mardi 10 février 2009

Fin de rêve pour les expatriés en Russie

Article publié dans le journal La Presse le 9 février 2009 et sur cyberpresse.ca

(Moscou) Depuis trois ans, Moscou trônait au sommet du classement des villes les plus chères au monde pour les expatriés. Les entreprises occidentales dépensaient des fortunes pour assurer un niveau de vie européen à leurs employés dans la bouillonnante capitale russe. Aujourd'hui, la crise a crevé la bulle énergétique dont dépendait l'économie du pays et plusieurs expatriés doivent plier bagage ou se montrer plus modestes dans leurs exigences.

«Ils gagnaient tellement d'argent, simplement parce qu'ils étaient prêts à venir en Russie», explique Luc Jones, partenaire de la division russe d'Antal, une firme britannique de recrutement. Pour plusieurs expatriés, la compensation pour s'installer à Moscou était aussi importante que leur salaire, déjà élevé, compte tenu des loyers et des prix des produits importés exorbitants. La dureté de la vie en Russie obligeait aussi les entreprises à offrir des avantages pécuniaires.

Alors que le pays a enregistré en décembre son premier mois de décroissance en 10 ans, plusieurs firmes étrangères choisissent de rapatrier leur personnel occidental.

En revenant de vacances au Québec en janvier, Mathias Chmielewski n'a pas été surpris que son bureau d'avocats lui demande de faire ses valises et de retourner au siège social londonien.

Mathias se souvient de la date précise où tout a commencé à dégringoler. «Le 17 septembre, nous étions en réunion et nous avons appris que le RTS, la plus importante Bourse de Moscou, avait suspendu ses activités en raison d'une trop forte baisse en une journée. À partir de là, nos clients ont commencé à suspendre les contrats.» Un fort contraste avec le climat «d'espoir et d'enthousiasme» dans lequel avait été inaugurée la succursale moscovite de sa firme en janvier 2008.

En un an, l'avocat d'affaires de 31 ans avait fini par s'attacher à Moscou, une ville à la trépidante vie nocturne et aux multiples défis professionnels. Sa copine était venue le rejoindre et s'était trouvé un emploi. Ironiquement, elle a conservé son travail et c'est lui désormais qui devra venir la visiter.

Même en retournant à Londres, il est loin d'assurer son emploi. «On est en mode survie», confie-t-il. Il n'exclut pas de revenir en Russie à court terme, cette fois comme employé local, alors que le coût de la vie à Moscou chute aussi rapidement qu'il avait grimpé.

Moins pire qu'en 1998

Malgré la crise, le Québéco-Britannique Luc Jones est tout de même optimiste. «Ce n'est pas comme en 1998», souligne-t-il en référence à la plus grave crise financière de la Russie moderne, qui avait fait fuir nombre d'expatriés et investisseurs étrangers.

«Il y a 10 ans, les bars et les restos étaient complètement vides», se rappelle celui qui était parti pour la Pologne avant de revenir trois an plus tard à Moscou. «Ce n'est pas le cas aujourd'hui.»

Les expatriés qui quittent actuellement la Russie travaillent surtout dans la finance ou la construction. Dans certaines entreprises, les plus chanceux ont dû accepter une diminution de salaire de 25%, alors que plusieurs ont tout simplement été licenciés.

Luc Jones a indirectement subi une baisse de salaire: comme plusieurs, il est payé en roubles, une monnaie qui a perdu 32% de sa valeur face au panier euro-dollar depuis novembre. «Je gagne tout de même plus ici que si j'étais en Angleterre», nuance celui qui a passé la majeure partie de sa vie professionnelle à l'étranger.

Gérald Julia, fraîchement diplômé d'une école de commerce française, s'en rend bien compte. Après deux stages en Russie et un contrat d'un an de volontariat international en entreprise, le jeune russophone peine à se faire embaucher.

