Article publié dans La Presse le 25 novembre 2008 et sur Cyberpresse.ca
(Ivanovka, Kirghizistan) La petite cabane au fond du jardin d'Ismat Karimov a l'air de n'importe quelles latrines de la campagne kirghize. Mais les apparences peuvent être trompeuses: avec ses nouvelles toilettes sèches dernier cri, Ismat ne contamine plus les nappes d'eau de son village et peut engraisser son jardin sans produits chimiques.
«Je voulais que nos gens se sentent bien, que notre niveau de vie augmente», explique le coordonnateur de l'ONG Alga («En avant», en kirghize) dans le village d'Ivanovka, à 40 km à l'est de la capitale Bichkek. «Et en premier, il faut commencer par les toilettes», affirme-t-il.
L'ingénieur mécanique a construit de ses mains la première toilette sèche d'Ivanovka. Il y a installé une cuvette de type turc, mais comptant deux trous.
L'urine rejetée dans le petit est conduite vers un contenant à l'extérieur, alors que les excréments évacués dans le gros tombent dans une fosse cimentée. Après chaque utilisation, l'épandage de cendres ou de terre sur les selles annihile les odeurs nauséabondes.
Après deux ans d'utilisation, Ismat commencera à utiliser une deuxième fosse et laissera les déchets naturels des sept membres de sa famille se composter dans la première, jusqu'à pouvoir les épandre dans son jardin. «Lorsque le contenant est plein, je jette l'urine au pied du grand arbre là-bas», ajoute-t-il.
Le concept des toilettes sèches est fort utile dans les villages comme Ivanovka, où l'eau souterraine se trouve à moins de 1,5 m de la surface, souligne Ismat. Ici, la plupart des toilettes consistent en un trou creusé à même le sol qui n'est jamais vidé ou nettoyé. Les excréments infiltrent le sol et vont contaminer l'eau potable consommée par les habitants.
Une dizaine des voisins d'Ismat sont aujourd'hui en train de se bâtir des toilettes sèches, bénéficiant d'une subvention d'un regroupement d'ONG qui couvre jusqu'à 70% des travaux. «Et il y a une liste d'attente!» lance Ismat, un peu déçu de ne pouvoir répondre à la forte demande.
Si plusieurs villageois sont prêts à abandonner leurs latrines puantes, certains changements de moeurs sont plus lents à suivre. Ismat Karimov avait réussi à convaincre l'une des familles cobayes de construire ses toilettes sèches non pas au fond du jardin, mais en annexe de la maison, avec accès direct par le salon. Au dernier moment, ils ont changé d'avis.
Des voisins curieux sont passés et ont émis des doutes sur la propreté d'une famille qui oserait placer au coeur de son milieu de vie cette pièce traditionnellement nauséabonde en Asie centrale...
Malgré les obstacles, le projet pilote va tout de même bon train. Quelque 500 toilettes sèches ont été construites au Kirghizstan au cours des dernières années.
L'une des principales priorités des ONG aujourd'hui est d'en installer dans les écoles, où de nombreuses jeunes filles en période de règles préfèrent s'absenter, alors que plusieurs élèves développent des maladies. Selon l'Institut international de l'eau, 5000 enfants meurent de diarrhée chaque jour dans le monde en raison de mauvaises conditions d'hygiène.
«Voie du futur»
Les toilettes sèches ou «ecosan» (contraction de l'anglais «ecological sanitation») sont un concept utilisé depuis des siècles au Vietnam. Aujourd'hui, les ONG tentent de l'implanter dans les pays en développement au lieu d'y installer de coûteux systèmes de canalisation. Même des pays plus avancés comme la Suède l'adoptent. Dans certaines régions, les autorités assurent la vidange régulière des toilettes sèches.
Selon Fedde Jorritsma, coordonnateur en Asie centrale pour l'organisation Femmes en Europe pour un futur commun, la toilette sèche est la «voie du futur» qu'il faudra suivre partout sur la planète pour assurer un accès durable à l'eau. «Nous nous rendrons compte que notre système [de rejet dans l'eau courante] est très inefficace, très dispendieux, et représente une grande perte de nutriments», prédit le jeune Néerlandais.
Il est toutefois conscient que le défi est grand pour faire accepter les toilettes sèches aux Occidentaux.
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