(Moscou) Salaires impayés depuis des semaines, pertes massives d'emplois, rouble qui dégringole, baril de pétrole à moins de 45$ US: la crise économique frappe la Russie de plein fouet et pourrait bien marquer la fin de la lune de miel entre la population et l'ex-président Vladimir Poutine, devenu premier ministre tout-puissant.
Son arrivée au pouvoir, en 2000, avait coïncidé avec le début des hausses constantes du prix des hydrocarbures, dont la Russie regorge. L'argent coulait à flots dans le pays et la popularité de l'ex-agent du KGB, autrefois inconnu, tombait rarement sous les 70%. Bien que tacite, le pacte social était clair: tant que leur niveau de vie continuerait d'augmenter, les Russes laisseraient leur «leader national» diriger comme il l'entend.
«Le pacte ne tient plus», soutient le politologue Nikolaï Petrov, du Centre Carnegie de Moscou. Selon lui, la montée de la grogne contre le pouvoir est désormais «inévitable». «Quand on monopolise le pouvoir comme le fait Poutine, c'est plus difficile d'expliquer la baisse du niveau de vie par des facteurs extérieurs. Pour l'instant, il met tout sur le dos de la crise américaine, mais il ne pourra pas le faire longtemps», estime-t-il.
Durant sa présidence (2000-2008), Vladimir Poutine n'a connu qu'une seule vague de mécontentement populaire. Elle n'était liée ni à la guerre en Tchétchénie, ni aux assauts meurtriers des forces de l'ordre pour mettre fin aux prises d'otages au théâtre de la Doubrovka de Moscou et dans une école de Beslan. Pour que les Russes sortent de leurs gonds, il a fallu qu'on touche à leur porte-monnaie.
En janvier 2005, des retraités en colère avaient pris la rue par milliers dans tout le pays pour dénoncer l'entrée en vigueur d'une loi qui remplaçait leurs avantages sociaux (gratuité des transports en commun, des médicaments de base, etc.) par de maigres compensations financières. Ils sont allés jusqu'à brûler des effigies de Vladimir Poutine pour dénoncer son régime «criminel». La popularité du président avait alors atteint son plus bas, à 48% d'appuis. En ces temps de croissance économique dopée aux pétrodollars, il avait pu faire passer la pilule en indexant les pensions jusqu'à satisfaire les retraités.
Mais aujourd'hui, le premier ministre Poutine et son dauphin devenu président, Dmitri Medvedev, ne peuvent plus acheter la paix. Les autorités ont officiellement reconnu à la mi-décembre que le pays est en récession. Même les vaches à lait comme la société d'État, Gazprom, géant gazier, accumulent les dettes et voient leurs revenus fondre au même rythme que le prix des ressources naturelles.
Le mois dernier, premier heurt entre le leader et son peuple: pour protéger l'industrie russe de l'automobile, le premier ministre Poutine a imposé une taxe temporaire sur l'importation de véhicules d'occasion. Les quelque 200 000 personnes qui vivent de ce commerce dans l'extrême est de la Russie n'ont pas apprécié. Du jour au lendemain, des automobilistes autrefois tranquilles se sont mobilisés pour réclamer la démission de Poutine et de son gouvernement.
«Pour l'instant, ce ne sont que des manifestations isolées sur des sujets précis. Mais dans quelques mois, quand les effets de la crise se feront sentir davantage, il y aura une demande populaire pour un autre programme économique», croit Nikolaï Petrov.
La chance de l'opposition
L'opposant Roman Dobrokhotov espère que la crise économique permettra justement aux mouvements de l'opposition libérale, pratiquement inexistants et impopulaires depuis quelques années, de regarnir leurs rangs. «Je me réjouis de la crise», lance même le leader du mouvement jeunesse «My» (Nous). «Un jour ou l'autre, ce système féodal (poutinien) dans lequel notre pays ne fait que vendre ses ressources sans exploiter ses capacités devait tomber. C'est mieux aujourd'hui que plus tard.»
«Les gens appuyaient Medvedev et Poutine non pas parce qu'ils avaient vraiment confiance en eux, mais parce que les prix élevés du pétrole faisaient augmenter leur niveau de vie, poursuit Dobrokhotov. Maintenant, ils savent que la «démocratie souveraine» (l'idéologie poutinienne) ne les protège pas de la crise.»
Selon le service fédéral du Travail, 250 000 Russes pourraient perdre leur emploi entre janvier et mars. En novembre, le total des salaires impayés dans le pays a augmenté de 93%.
«Si ça continue comme ça, je devrai renvoyer du personnel», soupire Valentina Vanja, directrice d'une firme conseil pour les banques et les entreprises. La femme d'affaires n'est pas pour autant prête à jeter le blâme sur le premier ministre pour les déboires grandissants du pays. «Si la crise ne touchait que nous, nous pourrions critiquer, mais elle est mondiale, souligne-t-elle. Poutine et Medvedev font ce qu'ils peuvent.»
Mme Vanja ne cache pas son profond respect pour Vladimir Poutine. Elle reconnaît que le pétrole est certainement la cause principale de la prospérité des dernières années. «Mais tout de même, il a reçu le pays dans un très mauvais état, et ce qu'il en a fait est déjà pas mal.»
Propagande aidant, le capital de sympathie du premier ministre reste très élevé, à 83%. Mais comme un géant aux pieds d'argile, le «système Poutine» s'avère fragile et pourrait avoir de la difficulté à survivre à la crise, selon Nikolaï Petrov. «Il est fondé sur des institutions politiques faibles. La seule garantie de sa stabilité est la popularité de Poutine.»
Retour à la présidence de Poutine?
Les spéculations vont bon train en Russie sur un possible retour à la présidence du désormais premier ministre Vladimir Poutine, avant même la fin du mandat de Dmitri Medvedev, élu en mars dernier. Le 30 décembre dernier, le président Medvedev a amendé la Constitution, faisant notamment passer le prochain mandat présidentiel de quatre à six ans. Selon lui, ces changements adoptés en vitesse visent à «renforcer les institutions démocratiques et soutenir la stabilité» en cette période de crise. Pourtant, leur effet ne se fera sentir en théorie que dans sept ans, à la cinquième année du prochain mandat présidentiel... si des élections anticipées n'ont pas lieu d'ici ce temps. Les deux leaders n'ont pour l'instant rien laissé filtrer de leurs intentions. Mais à en juger par la facilité avec laquelle ils peuvent amender la loi fondamentale du pays pour protéger leurs intérêts, leurs prochaines volontés devraient rapidement être exaucées.
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