jeudi 21 août 2008

Géorgie: désarroi sans frontières parmi les réfugiés

Publié dans La Presse le 20 août 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Tbilissi
À l’entrée de l’école numéro 11 de Tbilissi, des vêtements usagés traînent dans un bac décoré du logo de l’ONG Urgence humanitaire France. Pendant que les hommes regardent une entrevue à CNN du président Mikheïl Saakachvili, traduite en géorgien, les femmes se bousculent pour obtenir l’une des couvertures tout juste livrées par une association féminine.

Hier, les quelque 150 réfugiés entassés dans cette école du quartier défavorisé de Nadzaladevi en étaient pour la plupart à leur onzième journée de séjour forcé à Tbilissi. Il en avait fallu neuf pour qu’on leur livre des matelas et qu’hommes, femmes et enfants cessent de dormir à même le sol.

Ici, les réfugiés feignent de ne pas parler russe lorsqu’on les aborde dans cette langue. La plupart sont des Géorgiens habitant l’Ossétie-du-Sud, dont les Russes et les Ossètes ont repris le contrôle la semaine dernière, après une offensive ratée de l’armée géorgienne.

Finalement, deux hommes acceptent de discuter. «Nous vivons près l’un de l’autre, les Géorgiens et les Ossètes. Il y a des villages mixtes aussi», explique Nodar, qui craint les représailles russes et ossètes lorsqu’il retournera dans son village de Disevi, près de Tskhinvali, la capitale sud-ossète.

La discussion est interrompue quelques secondes. Un nouveau sac de vêtements vient d’arriver. Les femmes se précipitent et déchirent le sac en plastique pour mettre la main sur des vêtements à leur taille.

«Tant que les Russes seront là (en Ossétie), nous resterons ici», poursuit Aleksander, dont la maison a «probablement» été incendiée par les forces russes et ossètes, comme le reste de son village.

Malgré le conflit, les deux petits commerçants croient qu’une réconciliation est possible avec les Ossètes. «Au marché de Tskhinvali, nous marchandions ensemble», se rappelle Nodar, dont la femme est ossète. «Nous mangions, nous travaillions ensemble. Et ce sera encore comme ça quand les Russes partiront.»

«Il faut que les Russes retirent leurs armements de là», renchérit Aleksander. Selon les deux hommes, il ne fait aucun doute que la guerre a été déclenchée par les Russes et les Ossètes. L’armée géorgienne n’aurait fait que répondre à des mois de « provocations », estiment-ils. «Nous ne pensions jamais que la guerre commencerait», assure Aleksander.

Deux fois réfugiée

À l’école 195, dans le quartier Saburtalo, les réfugiés ont droit à un traitement quasi privilégié. Les citadins du coin apportent régulièrement nourriture et vêtements à leurs compatriotes venus pour la plupart de Gori, cette ville géorgienne fortement bombardée par l’aviation russe durant le conflit. Ils leur ouvrent même la porte de leur appartement le temps d’une douche.

«Je suis déjà deux fois réfugiée». Maya Mindiechvili, 38 ans, avait fui Tskhinvali en 1991, lors de la guerre d’indépendance entre l’armée géorgienne et les séparatistes sud-ossètes, pour s’installer à Gori. Le 8 août, elle quittait sous les bombes son refuge devenu maison pour l’école 195 de Tbilissi.

«Je n’ai aucune idée de ce qui est arrivé à mon édifice à logements», s’inquiète-t-elle.

Sa tante Lucia Guiounachvili, elle, sait que sa maison n’est plus qu’un tas de cendres. «On dit qu’il ne reste plus que quatre maisons dans mon village», dit la Géorgienne de 73 ans, qui habite en Ossétie-du-Sud.

Selon elle, les Russes et les Ossètes avaient préparé la guerre depuis longtemps. «Une semaine avant le conflit, ils ont fait sortir tous les femmes et enfants ossètes des villages. Ça m’a surprise et je ne savais pas pourquoi», raconte-t-elle.

La Presse ne peut toutefois confirmer cette information. D’autant plus qu’une semaine auparavant, des réfugiés sud-ossètes rencontrés à Vladikavkaz (Ossétie-du-Nord) nous avaient affirmé exactement le contraire… soit que les Géorgiens avaient évacué leurs villages d’Ossétie-du-Sud, laissant les Ossètes seuls face aux bombes. Tous assuraient également n’avoir jamais été prévenus par quiconque du déclenchement imminent des hostilités.

À Vladikavkaz et Tskhinvali, les Ossètes du Sud étaient tous convaincus que les bombardements en Ossétie-du-Sud étaient attribuables aux Géorgiens. À Tbilissi, les réfugiés géorgiens nous affirmaient l’inverse. Tout cela pratiquement dans les mêmes mots. Seuls les armées changeaient de rôle. Dans les deux cas, les civils restaient les victimes.

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