Article publié dans La Presse, le jeudi 12 mars 2009.
(Moscou) La Russie et les États-Unis veulent faire table rase du passé. La secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a symboliquement offert un «bouton de redémarrage» au ministre des Affaires étrangères russe Serguei Lavrov lors de leur première rencontre à Genève vendredi dernier. Au-delà de l'anecdote, Moscou et Washington semblent tous deux trouver avantage à un rapprochement après le refroidissement sous la présidence de George W. Bush. Notre collaborateur nous explique pourquoi.
La Russie demeure un acteur incontournable pour régler certains problèmes de la planète. Le président américain Barack Obama l'a compris.
Il y a un mois, il a envoyé une lettre au président russe Dmitri Medvedev. Selon le New York Times, qui cite des responsables américains, il lui proposait d'abandonner son projet de bouclier antimissile en Europe de l'Est, contre quoi les Russes devraient l'aider à convaincre l'Iran de renoncer à son présumé programme d'armement nucléaire.
Washington et Moscou ont tous deux nié que la lettre contenait une proposition «d'échange» si précise, mais pas que ces deux dossiers y étaient abordés.
Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue La Russie dans la politique mondiale, estime que l'administration Obama se trompe en croyant que la Russie peut convaincre l'Iran de quoi que ce soit, malgré la relation privilégiée entre les deux pays. Moscou fournit peut-être des armes à Téhéran et l'a aidé à mettre au point son premier réacteur nucléaire à Bushehr, mais «personne n'a vraiment d'influence sur l'Iran, sauf les États-Unis», dit-il.
La Russie n'a pas non plus intérêt à ouvrir la porte à un trop grand rapprochement entre les États-Unis et le régime des mollahs. «L'Iran deviendrait alors une route alternative [à la Russie] pour le transport du gaz [d'Asie centrale] vers l'Europe», fait-il remarquer.
Accord sur l'Afghanistan
Moscou ne souhaite pas pour autant que l'Iran se dote de l'arme nucléaire, souligne Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences. Contrairement à M. Loukianov, il juge toutefois que la Russie a un «grand pouvoir d'influence sur l'Iran», notamment en raison de son rôle dans le développement du programme nucléaire civil du pays.
Washington et Moscou s'entendant sur la nécessité d'empêcher la prolifération nucléaire, ils ne devraient pas se heurter à des différents majeurs dans la renégociation du traité START-1 sur la réduction des armements stratégiques, signé en 1991 et qui arrive à échéance en décembre prochain.
Autre point d'accord probable: l'Afghanistan. La Russie est prête à soutenir l'Occident pour une stabilisation du pays, pourvu que les États-Unis respectent les intérêts russes en Asie centrale post-soviétique.
Reprenant une métaphore informatique, Fiodor Loukianov estime que sous Obama, les États-Unis ont changé de «système d'exploitation» pour approcher le reste de la planète. La crise économique a aussi aidé à modifier l'ordre du jour de la Maison-Blanche.
«L'élargissement de l'OTAN à la Géorgie et l'Ukraine et le déploiement du bouclier antimissile ne sont plus des priorités pour Obama», deux dossiers qui ont fortement irrité Moscou durant la présidence Bush, explique M. Loukianov. «Ça permet d'espérer que la relation s'améliorera.»
«Virus» dans l'ombre
Prochaine étape à surveiller: Dmitri Medvedev et Barack Obama se rencontreront pour la première fois le 1er avril à Londres, en marge du sommet du G20 sur la crise économique et financière mondiale.
Mais tout le monde ne se réjouit pas de la main tendue par Washington au régime Poutine. L'ancien champion d'échec Garry Kasparov, devenu l'un des leaders de la faible opposition libérale russe, a dénoncé la semaine dernière dans les pages du Wall Street Journal l'ouverture de l'administration Obama.
«Appuyer sur le bouton de redémarrage ne mettra aucune pression sur Poutine pour qu'il agisse de façon responsable sur la scène internationale. Cela ne fera que mettre dans l'ombre, pour un certain temps, le virus dangereux et contagieux de l'autoritarisme en Russie», écrivait-il.
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«Appuyer sur le bouton de redémarrage ne mettra aucune pression sur Poutine pour qu'il agisse de façon responsable sur la scène internationale. Cela ne fera que mettre dans l'ombre, pour un certain temps, le virus dangereux et contagieux de l'autoritarisme en Russie»
L'affrontement diplomatique entre la Russie et les États-Unis ne solidifie-t-elle la base électorale de Russie unie qui fait la promotion d'une Russie assiégée? Et ne permet-t-il pas de discréditer l'opposition en l'associant aux Américains?
Merci pour vos articles et vos interventions à la SRC, ils pallient au manque d'informations crédibles qui nous parviennent de Russie.
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