Il a envoyé une vingtaine de CV à des sociétés françaises installées en Russie et passé deux entretiens d'embauche, mais sans succès. «J'ai l'impression qu'ils sont plus frileux. S'ils embauchent quelqu'un, ils veulent être certains que c'est la bonne personne.»

Gérald se donne jusqu'au mois de mars pour trouver un emploi. Sinon, il devra reprendre à contrecoeur le chemin de la France. «Les types de boulot qu'on trouve ici (en Russie) sont plus intéressants qu'en Europe. On nous donne plus de responsabilités. Professionnellement, on peut progresser plus vite».

La fuite des cerveaux étrangers de Russie pourrait bien favoriser certaines firmes canadiennes, remarque toutefois Mathias Chmielewski. «Les recruteurs tâtent le terrain des expatriés qui pourraient être tentés de revenir à un travail plus stable(à salaire moindre)», dit l'avocat, qui a lui-même été courtisé récemment par des chasseurs de têtes.

vendredi 6 février 2009

Astana: la Dubaï des steppes kazakhes

Publié dans la section Voyages de La Presse, le 31 janvier 2009 et sur Cyberpresse.ca

L'autoritaire président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, avait un projet fou: transformer une petite ville de province perdue au milieu des steppes en une capitale internationale. Coûte que coûte. Dix ans après être devenue la capitale de l'ex-république soviétique d'Asie centrale, Astana surprend autant par la modernité de sa nouvelle ville que par son extravagance.

Du haut de la tour Baïterek, le monument emblématique de la ville censé représenter l'arbre de la vie selon une légende kazakhe, le visiteur n'en croit pas ses yeux. Si pratiquement aucune végétation ne pousse dans les steppes, il faut croire que les gratte-ciel, eux, y prennent facilement racine!

À perte de vue, des édifices flambant neufs à l'architecture tantôt occidentalo-russo-asiatique, tantôt futuro-kitsch, s'étalent sur toute la rive gauche de la rivière Esil. Des dizaines de grues s'activent autour d'autres squelettes de bâtiments.

Sur l'autre berge, la vieille ville, appelée Tselinograd sous l'ère soviétique, commence elle aussi à être envahie par les nouveaux immeubles commerciaux et à logements. Le soir, par temps froid, elle reprend toutefois son air provincial de pays en voie de développement, alors qu'un nuage asphyxiant de fumée de charbon l'envahit. Les embouteillages quasi permanents viennent compléter la pollution de l'air dans cette partie de la ville qui n'a pas été conçue pour absorber le décuplement du parc automobile au cours de la dernière décennie.

De 1997 à aujourd'hui, la population d'Astana - qui signifie simplement «capitale» en kazakh - est passée de 270 000 habitants à plus de 700 000! Des milliers de fonctionnaires ont dû quitter la métropole et ancienne capitale Almaty, 1000 km plus au sud, pour s'installer dans le nouveau centre administratif. Les diplomates et gens d'affaires prennent eux aussi de plus en plus la route des steppes, sans compter les Kazakhs de province et les travailleurs étrangers des autres républiques plus pauvres d'Asie centrale venus y tenter leur chance. La capitale attire et prend forme à un rythme étourdissant.
Excentricité

Le tout-puissant président kazakh a voulu pallier le manque d'histoire de cette ville autrefois anonyme en y faisant construire des monuments flamboyants qui donneraient une personnalité au nouveau centre du pays. Quitte à investir certaines années jusqu'à 8% du budget national dans le développement de la ville... Chez nous, l'ensemble de l'oeuvre serait probablement perçu comme un gigantesque troupeau d'éléphants blancs dans lequel le Stade olympique montréalais ferait pâle figure...

La ville a notamment retenu les services de l'architecte high-tech Norman Foster pour quatre projets. Le Britannique reconnu mondialement pour son extravagance est notamment le père du Palais de la Paix et de l'Entente, une pyramide érigée pour accueillir les leaders religieux du monde entier tous les trois ans.

