lundi 19 janvier 2009
Russie-États-Unis: de meilleures relations sous Obama?
(Moscou) En 2001, la première rencontre entre George W. Bush et son homologue russe Vladimir Poutine annonçait une idylle entre leurs deux pays, anciens ennemis de la guerre froide. «J'ai regardé l'homme dans les yeux. J'ai pu percevoir son âme», avait déclaré le nouveau président américain. «C'est un homme profondément dévoué à son pays et aux meilleurs intérêts de son pays.» Il ne pensait jamais si bien dire.
Poutine, devenu premier ministre depuis, a tellement tenu à défendre son pays contre «l'hégémonie» états-unienne qu'en huit ans, les relations n'ont fait que se détériorer. Les États-Unis, de leur côté, n'ont jamais pris en considération les doléances des Russes à l'égard de leurs projets.
Quelques heures à peine après la victoire d'Obama à l'élection présidentielle de novembre, la Russie posait ses conditions pour un dialogue renouvelé. Dans son premier discours à la nation, le président russe Dmitri Medvedev menaçait d'installer des missiles dans l'enclave de Kaliningrad, sur le bord de la Baltique. Si les États-Unis renonçaient au déploiement de leur bouclier antimissile en République tchèque et en Pologne, il pourrait revenir sur sa décision, avait-il laissé entendre dans les semaines qui suivirent.
Jeudi, Medvedev a fait savoir à son ambassadeur à Washington qu'il espérait que les relations se développent de «manière adéquate», «parce que ces derniers temps, d'assez nombreux problèmes se sont accumulés».
Pourtant, les deux problèmes bilatéraux principaux sont restés les mêmes au cours de la dernière décennie: l'élargissement de l'OTAN à l'ex-bloc soviétique et le bouclier antimissile.
«L'expansion de l'OTAN, c'est une politique d'endiguement de la Russie», estime Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des États-Unis et du Canada de l'Académie russe des sciences, en référence à la politique américaine de containment à l'égard de l'URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
«Pourquoi les Américains font-ils cela, alors que nous nous sommes entendus sur tout, que nous avons signé tous les traités de non-prolifération? questionne-t-il. Veulent-ils contrôler la Russie en l'entourant, ou peut-être préparent-ils une nouvelle guerre contre elle? Je ne veux pas être moi-même paranoïaque, mais nous avons assez de paranoïaques ici pour nous poser cette question. Pour l'instant, personne n'a donné de réponse. Alors évidemment, on se demande si on doit croire les garanties que donne Washington. Et souvent, la réponse est négative», constate M. Kremeniouk.
«Au contraire de Bush, Obama n'est pas un aussi fervent partisan de l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN», note toutefois le politologue. «Il ne nie pas la possibilité qu'ils y adhèrent, mais il comprend que c'est compliqué, parce que l'Ukraine n'est pas prête à l'adhésion et que la majorité de sa population est contre. Pour la Géorgie, c'est tout simplement impossible, puisqu'elle est en conflit avec la Russie. L'inclure dans l'OTAN voudrait dire entrer en conflit avec la Russie, ce qui serait stupide.»
Relations de second ordre
Le climat pourrait se détendre sous Obama, mais de toute façon, il ne s'agit plus d'un problème de premier ordre pour la Russie capitaliste. Aujourd'hui, elle se préoccupe beaucoup plus de ses relations avec l'Europe et la Chine, ses principaux partenaires économiques.
Rien à voir avec l'époque soviétique bipolaire, où la moindre tension aurait pu déclencher une guerre nucléaire. «Dans ce temps-là, nous avions des problèmes très importants qui nous unissaient», souligne M. Kremeniouk.
L'inverse est tout aussi vrai. «Pour Obama, la Russie est un pays pas trop agréable, dirigé par une oligarchie, où il y a peu de démocratie, avec beaucoup de problèmes sociaux. Ce n'est pas un allié, mais c'est un pays avec qui il doit avoir des relations», explique M. Kremeniouk.
Hillary Clinton a confirmé cette analyse cette semaine. Devant la commission des Affaires étrangères du Sénat qui examinait sa candidature, la future secrétaire d'État a laconiquement déclaré qu'elle souhaite «des relations de coopération avec le gouvernement russe sur les questions d'importance stratégique, tout en défendant avec force les valeurs américaines et les normes internationales».
dimanche 11 janvier 2009
Russie: la lune de miel s'achève pour Poutine
(Moscou) Salaires impayés depuis des semaines, pertes massives d'emplois, rouble qui dégringole, baril de pétrole à moins de 45$ US: la crise économique frappe la Russie de plein fouet et pourrait bien marquer la fin de la lune de miel entre la population et l'ex-président Vladimir Poutine, devenu premier ministre tout-puissant.
Son arrivée au pouvoir, en 2000, avait coïncidé avec le début des hausses constantes du prix des hydrocarbures, dont la Russie regorge. L'argent coulait à flots dans le pays et la popularité de l'ex-agent du KGB, autrefois inconnu, tombait rarement sous les 70%. Bien que tacite, le pacte social était clair: tant que leur niveau de vie continuerait d'augmenter, les Russes laisseraient leur «leader national» diriger comme il l'entend.
«Le pacte ne tient plus», soutient le politologue Nikolaï Petrov, du Centre Carnegie de Moscou. Selon lui, la montée de la grogne contre le pouvoir est désormais «inévitable». «Quand on monopolise le pouvoir comme le fait Poutine, c'est plus difficile d'expliquer la baisse du niveau de vie par des facteurs extérieurs. Pour l'instant, il met tout sur le dos de la crise américaine, mais il ne pourra pas le faire longtemps», estime-t-il.
