samedi 29 mars 2008

Deux semaines dans le Caucase


Je reviens d'un voyage de deux semaines dans le Caucase. Vous pouvez déjà lire (ci-bas) mon article sur la république non reconnue d'Abkhazie. En attendant d'autres reportages dans les prochaines semaines, voici des photos (commentées) prises lors du voyage, notamment à Beslan en Ossétie du Nord, théâtre d'une prise d'otages qui a fait 331 morts dans une école en 2004, et à Grozny, capitale de la Tchétchénie.

Voici les liens (Malheureusement, il faut être inscrit à Facebook pour y accéder. Désolé...)

Caucase (partie 1)

Caucase (partie 2)

vendredi 28 mars 2008

Vive l'Abkhazie libre!

Dossier publié dans La Presse le 28 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Soukhoumi, Abkhazie

Pendant que les Kosovars célèbrent leur indépendance, d'autres peuples grognent de jalousie. Indépendantes de facto depuis une quinzaine d'années, les républiques d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud (Géorgie), et celle de Transdniestrie (Moldavie), n'ont toujours pas été reconnues par aucun autre État.

Notre collaborateur s'est rendu en Abkhazie, république autoproclamée une fois et demie grande comme l'Île-du-Prince-Édouard, que la Russie songe à reconnaître, furieuse du «précédent» kosovar créé par les Occidentaux.




Sur la place de l'ancienne gare maritime de Soukhoumi, Poto a bon espoir de revoir un jour sa capitale aussi dynamique que durant les années soviétiques, alors que les touristes affluaient par milliers au bord de la mer Noire. «Bientôt, des bateaux viendront», assure le vieux gardien de sécurité en regardant le port en décrépitude.

«Avant, il y avait du monde partout», se rappelle Poto. Soukhoumi a en effet des airs de ville-fantôme. En plein centre-ville, le tiers des édifices sont détruits ou à l'abandon. Plusieurs bâtiments portent les cicatrices de la sanglante guerre de sécession contre la Géorgie, en 1992-1993, peu après la déclaration unilatérale d'indépendance de l'Abkhazie.

Durant les hostilités, plus de 13 000 personnes sont mortes, dont le fils de Poto. Près de la moitié de la population a fui la république sécessionniste, en majorité des Géorgiens qui y étaient installés. Aujourd'hui, il ne reste plus que quelque 300 000 habitants, dont le tiers seulement sont d'origine abkhaze. Les autres sont russes, arméniens ou géorgiens.

Dans les paisibles rues de Soukhoumi, le mot «indépendance» est sur toutes les lèvres. Surtout depuis que le Kosovo a proclamé sa souveraineté, le 17 février. Immédiatement, le gouvernement abkhaze a réitéré sa demande de reconnaissance internationale.

Raisons historiques


Tous les Abkhazes rencontrés par La Presse font valoir qu'ils ont encore plus de raisons que les Kosovars d'être indépendants. «Contrairement à eux, nous avons déjà eu notre propre État», argue Anatoli, fringant retraité de 75 ans, avant de se lancer dans un long exposé historique.

Avant de se joindre à l'URSS en 1921, l'Abkhazie était un pays indépendant. Elle fut par la suite rattachée à la république soviétique de Géorgie, avec un statut de «région autonome».

«Donc, nous avions le droit de nous séparer de l'URSS autant que la Géorgie», poursuit Maxim Goundjia, vice-ministre des Affaires étrangères abkhaze.

Le jeune fonctionnaire demeure toutefois réaliste. Il sait que la reconnaissance internationale est avant tout une question «politique». Même la Russie, le plus grand allié de l'Abkhazie, n'a toujours pas voulu l'appuyer officiellement. Après avoir vivement dénoncé l'indépendance du Kosovo, elle ne peut reconnaître l'Abkhazie du jour au lendemain, raisonne Maxim Goundjia.

Double jeu

La Russie mène un double jeu: officiellement, elle soutient l'intégralité territoriale de la Géorgie et de la Moldavie. Dans les faits, elle a accordé la citoyenneté russe à plus de 90% des habitants des républiques non reconnues. En Abkhazie et en Ossétie du Sud, le rouble russe est la monnaie officielle, les retraites sont versées par Moscou et le russe est la langue la plus répandue.

Durant la guerre d'indépendance, c'est la Russie qui a armé les Abkhazes contre les Géorgiens. Les sanctions qui devaient freiner depuis 12 ans le commerce à la frontière russo-abkhaze ont été définitivement abolies début mars. Pour construire à temps les infrastructures des Jeux olympiques de Sotchi de 2014, la Russie ne pourra en effet se passer des ressources de l'Abkhazie, qui se trouve à 9 km du futur village olympique.

Il y a une semaine, les députés russes ont officiellement demandé à leur gouvernement «d'examiner l'opportunité d'une reconnaissance de l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud».

«Après la reconnaissance unilatérale de l'indépendance du Kosovo, la Russie doit corriger sa politique» à l'égard de ces républiques séparatistes, précisent les députés.

Moscou a bien fait comprendre aux pays occidentaux que l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine et surtout de la Géorgie, qui sera étudiée lors du sommet de l'organisation à Bucarest du 2 au 4 avril, pourrait accélérer la reconnaissance des deux républiques autoproclamées sur le territoire géorgien. Elle veut à tout prix éviter de voir un nouvel élargissement de l'OTAN qui a accueilli les pays baltes en 2004.

Mais le président géorgien pro-américain Mikheïl Saakachvili a fait savoir à plusieurs reprises qu'il n'accepterait jamais les indépendances sud-ossètes et abkhazes et que l'armée pourrait à nouveau intervenir pour les empêcher.

