Lawrence Cannon à Moscou: "Nous n'avons pas du tout l'intention de militariser l'Arctique"
Article publié dans La Presse le 17 septembre 2010
Moscou - En visite officielle à Moscou, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lawrence Cannon, a défendu la souveraineté canadienne dans l'Arctique, hier, mais a catégoriquement refusé de parler de "militarisation" de la région.
"Nous n'avons pas du tout l'intention de militariser l'Arctique", a-t-il dit en conférence de presse, accompagné de son homologue russe, Sergueï Lavrov.
Paradoxalement, le ministre Cannon a enchaîné en soulignant que le Canada exercera sa souveraineté en Arctique "d'abord par une présence robuste des Forces canadiennes et des équipements qui doivent nécessairement entourer leur présence".
Au mois d'août, quand le gouvernement conservateur a dévoilé sa politique sur l'Arctique, il avait affirmé que la souveraineté canadienne y remonte "à très loin", qu'elle est "bien établie et basée sur notre droit de propriété historique". Or, elle n'a jamais été reconnue internationalement.
Preuves à l'ONU
D'ici à 2013, le Canada compte présenter à la commission responsable de l'application de la convention des Nations unies sur le droit de la mer les preuves que la dorsale de Lomonossov est le prolongement du territoire canadien. "Nous croyons que notre dossier prévaudra, avec le soutien de preuves scientifiques", a déclaré hier le ministre Cannon.
Mais, sur ce point, la Russie a déjà une longueur d'avance. En 2001, elle a déposé de premières études au soutien de la thèse du rattachement de ces montagnes sous-marines au continent eurasien. Elles n'avaient été ni rejetées ni acceptées. Depuis, les Russes étayent leur dossier.
Le Danemark aussi s'est mis de la partie et cherche à faire reconnaître la dorsale comme la continuité du Groenland.
L'attrait pour l'Arctique s'est accru depuis quelques années, la fonte de la calotte glaciaire rendant plus accessibles des gisements d'hydrocarbure qui pourraient représenter 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz naturel non découvertes du globe. Les États-Unis et la Norvège y ont également des revendications territoriales.
Ottawa n'inquiète pas Moscou
Le ministre des Affaires étrangères de la Russie n'a pas semblé trop s'inquiéter de la position canadienne, hier. "Toute revendication doit être basée sur des faits scientifiques que la commission examinera. C'est là que l'on décidera qui a raison et qui a tort", a déclaré Sergueï Lavrov.
Même si la Russie déploie elle aussi des troupes en Arctique, on ne peut parler de militarisation du territoire, selon lui: "Le Canada et la Russie ont bien sûr une responsabilité à l'égard de la sécurité de leurs frontières et des voies maritimes qui passent près de ces frontières. Et nous allons naturellement remplir cette responsabilité par des gestes pratiques."
"Nous ne voyons pas quel pourrait être l'apport de l'OTAN dans l'Arctique", a ajouté le ministre Lavrov, sans plus de détail.
Le Canada intercepte régulièrement des bombardiers russes qui s'approchent de son territoire aérien dans le Grand Nord. Au mois d'août, au cours d'une visite en Arctique où il était allé observer le déroulement d'exercices militaires de plus en plus imposants chaque année, le premier ministre Stephen Harper s'était d'ailleurs servi d'un incident du genre pour justifier l'achat de 65 chasseurs furtifs qu'il venait d'annoncer, au coût de 16 milliards de dollars.
Moscou - En visite officielle à Moscou, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lawrence Cannon, a défendu la souveraineté canadienne dans l'Arctique, hier, mais a catégoriquement refusé de parler de "militarisation" de la région.
"Nous n'avons pas du tout l'intention de militariser l'Arctique", a-t-il dit en conférence de presse, accompagné de son homologue russe, Sergueï Lavrov.
Paradoxalement, le ministre Cannon a enchaîné en soulignant que le Canada exercera sa souveraineté en Arctique "d'abord par une présence robuste des Forces canadiennes et des équipements qui doivent nécessairement entourer leur présence".
Au mois d'août, quand le gouvernement conservateur a dévoilé sa politique sur l'Arctique, il avait affirmé que la souveraineté canadienne y remonte "à très loin", qu'elle est "bien établie et basée sur notre droit de propriété historique". Or, elle n'a jamais été reconnue internationalement.
