mercredi 27 février 2008

La présumée fortune de Poutine

Deuxième article d'une série pré-électorale, publié le 27 février 2008 dans le journal La Presse et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou

À quatre jours de l'élection présidentielle russe, les observateurs spéculent: combien de milliards de dollars Vladimir Poutine et son entourage ont-ils cachés pour leur bénéfice personnel à l'étranger?


Pour Stanislav Belkovsky (photo), politologue à l'Institut de stratégie nationale, il ne fait aucun doute qu'en huit ans de pouvoir, Vladimir Poutine est devenu l'homme le plus riche d'Europe. À lui seul, le président aurait accumulé l'équivalent d'«au moins 40 milliards de dollars» en actifs qu'il dissimulerait dans des compagnies offshore à l'aide de prête-noms.

Le principal intéressé prend ces graves accusations en riant. Lors de sa dernière conférence de presse, le 14 février, Vladimir Poutine a admis être « l'homme le plus riche du monde»... parce que les Russes l'ont élu à deux reprises à la tête de l'État! Et concernant sa présumée fortune? « Des racontars. Ils ont sorti tout cela de leur nez et l'ont étalé sur ces torchons. «

Mais Belkovsky persiste et signe. Citant des sources anonymes au Kremlin, il affirme que Vladimir Poutine détiendrait plus du tiers des actions de Surgutneftgaz, troisième producteur russe de pétrole. Il posséderait également 4,5% de la société d'État Gazprom et les trois quarts de Gunvor, une entreprise pétrolière basée à Zoug en Suisse. Cette obscure compagnie fondée par son ami Guennady Timchenko a déclaré des revenus de 43 milliards de dollars en 2007.

Aleksei Moukhine, directeur du Centre d'information politique, modère les propos de son collègue. Il avance «intuitivement» le chiffre de 4 ou 5 milliards de dollars à propos des avoirs de Poutine.

Les deux politologues s'entendent toutefois sur une chose: Vladimir Poutine est avant tout un «homme d'affaires» qui a su profiter de l'explosion des prix du pétrole et du gaz sur les marchés mondiaux pour s'enrichir en se servant de l'État russe et de ses sociétés.

Et il ne serait pas seul. Stanislav Belkovsky estime qu'une « quinzaine» des proches alliés du président sortant auraient aussi amassé de gros magots. Le changement de garde, qui se fera en mai prochain, fait craindre à plusieurs d'entre eux de perdre leur butin ou, au pire, de se retrouver derrière les barreaux lorsque le nouveau président voudra former sa propre équipe.

Guerre interne

Les alliés de Vladimir Poutine se livrent ainsi une guerre interne pour « légaliser» leurs actifs à l'étranger, au cas où ils ne pourraient rester à l'intérieur des murs du Kremlin après son départ.

Dans cette lutte, chacun utilise les armes à sa disposition pour nuire à ses adversaires. Les membres des services de sécurité seraient derrière l'arrestation du vice-ministre des Finances Serguei Stortchak, accusé en novembre du détournement de plus de 43 millions de dollars de fonds publics. Selon Aleksei Moukhine, ils voulaient ainsi nuire au ministre des Finances Aleksei Koudrine, autre proche du président.

«En échange d'une compensation, ceux qui devront quitter le Kremlin ne déclareront pas la guerre à la nouvelle administration», croit M. Moukhine. En prévision de l'arrivée quasi assurée au pouvoir de Dmitri Medvedev, le dauphin de Vladimir Poutine, chacun place ses pions pour être en position de négocier son éventuelle sortie du Kremlin.

« De purs mensonges», répond le porte-parole du président, Dmitri Peskov. « Poutine n'est pas un homme riche et les fonctionnaires qui siègent à la direction des sociétés d'État ne reçoivent pas de salaire supplémentaire.» M. Peskov assure que ni Vladimir Poutine ni Dmitri Medvedev (actuel président du conseil de direction de Gazprom) ne possèdent quelque action que ce soit au sein d'une société d'État russe.