De facto indépendante

Reconnaissance ou non, les Abkhazes construisent leur pays. Depuis 15 ans, leur république fonctionne déjà bon gré mal gré comme un État. Le gouvernement prélève des impôts et commence à offrir quelques services à ses citoyens. De nouvelles infrastructures voient petit à petit le jour à Soukhoumi. «Nous ouvrirons bientôt un bureau commercial au Canada», assure Maxim Goundjia, qui multiplie les efforts pour attirer les investisseurs étrangers.

La seule chose qui pourrait freiner le développement de l'Abkhazie, c'est une «agression de la Géorgie», dit le jeune vice-ministre. «Nous sommes un pays de tourisme et d'agriculture. La guerre signifie pour nous que le tourisme sera interrompu pour quelques années et nous perdrons des milliards.»

À la sortie d'un restaurant de Soukhoumi, une dame un brin éméchée par la vodka résume le sentiment populaire: «Dites aux Canadiens, aux Américains, à tout le monde, de venir nous visiter en Abkhazie... mais sans l'OTAN!»

Ossétie du Sud


70 000 habitants

Capitale : Tskhinvali

La guerre d'indépendance de cette région séparatiste de Géorgie a fait près de 1 000 morts entre 1990 et 1992. Des milliers d'Ossètes se sont réfugiés en Ossétie du Nord, l'entité de la Fédération de Russie à laquelle ils espèrent un jour être rattachés. Comme en Abkhazie, des forces de maintien de la paix russes y sont postées depuis la fin de la guerre.

Transdnestrie

533 500 habitants

Capitale : Tiraspol

La république moldave de Transdniestrie s'est autoproclamée indépendante de la Moldavie en 1991 et a tenu sept référendums pour confirmer son statut. Aucun n'a été reconnu par un autre État. Les Russes ont soutenu la Transdniestrie lors de la guerre d'indépendance de 1992.

Abkhazie

300 000 habitants

Capitale: Soukhoumi

L'Abkhazie était un État indépendant quand elle a adhéré à l'URSS en 1921, pour devenir ensuite une région autonome au sein de la Géorgie soviétique. Après l'éclatement de l'URSS, la déclaration d'indépendance de l'Abkhazie a entraîné une intervention militaire de la Géorgie.

samedi 15 mars 2008

Le comble de la fraude électorale en Russie

Publié dans le journal La Presse et sur cyberpresse.ca le 14 mars 2008

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

L'observateur électoral Roman Oudot croyait avoir déjà tout vu en matière de fraudes avant le scrutin présidentiel du 2 mars dernier. Mais lorsque l'alerte aérienne a retenti dans son bureau de vote de Moscou, il a compris que le régime de Vladimir Poutine avait encore bien des tours dans son sac pour s'assurer de l'élection de son candidat Dmitri Medvedev.


Roman prenait son rôle très au sérieux. Il avait apporté sa caméra et son appareil photo pour documenter toute irrégularité. Dix minutes avant l'ouverture officielle du bureau de vote, il remarque que l'une des urnes... contient déjà des bulletins de vote. «La directrice de la commission électorale (une membre du parti Russie Unie, qui appuyait la candidature de Medvedev) n'a pas été en mesure d'expliquer comment cela était possible», a raconté hier le jeune homme, lors d'une conférence de presse organisée par l'ONG Golos, recensant les plus «incroyables» fraudes électorales.

La directrice de la commission a par la suite été contrainte de faire sceller l'urne. Mais vers la fin de la journée, l'alerte aérienne a été déclenchée. Chose étrange en temps de paix, note Roman.

Vidéos et photos à l'appui, il explique que des «gens louches» sont entrés dans l'édifice, alors que tout le monde devait évacuer. Il n'y avait alors plus aucun observateur indépendant pour vérifier les urnes. «Avant l'alerte, le taux de participation était de 48%. Après la réouverture, les gens ont pu voter encore une quarantaine de minutes et à la fermeture, la participation était de 80%,» relate Roman.

Dans un autre bureau moscovite, l'observateur du Parti communiste Dmitri Zykov s'est fait offrir un pot-de-vin par un collègue de Russie Unie. «Il m'a dit: «Je te donne beaucoup plus que ton parti si tu rentres chez toi et ne regardes pas comment on compte les voix»,» affirme-t-il. Dmitri a par la suite été exclu par la commission électorale parce qu'il photographiait le décompte des voix, qu'il jugeait non conforme. La loi électorale lui en donne pourtant le droit.

La technique de l'autobus

Dans le sud de la capitale, Grigory Vaïpan a été témoin de la célèbre technique de «l'autobus». Une cinquantaine de personnes se sont présentées pour voter dans un bureau où elles n'étaient pas inscrites. À la plus grande surprise du jeune observateur, la commission les a laissé voter. Selon la loi, ils auraient dû s'inscrire trois jours avant le scrutin. «S'ils le font le jour même, il est impossible de les empêcher d'aller voter à plusieurs endroits!» raisonne Grigory. Des observateurs dans d'autres bureaux du quartier lui ont d'ailleurs confirmé avoir vu les mêmes électeurs exercer leur devoir citoyen.

Malgré tous ces témoignages, la Commission centrale électorale et les tribunaux refusent de confirmer les violations recensées par Golos. Officiellement, il n'y aurait eu que quelques petites irrégularités qui n'auraient pas influencé la victoire de Medvedev (70,28% au premier tour).