Preuves à l'ONU
D'ici à 2013, le Canada compte présenter à la commission responsable de l'application de la convention des Nations unies sur le droit de la mer les preuves que la dorsale de Lomonossov est le prolongement du territoire canadien. "Nous croyons que notre dossier prévaudra, avec le soutien de preuves scientifiques", a déclaré hier le ministre Cannon.
Mais, sur ce point, la Russie a déjà une longueur d'avance. En 2001, elle a déposé de premières études au soutien de la thèse du rattachement de ces montagnes sous-marines au continent eurasien. Elles n'avaient été ni rejetées ni acceptées. Depuis, les Russes étayent leur dossier.
Le Danemark aussi s'est mis de la partie et cherche à faire reconnaître la dorsale comme la continuité du Groenland.
L'attrait pour l'Arctique s'est accru depuis quelques années, la fonte de la calotte glaciaire rendant plus accessibles des gisements d'hydrocarbure qui pourraient représenter 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz naturel non découvertes du globe. Les États-Unis et la Norvège y ont également des revendications territoriales.
Ottawa n'inquiète pas Moscou
Le ministre des Affaires étrangères de la Russie n'a pas semblé trop s'inquiéter de la position canadienne, hier. "Toute revendication doit être basée sur des faits scientifiques que la commission examinera. C'est là que l'on décidera qui a raison et qui a tort", a déclaré Sergueï Lavrov.
Même si la Russie déploie elle aussi des troupes en Arctique, on ne peut parler de militarisation du territoire, selon lui: "Le Canada et la Russie ont bien sûr une responsabilité à l'égard de la sécurité de leurs frontières et des voies maritimes qui passent près de ces frontières. Et nous allons naturellement remplir cette responsabilité par des gestes pratiques."
"Nous ne voyons pas quel pourrait être l'apport de l'OTAN dans l'Arctique", a ajouté le ministre Lavrov, sans plus de détail.
Le Canada intercepte régulièrement des bombardiers russes qui s'approchent de son territoire aérien dans le Grand Nord. Au mois d'août, au cours d'une visite en Arctique où il était allé observer le déroulement d'exercices militaires de plus en plus imposants chaque année, le premier ministre Stephen Harper s'était d'ailleurs servi d'un incident du genre pour justifier l'achat de 65 chasseurs furtifs qu'il venait d'annoncer, au coût de 16 milliards de dollars.
Le maire de Moscou dans la mire du Kremlin
Article publié le 13 septembre dans le journal La Presse
Les jours du puissant maire de Moscou à la tête de la capitale russe sont comptés. En voulant semer la zizanie entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine, Iouri Loujkov a récolté leur colère. Pour le discréditer, le Kremlin s'est lancé dans une fronde médiatique sans précédent.
Moscou - «Moscou étouffait dans la fumée alors que son maire sauvait ses abeilles?» demande le narrateur d'un ton grave. C'est le genre de critique que Iouri Loukjov n'avait pas essuyée depuis plus d'une décennie à la télé russe. Mais depuis la semaine dernière, les «enquêtes» compromettantes à l'endroit du maire de Moscou inondent les chaînes fédérales, minutieusement contrôlées par le Kremlin.
Vendredi, NTV a ouvert le bal. La chaîne, propriété du géant gazier d'État Gazprom, a diffusé un documentaire intitulé «L'affaire est dans la casquette», en référence au couvre-chef distinctif du maire.
Le reportage accusait notamment Loujkov d'avoir laissé tomber ses concitoyens durant les incendies de forêt de cet été. Alors que sa ville était asphyxiée par la fumée, il avait attendu plusieurs jours avant d'interrompre ses vacances à l'étranger.
À son retour, note le narrateur, le maire a débloqué 105 millions de roubles (3,5 millions de dollars) pour les soins aux victimes des incendies et 256 millions... pour ceux des abeilles. L'apiculture est le passe-temps préféré du coloré maire.
Le reportage «révélait» aussi que la fortune accumulée par son épouse (2,9 milliards selon Forbes), reine de l'immobilier moscovite, n'était pas étrangère aux fonctions de son mari...
Les accusations de corruption et de mauvaise gestion à l'endroit de Loujkov ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles trouvent leur voie jusqu'aux ondes hertziennes.
En 18 ans à la tête de la capitale, Iouri Loujkov a su naviguer à travers les changements de garde au Kremlin pour conserver le contrôle de sa mégapole de 10 millions d'habitants.