Le Khan Shatyr promet d'être encore plus grandiose. Ce vaste complexe récréatif, une autre idée de Foster, sera littéralement une ville dans la ville. Pour s'épargner les hivers rigoureux de la steppe, les Astanais pourront venir se détendre sur les plages intérieures du Khan Shatyr, disputer une partie de golf ou encore naviguer sur des canaux. Ceux qui habiteront les immeubles voisins pourront même le faire sans sortir de chez eux, puisqu'ils seront reliés au complexe par des souterrains.

Le président Nazarbaïev, dont on retrouve les citations affichées un peu partout dans la ville, ne s'est pas négligé. Outre son fastueux palais présidentiel sur la rive gauche, il a fait construire un Musée du premier président de la République du Kazakhstan... c'est-à-dire lui-même, puisqu'il dirige sans partage les 15 millions de Kazakhs depuis l'indépendance du pays en 1991. Les visiteurs peuvent y découvrir les cadeaux offerts au bien-aimé président par d'autres chefs d'État, ou encore les propres avoirs de celui qui n'a pas manqué de s'enrichir durant son règne.

Astana dispose de la plupart des installations essentielles à une capitale, de l'aéroport international aux restaurants et hôtels chic, en passant par ses grands centres commerciaux à l'occidentale et ses parcs. Seule véritable ombre au tableau: la ville a été construite si rapidement que plusieurs édifices sont à peine complétés qu'ils tombent déjà en ruine.

Dans l'ivresse du début, le gouvernement kazakh a donné des terrains à n'importe quel entrepreneur prêt à construire quelque chose. Aujourd'hui, les responsables de l'urbanisme assurent avoir appris de leurs erreurs et promettent que le développement sera plus ordonné et de meilleure qualité à l'avenir.

La compagnie aérienne nationale Air Astana relie la capitale kazakhe à Moscou, Amsterdam, Londres et Francfort. Le voyage peut toutefois s'avérer assez cher. Le centre aérien du pays demeure Almaty. Il existe un train de nuit rapide (12 heures) entre les deux villes.

Russie-Obama: entre indifférence et doute

Article publié dans La Presse le 21 janvier 2009 et sur Cyberpresse.ca

(Moscou) Le battage médiatique et l'engouement international entourant l'investiture d'Obama n'auront pas réussi à émouvoir les Russes.

Hier, de la douzaine de quotidiens de Moscou, seul Novye Izvestia a jugé pertinent de publier en une un article sur le nouveau président américain. Le journal populaire Komsomolskaïa Pravda s'est quant à lui étonné que la limousine du chef de l'État puisse résister à l'impact d'une météorite. Sans plus. Certaines parutions ont totalement ignoré l'événement, plus par manque d'intérêt que pour des motifs idéologiques.

Il faut dire que le nom d'Obama a pris du temps à être connu en Russie, où la politique américaine ne touche plus autant la vie quotidienne que durant la guerre froide. L'audace d'espérer n'est paru en russe que trois semaines avant l'élection présidentielle de novembre. «Nous n'avions pas ressenti de demande avant cela», justifie Arima Gromyko, relationniste de la maison d'édition Azbouka-Klassika. Elle se réjouit tout de même des ventes: 20 000 exemplaires, assez bonnes selon elle pour un livre du genre. «À titre comparatif, la biographie de Bill Clinton s'est vendu deux fois moins.»

S'ils ne sont pas carrément indifférents, les Russes sont au mieux sceptiques à l'égard d'Obama. Un sondage - peu scientifique il est vrai - sur le site du journal Izvestia relevait que 93% d'entre eux n'attendent aucun changement du chef d'État américain, ni dans la politique des États-Unis envers la Russie, ni en général.

Le premier ministre et toujours homme fort du pays, Vladimir Poutine, s'est lui-même fait l'avocat du diable devant l'obamanie qui atteint plusieurs politiciens européens. Interrogé par la presse internationale samedi en Allemagne, il s'est réjoui des «signaux positifs» envoyés à son pays durant la campagne électorale, mais s'est aussi dit «profondément convaincu que les plus grandes déceptions naissent de grands espoirs».