«Les élections en Russie ne sont pas organisées par la commission électorale, mais par le pouvoir exécutif (le Kremlin)», soutient Andreï Bouzine, expert électoral pour Golos.

Il s'étonne aussi de l'efficacité de la commission qui, à chaque scrutin, révèle de plus en plus rapidement les résultats définitifs. «Si la tendance se maintient, on en arrivera à un point où ils les annonceront avant le jour du vote!» ironise-t-il.

lundi 10 mars 2008

La jungle immobilière de Moscou

Publié dans le journal La Presse le jeudi 6 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

Moscou, la ville la plus chère de la planète, est une jungle quand on cherche à s'y loger.

Le papier peint s'arrache des murs, les tapis sont crasseux, le plafond commence à moisir à la suite d'un dégât d'eau. Les cafards qui se terraient près de la vieille tuyauterie viennent tout juste d'être exterminés. Malgré tout, ce trois-pièces à l'allure soviétique dans le centre de Moscou vaut de l'or.

«C'est 50 000 roubles (2000$) par mois, plus électricité et autres frais», dit la quinquagénaire qui s'occupe de louer l'appartement de sa mère malade, près de la galerie Tretiakov. Pour remettre la cuisine en état, le nouveau locataire devra payer le tiers du montant des réparations, ajoute-t-elle.

Dans la capitale du deuxième exportateur de pétrole au monde, les prix de l'immobilier ont grimpé en même temps que ceux des barils d'or noir au cours des dernières années.

En 2007, la mégapole de 11 millions d'habitants a même été classée «ville la plus chère au monde pour les expatriés» par le cabinet-conseil britannique Mercer. Cela s'explique en bonne partie par les incessantes hausses des prix des logements. En janvier seulement, la valeur du mètre carré habitable a augmenté de 4%.

Comme une bonne partie du commerce en Russie, la location d'appartement se fait souvent au noir. Les propriétaires peuvent ainsi économiser les impôts exorbitants. Mais les locataires, eux, n'ont aucune protection. Sans bail, le propriétaire peut du jour au lendemain augmenter le loyer mensuel de quelques centaines de dollars, ou expulser les occupants sans préavis.

Il n'est pas rare non plus que des agences bidon signent des baux pour des appartements inexistants et empochent la commission, ou que de faux propriétaires louent des logements qui ne leur appartiennent pas, laissant les nouveaux locataires s'expliquer avec le vrai maître de la maison à son retour .

Agences


Pour s'assurer de l'honnêteté de l'autre partie, propriétaires et locataires se tournent de plus en plus vers des agences accréditées, explique Tatiana Tseretselli, agente de location dans la capitale depuis 10 ans. «Ils savent que ça les protège.» En échange de l'équivalent d'un mois de loyer, l'agence s'occupe de formaliser l'entente et de garantir la protection des signataires.

Toutefois, agence ou pas, aucune loi russe n'interdit d'augmenter substantiellement le prix du loyer à la fin d'un bail. «Notre propriétaire a voulu le hausser de 35%» raconte un coopérant belge installé à Moscou. «Nous avons refusé et finalement, à deux jours de la fin du bail, elle a décidé de le laisser au même prix», s'étonne-t-il encore. Comme quoi, dans un marché instable, les bons locataires valent autant que les bons propriétaires.

Tous les Moscovites n'ont pas à se soucier des prix de l'immobilier, puisque les trois quarts d'entre eux sont propriétaires. Cette flambée fait même l'affaire de plusieurs, qui ont profité de la crise financière des années 90 pour acheter les appartements de leurs compatriotes fauchés. Ils ont ensuite fait disparaître la déprimante décoration soviétique, procédé à des rénovations «à l'européenne», en se fiant principalement au catalogue IKEA. Aujourd'hui, ils peuvent vivre aisément de leur lucratif investissement.

La situation est plus difficile pour les non-propriétaires, qui peuvent facilement consacrer plus de la moitié de leur salaire mensuel (en moyenne 1200$) à se loger. Le système de distribution de logements gratuits qui prévalait sous l'Union soviétique existe toujours, mais il ne faut pas trop y compter à court terme: quelque 173 000 familles sont sur la liste d'attente. Cette année, la Ville accordera des loyers à ceux qui ont inscrit leur nom... en 1989!

DES PROPRIOS ENLEVÉS (Agence France-Presse)

La police russe a arrêté un groupe de criminels soupçonnés d'enlever des propriétaires d'appartements de Moscou afin de prendre possession de leur précieux bien, a indiqué la police hier. Deux des personnes arrêtées avaient par différentes méthodes criminelles obtenu la propriété de 300 appartements dans le centre de Moscou.

Dans une de ces affaires, un homme de 30 ans avait été enlevé à Moscou puis hospitalisé avec un faux diagnostic de maladie mentale, ce qui avait laissé son appartement aux criminels, selon la police.

Certaines des personnes kidnappées avaient été utilisées comme esclaves et maintenues en captivité pendant des périodes allant jusqu'à deux ans, précise le texte.

Le dirigeant du groupe recherchait des propriétaires d'appartements vivant seuls. Il les enlevait avec ses complices et les amenait dans les régions d'Orlov et de Rostov où ils étaient maintenus de force en captivité.

jeudi 6 mars 2008

Lorsque la propagande gouvernementale mordve m'utilise...

Dimanche dernier, jusqu'à preuve du contraire, j'étais le seul journaliste étranger à couvrir l'élection présidentielle russe à partir de la petite république de Mordovie. La capitale Saransk se trouve à 640 km à l'est de Moscou.