Lettre ouverte
Mais mercredi dernier, il a commis l'impardonnable. Dans une lettre ouverte, le maire a critiqué de façon à peine voilée la décision du président Medvedev d'interrompre la construction d'un tronçon d'autoroute à la demande des écologistes. Il y laissait entendre que la méthode autoritaire de Poutine, qui est plutôt favorable à la poursuite des travaux, est meilleure pour régler les problèmes du pays que celle du chef de l'État, plus enclin au compromis.
À la suite de la publication, une source anonyme au Kremlin a indiqué à l'agence Interfax que l'attaque «ne resterait pas sans réaction appropriée». Depuis, les documentaires-chocs pullulent.
Iouri Loujkov assurait encore vendredi qu'il n'avait aucune raison de quitter ses fonctions avant la fin de son cinquième mandat en 2011.
Légalement, Dmitri Medvedev peut renvoyer le maire à sa guise. Mais il doit tout d'abord lui trouver un successeur, et aucun nom ne semble faire l'unanimité actuellement dans les coulisses du Kremlin. En attendant, la propagande se charge de descendre en flamme le maire de 73 ans, qui a osé choisir la confrontation.
Les jours du puissant maire de Moscou à la tête de la capitale russe sont comptés. En voulant semer la zizanie entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine, Iouri Loujkov a récolté leur colère. Pour le discréditer, le Kremlin s'est lancé dans une fronde médiatique sans précédent.
Moscou - «Moscou étouffait dans la fumée alors que son maire sauvait ses abeilles?» demande le narrateur d'un ton grave. C'est le genre de critique que Iouri Loukjov n'avait pas essuyée depuis plus d'une décennie à la télé russe. Mais depuis la semaine dernière, les «enquêtes» compromettantes à l'endroit du maire de Moscou inondent les chaînes fédérales, minutieusement contrôlées par le Kremlin.
Vendredi, NTV a ouvert le bal. La chaîne, propriété du géant gazier d'État Gazprom, a diffusé un documentaire intitulé «L'affaire est dans la casquette», en référence au couvre-chef distinctif du maire.
Le reportage accusait notamment Loujkov d'avoir laissé tomber ses concitoyens durant les incendies de forêt de cet été. Alors que sa ville était asphyxiée par la fumée, il avait attendu plusieurs jours avant d'interrompre ses vacances à l'étranger.
À son retour, note le narrateur, le maire a débloqué 105 millions de roubles (3,5 millions de dollars) pour les soins aux victimes des incendies et 256 millions... pour ceux des abeilles. L'apiculture est le passe-temps préféré du coloré maire.
Le reportage «révélait» aussi que la fortune accumulée par son épouse (2,9 milliards selon Forbes), reine de l'immobilier moscovite, n'était pas étrangère aux fonctions de son mari...
Les accusations de corruption et de mauvaise gestion à l'endroit de Loujkov ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c'est qu'elles trouvent leur voie jusqu'aux ondes hertziennes.
En 18 ans à la tête de la capitale, Iouri Loujkov a su naviguer à travers les changements de garde au Kremlin pour conserver le contrôle de sa mégapole de 10 millions d'habitants.
Lettre ouverte
Mais mercredi dernier, il a commis l'impardonnable. Dans une lettre ouverte, le maire a critiqué de façon à peine voilée la décision du président Medvedev d'interrompre la construction d'un tronçon d'autoroute à la demande des écologistes. Il y laissait entendre que la méthode autoritaire de Poutine, qui est plutôt favorable à la poursuite des travaux, est meilleure pour régler les problèmes du pays que celle du chef de l'État, plus enclin au compromis.
À la suite de la publication, une source anonyme au Kremlin a indiqué à l'agence Interfax que l'attaque «ne resterait pas sans réaction appropriée». Depuis, les documentaires-chocs pullulent.
Iouri Loujkov assurait encore vendredi qu'il n'avait aucune raison de quitter ses fonctions avant la fin de son cinquième mandat en 2011.
Légalement, Dmitri Medvedev peut renvoyer le maire à sa guise. Mais il doit tout d'abord lui trouver un successeur, et aucun nom ne semble faire l'unanimité actuellement dans les coulisses du Kremlin. En attendant, la propagande se charge de descendre en flamme le maire de 73 ans, qui a osé choisir la confrontation.
