Il y a le nôtre, le 22, puis d’autres encore, juste un peu moins imposants. Tous construits sous Khrouchtchev probablement, dans les années 50 ou 60. Ils sont si immenses, mais si loin les uns des autres. Par pudeur peut-être. Il y a déjà 5 000 humains entassés dans un, laissez-les au moins regarder l’horizon, a-t-on dû se dire en les construisant.
L’appartement où j’habite a dû connaître des histoires qui ne se racontent pas. J’aimerais entendre les murs me raconter les silences et les mots soviétiques, les paroles de trop et les départs. Pour comprendre.
Je ne suis que l’occupant d’une case parmi d’autres. Peu importe mon histoire, elle ne pèsent pas lourd devant ces milliers d’autres qui se déroulent sur d’autres étages, dans d’autres cases à humains. Je ne suis la nuit, qu’un remplisseur de case.
***
Moscou n’a pas été construite pour les hommes. C’est une ville trop grande pour eux, trop imposante. Les distances sont faites pour des géants à l’énergie sans limites. Les rues sont tellement longues et larges qu’on pourrait penser qu’elles avaient pour objectif premier d’empêcher l’homme de se sentir assez fort pour les occuper, contester ce système titanesque, surhumain.
On se croirait le pion d’un jeu contrôlé au-dessus de nos têtes. Comme si à chaque moment, un maître omniscient pouvait décider de notre sort, nous balayer de la carte sans préavis. On se sent infime poussière sans importance, qui lutte pour s’en donner une.