Il semble que mon passage a beaucoup attiré l'attention: agents des services de l'immigration venus contrôlés mes papiers dans la chambre d'hôtel la veille du scrutin (comme pour tous les étrangers, ont-ils précisé); agent du FSB (services de sécurité) au bureau de scrutin qui me demande des informations; journaliste de la télévision locale (contrôlée par le gouvernement) qui faisait le pied-de-grue près de la gare sous la pluie, dans la boue, à la noirceur, pour avoir mes commentaires sur l'élection. Pauvre de lui, il ne les aura pas eu. Je ne m'étais même pas aperçu au départ, ne pensant qu'à mon train, que la lumière derrière moi était celle d'une caméra et que l'homme qui me posait des questions, aussi derrière moi, était journaliste. Mais lorsque je m'en suis rendu compte, j'ai poursuivi ma route avec un «pas de commentaires»...

Dernière de la série: un article sur moi dans le journal (ultra-pro-gouvernemental) Izvestia Mordoviy (Les nouvelles de Mordovie). En voici la traduction ci-bas. À noter que je n'ai parlé avec aucun journaliste de ce journal. Pas étonnant donc que leurs conclusions reflètent peu mon jugement face au déroulement du scrutin dans la république. L'école #26, c'est justement là que j'ai rencontré le jeune agent du FSB...

Un Canadien venu chercher des violations

Le déroulement des élections en Mordovie n'a pas seulement été suivi par des observateurs. Le jour du vote, le correspondant du journal canadien «La Presse» Friderik Laboie (sic) a visité quelques bureaux de scrutin en compagnie d'un représentant du Parti communiste. Il est premièrement aller au Lycée #26 de Saransk. Au début, il a été surpris de la présence dans l'école de son directeur. Mais lorsque le correspondant étranger s'est fait expliqué que le directeur assurait l'ordre général et le fonctionnement normal des communications dans l'école, alors il a reconnu qu'à la place du directeur, en tant que bon propriétaire, il aurait fait la même chose. Ensuite, il a observé le bureau de scrutin, s'est entretenu avec des électeurs et a noté le très haut taux de participation, alors que les électeurs depuis tôt le matin se rendaient en masse dans les bureaux de scrutin. Par après, l'invité étranger a manger des pâtisseries à la cafétéria et était agréablement surpris de leur bas prix. Ne trouvant aucune violation, Friderik Laboie s'est rendu dans le village de Meltsany du district de Starochaïgovo. Mais là-bas non plus, il n'a pas remarqué de violations.


Version originale en russe ici
Mon article sur l'élection vue de Mordovie ici

À propos du directeur d'école, en effet, je m'étonnais qu'il soit dans l'édifice comme «bénévole», surtout compte tenu des accusations d'observateurs que dans certaines écoles du pays, les enfants étaient menacés de voir leurs résultats scolaires diminués si leurs parents n'allaient pas voter.

Les pâtisseries étaient en effet très peu chères dans les bureaux de scrutin.

Pour le haut taux de participation, la Mordovie a officiellement eu le taux de participation le plus élevé du pays avec 92,89%. Il est difficile d'évaluer à vue d'oeil dans quelques bureaux de vote le taux de participation...

Le candidat du pouvoir et vainqueur Dmitri Medvedev y a - toujours officiellement - obtenu 90,31% des voix.

J'ai observé plusieurs choses louches dans les bureaux de vote visités, dont des gens qui refusaient de s'identifier tout en rôdant autour des bureaux de scrutin et parlant avec les électeurs. J'ai aussi été témoins de plusieurs accusations de violation à la loi électorale, formulée par les communistes. Pour le reste, vous trouverez les explications dans mon article.

mardi 4 mars 2008

Dur lendemain d'élections pour les opposants à Moscou

Dernier texte de la série électorale, publié dans La Presse le 4 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Avec l’Agence France-Presse
Moscou

Tatiana regarde les opposants se faire arrêter un à un par les milliers de policiers massés sur la place Tourgueniev de Moscou. « Le nouveau président fête sa nomination ! » lance avec ironie cette professeure de russe.

À l’initiative de la coalition l’Autre Russie de l’ancien champion d’échecs Garry Kasparov, les opposants au régime de Vladimir Poutine sont sortis dans les rues hier pour dénoncer la « farce » de l’élection présidentielle de dimanche, facilement remporté par Dmitri Medvedev (70 % des voix), le dauphin du président sortant.

À Saint-Pétersbourg, les 3000 participants à la « Marche du désaccord », dont Garry Kasparov, ont pu manifester avec l’accord des autorités. À Moscou toutefois, une cinquantaine de ceux qui ont osé se présenter à l’événement non autorisé ont terminé la journée derrière les barreaux.

En fait, difficile de parler d’une quelconque manifestation : aucun slogan n’avait encore été scandé que les policiers avaient déjà commencé à interpeller brutalement des opposants, sous les regards incrédules de plusieurs dizaines de journalistes, en bonne partie étrangers. Les forces de l’ordre sont même parties à la chasse à l’homme dans un McDo adjacent à la place. Des manifestants qui y étaient retranchés ont été jetés dans un autobus de la police, direction le centre de détention.

« Un policier s’est approché de mon mari et lui a dit qu’il était un « représentant du pouvoir » et qu’il voulait voir ses pièces d’identité », raconte Maïa Polikova, bibliothécaire dans la trentaine. « Mon mari a répondu qu’il voulait d’abord voir ses papiers et ils l’ont emmené ! » Mme Polikova croit que le macaron qu’arborait son mari, à l’effigie de Vladimir Boukovski, l’un des candidats de l’opposition interdit de se présenter à la présidentielle, est à l’origine de l’arrestation.