Abkhazie: un «pays» en mode séduction
Article publié dans les journaux La Presse, Le Soir et La Croix en août-septembre 2010
Fin août, la Russie a annoncé avoir déployé en Abkhazie des missiles pointés vers la très pro-occidentale Géorgie. L'Abkhazie? Officiellement, il s'agit d'une région géorgienne. Or, ce territoire prétend être une nation indépendante. Moscou l'a reconnu il y a deux ans presque jour pour jour.
C'est une journée d'été habituelle au poste frontière russo-abkhaze de Psaou. Côté russe, les marchands transfrontaliers abkhazes poussent leurs vieux chariots rouillés remplis de melons vers les cinq guichets de contrôle des passeports. Quelques dizaines de touristes russes en tongs traînent leurs valises à roulettes et cherchent à dépasser les commerçants. Le ton monte. « Nous allons à la mer, nous ! », lance une Russe, irritée par la longue attente, dans la chaleur insoutenable qui étouffe toute la région depuis des semaines. Côté abkhaze, la douane est en revanche affaire de quelques secondes. Tous ceux qui viennent de Russie sont les bienvenus !
Les 100 km sinueux qui séparent la frontière de la capitale, Soukhoum, se roulent tantôt sur une route neuve, gracieuseté de la Russie, tantôt sur de l'asphalte morcelé datant d'avant la chute de l'URSS. À l'époque, l'Abkhazie et ses 213 km de front maritime sur la mer Noire étaient le paradis du tourisme soviétique. Aujourd'hui, 99% des quelque 800 000 vacanciers qu'elle accueille chaque année sont russes.
Soukhoum. Ou Soukhoumi, en géorgien, puisque hormis pour la Russie, le Venezuela, le Nicaragua et la microscopique île de Nauru, l'Abkhazie demeure légalement une région géorgienne.
Il y a deux ans encore, la capitale de quelque 50 000 habitants ne comptait qu'un seul feu de circulation. Aujourd'hui, on en dénombre quelques dizaines flambant neufs. Plusieurs édifices portent toujours les cicatrices de la sanglante guerre de sécession de 1992-1993 contre la Géorgie, qui a fait 13 000 morts. Mais de nouveaux immeubles commencent peu à peu à sortir de terre.
"Merci à la Russie!"
Avenue de la Paix, des personnes âgées attendent devant une banque le signal du gardien de sécurité pour aller encaisser les 500 roubles (17$) de pension que leur verse l'Abkhazie. "Merci à la Russie! Sans elle, nous n'aurions que cela!" lance Lioudmila, 68 ans, médecin à la retraite, qui continue à enseigner à l'université et à soigner à l'hôpital. Plus tard, elle ira dans une autre banque récolter les 2900 roubles offerts par l'État russe.
C'est que, comme plus de 90% des Abkhazes, Lioudmila a facilement obtenu la nationalité russe au début des années 2000. Si la Russie ne considérait pas à l'époque les régions séparatistes géorgiennes comme des pays, elle était déjà dans les faits leur respirateur artificiel. En reconnaissant l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, le 26 août 2008, le président russe Dmitri Medvedev a simplement officialisé les relations.
Moins de 24 heures après notre demande d'entrevue, le président abkhaze, Serguei Bagapch, nous reçoit dans son bureau présidentiel. L'Abkhazie, en mal de reconnaissance, est en mode séduction.
"Nous n'avons pas l'intention de supplier quiconque de nous reconnaître", précise toutefois le président, en poste depuis 2004. "Le plus important, c'est de construire un État de droit, démocratique, respectable, pour que la communauté internationale comprenne que nous voulons la paix et la stabilité, non la guerre, et donc qu'il faut nous reconnaître."
Le fait que la Cour internationale de justice ait validé, le 22 juillet dernier, la légalité de l'indépendance du Kosovo, reconnue par 69 États, ne changera rien pour son "pays", estime Serguei Bagapch. "Mais cela démontre encore une fois que la décision de la Russie de reconnaître l'Abkhazie était tout à fait juste."
Protégés en cas de guerre
Pour le président, la sauvegarde de l'indépendance passera par le développement économique, principalement du tourisme et de l'agriculture, l'Abkhazie étant un gros producteur d'agrumes. Mais, paradoxalement, tout dépend de l'argent russe.
Cette année, l'aide de la Russie viendra presque doubler le maigre budget abkhaze, d'environ 135 millions de dollars. En comptant les services fournis aux citoyens russes d'Abkhazie, elle le triple.