En novembre dernier, Vladimir Poutine déclarait à la commission électorale un revenu de deux millions de roubles (82 000$) pour l'année 2006. Il affirmait aussi posséder un modeste appartement à Saint-Pétersbourg, trois voitures, un terrain près de Moscou et 230 actions de la Banque de Saint-Pétersbourg, en plus de conserver l'équivalent de 140 000$ dans ses comptes de banque. Dmitri Medvedev ne serait pas vraiment plus riche, si l'on en croit ses déclarations en prévision de la présidentielle.

Qui croire? Il est pratiquement impossible de vérifier les allégations des politologues, explique Elena Panfilova, directrice du bureau moscovite de Transparency International, parce que l'information est verrouillée par le Kremlin. « Seuls ceux qui participent au processus peuvent savoir ce qui se passe et ils n'ont aucun intérêt à ce que ça se sache. «

mardi 26 février 2008

À 80 km de Moscou, on vote encore Poutine

Article publié dans le journal La Presse le 26 février 2008 et sur cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Nadejdino, Russie

Les Russes sont appelés dimanche à élire leur prochain président. Le dauphin de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, a toutes les chances d'être élu dans ce scrutin d'où toute opposition réelle a été exclue. Même dans des villages fantômes privés de tout, le régime actuel a la cote, comme le constate notre collaborateur spécial.


Le camion s'arrête devant quelques vieilles maisons en bois défraîchies. Rassemblés au bord du chemin, les huit habitants permanents de Nadejdino attendent leur épicerie ambulante - exception faite de ce que leur apportent parfois leurs proches, c'est l'unique moyen d'approvisionner ce village désert.

Situé à 80 kilomètres de Moscou, Nadejdino est à un demi-siècle de la bouillonnante capitale russe. Ici, il n'y a ni eau chaude ni gaz. Pourtant, la Russie est le premier exportateur mondial de cette ressource. Le marché le plus proche est à 10 kilomètres et aucun des habitants du village, tous des retraités, n'a de voiture.

L'été, le village est envahi par de riches Moscovites qui y ont construit des datchas. Mais en hiver, Nadejdino est un village fantôme, où les denrées de base sont acheminées une fois par semaine par un camion exploité, à perte, par l'Union des coopératives de consommateurs de la région de Moscou.

Le choix de produits est peu varié. « Il y a tout ce qui est essentiel à la vie d'un être humain! » fait pourtant remarquer Aleksander Markov, l'un des deux seuls hommes du village, attendant son tour pour être servi.

Loin de se plaindre, il compare sa situation actuelle à celle des dures années 90. «Il n'y avait rien dans les magasins. Aujourd'hui, tout a changé pour le mieux. Si tu as de l'argent, tu peux tout acheter», lance ce chauffeur de camion retraité.

Pour M. Markov, une personne est à l'origine de tous ces changements positifs: Vladimir Poutine. «Il nous a sortis du trou dans lequel nous étions», dit-il. Dimanche prochain, il votera sans hésiter pour Dmitri Medvedev, le dauphin du président sortant. «Il marchera dans ses traces. Et de toute façon, Poutine sera son bras droit», se rassure M. Markov.

Nostalgie


Quelques kilomètres plus loin, à Denejkino, il ne reste plus qu'une dizaine de veuves nostalgiques de l'époque soviétique. La fermeture des fleurons de l'industrie soviétique en 1991 a fait fuir les jeunes.

« Nous avions un kolkhoze (ferme collective) vraiment riche avant», se souvient Tatiana Ivankina, dont la famille est implantée dans le village depuis 200 ans. « Maintenant, c'est devenu une société par actions, ou quelque chose comme ça», poursuit son amie Raïssa Zaïtseva.