Le chef de l’Union des forces de droite Nikita Belykh et la porte-parole de l’Autre Russie, Marina Litvinovitch, ont aussi été arrêtés, même s’ils n’ont pris la parole que devant les journalistes, sans jamais s’adresser aux personnes rassemblées.

« Ces fascistes, ils font cela (les arrestations) avec notre argent en plus ! » s’indigne Tatiana, en voyant une dame dans la soixantaine bousculée par les policiers et entraînée dans l’un des autobus.

Le défenseur des droits de l’homme Andreï Mironov ne s’étonnait pas de la réaction du pouvoir face à une opposition déjà très faible. « Ils veulent montrer qu’ils peuvent buter jusque dans les chiottes, » dit-il, en référence à la célèbre phrase du président Poutine qui menaçait alors les terroristes tchétchènes. « Il dirige par l’humiliation, en nous faisant comprendre qu’ils ont déjà tout décidé et que nous ne sommes personne ».

Les forces de l’ordre n’ont pas expliqué les motifs des arrestations, ni la raison de la fermeture de la place. Quelques minutes avant l’heure prévue de la manifestation, La Presse s’est informée à un policier antiémeute de son sentiment face à la possibilité d’avoir à tabasser des protestataires pacifiques. « Nous les éduquons », a-t-il répondu, en faisant balancer sa matraque.

Dans un autre coin de la capitale, le mouvement de jeunesse pro-Kremlin Nachi (« Les Nôtres ») avait rassemblé des milliers de jeunes – certains contre leur gré selon l’Agence France-Presse – pour fêter la victoire de Dmitri Medvedev. Les forces de l’ordre n’ont pas nui à l’événement.
Medvedev félicité

Malgré les accusations d’irrégularités formulées notamment par l’ONG russe Golos et la mission d’observation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Dmitri Medvedev a reçu les félicitations de plusieurs pays occidentaux hier.

À Washington, un porte-parole de la Maison-Blanche a déclaré que les « États-Unis ont hâte de travailler avec (Medvedev) », sans commenter toutefois l’élection en elle-même.

Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a déclaré avoir « confiance que sous la direction du président Medvedev, l’Union européenne et la Russie consolideront et développeront leur partenariat stratégique ». Il n’a pas porté de jugement sur le caractère démocratique du scrutin.
Selon l’entourage du vainqueur, le président français Nicolas Sarkozy s’est entretenu hier soir avec Medvedev et l’a « chaleureusement félicité » pour sa « victoire convaincante. »

La République tchèque a été l’un des rares pays à critiquer les « pratiques restrictives » qui auraient eu lieu durant l’élection.

Au moment de mettre sous presse hier soir, le gouvernement canadien n’avait toujours pas réagi à l’élection de Dmitri Medvedev.

Entrevue à «L'heure de pointe»


J'ai donné une entrevue le 3 mars 2008 à l'émission «L'heure de pointe» (Radio-Canada Saguenay-Lac-Saint-Jean) sur les conditions de couverture de l'élection présidentielle en Russie pour les journalistes étrangers.

Pour l'écouter, cliquez ici

lundi 3 mars 2008

Medvedev élu haut la main (ou l'élection vue de Mordovie)

Publié dans La Presse le 3 mars 2008 et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Saransk, Russie

Sans aucune surprise, Dmitri Medvedev a été élu hier nouveau président de la Russie, récoltant 70% des voix après le dépouillement de 90% des bulletins de vote. Il succède à Vladimir Poutine, qui l'avait désigné comme son dauphin en décembre, ne pouvant se présenter lui-même pour un troisième mandat consécutif. Si la victoire de Medvedev ne faisait aucun doute, les résultats du scrutin sont déjà contestés par plusieurs observateurs et opposants, particulièrement dans certaines régions éloignées de Moscou. Notre collaborateur spécial a suivi le déroulement du scrutin à Saransk, capitale de la république de Mordovie (640 km à l'est de Moscou), où le parti de Poutine et Medvedev avait obtenu jusqu'à 109% des voix lors des législatives de décembre.


Vitali Borodkine conduit à vive allure sur une route de campagne près de Saransk, tout en parlant au téléphone avec son frère Ivan. «Un homme est allé dans un bureau de scrutin avec trois passeports et on l'a laissé voter trois fois!» crie-t-il en raccrochant.

Dans sa petite Lada, l'énergique avocat de 47 ans, l'un des hommes de confiance en Mordovie du candidat communiste Guennady Ziouganov, fait le tour des bureaux de scrutin pour enregistrer les violations à la loi électorale.

Ses camarades et lui doutent fortement de la transparence du scrutin présidentiel d'hier. Surtout depuis que leurs adversaires du parti Russie unie ont obtenu plus de 93% des voix en Mordovie, traditionnellement communiste, lors des législatives de décembre. Dans certains bureaux de scrutin, le parti de Poutine avait récolté jusqu'à 109% des voix des électeurs inscrits, avant le décompte final. Hier, selon les résultats partiels, le communiste Ziouganov a obtenu à peine 1% des voix, contre 98,11% pour Dmitri Medvedev.

Arrivé au bureau de scrutin du Palais des arts du village de Chaïgovo, Vitali Borodkine s'informe des détails de l'incident des passeports auprès de son frère, dépêché comme observateur un peu plus tôt. Ivan explique qu'un homme a pu voter pour sa femme et son fils en présentant leurs pièces d'identité. «Nous l'avons dit à la directrice du bureau de scrutin, mais elle ne réagit pas,» ajoute Ivan.

