Publié dans La Presse le 7 mai 2009 et sur cyberpresse.ca
(Moscou) Il y a un an, un juriste peu charismatique de 42 ans, Dmitri Medvedev, devenait troisième président de la Russie. Le lendemain, il nommait premier ministre son populaire prédécesseur, Vladimir Poutine. Depuis ce temps, la Russie connaît pour la première fois de son histoire un pouvoir à deux têtes. Et les Russes aiment ça.
«Je lui donne cinq sur cinq!» Même en ces temps de crise, Nina Spodarets n'a rien à redire sur le travail de son jeune président, Dmitri Medvedev.
«Il est jeune, énergique et intelligent», énumère la retraitée de 65 ans, ancienne technicienne de cinéma. «Il a augmenté nos chèques de retraite et lutté contre l'inflation», ajoute-t-elle, lorsqu'on lui demande concrètement ce que le président a fait pour elle. Elle semble toutefois oublier que, selon la Constitution, ces deux décisions relèvent... du gouvernement, dirigé par Vladimir Poutine, et non pas de la présidence.
En Russie, un an après la prestation de serment de Medvedev, personne ne sait vraiment qui du président ou du premier ministre est aux commandes. Sauf peut-être les deux principaux intéressés. La Constitution prévoit bien une présidence forte, mais les jeux de coulisses comptent beaucoup plus dans la répartition des pouvoirs réels que la loi suprême.
Un sondage mené en avril par le Centre Levada révèle que la majorité des Russes estiment que Medvedev et Poutine se partagent les responsabilités plus ou moins également. Le tiers des répondants affirment que Poutine reste l'homme fort du régime, contre seulement 12% qui misent sur Medvedev.
«Nous ne pouvons que spéculer», constate ainsi la dissidente Lioudmila Alexeeva, qui dénonce depuis des décennies l'arbitraire des pouvoirs soviétique, puis russe.
Selon elle, Dmitri Medvedev, qui a promis à son élection de lutter contre le «nihilisme légal», a démontré au cours de l'année ses bonnes intentions pour en finir avec la corruption et le contrôle politique du système judiciaire.
«Mais dans un même temps, il a signé une loi limitant la possibilité de procès avec jury [dans les cas d'accusation pour extrémisme ou terrorisme], alors que ces procès sont beaucoup plus équitables et sérieux que ceux avec juge», relève-t-elle.
Medvedev a aussi profité de l'allégeance sans faille des deux chambres du Parlement et des assemblées régionales pour faire adopter en vitesse en décembre des changements constitutionnels faisant notamment passer de quatre à six ans le prochain mandat présidentiel.
L'indomptable militante de 81 ans estime que durant ses huit années au Kremlin, l'ex-agent du KGB Vladimir Poutine a «porté atteinte» au pays. «Medvedev, pour l'instant, n'a rien empiré, mais il n'a pas non plus corrigé la situation créée par Poutine», souligne Mme Alexeeva, qui a rencontré le président il y a deux semaines pour lui exposer ses doléances en matière de violation des droits de l'homme.
Gleb Pavlovski, politologue et conseiller de tous les présidents depuis Boris Eltsine, reconnaît que la justice n'est toujours pas indépendante du pouvoir politique en Russie.
Paradoxalement, il cite la libération de l'avocate de l'ex-pétrolière Ioukos, Svetlana Bakhmina, comme preuve de la volonté de Dmitri Medvedev d'en finir avec l'arbitraire.
Le mois dernier, la mère de famille s'est vue accorder une libération anticipée qui lui avait été longtemps refusée, vraisemblablement en raison de l'acharnement de la justice russe contre les anciens dirigeants de Ioukos, dont le patron Mikhail Khodorkovski avait défié Vladimir Poutine en démontrant des ambitions politiques.
«Je suis certain que si le juge avait eu le sentiment que Medvedev ne voulait pas la libération [de Bakhmina], il ne l'aurait pas permise», admet celui qui est considéré comme l'une des têtes pensantes du Kremlin.
Gleb Pavlovski juge que le pouvoir russe a atteint «une nouvelle phase» avec l'avènement de Dmitri Medvedev. «Ce n'est certainement pas une cassure avec l'époque Poutine, mais le président a une nouvelle série d'objectifs à remplir.»
«Durant ses deux mandats, Poutine a dû s'assurer de gagner la loyauté de la classe politique. Il a donc dû fermer les yeux sur certaines choses» comme la corruption de certains haut placés, analyse M. Pavlovski.
«Medvedev estime que le temps est venu de faire fonctionner la Constitution en «régime normal». Et il le fera dès que la crise économique sera terminée», assure son conseiller.
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