Mais nostalgie ou pas, ce n'est pas vers Guennady Ziouganov, le candidat du Parti communiste, que les babouchkas de Denejkino tournent leurs espoirs. «Je voterai pour Poutine, pour qui d'autre? » demande Mme Zaïtseva, avant de réaliser que le président sortant ne fait pas partie des candidats. «Medvedev, Poutine, ils sont ensemble» rectifie la dame de 65 ans à travers son sourire de dents en or.

« Il poursuivra les politiques de Poutine, renchérit Mme Ivankina. Et Poutine, c'est lui qui nous a relevés alors que le reste du monde était prêt à nous enterrer. »

Si les Denejkinoises appuient avec conviction le chef actuel de leur pays, elles reconnaissent que leur niveau de vie n'a pas vraiment augmenté depuis son arrivée au pouvoir il y a huit ans. « Moi, je ne peux même pas acheter de beurre», dit Mme Zaïtseva.

« Vous savez, nous ne sommes que de petites gens, souligne Mme Ivankina. Nous ne travaillons plus, alors nous n'avons pas vraiment ressenti d'amélioration à notre situation matérielle. Mais les travailleurs, eux, l'ont ressentie», soutient-elle.

L'épicerie ambulante repart vers un autre village. La « fête», comme l'appellent les habitantes, est terminée. En attendant le jeudi suivant, les babouchkas de Denejkino retourneront à leurs tâches avec, en arrière-fond, leur seul autre lien avec le reste du pays: la télévision, dont le contenu des nouvelles politiques est quasi entièrement contrôlé par le Kremlin.

dimanche 24 février 2008

Devenir président de la Russie pour 1,2 millions de dollars

Dmitri Medvedev est le candidat qui se déplace le plus dans le pays depuis le début de la campagne présidentielle russe. Un jour, le dauphin de Vladimir Poutine est en Sibérie, le lendemain dans l’Extrême-Orient, puis le même jour de retour à Moscou. Mais pourtant, celui qui est largement donné gagnant n’a dépensé jusqu'à présent que l’équivalent de 1,2 M$ pour devenir président.

Ses trois opposants ont pratiquement tout dépensé l’argent qu’ils ont réussi à récolter pour leur campagne. La commission électorale a révélé vendredi 22 février que le leader du parti libéral-démocrate (extrême-droite) Vladimir Jirinovski a dépensé 153 des 160 millions de roubles qu’il a accumulé. Le communiste Ziouganov a quant à lui utilisé 56 de ses 59 millions de roubles, alors qu’il reste moins de 500 000 roubles au chef du Parti démocratique Andreï Bogdanov sur les quelque 5 millions amassés.

Mais Dmitri Medvedev est loin de ces chiffres. Sa campagne ne lui a pour l’instant officiellement coûté que 29 millions de roubles (environ 1,2 M$). Il en a amassé 190...

J’ai trouvé l’explication à cette étrangeté par déduction, sur le site de la chaîne de télévision NTV (à noter que NTV est détenu par la compagnie étatique Gazprom, dont le président du conseil de direction n’est nul autre que Dmitri Medvedev). En surfant sur le site, je me suis dit que je trouverais facilement des reportages sur Medvedev dans la section «Élections-2008». Après tout, on voit ces temps-ci autant sinon plus le très probable futur président que l’actuel à la télévision. Il bénéficie largement du contrôle du Kremlin sur les télévisions étatiques.

Étrangement, il n’y avait pratiquement rien sur lui dans «Élections-2008». Les reportages présentaient plus ou moins également tous les candidats, en respect de la législation électorale russe qui garantit du temps d’antenne à chacun d’entre eux et une couverture de leurs activités.

Deuxième choix, la section «Politique». Bingo. Mais on ne parlait plus de Dmitri Medvedev candidat à la présidentielle, mais bien de Dmitri Medvedev premier vice-premier ministre de Russie.... Dans cette section, celui qu’on voyait à l’occasion dans les bulletins de nouvelles avant qu’il ne soit désigné candidat par Poutine en décembre est partout.