Un autre observateur communiste a réussi à noter les coordonnées de l'électeur. «Nous avons assez de témoins et de preuves pour monter un dossier contre la membre de la commission (électorale) qui lui a permis de faire ça. Ça ira au criminel!» assure Vitali, satisfait d'avoir un cas «concret» de violation de la loi.

Questionnées par La Presse, l'employée électorale tout comme la directrice du bureau ont nié les accusations. «Ils veulent nous compromettre pour dire que les élections sont falsifiées», répond la directrice Natalia Tsyganova. Indépendamment de son travail temporaire à la commission électorale, cette responsable de garderie est aussi membre du parti Russie unie, qui appuyait le vainqueur Dmitri Medvedev.

Dans le même bureau de vote, les communistes ont aussi accusé une policière qui assurait la surveillance d'avoir voté à deux reprises durant la journée, ce que la principale intéressée a nié vigoureusement. «Qu'est-ce que vous dites là! Je n'ai voté que pour moi-même! Ce matin, je ne faisais que demander à la directrice si le vote était commencé», justifie Lioubov Semouchonkova, devant l'observateur communiste qui jure l'avoir vu à deux reprises déposer un bulletin dans l'urne.

La Presse n'était pas en mesure de vérifier ces déclarations contradictoires et ne pouvait que constater l'ambiance de confrontation dans différents bureaux de scrutin entre les communistes et les membres de la commission électorale.

Agitateurs et flâneurs

Quelques kilomètres plus loin, à l'école du village de Meltsany, plusieurs hommes flânent sur le parvis de l'établissement, transformé en bureau de scrutin. «Ce sont des agitateurs (pour Medvedev)», chuchote Vitali Borodkine. Peu après qu'il se soit présenté à eux, les hommes quittent les lieux.

À l'intérieur, un homme dans la soixantaine rôde près des urnes. Il s'enquiert des raisons de la présence du représentant de La Presse, mais refuse de prime abord de se présenter, ne faisant que confirmer qu'il n'a pas voté dans ce bureau. Finalement, il admettra être... député du parti Russie unie à l'assemblée de Mordovie et l'un des hommes d'affaires importants de la région. Plusieurs électeurs lui serrent la main en le reconnaissant.

À l'école #24 de Saransk, une enseignante venue «bénévolement faire la garde» accueille les électeurs, plusieurs étant des parents de ses élèves. «Vous êtes intelligents», chuchote-t-elle à deux d'entre eux, après leur sortie du bureau de vote, selon toute apparence en référence à leur choix de candidat.

«C'est dégueulasse. Les instituteurs et les médecins, ceux qui s'occupent de l'âme et du corps de notre population, sont vendus au pouvoir!» s'indigne Vitali Borodkine, convaincu que les enfants pourraient avoir des problèmes si leurs parents ne venaient pas voter. Des cas similaires ont été rapportés lors des élections de décembre, notamment à Moscou.

Contrairement aux communistes, le quartier régional de campagne du candidat Medvedev n'avait enregistré aucune plainte hier après-midi pour violation de la loi électorale, a indiqué son directeur Vladimir Guerchev. «Si nos observateurs avaient noté une irrégularité, ils nous auraient déjà avertis.»

Lorsqu'on lui fait part du témoignage d'un citoyen dont la mère fonctionnaire a reçu un appel de son patron la veille du scrutin pour la sommer de voter pour le candidat du pouvoir Dmitri Medvedev, M. Guerchev répond calmement. «Évidemment, plusieurs personnes ont tenté de convaincre leur entourage de voter comme eux. Mais lorsque vous êtes dans l'isoloir, vous faites ce que vous voulez.»

Les résultats*

Dmitri Medvedev (Russie unie): 70%
Guennady Ziouganov (Parti communiste): 17,9%
Vladimir Jirinovski (Parti libéral-démocrate, extrême droite): 9,5%
Andreï Bogdanov (Parti démocratique): 1,2%

*après le décompte de 90% des bulletins de vote

Dmitri Medvedev: dans l'ombre de Vladimir Poutine

Publié le 2 mars 2008 dans La Presse et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale

Les électeurs russes vont voter aujourd'hui pour élire le successeur du président Vladimir Poutine. Son nom est déjà connu: Dmitri Medvedev. Portrait d'un politicien discret qui a grandi à l'ombre de son illustre mentor.
Il y a trois mois, Dmitri Medvedev ne savait même pas qu'il serait candidat à la présidentielle. Aujourd'hui, le Pétersbourgeois de 42 ans, crédité de 73% des intentions de vote, est pratiquement assuré d'être élu troisième président de la Fédération de Russie.

Devant le bureau de campagne de Dmitri Medvedev, en ce mercredi matin pré-électoral, une quarantaine de citoyens font la queue avec leurs problèmes.

Bravant la pluie froide, Mariana est venue demander l'aide de l'équipe du candidat pour obtenir un appartement adapté pour sa soeur handicapée. Cette mère au foyer de 24 ans n'apprécie pas particulièrement le dauphin du président Vladimir Poutine, mais compte tout de même voter pour lui. «C'est le seul candidat qui a vraiment du pouvoir. Il n'y a pas vraiment d'autre choix possible», explique-t-elle, résignée.

Derrière elle, Galina et Vera ont fait plus de 1000 kilomètres pour exposer leur problème de propriété terrienne au «prochain président», comme elles l'appellent. «Nous n'obtenons pas justice chez nous, alors nous sommes venues ici», lancent les deux femmes de la région de Rostov, espérant profiter de la période électorale pour faire avancer leur dossier.