Autre paradoxe, la présence militaire russe en Abkhazie assure l'indépendance de la république, croit Serguei Bagapch. Elle dissuade le président de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, de chercher à reprendre par la force les territoires séparatistes, comme lors de la guerre éclair d'août 2008 en Ossétie du Sud.
Et c'est là que repose le principal acquis de ce conflit, estime le président abkhaze. Après des années d'incertitude, "les gens sentent maintenant que la paix est arrivée, qu'ils peuvent eux-mêmes décider de leur sort".
La retraitée Lioudmila confirme: "Nous savons que, s'il y a une guerre avec la Géorgie, les Russes seront là pour nous défendre."
Des Géorgiens laissés pour compte
Dans le sud-est de l'Abkhazie, peuplé en majorité de Géorgiens, on voit la situation d'un oeil différent.
La route pour se rendre à Gali est aussi délabrée et déprimante que la ville elle-même. Lors de la guerre de 1992-1993, la majorité des habitants se sont réfugiés en Géorgie, de peur des représailles des séparatistes abkhazes.
Depuis, rien n'a été reconstruit, et la ville est désormais trop grande pour sa population de quelques milliers de personnes, soit celle d'un gros village.
Ici, la plupart des habitants possèdent en secret la nationalité géorgienne en plus de l'abkhaze. Certains ont aussi un passeport russe, pour avoir droit aux services. L'enseignement en géorgien étant interdit, plusieurs parents envoient leurs enfants à l'école de l'autre côté de la "frontière".
Dans un café, des soldats russes commandent une bouteille de vodka. À leur vue, des hommes grommellent à voix basse en géorgien.
À l'entrée de Gali trône un portrait géant du président Bagapch, comme pour narguer les hommes recyclés en chauffeurs de taxi qui attendent à ses pieds d'improbables clients. Les langues mettent du temps à se délier. "En 20 ans, ils n'ont même pas réussi à refaire la route!" se plaint enfin Gouram, la cinquantaine bedonnante, après une longue apologie ironique de l'Abkhazie indépendante.
"Avant, la ville était animée, les gens se baladaient, se rappelle-t-il. Maintenant, la vie est mauvaise. En Géorgie, par contre, tout est magnifique! Surtout les routes!"
Fin août, la Russie a annoncé avoir déployé en Abkhazie des missiles pointés vers la très pro-occidentale Géorgie. L'Abkhazie? Officiellement, il s'agit d'une région géorgienne. Or, ce territoire prétend être une nation indépendante. Moscou l'a reconnu il y a deux ans presque jour pour jour.
C'est une journée d'été habituelle au poste frontière russo-abkhaze de Psaou. Côté russe, les marchands transfrontaliers abkhazes poussent leurs vieux chariots rouillés remplis de melons vers les cinq guichets de contrôle des passeports. Quelques dizaines de touristes russes en tongs traînent leurs valises à roulettes et cherchent à dépasser les commerçants. Le ton monte. « Nous allons à la mer, nous ! », lance une Russe, irritée par la longue attente, dans la chaleur insoutenable qui étouffe toute la région depuis des semaines. Côté abkhaze, la douane est en revanche affaire de quelques secondes. Tous ceux qui viennent de Russie sont les bienvenus !
Les 100 km sinueux qui séparent la frontière de la capitale, Soukhoum, se roulent tantôt sur une route neuve, gracieuseté de la Russie, tantôt sur de l'asphalte morcelé datant d'avant la chute de l'URSS. À l'époque, l'Abkhazie et ses 213 km de front maritime sur la mer Noire étaient le paradis du tourisme soviétique. Aujourd'hui, 99% des quelque 800 000 vacanciers qu'elle accueille chaque année sont russes.
Soukhoum. Ou Soukhoumi, en géorgien, puisque hormis pour la Russie, le Venezuela, le Nicaragua et la microscopique île de Nauru, l'Abkhazie demeure légalement une région géorgienne.
Il y a deux ans encore, la capitale de quelque 50 000 habitants ne comptait qu'un seul feu de circulation. Aujourd'hui, on en dénombre quelques dizaines flambant neufs. Plusieurs édifices portent toujours les cicatrices de la sanglante guerre de sécession de 1992-1993 contre la Géorgie, qui a fait 13 000 morts. Mais de nouveaux immeubles commencent peu à peu à sortir de terre.
"Merci à la Russie!"