Sa fonction de premier vice-premier ministre est tout d’un coup devenue si importante qu’il doit aller visiter des usines aux quatre coins du pays et leur parler des plans de développement pour les quatre prochaines années. Si importante pour mériter des reportages sur ses activités quotidiennes, jusqu’à ce qu’un journaliste note qu’avant la visite d’une usine X, que M. Medvedev avait pris le déjeuner avec sa tante!

La loi électorale est respectée à la lettre, mais son esprit même est totalement bafoué. Et les grands médias étant acquis au candidat Medvedev, il n’aura jamais à se justifier au Russe moyen.

lundi 18 février 2008

SNC-Lavalin partenaire dans un projet controversé en Russie

Mon article, à lire sur cyberpresse ici

Chair à manifestation

Moscou, 15 février 2007 - On les a transportés dans la capitale par autobus. Des centaines de jeunes venus des villes aux alentours de Moscou spécialement pour la manifestation. Il n’y a pas de doute, le Mouvement jeunesse démocratique et antifasciste «Nachi» («Les Nôtres») dispose de moyens importants pour organiser ses événements patriotiques. Ne manque plus qu’à insuffler de l’entrain aux participants...

Au programme : une manifestation devant les bureaux moscovites de la Commission européenne pour protester contre la «liste noire» des Russes interdits de séjour dans l’Union européenne. Plusieurs membres de Nachi sont persona non grata dans les 24 pays européens faisant partie de l’espace Schengen, à la suite de leur participation aux manifestations contre le déplacement d’une statue en l’honneur d’un soldat soviétique à Tallin, en Estonie.

En avril 2007, le gouvernement estonien avait déménagé ce monument du coeur de la capitale vers un cimetière militaire de banlieue. Les Nachi et plusieurs Russes y avaient vu une volonté de la part du gouvernement estonien de faire oublier la contribution soviétique dans la victoire contre le nazisme. Par extension, ils l’avaient donc interprété comme un geste «fasciste».

Avant même d’en avoir la confirmation, j’avais deviné que la majorité des jeunes présents n’étaient pas des Moscovites endurcis: leur regard perdu devant la grandeur de la capitale ne laissait aucun doute. Ils tenaient les pancartes qu’on leur avait distribué sans grande conviction : «Aujourd’hui nous sommes mille, demain nous serons un million» ou encore «l’honneur du pays vaut plus qu’un voyage touristique».

J’aborde un jeune au premier rang. Il est costumé comme plusieurs de ses compatriotes en soldat soviétique de la Grande guerre patriotique (c’est comme ça qu’on appelle la Deuxième guerre mondiale en Russie). Il raconte que lui et ses amis sont partis à minuit la veille de Iaroslav et on fait cinq heures d’autobus (nolisé) pour se rendre à la manifestation anti-européenne. C’est la première fois qu’il vient à un événement du genre. Il n’est pas membre de Nachi, ce sont simplement des «connaissances» qui l’ont invité.

Un peu plus tard, je discute avec un autre jeune de Iaroslav. «Au fait, sais-tu c’est quoi au juste cette « liste noire» dont n’arrêtent pas de parler [les leaders au micro]?», lui demandai-je. «Ben... non, pas exactement», répond-t-il un peu embarassé. Puis, après m’avoir examiné de plus près, il repense à ce qu’il vient de dire au journaliste devant lui. «Ouais, en fait, je sais c’est quoi.» Il dit qu’il est venu ici pour «soutenir [son] pays». Il affirme être membre de Nachi et venir souvent aux manifestations, mais je ne sais plus trop si je dois le croire, avec ce regard suspicieux face à mes questions.

À 12h45, soit quarante-cinq minutes après le début de la manifestation, on reconduit les participants à leurs autobus. À peine arrivés, les quelque 200 jeunes de Iaroslav repartent pour un autre cinq heures de route vers la maison. Leurs confrères d’autres petites villes doivent se résigner à faire de même.