Ici, pas de fanatisme. Simplement du pragmatisme. Le juriste peu charismatique, inconnu du grand public il y a quelques mois encore, n'attire pas les votes en raison de sa personnalité plutôt effacée. Il est simplement le successeur désigné du très populaire Vladimir Poutine.

«Medvedev est quelqu'un de faible qui n'a pas l'autorité pour rassembler les gens autour de lui», croit Marina Litvinovitch, qui a travaillé avec lui lorsqu'il dirigeait la campagne électorale de Poutine en 2000.

Devenue porte-parole de Garry Kasparov, l'un des plus fervents opposants au régime actuel, elle jure que son opinion sur le futur président n'a pas changé avec son allégeance politique. «À cette époque, j'étais étonnée que quelqu'un d'aussi peu créatif et peu intéressant soit à la tête de l'organisation», se rappelle-t-elle.

Pour compenser son manque de charisme, Dmitri Medvedev peut toutefois compter sur la toute-puissante machine de propagande du Kremlin. Le politicien au visage d'enfant, autrefois discret, est partout depuis le 10 décembre. C'est à cette date qu'il a été nommé candidat unique du pouvoir, sans même avoir fait campagne, ni fait part publiquement de ses ambitions présidentielles. Comme les autres prétendants, il attendait patiemment le choix de Vladimir Poutine.

Du jour au lendemain, sa fonction de premier vice-premier ministre est devenue si importante qu'il doit parcourir le pays entier pour visiter des usines ou des écoles, assister à des forums, des commémorations. Vladimir Poutine a même commencé à lui déléguer des fonctions traditionnellement présidentielles. Cette semaine, il l'a envoyé en Serbie pour apporter le soutien du peuple russe aux frères serbes, dépossédés de leur Kosovo. Ses déplacements dans le cadre de ses fonctions ministérielles sont aussi largement couverts par les télévisions d'État sous le contrôle du Kremlin que ceux du président.

Le dauphin Medvedev prend aussi des airs du mentor Poutine. Pour les événements officiels, il a adopté les habits chic mais modestes du président, alors que le col roulé est de mise pour les rencontres informelles. Même ses expressions faciales et sa manière de parler rappellent celles de Poutine.

De vieux alliés

Il faut dire que les deux Pétersbourgeois se connaissent depuis longtemps. En fait, ils ont pratiquement gravi tous les échelons du pouvoir côte à côte.

En 1991, alors qu'il enseigne le droit à l'Université d'État de Saint-Pétersbourg, Dmitri Medvedev est invité à travailler pour son ancien professeur Anatoli Sobtchak, devenu maire de la ville. Il devient conseiller juridique au Comité des affaires extérieures de la mairie, dont le directeur n'est nul autre que Vladimir Poutine.

Lorsque Sobtchak perd la mairie en 1996, Dmitri Medvedev se tourne vers le monde des affaires. Il siège au sein de conseils d'administration de compagnies de pâtes et papier, tout en continuant à enseigner le droit. Poutine, lui, prend la route de Moscou.

En novembre 1999, Poutine, devenu premier ministre du pays, demande à Medvedev de le rejoindre dans la capitale. Un mois plus tard, le président Boris Eltsine démissionne et Medvedev est nommé directeur adjoint de la nouvelle administration présidentielle.

Durant les huit ans de présidence de Vladimir Poutine, il n'est jamais bien loin du chef de l'État. Il occupe différentes fonctions de choix, sans jamais briguer de poste électif. Depuis 2000, il est président du conseil de direction de la très influente société d'État Gazprom, la plus grosse compagnie de Russie et troisième entreprise énergétique au monde.

Pouvoir à deux têtes


L'élection aujourd'hui de celui que le Kremlin présente comme un «libéral» ne fait plus aucun doute. La question est plutôt de savoir comment il partagera ses énormes pouvoirs avec son futur premier ministre Vladimir Poutine, considéré par une majorité de la population comme le vrai «leader national».

«Une chose est certaine aujourd'hui, Medvedev n'est pas le maître de ce jeu», explique la politologue Maria Lipman, du Centre Carnegie de Moscou. «Il sait que sa nomination comme candidat, sa popularité et son élection garantie, il doit tout cela à Poutine.»

Le nouveau président ne pourra ainsi montrer aucun signe d'indépendance. Maria Lipman rappelle d'ailleurs que le candidat Medvedev a récemment présenté un plan de développement du pays sur quatre ans similaire à celui du président sortant, lequel s'étend... jusqu'en 2020. Cela laisse à penser que Vladimir Poutine pourrait se porter à nouveau candidat à la présidentielle dans quatre ans, dit-elle. Medvedev n'aurait alors été qu'un président de paille pour respecter la Constitution, qui interdit trois mandats consécutifs à la tête de l'État.

L'opposante Marina Litvinovitch ne s'étonne donc pas que Vladimir Poutine ait porté son choix sur son ancien patron pour lui succéder. «Comme un chien, il est très fidèle. Et Poutine n'a justement pas besoin d'un président fort.»

FICHE SIGNALÉTIQUE


Nom: Dmitri Anatolevitch Medvedev.

Origine: Né le 14 septembre 1965 dans un quartier populaire de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) de deux parents professeurs.

Études: Licence de droit à l'Université d'État de Leningrad.

Fonctions actuelles: Président du conseil de direction de Gazprom depuis 2000. Premier vice-premier ministre du gouvernement russe, chargé des grands projets nationaux (santé, logement, éducation et agriculture) depuis 2005.