Durant sa présidence (2000-2008), Vladimir Poutine n'a connu qu'une seule vague de mécontentement populaire. Elle n'était liée ni à la guerre en Tchétchénie, ni aux assauts meurtriers des forces de l'ordre pour mettre fin aux prises d'otages au théâtre de la Doubrovka de Moscou et dans une école de Beslan. Pour que les Russes sortent de leurs gonds, il a fallu qu'on touche à leur porte-monnaie.
En janvier 2005, des retraités en colère avaient pris la rue par milliers dans tout le pays pour dénoncer l'entrée en vigueur d'une loi qui remplaçait leurs avantages sociaux (gratuité des transports en commun, des médicaments de base, etc.) par de maigres compensations financières. Ils sont allés jusqu'à brûler des effigies de Vladimir Poutine pour dénoncer son régime «criminel». La popularité du président avait alors atteint son plus bas, à 48% d'appuis. En ces temps de croissance économique dopée aux pétrodollars, il avait pu faire passer la pilule en indexant les pensions jusqu'à satisfaire les retraités.
Mais aujourd'hui, le premier ministre Poutine et son dauphin devenu président, Dmitri Medvedev, ne peuvent plus acheter la paix. Les autorités ont officiellement reconnu à la mi-décembre que le pays est en récession. Même les vaches à lait comme la société d'État, Gazprom, géant gazier, accumulent les dettes et voient leurs revenus fondre au même rythme que le prix des ressources naturelles.
Le mois dernier, premier heurt entre le leader et son peuple: pour protéger l'industrie russe de l'automobile, le premier ministre Poutine a imposé une taxe temporaire sur l'importation de véhicules d'occasion. Les quelque 200 000 personnes qui vivent de ce commerce dans l'extrême est de la Russie n'ont pas apprécié. Du jour au lendemain, des automobilistes autrefois tranquilles se sont mobilisés pour réclamer la démission de Poutine et de son gouvernement.
«Pour l'instant, ce ne sont que des manifestations isolées sur des sujets précis. Mais dans quelques mois, quand les effets de la crise se feront sentir davantage, il y aura une demande populaire pour un autre programme économique», croit Nikolaï Petrov.
La chance de l'opposition
L'opposant Roman Dobrokhotov espère que la crise économique permettra justement aux mouvements de l'opposition libérale, pratiquement inexistants et impopulaires depuis quelques années, de regarnir leurs rangs. «Je me réjouis de la crise», lance même le leader du mouvement jeunesse «My» (Nous). «Un jour ou l'autre, ce système féodal (poutinien) dans lequel notre pays ne fait que vendre ses ressources sans exploiter ses capacités devait tomber. C'est mieux aujourd'hui que plus tard.»
«Les gens appuyaient Medvedev et Poutine non pas parce qu'ils avaient vraiment confiance en eux, mais parce que les prix élevés du pétrole faisaient augmenter leur niveau de vie, poursuit Dobrokhotov. Maintenant, ils savent que la «démocratie souveraine» (l'idéologie poutinienne) ne les protège pas de la crise.»
Selon le service fédéral du Travail, 250 000 Russes pourraient perdre leur emploi entre janvier et mars. En novembre, le total des salaires impayés dans le pays a augmenté de 93%.
«Si ça continue comme ça, je devrai renvoyer du personnel», soupire Valentina Vanja, directrice d'une firme conseil pour les banques et les entreprises. La femme d'affaires n'est pas pour autant prête à jeter le blâme sur le premier ministre pour les déboires grandissants du pays. «Si la crise ne touchait que nous, nous pourrions critiquer, mais elle est mondiale, souligne-t-elle. Poutine et Medvedev font ce qu'ils peuvent.»
Mme Vanja ne cache pas son profond respect pour Vladimir Poutine. Elle reconnaît que le pétrole est certainement la cause principale de la prospérité des dernières années. «Mais tout de même, il a reçu le pays dans un très mauvais état, et ce qu'il en a fait est déjà pas mal.»
Propagande aidant, le capital de sympathie du premier ministre reste très élevé, à 83%. Mais comme un géant aux pieds d'argile, le «système Poutine» s'avère fragile et pourrait avoir de la difficulté à survivre à la crise, selon Nikolaï Petrov. «Il est fondé sur des institutions politiques faibles. La seule garantie de sa stabilité est la popularité de Poutine.»
Retour à la présidence de Poutine?
Les spéculations vont bon train en Russie sur un possible retour à la présidence du désormais premier ministre Vladimir Poutine, avant même la fin du mandat de Dmitri Medvedev, élu en mars dernier. Le 30 décembre dernier, le président Medvedev a amendé la Constitution, faisant notamment passer le prochain mandat présidentiel de quatre à six ans. Selon lui, ces changements adoptés en vitesse visent à «renforcer les institutions démocratiques et soutenir la stabilité» en cette période de crise. Pourtant, leur effet ne se fera sentir en théorie que dans sept ans, à la cinquième année du prochain mandat présidentiel... si des élections anticipées n'ont pas lieu d'ici ce temps. Les deux leaders n'ont pour l'instant rien laissé filtrer de leurs intentions. Mais à en juger par la facilité avec laquelle ils peuvent amender la loi fondamentale du pays pour protéger leurs intérêts, leurs prochaines volontés devraient rapidement être exaucées.