Ils n’auront été à Moscou quelques heures, le temps de remplir la Place slave, où se tenait le rassemblement du mouvement jeunesse pro-Poutine.

Au moins, ils pouvaient compter sur la passivité des policiers. Ils n’avaient pas à craindre de représailles contre une cause qu’ils ne semblaient pas trop saisir pour la plupart. Mais peu importe. La seule chose qu’on attendait de ces jeunes provinciaux, c’était leur présence. Ils n’étaient rien de plus que de la chair à manifestation.

jeudi 14 février 2008

Un film lance le culte du couple Poutine

Article publié le 14 février 2008 dans le journal La Presse et sur Cyberpresse.ca

Frédérick Lavoie (collaboration spéciale)
La Presse
Moscou

Vladimir Poutine aura été un exemple de droiture pour plusieurs Russes durant ses huit années au pouvoir. Désormais, il pourra aussi leur servir de modèle dans leurs relations amoureuses et familiales.

Un long métrage, théoriquement de fiction, relatant la vie de Vladimir Poutine, de sa rencontre avec sa femme Lioudmila à son accession à la présidence, sort en DVD partout en Russie aujourd'hui, jour de la Saint-Valentin.

Dans Le baiser n'est pas pour la presse (Potseluï nie dlia pressy), on présente Aleksander, jeune Pétersbourgeois spécialiste des arts martiaux, qui parle parfaitement allemand et évite toujours de parler de son mystérieux travail lié à «l'amitié russo-allemande».

Il épouse Tatiana, hôtesse de l'air originaire de Kaliningrad, qui devient enseignante. Le couple a deux filles et vit une histoire d'amour passionnée, malgré l'emploi du temps chargé du mari, qui gravit les échelons jusqu'à devenir chef de l'État.

Les ressemblances avec Vladimir Poutine, ex-agent du KGB germanophone et ceinture noire de judo, ne sont que «coïncidences», jurent les auteurs. Pour eux, ce «film d'amour» est avant tout une «fiction».

Le célèbre acteur russe Andreï Panine y incarne pourtant Vladimir Poutine jusque dans les moindre détails. Outre le look, il a aussi adopté la démarche particulière du président, se balançant de gauche à droite, et sa façon de parler, mitraillant des séries de mots entrecoupées de silences.

«Nous avons fait notre héros à l'image de ce que nous voulons que nos politiciens soient. Il est normal qu'il y ait beaucoup d'analogies», répondait lundi soir aux journalistes sceptiques le coauteur Anatoli Voropaïev, après la première et seule présentation du film sur grand écran.

Le film sera en effet directement disponible sur DVD pour la modique somme de 150 roubles (6 $). M. Voropaïev, aussi producteur, explique cette décision par une «logique commerciale». «Le film traite des valeurs familiales, alors nous voulons que le plus de familles possible puissent le regarder.»

Message politique

En plus de leçons sur la vie de famille et les relations amoureuses, les Russes pourront également mieux comprendre les politiques de Vladimir Poutine. L'avant-dernière scène du film montre la première dame répondant avec assurance aux critiques des journalistes russes et étrangers envers son mari président. Elle leur explique, par exemple, que les «médias russes sont plus libres qu'en Occident», que «ce n'est un secret pour personne que l'argent russe est à l'étranger et doit revenir au pays».

Exaspéré par les questions sur le caractère politique du film, le producteur Anatoli Voropaïev a finalement exposé son admiration pour le président actuel: «J'ai 40 ans. Ma génération vit dans une époque avec un leader convenable, un leader dont nous n'avons pas honte, qui nous redonne la fierté de notre pays. Et je ne vois rien de mal là-dedans.»

Le baiser n'est pas pour la presse a été écrit et tourné entre 2001 et 2003. M. Voropaïev explique le long délai avant sa sortie publique par son devoir de réserve dans son poste de fonctionnaire entre 2003 et décembre dernier.