État civil: Marié à Svetlana Linnik, qu'il fréquente depuis l'école secondaire. Père d'Ilia, né en 1996.

Loisirs: Photographie, natation. Fan des groupes rock Deep Purple, Pink Floyd et Black Sabbath.

Religion: Baptisé en secret à 23 ans, de sa propre initiative. Orthodoxe croyant et pratiquant.

Russie: La fin de l'opposition?

Publié dans le journal La Presse le 1er février et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

Andreï Bogdanov se considère comme un «candidat de l'opposition» pour la présidentielle russe de demain. Mais il n'hésite pas à défendre le bilan du président sortant. Ses détracteurs, eux, le traitent de «collabo» du Kremlin. Après huit ans de régime de Vladimir Poutine, les seuls opposants autorisés à se présenter à sa succession doivent lui prêter allégeance.

Andreï Bogdanov nous reçoit dans les chics bureaux moscovites de son minuscule Parti démocratique. «Le pays se développe sans cataclysme, révolution ou guerre», fait remarquer le politologue de 38 ans à la longue chevelure bouclée qui lui donne des allures de rock star. «Pour ça, je remercie Poutine.»

Pas question pour lui d'attaquer de front son principal concurrent, Dmitri Medvedev, le dauphin de Poutine, crédité de 73% des intentions de vote. Selon lui, il est normal que le premier vice-premier ministre, autrefois peu visible, soit partout sur les écrans de télévision depuis le début de la campagne, laissant peu de place aux trois autres candidats, dont lui-même. «C'est dans le cadre de ses fonctions. (...) Ce qu'il fait, il le fait selon la loi», défend M. Bogdanov, qui est aussi grand maître de la loge de francs-maçons de Russie.

Le politicien va même jusqu'à prendre sur lui le blâme pour la quasi-disparition de l'opposition en Russie. Selon lui, si les «démocrates», dont il dit faire partie, s'étaient unis il y a cinq ans, ils auraient pu influencer les lois qui ont été adoptées depuis pour les exclure pratiquement du jeu politique.

Lors des législatives de décembre dernier, les derniers députés libéraux ont perdu leurs sièges à la Douma (chambre basse). Les partis pro-Kremlin sont largement majoritaires, alors que le Parti communiste fait office d'opposition, même s'il est souvent en accord avec le pouvoir.

Au cours des derniers mois, tous les candidats qui s'opposaient avec virulence au régime du président Poutine ont dû abandonner la course au Kremlin.

L'ancien champion d'échecs Garry Kasparov, chef de la coalition l'Autre Russie, a lancé la serviette dès décembre, accusant les autorités d'intimidation et de harcèlement pour l'empêcher de se présenter.

Mikhaïl Kassianov, ex-premier ministre de Poutine devenu opposant, avait réussi à amasser les deux millions de signatures nécessaires pour appuyer sa candidature mais, au dernier moment, la commission électorale l'a rejetée. Un trop grand nombre d'entre elles étaient non valides ou falsifiées, selon la commission.

Même si le Parti démocratique a récolté moins de 90 000 voix (0,13%) lors des élections législatives de décembre, Andreï Bogdanov, lui, n'a eu aucun problème à récolter les deux millions de signatures.

Cela a fait dire à plusieurs observateurs que pour accomplir cette tâche colossale, sa petite formation avait reçu l'aide du Kremlin, qui souhaitait se servir de sa candidature pour donner une apparence de démocratie à l'élection présidentielle. M. Bogdanov réfute ces allégations.

Contrôle total

Pour la politologue Maria Lipman, une chose est certaine. «Le Kremlin peut bloquer l'accès au champ politique à toute personne ou parti qui ne lui plaît pas.» Durant ses deux mandats à la présidence, Vladimir Poutine a pris le contrôle «formel et informel» de toutes les institutions du pays, explique Mme Lipman, rattachée au Centre Carnegie de Moscou.

Pour sonner le glas de l'opposition tout en conservant des apparences de démocratie, le Kremlin a entrepris de tout simplement la remplacer par des gens plus dociles. Alors qu'il devenait de plus en plus difficile pour les ONG et les partis politiques de s'enregistrer en Russie, des organisations fidèles au pouvoir sont apparues pour accomplir des rôles similaires.

Résultat: privés d'accès aux médias de masse contrôlés par le Kremlin, les opposants les plus féroces sont pour la plupart des inconnus en leur propre pays. Il ne leur reste guère plus que la rue et quelques médias indépendants pour faire connaître leurs idées.

Malgré tout, Édouard Limonov, le président du comité exécutif de l'Autre Russie ne croit pas du tout en la mort de l'opposition. Si l'opposition parlementaire n'existe plus, celle de la rue est bien vivante, assure l'écrivain de 65 ans, en référence à sa coalition hétéroclite de plusieurs petits partis.

«Le pouvoir tremble chaque fois que nous annonçons une Marche du désaccord. S'ils sont si forts, pourquoi font-ils descendre jusqu'à 20 000 policiers dans les rues?» questionne-t-il. Rarement plus de 4000 personnes participent à ces marches, qui se terminent souvent par des arrestations massives.

Édouard Limonov image la stratégie de l'Autre Russie par celle du toréador avec son drap rouge. «Cet État est un véritable taureau: idiot, fort dans son pays, mais complètement sans cerveau. Alors, il faut l'énerver(...), faire de plus en plus de marches pour l'épuiser.»

La coalition a bien tenté de négocier avec le régime Poutine par le passé, révèle Édouard Limonov, mais rien à faire. Selon lui, le Kremlin ne veut pas satisfaire leur seule exigence: «Des élections libres».