Avenue de la Paix, des personnes âgées attendent devant une banque le signal du gardien de sécurité pour aller encaisser les 500 roubles (17$) de pension que leur verse l'Abkhazie. "Merci à la Russie! Sans elle, nous n'aurions que cela!" lance Lioudmila, 68 ans, médecin à la retraite, qui continue à enseigner à l'université et à soigner à l'hôpital. Plus tard, elle ira dans une autre banque récolter les 2900 roubles offerts par l'État russe.
C'est que, comme plus de 90% des Abkhazes, Lioudmila a facilement obtenu la nationalité russe au début des années 2000. Si la Russie ne considérait pas à l'époque les régions séparatistes géorgiennes comme des pays, elle était déjà dans les faits leur respirateur artificiel. En reconnaissant l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, le 26 août 2008, le président russe Dmitri Medvedev a simplement officialisé les relations.
Moins de 24 heures après notre demande d'entrevue, le président abkhaze, Serguei Bagapch, nous reçoit dans son bureau présidentiel. L'Abkhazie, en mal de reconnaissance, est en mode séduction.
"Nous n'avons pas l'intention de supplier quiconque de nous reconnaître", précise toutefois le président, en poste depuis 2004. "Le plus important, c'est de construire un État de droit, démocratique, respectable, pour que la communauté internationale comprenne que nous voulons la paix et la stabilité, non la guerre, et donc qu'il faut nous reconnaître."
Le fait que la Cour internationale de justice ait validé, le 22 juillet dernier, la légalité de l'indépendance du Kosovo, reconnue par 69 États, ne changera rien pour son "pays", estime Serguei Bagapch. "Mais cela démontre encore une fois que la décision de la Russie de reconnaître l'Abkhazie était tout à fait juste."
Protégés en cas de guerre
Pour le président, la sauvegarde de l'indépendance passera par le développement économique, principalement du tourisme et de l'agriculture, l'Abkhazie étant un gros producteur d'agrumes. Mais, paradoxalement, tout dépend de l'argent russe.
Cette année, l'aide de la Russie viendra presque doubler le maigre budget abkhaze, d'environ 135 millions de dollars. En comptant les services fournis aux citoyens russes d'Abkhazie, elle le triple.
Autre paradoxe, la présence militaire russe en Abkhazie assure l'indépendance de la république, croit Serguei Bagapch. Elle dissuade le président de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, de chercher à reprendre par la force les territoires séparatistes, comme lors de la guerre éclair d'août 2008 en Ossétie du Sud.
Et c'est là que repose le principal acquis de ce conflit, estime le président abkhaze. Après des années d'incertitude, "les gens sentent maintenant que la paix est arrivée, qu'ils peuvent eux-mêmes décider de leur sort".
La retraitée Lioudmila confirme: "Nous savons que, s'il y a une guerre avec la Géorgie, les Russes seront là pour nous défendre."
Des Géorgiens laissés pour compte
Dans le sud-est de l'Abkhazie, peuplé en majorité de Géorgiens, on voit la situation d'un oeil différent.
La route pour se rendre à Gali est aussi délabrée et déprimante que la ville elle-même. Lors de la guerre de 1992-1993, la majorité des habitants se sont réfugiés en Géorgie, de peur des représailles des séparatistes abkhazes.
Depuis, rien n'a été reconstruit, et la ville est désormais trop grande pour sa population de quelques milliers de personnes, soit celle d'un gros village.
Ici, la plupart des habitants possèdent en secret la nationalité géorgienne en plus de l'abkhaze. Certains ont aussi un passeport russe, pour avoir droit aux services. L'enseignement en géorgien étant interdit, plusieurs parents envoient leurs enfants à l'école de l'autre côté de la "frontière".
Dans un café, des soldats russes commandent une bouteille de vodka. À leur vue, des hommes grommellent à voix basse en géorgien.
À l'entrée de Gali trône un portrait géant du président Bagapch, comme pour narguer les hommes recyclés en chauffeurs de taxi qui attendent à ses pieds d'improbables clients. Les langues mettent du temps à se délier. "En 20 ans, ils n'ont même pas réussi à refaire la route!" se plaint enfin Gouram, la cinquantaine bedonnante, après une longue apologie ironique de l'Abkhazie indépendante.
"Avant, la ville était animée, les gens se baladaient, se rappelle-t-il. Maintenant, la vie est mauvaise. En Géorgie, par contre, tout est magnifique! Surtout les routes!"
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