Selon lui, la Saint-Valentin 2008 était le jour de sortie idéal puisque il s'agit d'un film «d'amour» et que 2008 a été décrétée Année de la famille en Russie. Il affirme qu'il n'y a aucun lien entre la sortie du film et l'élection présidentielle du 2 mars prochain.

Les artisans du film étaient pratiquement les seuls lundi soir à ne pas déceler de caractère politique dans leur oeuvre. Moins de cinq minutes après le début de la présentation, deux militants du Parti national-bolchevik (interdit) se sont levés au deuxième balcon en scandant des slogans anti-Poutine.

«Courbette devant le pouvoir»


Le critique de cinéma des Novye Izvestia, Viktor Matizen, n'a que des injures pour qualifier le film. «C'est un gros zéro. Il ne permet en rien de comprendre la vie de nos politiciens. C'est simplement une courbette devant le pouvoir, de pures relations publiques», s'emporte-t-il.

À son avis, il est toutefois peu probable que le Kremlin ait participé d'une manière ou d'une autre au projet, contrairement à ce que soupçonnent plusieurs de ses collègues. «Je ne peux même pas m'imaginer que Gleb Pavlovski (influent idéologue du Kremlin) ou quelqu'un d'autre de l'administration présidentielle ait pu commander un tel film. Ce sont tout de même des gens d'un niveau plus élevé que ceux qui ont fait ce film!»

À noter que le principal intéressé, Vladimir Poutine, n'était pas présent à la première du film. Au même moment, il assistait en compagnie de son dauphin et très probable successeur Dmitri Medvedev à un concert privé de Tina Turner et Deep Purple au palais du Kremlin pour célébrer le 15e anniversaire de la société d'État Gazprom.

lundi 4 février 2008

Chronique d’errance # 12 : L’errance chronique



Écrite entre deux appartements moscovites...

C’est une errance chronique, alors je chronique l’errance. Deux pieds qui se cherchent continuellement un nouveau sol à fouler, à sentir, à ressentir. Deux pieds dirigés par une âme compromettante, sans compromis.

Ils ont bien essayé de s’enfuir du perpétuel vagabondage, s’enfuir à coup de routine, de nid douillet, mais ils finissent toujours par partir. Lorsque ce ne sont pas eux qui choisissent l’errance, c’est elle qui semble les forcer à respecter une sorte de destinée inévitable. C’est difficile à croire qu’on n’est pas tout à fait maître de son sort lorsqu’on a justement choisi comme mode de vie le vide à remplir de la liberté sans frontières (ou si peu). Mais il semble bien que ce soit le cas. Comme si malgré soi, on était constamment traîné vers ce futur embrumé, où chaque pas est un coup de dés, parfois saut dans le vide, parfois tremplin vers le haut.

L’errance chronique nous inspire. Mais expirera-t-elle? Parce qu’elle exaspère parfois, entre deux espérances, l’une comblée, l’autre déçue.

Les pieds s’usent, à changer constamment de port. L’âme se déshydrate en altitude. L’angoisse a le vertige, à en perdre le fil de ses raisons d’existence.

Est-ce la souffrance de l’inconfort ou le confort de l’avancement continu qui doit dominer? On finit par se dire qu’on ne pourrait probablement pas vivre autrement, de toute façon.

Nos deux pieds, ces éternels quitteurs de nulle part vers un autre. Peu importe le chemin emprunté, il leur restera toujours à parcourir l’infini vers l’accomplissement de soi. Ça fait peur, mais c’est rassurant en même temps de savoir qu’on est sans fin.

samedi 2 février 2008

L'Ingouchie menacée de guerre civile

Publié dans La Presse et sur Cyberpresse le 2 février 2008

Frédérick Lavoie
La Presse
Collaboration spéciale
Moscou


Le Caucase du Nord sent de nouveau la poudre à canon. Alors que la situation en Tchétchénie se stabilise sous la main de fer de son président Ramzan Kadyrov, l'Ingouchie voisine est au bord de la guerre civile.

Les autorités russes ont déclaré une partie du territoire de cette petite république «zone d'opération antiterroriste» la semaine dernière, à la veille d'une manifestation prévue par les opposants au très impopulaire président local, Mourat Zyazikov.

Installé au pouvoir il y a deux ans et demi par Vladimir Poutine, cet ancien agent des services de sécurité russes s'est attiré la colère de la population en instaurant un régime corrompu et en permettant un usage démesuré de la force par les policiers.

Il y a une semaine, quelques centaines de personnes ont tenté de se rassembler sur la place de l'Entente, au centre-ville de l'ancienne capitale de l'Ingouchie, Nazran. Les policiers et militaires qui encerclaient l'endroit ont commencé à matraquer les manifestants et à tirer des coups de semonce pour disperser la foule. Une cinquantaine d'opposants ont été arrêtés, ainsi que six journalistes, dont deux ont été sévèrement battus avant d'être relâchés.

Ekaterina Sokiryanskaïa, de l'ONG Memorial, a tenté de filmer les accrochages. «Quand ils ont vu que j'avais une caméra, ils m'ont arrêté. Ils savaient qui nous étions», raconte au bout du fil cette militante des droits de l'homme bien connue en Ingouchie. L'un de ses collègues a été battu. Ils ont ensuite été détenus et interrogés pendant 13 heures.

Menace islamiste


Mme Sokiryanskaïa a vu la situation se détériorer grandement dans cette petite république de 500 000 habitants. Depuis quatre ans, les combattants tchétchènes qui se cachaient dans les montagnes d'Ingouchie ont cédé la place à quelques centaines de combattants ingouches qui veulent renverser le régime de Zyazikov, certains pour instaurer une république islamiste dans le Caucase. «En 2004, tout le monde était surpris de voir autant de groupes armés clandestins dans les rues. Maintenant, plus personne ne s'en étonne.»

Toutefois, ce sont surtout de simples citoyens indignés qui menacent de plonger la république dans la guerre civile, explique Alekseï Malachenko, spécialiste du Caucase au Centre Carnegie de Moscou. «Les gens vengent leurs proches des abus du président Zyazikov. Il y a beaucoup d'armes dans le Caucase du Nord. N'importe qui à n'importe quel moment peut prendre une kalachnikov et aller se venger.»

Depuis un an et demi, pratiquement plus un jour ne passe en Ingouchie sans assassinat, attentat ou coups de feu. En août dernier, 2500 soldats russes supplémentaires avaient été envoyés dans la république. Ils ont finalement été retirés en octobre, sans que la situation ne se soit améliorée.

«Les mesures prises par le pouvoir pour enrayer le terrorisme sont inefficaces. Elles l'aident à se développer», croit Ekaterina Sokiryanskaïa. Selon elle, la population ingouche veut vivre normalement selon les lois russes. D'ailleurs, la manifestation de samedi devait se tenir sous le thème «En soutien à Poutine», réclamant qu'il démette de ses fonctions le président Zyazikov.

«Il n'est pas vraiment question de mouvement islamiste important comme en Tchétchénie, assure Alekseï Malachenko. C'est politique. Je crois qu'après l'élection présidentielle russe de mars, le Kremlin finira par remplacer Zyazikov et la situation se calmera».

INGOUCHIE

Cette république du Caucase fait partie de la Fédération de Russie. Les Ingouches sont en majorité musulmans.

Capitale : Magas

Superficie : 4000 km2

Population : 467 294 (2002)

Langues: ingouche (83%), tchétchène (11,2%), russe (4%), autres (1%)

Nature de l'État: république

Président : Murat Zyazikov

Âge moyen: 22,2 ans